Question écrite n° 06812 de M. Antoine Lefèvre (Aisne – Les Républicains) publiée dans le JO Sénat du 20/09/2018 – page 4736
M. Antoine Lefèvre attire l’attention de M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur, sur l’augmentation des agressions de sapeurs-pompiers lors des interventions. Dans une étude publiée le 15 novembre 2017 par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), il apparaît que le nombre de sapeurs-pompiers professionnels et volontaires victimes d’une agression est en hausse de 17,6 % en un an (1939 agressions en 2015- 2280 en 2016). Ces agressions ont donné lieu à 1 613 journées d’arrêt de travail, ce qui constitue une hausse de 36 % par rapport à 2015. Sur la même année, 414 véhicules ont été endommagés pour un préjudice estimé à 283 442 euros, ce qui porte l’augmentation à 183,4 % ! Tout récemment, la mort d’un des leurs révèle les dangers encourus en interventions : ils doivent désormais affronter, en plus des agressions croissantes depuis une vingtaine d’années, celles émanant des personnes en détresse qu’ils viennent pourtant secourir. Il apparaît que les pompiers récupèrent les missions que d’autres services ne peuvent plus assurer par faute de moyens. C’est ainsi que les représentants de la fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) et de la fédération autonome des sapeurs-pompiers demandent, dès l’instant où le danger est estimé, l’appui des forces de l’ordre. Or, ces dernières, tout en reconnaissant le bien-fondé de ces demandes, n’ont pas les moyens humains pour y répondre, et ce depuis longtemps. Se félicitant du prochain port de caméras piétons par les sapeurs–pompiers (loi n° 2018-697 du 3 août 2018 relative à l’harmonisation de l’utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique) qui ne pourra néanmoins empêcher certaines de ces agressions, mais contribuera à apaiser certaines situations, il lui demande ce qui est prévu pour assurer une meilleure protection des sapeurs-pompiers face à de tels risques.
Transmise au Ministère de l’intérieur
Réponse du Ministère de l’intérieur publiée dans le JO Sénat du 25/10/2018 – page 5457
Les sapeurs-pompiers – professionnels et volontaires – sont victimes d’agressions en intervention, en majorité des coups et blessures volontaires, de menaces et d’outrages lors des missions de secours à personne, à la suite de différends familiaux, de conflits de voisinage ou d’accidents de la circulation, souvent en raison d’un état alcoolique, de souffrance ou de détresse psychologiques, comme ce fut le cas à Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne), avec le décès en service d’un sapeur-pompier de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, le 4 septembre 2018. Ces violences s’exercent, par ailleurs, indifféremment à l’égard des policiers, gendarmes et pompiers, qui peuvent être ciblés parce que porteurs d’un uniforme, symbole de l’État, notamment dans un contexte de menace terroriste forte. C’est ainsi qu’en 2016, 2 280 agressions de sapeurs-pompiers, entraînant 1 613 jours d’arrêt de travail, ont été déclarées sur l’ensemble du territoire, soit 351 de plus qu’en 2015 (+ 17,6 %). Lors de ces agressions, 414 véhicules ont été détériorés. Plus de 90 % de ces actes ont donné lieu à un dépôt de plainte auprès des services de police et de gendarmerie nationales. Le ministère de l’intérieur poursuit une lutte déterminée contre ces agressions qui visent les femmes et les hommes qui garantissent, chaque jour et sur l’ensemble du territoire, la continuité opérationnelle du service public de protection et de secours à la population. En ciblant les sapeurs-pompiers, qui font vivre au quotidien les valeurs et les principes républicains fondés sur la solidarité et l’entraide, c’est la République que l’on atteint. C’est donc à la République de répondre fermement et de défendre ceux qui exposent chaque jour leur vie pour sauver celle des autres. Cette situation est insupportable car derrière la vie des sapeurs-pompiers, c’est aussi la vie de la victime prise en charge qui peut être mise en danger. Parmi les hypothèses avancées par certains parlementaires pour renforcer la sécurité des interventions des sapeurs-pompiers, l’opportunité d’équiper ces derniers de caméras individuelles est désormais envisageable, selon les termes de l’article 1er de la loi n° 2018-697 du 3 août 2018 relative à l’harmonisation de l’utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique (1). Plusieurs autres mesures sont en outre d’ores et déjà engagées pour garantir la sécurité des sapeurs-pompiers : elles se déclinent au plus près du terrain, grâce à des protocoles opérationnels, qui évoluent en permanence sous la responsabilité des préfets (2) ; elles se traduisent également par une réponse pénale qui doit être ferme, grâce à une coopération continue entre les ministères de la justice et de l’intérieur (3). 1) L’installation de caméras piétons La loi n° 2016-339 du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs, modifiée par la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, a créé un régime spécifique pour l’enregistrement audiovisuel des interventions des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP. La loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, a prévu un régime pérenne d’utilisation des caméras mobiles pour les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale. Le Gouvernement est attaché à l’usage des caméras piétons par les forces de police et de gendarmerie, car ce dispositif participe à l’apaisement des tensions. Aussi, le ministère de l’intérieur a décidé de multiplier par quatre le nombre de ces équipements dans le plan de sécurité du quotidien, pour atteindre 10 000 caméras en 2019. L’article 114 de la loi du 3 juin 2016 a également prévu un dispositif d’expérimentation pour les agents de police municipale dans le cadre de leurs interventions. L’expérimentation, d’une durée de deux ans, s’est déroulée du 3 juin 2016 au 3 juin 2018. Le Sénat et l’Assemblée nationale ont adopté la loi n° 2018-697 du 3 août 2018 relative à l’harmonisation de l’utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique. Son objectif vise notamment à étendre l’expérimentation du port des caméras mobiles aux sapeurs-pompiers. L’article 1er de la loi prévoit ainsi que, « à titre expérimental, dans l’exercice de leurs missions de prévention, de protection et de lutte contre les risques de sécurité civile, de protection des personnes et des biens et de secours d’urgence, les sapeurs-pompiers professionnels ou volontaires et les militaires de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris et du bataillon des marins-pompiers de Marseille peuvent procéder, au moyen de caméras individuelles, à un enregistrement audiovisuel de leurs interventions lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident de nature à mettre en péril leur intégrité physique, eu égard aux circonstances de l’intervention ou au comportement des personnes concernées ». Cet article précise que « l’enregistrement n’est pas permanent et ne peut être déclenché dans les cas où il est susceptible de porter atteinte au secret médical ». C’est un point sur lequel le Gouvernement a particulièrement été attentif lors des débats sur la proposition de loi. Le respect de la vie privée et du secret médical des personnes chez lesquelles les sapeurs-pompiers sont amenés à intervenir est en effet un point majeur, car les sapeurs-pompiers sont quotidiennement appelés à pénétrer chez les particuliers. Ce dispositif contribuera à améliorer la sécurité des sapeurs-pompiers. 2) La mise en place de protocoles opérationnels Dès 2006, certains préfets ont mis en place, en collaboration avec les services de police et de gendarmerie, des protocoles opérationnels visant à améliorer la sécurité des sapeurs-pompiers en intervention. Pour autant l’évolution des types d’agressions et l’émergence de territoires caractérisés par la violence ayant pour effet d’empêcher le bon déroulement de la mission de secours, ont nécessité une remise à jour des procédures. C’est la raison pour laquelle, le ministre de l’intérieur, par circulaire relative à la prévention et à la lutte contre les agressions visant les sapeurs-pompiers, adressée le 30 mars 2015 aux préfets, a souhaité la mise en place de protocoles actualisés entre les services départementaux d’incendie et de secours, les directions départementales de la sécurité publique et les groupements de gendarmerie départementale. Ces protocoles permettent d’affirmer la volonté commune de prévenir ces agressions par une coordination renforcée des interventions des sapeurs-pompiers avec celles des gendarmes et des policiers et de créer les conditions permettant d’identifier les auteurs des agressions. Le 21 novembre 2017, le ministre d’État, ministre de l’intérieur, a demandé aux préfets de procéder à une évaluation de ces protocoles. L’exploitation des réponses a permis d’identifier des bonnes pratiques. Des mesures nouvelles, visant à améliorer la sécurité des sapeurs-pompiers en intervention, ont été transmises à l’ensemble des préfets, par la circulaire en date du 13 mars 2018. À la suite du tragique événement survenu à Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne), le ministre d’État, ministre de l’intérieur, a rappelé, par télégramme du 14 septembre 2018, aux préfets et directeurs généraux de la Police nationale, de la Gendarmerie nationale et de la sécurité civile et de la gestion des crises, la nécessité d’appliquer avec la « plus grande rigueur » la circulaire du 13 mars 2018. Ces instructions prévoient notamment de renforcer : – les mesures de coordination opérationnelle par l’élaboration de procédures spécifiques pour l’intervention dans les secteurs urbains sensibles (points de regroupement, itinéraires sécurisés et règles d’engagement adaptées, avec notamment l’appui de la police ou de la gendarmerie lorsque la situation l’exige) et par la mise en place d’un système d’évaluation régulière et partagée pour les secteurs où la fréquence des agressions ou de faits de violence urbaine est élevée ; – les mesures relatives au dépôt de plainte facilité et à la protection fonctionnelle ; – les mesures de formation des sapeurs-pompiers à la négociation et aux techniques de défense simple (évitement, esquive, dégagement) face à une personne agressive. La situation des coups et blessures volontaires, des menaces et de l’outrage, à l’encontre des sapeurs-pompiers, en raison d’un état alcoolique ou de souffrance psychologique, est prise en compte dans le cadre de ces protocoles. La régulation médicale, la juste définition du diagnostic et de la qualification de chaque intervention sont également des points essentiels pour préserver les sapeurs-pompiers d’actes de violence. 3) Une réponse pénale ferme et une coopération entre les ministères de la justice et de l’intérieur Face à ces actes d’agressions, la réponse pénale doit également être exemplaire et les sanctions à la hauteur de la gravité des actes. Tous les moyens d’enquête nécessaires sont donc déployés pour poursuivre les auteurs de telles agressions. La France a renforcé son cadre juridique en adoptant, notamment, la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique qui aggrave les sanctions pénales à l’encontre des auteurs de violences contre les sapeurs-pompiers. L’article 433-3 du code pénal prévoit ainsi qu’est « punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende la menace de commettre un crime ou un délit contre les personnes ou les biens proférée à l’encontre […] d’un sapeur-pompier professionnel ou volontaire », chargé d’une mission de service public. Les articles 322-6 et 322-8 du même code exposent enfin l’auteur d’une « destruction, dégradation ou détérioration d’un bien appartenant aux sapeurs-pompiers par l’effet d’une substance explosive ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes », à une peine de vingt ans de réclusion criminelle et de 150 000 euros d’amende. En décembre 2017, les auteurs de la terrible agression de Wattrelos ont été condamnés à des peines de prison ferme : c’est ce type de sanctions, marqué par une grande sévérité, qui doit être la règle.
Source: JO Sénat du 25/10/2018 – page 5457