Question écrite n° 04845 de Mme Vivette Lopez (Gard – Les Républicains) publiée dans le JO Sénat du 03/05/2018 – page 2123
Mme Vivette Lopez attire l’attention de Mme la ministre des armées sur les inquiétudes du monde combattants à l’égard du projet (AN, n° 659, XVe leg) de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense (LPM).
Le projet de loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025 véhicule en effet, en ses articles 30, 32, 35 et 36, des dispositions sans rapport direct avec son objet et qui tendent à bouleverser complètement le droit des pensions militaires d’invalidité.
Or, si les associations du monde combattant ont pu participer à la réforme récente (1er janvier 2017) du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre (CPMIVG, qui régit également l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme), elles seraient tenues à l’écart de ce nouveau et soudain projet de réforme, alors qu’il aurait davantage d’impact qu’un remaniement du code à droit constant.
En effet, il s’agit de faire voter, avec la LPM, un transfert du contentieux des pensions militaires d’invalidité, des juridictions des pensions (tribunaux des pensions militaires et cours régionales des pensions) vers les juridictions administratives (tribunaux administratifs et cours administratives d’appel) et de mettre en place un recours administratif préalable obligatoire (RAPO) qui n’existait pas jusqu’à lors, devant une commission dont la composition est fortement débattue.
Or, ces deux modifications substantielles auraient un impact majeur et négatif sur le traitement du contentieux des pensions militaires d’invalidité.
Les conséquences néfastes d’un transfert du contentieux aux juridictions administratives seraient, outre la disparition de pas moins de 75 juridictions des pensions, une remise en cause de la spécificité de ce contentieux, une inadéquation de la juridiction choisie pour le transfert du contentieux, une inégalité des armes devant la juridiction administrative, un changement radical de procédure, une augmentation du coût de la procédure et, enfin, une atteinte au devoir de mémoire.
Il est évident que projet de LPM 2019-2025 comporte quelques articles qui ne devraient pas s’y trouver et qui ont des conséquences néfastes sur le contentieux des pensions militaires d’invalidité. Aussi, elle lui demande si elle entend ajourner ces articles afin de mener une concertation avec l’ensemble des associations du monde combattant et des victimes civiles concernées, qui, au prix du sacrifice de leur corps et de traumatismes psychologiques, sont meurtris par le dédain avec lequel leurs droits sont actuellement remis en cause par ce projet de loi.
Transmise au Secrétariat d’État, auprès de la ministre des armées
Réponse du Secrétariat d’État, auprès de la ministre des armées publiée dans le JO Sénat du 04/10/2018 – page 5013
Le traitement du contentieux des pensions militaires d’invalidité (PMI), en première instance et en appel, souffrait de dysfonctionnements anciens dénoncés par les associations de pensionnés, notamment dans le cadre d’un rapport de 2014 du comité d’entente des grands invalides de guerre comportant 30 propositions. En effet, les tribunaux des pensions et les cours régionales des pensions étaient, dans la pratique, fréquemment présidés par des magistrats honoraires qui n’étaient pas toujours en mesure d’assurer une présence permanente auprès de leur juridiction, par exemple pour orienter le travail des greffiers. De plus, les tribunaux des pensions relevaient du régime de l’échevinage, c’est-à-dire d’une organisation dans laquelle les affaires étaient entendues et jugées par des juridictions composées à la fois de magistrats professionnels et de personnes n’appartenant pas à la magistrature professionnelle, en l’espèce des médecins et des représentants de pensionnés. Or, il s’avérait de plus en plus difficile de renouveler le vivier des assesseurs échevins. En outre, le contentieux des PMI échappait aux processus de dématérialisation et de diffusion de la jurisprudence prévus dans les juridictions des ordres administratif et judiciaire (les décisions des tribunaux et des cours concernés n’étant actuellement pas publiées sur les sites publics de diffusion de la jurisprudence). Dans ce contexte, le délai moyen de traitement constaté aujourd’hui était de deux années et tendait au surplus à s’accroître sur les six dernières années, alors même que le nombre de décisions rendues tendait à diminuer. La longueur excessive de ces procédures avait du reste déjà valu à l’État plusieurs condamnations devant les juridictions des pensions (cf. CE, 19 juin 2006, n° 286459 ; CE, 13 juillet 2016, n° 389760). La Cour européenne des droits de l’homme avait également conclu à une violation par la France de l’article 6§1 de la convention, relatif au droit à un procès équitable, du fait de la durée des procédures litigieuses en matière de pensions militaires d’invalidité (cf. CEDH, 8 juillet 2003, Mocie c. France ; CEDH, 28 février 2007, Desserprit c. France). Pour répondre aux attentes légitimes des pensionnés et de leurs associations, des travaux de concertation très approfondis avaient donc été lancés depuis 2016. La solution qui s’est imposée est celle d’un transfert du contentieux des PMI aux juridictions administratives qui en connaissent déjà en cassation. Ce transfert, prévu par l’article 51 de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 de programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense, s’accompagne de la mise en place d’un recours administratif préalable obligatoire (RAPO), qui constitue un temps consacré au réexamen des dossiers devant une commission afin de permettre et de garantir des échanges avec les pensionnés en toute confiance. Cette réforme d’ampleur a néanmoins soulevé des interrogations légitimes de la part du monde des pensionnés, conduisant le ministère des armées à recueillir les avis et propositions des associations représentatives du monde combattant, par écrit à la suite d’un courrier du 8 janvier 2018, mais également par l’organisation de plusieurs réunions d’échanges, dont l’une présidée par la secrétaire d’État auprès de la ministre des armées le 5 mars dernier. Lors de cette dernière réunion, un certain nombre de garanties et d’arbitrages ont été annoncés aux représentants des associations. S’agissant plus particulièrement du futur RAPO, la commission unique d’examen des recours compétente pour le territoire métropolitain, l’outre-mer et l’étranger siègera au sein de l’Institution nationale des Invalides et sera dotée d’un pouvoir décisionnel. Elle pourra notamment auditionner sur sa demande chaque demandeur accompagné de la personne de son choix (dont, par exemple, un avocat ou un médecin). Si sa composition n’est pas encore définitivement arrêtée, elle comprendra toutefois un représentant des associations de pensionnés en tant que membre permanent. Ce dernier sera amené à se prononcer sur l’ensemble des recours formés devant la commission, y compris ceux formés par des militaires en activité ou par des victimes civiles d’actes de terrorisme. Enfin, les associations de pensionnés seront consultées dans le cadre des travaux d’élaboration du décret pris pour l’application de l’article 51 de la loi de programmation militaire précitée.
Source: JO Sénat du 04/10/2018 – page 5013