Une biographie très documentée revient sur le geste d’Arnaud Beltrame. Est-ce celui d’un héros, ou relève-t-il de l’erreur de comportement ?
Par Jean Guisnel
Le 23 mars dernier, la course meurtrière d’un islamiste assassin aboutit dans un supermarché de Trèbes (Aude) où il ne laisse aucune chance à trois nouvelles victimes, après celle qu’il avait abattue plus tôt à Carcassonne. Bilan : quatre morts, désormais inscrits sur la longue liste des victimes du terrorisme. L’Histoire n’a retenu qu’un seul nom : celui d’Arnaud Beltrame, officier de gendarmerie hors pair, qui s’est sacrifié pour sauver le dernier otage, une femme retenue par le malfaiteur. La France entière connaît les circonstances de la mort de l’officier.
Pierre-Marie Giraud, qui fut journaliste à l’AFP durant quatre décennies avant de devenir conseiller de la rédaction du mensuel L’Essor de la gendarmerie, reprend toute l’affaire dans une biographie empathique, Arnaud Beltrame, l’héroïsme pour servir (1). Déroulant minutieusement les faits, il s’attache surtout à comprendre la portée d’un geste exceptionnel. Et comme il le démontre, discutable.
Hors cadre
L’assassin s’est enfermé dans le Super U. Tandis que la gendarmerie de l’Aude sonne le branle-bas de combat, les super-gendarmes de l’antenne du GIGN de Toulouse prennent la route et des hélicoptères décollent de Satory avec du personnel spécialisé supplémentaire. Sur place, le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame dirige le dispositif de gendarmes locaux. Il entre avec plusieurs d’entre eux dans le magasin, mais en négligeant sa propre sécurité : il ne porte ni gilet pare-balles lourd ni casque. Au contact du terroriste, il lui propose de libérer l’otage et de le prendre à sa place. Le tueur, à bout de munitions, accepte, mais lui demande son arme de service et son chargeur. Arnaud Beltrame les lui remet. Giraud écrit que, dès lors, « l’opération, jusque-là menée conformément au schéma national d’intervention, vient de basculer, sous l’impulsion d’Arnaud Beltrame, dans un scénario hors de tout cadre fixé par les procédures ». Plus tard, alors que les spécialistes du GIGN ont entamé les pourparlers avec le terroriste, des coups de feu éclatent. Le tueur a utilisé l’arme du gendarme pour le toucher à deux reprises, avant de l’égorger.
Depuis lors, l’affaire est entendue : Arnaud Beltrame est « tombé en héros », comme l’écrit aussitôt Emmanuel Macron. Mais un héros, notamment s’il est un militaire, doit-il adopter une attitude en rupture flagrante avec la doctrine ? Peut-il remettre son arme chargée à l’homme qui l’utilisera pour le tuer ? Doit-il faire fi de procédures réfléchies, validées et éprouvées pour adopter un comportement individuel ? Et agir en solo alors que la situation est provisoirement figée, sans attendre l’arrivée des spécialistes ? Autant d’interrogations justifiées que l’auteur a présentées à des experts qui, sans surprise tant un avis contraire serait incongru, jugent que la figure « héroïque » est la bonne. Le sociologue Jean-Pierre Albert estime ainsi que « dans une situation militaire ou de résistance, on voit que le héros est directement porteur d’une responsabilité qu’il assume en tant que membre d’un collectif qui est la Nation, la Patrie. C’est le cas pour Arnaud Beltrame ». Le général de gendarmerie Jacques Mignaux abonde dans le même sens : « Il montre aux forces du mal qu’elles ne triompheront jamais tant que des hommes de sa trempe seront là pour protéger la cité. »
Tenir sa place
L’auteur est allé plus loin et a interrogé d’autres officiers qui ne sont pas de cet avis. Nous pouvons témoigner qu’ils sont nombreux. Ils pensent généralement, comme le dit sans fioriture un témoin anonyme, que l’officier « a commis deux erreurs : avoir remis son arme et son chargeur au terroriste avant de devenir un otage d’une plus grande valeur que la jeune femme ». Un officier en retraite, Henri Cailhol, résume ainsi son sentiment : « Où est la place du chef ? Là où il peut commander et donc pas là où il est neutralisé par un terroriste […]. Quels que soient ses sentiments de père de famille, de chrétien, d’humaniste ou de simple citoyen. Il est là pour tenir sa place au sein d’un dispositif ayant vocation à gérer la situation. » Il fallait que cela soit écrit…
(1) Pierre-Marie Giraud, Arnaud Beltrame, l’héroïsme pour servir, Mareuil, 16,50 euros
Source: Le POINT