Audition du général François Lecointre, chef d’état-major des armées, sur les opérations en cours.

Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 17 juillet 2018

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 71

Présidence de M. Jean-Jacques Bridey, président

— Audition du général François Lecointre, chef d’état-major des armées, sur les opérations en cours.

La séance est ouverte à dix-sept heures.

M. le président Jean-Jacques Bridey. Mon général, je vous remercie vivement pour votre présence devant nous aujourd’hui, à quelques semaines du terme de la session extraordinaire. Consacrée aux opérations en cours, notre séance pourra également être l’occasion d’aborder d’autres thématiques si tel est votre souhait.

Général François Lecointre, chef d’état-major des armées. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, avant tout, permettez-moi de vous remercier de me recevoir aujourd’hui. Au lendemain de la promulgation de la loi de programmation militaire par le président de la République, je tiens à rappeler que le vote de ce texte constitue un réel motif de satisfaction. À ce sujet, je tiens à saluer le travail que vous avez conduit, au sein de votre commission, pour permettre de conduire la régénération de nos armées, indispensable avant même d’envisager leur modernisation. Je suis parfaitement conscient de votre investissement comme du sens du bien commun qui vous a animé tout au long de l’élaboration et de l’examen du projet de loi de programmation militaire. Je vous en suis infiniment reconnaissant.

Vous avez souhaité m’entendre sur les opérations, ce qui me paraît en effet primordial. Il est indispensable à mes yeux que la représentation nationale ait une vision la plus claire possible de ce que font les armées et de l’environnement stratégique dans lequel elles agissent. Bien entendu, c’est dans cet esprit que la LPM a acté le renforcement du rôle des commissions parlementaires des deux assemblées chargées de la défense en matière de contrôle parlementaire. Une telle évolution me paraît normale et souhaitable.

Si vous le permettez, j’aborderai la question des engagements en deux temps. D’abord, je livrerai un aperçu des grandes tendances qui ressortent de la réflexion prospective que nous conduisons à l’état-major des armées, notamment au sein des groupes ad hoc, sur le sujet de la conflictualité et de son évolution. Ensuite, je ferai un point de situation précis des théâtres d’opérations.

En premier lieu, j’évoquerai donc la réflexion prospective, conduite au sein de l’état-major des armées afin de me permettre d’être certain que nos actions et nos engagements seront pleinement articulés avec les priorités et les intérêts français tels qu’ils sont définis par le chef de l’État. À ma connaissance, nous sommes l’une des seules institutions de l’État à disposer de cette capacité à réfléchir de manière autonome et, surtout, à s’astreindre à cet exercice. Nous avons créé, il y a plusieurs années, deux instances dédiées à ce travail que je dirige : le groupe d’orientation stratégique militaire (GOSM) qui conduit une réflexion à cinq ans et au-delà ; le groupe d’anticipation stratégique (GAS) qui réfléchit et trace des perspectives à deux ans sur les différents théâtres et sur les différentes zones. Il me semble utile de partager, succinctement avec vous le fruit de ces réflexions, en commençant par quelques constats.

Premier constat : la conflictualité est principalement alimentée aujourd’hui par les dynamiques de puissance, étatiques ou non. Les volontés politiques s’affranchissent de plus en plus de leurs obligations internationales et du cadre multilatéral communément accepté. À titre d’exemple, un État doté – les États-Unis – donne des garanties de sécurité à un État qui s’est retiré du traité de non-prolifération pour développer son propre arsenal – la Corée du Nord. De même, l’accord multilatéral sur le nucléaire iranien est dénoncé unilatéralement par les États-Unis.

Outre cet affranchissement et cette remise en cause du cadre multilatéral et outre le maintien à un niveau élevé des manifestations de la violence terroriste, le rythme des démonstrations de puissances a connu une accélération sensible ces derniers mois. Je citerai trois exemples : les frappes d’Israël sur les capacités militaires installées en Syrie, de plus en plus fréquentes ; les frappes de la Turquie sur les positions kurdes dans le nord de la Syrie et en Irak ; les démonstrations de puissance de la Chine en mer de Chine.

Cette hausse de la conflictualité s’inscrit dans un monde en état de crise permanent lié aux enjeux énergétiques et environnementaux, d’une part, et à l’explosion démographique, d’autre part. Malheureusement, les comportements de certains États sont des prurits de puissance, qui dénotent en réalité l’absence d’une stratégie collective et partagée et la tentation de ces puissances à se livrer à des politiques de « coups » qui leur permettent simplement d’affirmer de façon décomplexée leur capacité à mettre en œuvre la force.

Deuxième constat : la conflictualité s’affranchit, toujours plus, des frontières physiques pour s’élargir aux champs immatériels. C’est l’ère de la transgression alors que les frictions sont transposées dans une multitude de champs – espace, cyber – nouveaux ou jusqu’à présent à l’écart de l’affrontement et de la guerre. En parallèle, le principe même des espaces partagés est contesté, tandis que des espaces qui devraient être des espaces de liberté sont l’objet de revendications et d’affrontements. Enfin, nous faisons face à la fin d’une forme d’immunité sécuritaire sur notre continent et sur notre sol du fait de la généralisation des comportements hybrides.

Troisième constat : dans ce contexte, l’appréciation de situation des pays européens diverge, malheureusement. L’Europe est exposée à l’ensemble des risques que je viens d’évoquer : menaces étatiques, terrorisme, trafics, migrations. Mais ces risques font l’objet d’analyses divergentes, voire contradictoires, selon les pays européens. Cette divergence tient d’abord à la proximité géographique des pays concernés vis-à-vis de certaines menaces. Ainsi, les pays de l’Est sont obnubilés par le voisin russe. De même, les pays du Sud sont préoccupés par la situation en Méditerranée et en Afrique. Ensuite, cette divergence s’explique par la fragilité démocratique de certains pays, qui peinent à développer une vision qui leur soit propre. Lorsqu’elle existe, leur vision est souvent parasitée, par ailleurs, par les questions de politique intérieure.

Cette divergence d’appréciation est particulièrement problématique au moment même où notre allié américain prend ses distances avec l’OTAN, enfonçant un coin dans la cohésion des pays de l’Union européenne et de l’OTAN. En réalité, quel que soit l’angle sous lequel l’on regarde l’Europe, aucune instance n’est réellement dédiée à l’élaboration d’une vision stratégique commune.

Quelles sont les conséquences de ces constats pour la France ? Parce que notre positionnement est singulier, parce que notre vocation est singulière et parce que nous sommes regardés de manière singulière, nous devons user de notre positionnement pour permettre l’émergence d’une vision partagée. L’Initiative européenne d’intervention (IEI) participe de cette ambition. Elle constitue un premier jalon. Cette volonté politique est déclinée au niveau des armées qui tentent de jouer un rôle d’entraînement de leurs partenaires en cherchant à trouver un équilibre délicat en termes d’engagements opérationnels. D’un côté, les dépendances croisées ne nous permettent plus de choisir, et encore moins de choisir seul, nos combats. Dans le même temps, la France est exposée à la logique du « on ne peut pas ne pas » intervenir, agir ou réagir. Nous avons de moins en moins le choix de nos engagements. De l’autre côté, la France doit veiller à ne pas se trouver seule en première ligne de la défense d’intérêts communs, au motif qu’elle détiendrait des capacités et une expérience que certains de nos partenaires n’ont pas.

Ces constats et ces préoccupations me permettent de définir un certain nombre d’orientations dans le domaine des opérations. Celles-ci procèdent d’abord des grands principes de la guerre que vous connaissez pour avoir lu les écrits du maréchal Foch. Pour rappel, le premier principe de la guerre est celui de la concentration des efforts, à l’endroit et au moment choisis. La concentration des efforts repose sur deux principes subséquents, l’économie des moyens, qui permet d’agir au bon moment, et la liberté d’action, qui permet d’agir au bon endroit.

Ces principes nous conduisent à adopter une forme d’humilité stratégique dans la conduite de notre action. Celle-ci se traduit de plusieurs manières. Premièrement, elle impose d’accepter de ne pas peser partout pour pouvoir continuer à peser là où nos intérêts, et ceux de nos alliés, le commandent. Deuxièmement, elle suppose d’accroître notre capacité à moduler nos engagements pour retrouver de la liberté de manœuvre. J’avais évoqué cette thématique il y a près d’un an, lors des dernières Universités d’été de la défense. Troisièmement, elle conduit à éviter, à chaque fois que cela est possible, d’avoir à agir seul. Quatrièmement, il convient de veiller, notamment sur le territoire national, à n’accomplir que des missions relevant des armées en assumant la singularité des armées pour conserver intacte la notion d’ultima ratio et éviter une confusion des genres. Cinquièmement, elle rend nécessaire d’innover sur le plan opérationnel par une meilleure intégration interministérielle. Sixièmement, elle impose de conserver notre excellence opérationnelle, qui fait de nous un acteur à part en Europe, à même d’entraîner nos partenaires. Cette excellence repose sur le fait que nous ne lâchons rien s’agissant de la préparation des forces et sur notre capacité à investir les nouveaux champs de la conflictualité par la montée en compétences et l’innovation. Enfin, la France se doit d’assumer son leadership opérationnel en Europe et de faire en sorte d’obtenir en retour la reconnaissance par nos partenaires et les instances collectives d’une forme de « redevabilité ». Je note à cet égard que nous ne parvenons pas toujours à l’obtenir au niveau souhaité.

Voilà, en quelques mots, ce qu’il me tenait à cœur de vous dire en guise d’introduction générale. Il s’agit de la vision que je déploie au sein du ministère des Armées et que l’état-major des armées et moi-même partageons à l’occasion de nos échanges avec le ministère de l’Intérieur, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères comme au sein des Conseils de défense hebdomadaires.

En second lieu, j’en viens à présent aux opérations.

Premièrement, le Sahel.

Vous le savez, l’opération Barkhane évolue sans cesse et module ses effectifs depuis le début de son déploiement. Aujourd’hui, 4 500 militaires sont déployés. Dans l’année écoulée, Barkhane a enregistré de solides résultats sur le terrain, notamment dans le secteur frontalier entre le Mali et le Niger où nous avons marqué un effort particulier, conformément aux orientations de la Revue stratégique conduite au mois de novembre dernier.

Je refuse toujours d’évoquer le nombre de terroristes mis hors de combat, parce que, j’en suis persuadé, l’efficacité de l’action militaire ne se mesure pas au nombre de pertes chez l’ennemi, pas plus que notre force ou notre faiblesse ne se mesurerait au nombre de pertes que nous aurions subies. De ce point de vue, la France fait exception en Europe. Notre pays dispose d’une capacité proprement singulière à encaisser les blessures ou la mort de ses enfants dans les combats qu’ils mènent en opérations extérieures pour défendre nos intérêts et notre pays. Pas plus tard que ce matin, j’échangeais avec Mme Teresa Castaldo, ambassadrice d’Italie en France, qui m’expliquait la difficulté pour les autorités italiennes de s’engager et ainsi de prendre le risque de pertes. On constate d’ailleurs la même réticence en Allemagne. Bien sûr, nous sommes tous particulièrement attentifs à la perte de nos soldats, et j’observe que ces pertes sont souvent source de cohésion nationale et suscitent une ferveur et un appui renforcé aux missions que conduisent nos armées. Ce soutien me paraît essentiel tant pour l’efficacité de nos opérations militaires que pour la préservation de la force morale de nos hommes dans ces engagements opérationnels. Je tiens d’ailleurs à remercier tout particulièrement la représentation nationale pour le soutien dont elle nous honore.

Pour en revenir précisément à l’opération Barkhane, j’observe que la sécurité revient dans de nouveaux secteurs grâce à une bonne articulation avec les forces locales, notamment les forces armées maliennes. L’enjeu est de faire naître la confiance chez les populations. Cela se traduit par les progrès du processus lancé par l’Accord de paix et de réconciliation (APR).

Aujourd’hui, la force Barkhane est engagée dans des opérations nommées Koufra de contrôle de zone du Liptako-Gourma, zone d’action de l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS), groupe terroriste qui a infligé, il y a quelques mois, des pertes aux Américains dans la région de Tongo Tongo au Niger.

Barkhane va prochainement intégrer un détachement britannique et ses hélicoptères Chinook CH 47. Un contingent estonien est, par ailleurs, en cours de déploiement. À nos yeux, le principal point de vigilance est la prochaine élection présidentielle malienne, dont les deux tours devraient se tenir le 29 juillet et le 12 août.

Comme vous le savez, Barkhane a pour objet de contribuer à la montée en puissance des forces africaines, et en particulier de la force conjointe du G5 Sahel. Sur ce plan, nous avons réussi l’opérationnalisation de la force conjointe, qui demeure néanmoins toujours perfectible, et nous ambitionnons aujourd’hui de donner une impulsion nouvelle à l’initiative politique G5 Sahel. À ce jour, les quatre postes de commandement sont pleinement opérationnels. Il faut désormais affermir sa capacité à conduire des opérations régulières. Deux opérations de la force conjointe viennent justement de s’achever : dans le fuseau est, à la frontière entre Tchad et Niger ; à l’ouest, à la frontière entre Mali et Mauritanie. Il s’agit des deux premières opérations dans ces fuseaux et j’espère que nous parviendrons à intensifier les efforts et à accompagner nos partenaires dans la volonté qu’ils ont manifestée de poursuivre ces opérations.

Évidemment, la réussite dépend de la réalité du cercle vertueux suivant : conduire des opérations pour obtenir des résultats – la lutte contre les groupes armés terroristes (GAT) et la restauration de la confiance de la population – afin de mobiliser des partenaires et des financements internationaux.

À mon sens, les perspectives sont positives. L’effort militaire au Sahel concourt à un objectif politique commun au président de la République et à ses partenaires du G5 Sahel. Il s’agit bien de diminuer l’emprise des GAT sur la population par tous les moyens. Les moyens militaires ne suffisent pas et il faut déployer une approche globale qui doit cristalliser l’action de plusieurs acteurs, y compris au niveau national à l’échelon interministériel. Je pense notamment au rôle de l’Agence française de développement, à celui du ministère de la Justice ou encore de l’Éducation. Ma conviction est que nous sommes présents pour longtemps. La perspective du temps long me paraît importante même si elle n’est pas toujours compatible avec le temps politique. J’accepte cette distorsion et, au risque de me répéter, la France doit rassurer ses partenaires en les assurant de sa présence à long terme. La France doit se montrer responsable vis-à-vis de son engagement, ce qui ne signifie pas que notre engagement militaire ne sera pas modulé. Si nous restons au Sahel une dizaine d’années, l’opération Barkhane prendra des formes différentes, au gré de la montée en puissance des acteurs locaux, et notamment des forces de sécurité et des armées de nos partenaires. Le retour à une situation normale et le désengagement seront progressifs.

Dans ce tour des théâtres d’opérations, j’en viens, deuxièmement, au Levant.

Vous le savez, le dispositif Chammal est articulé autour de trois volets : un volet formation, qui est principalement orienté au profit de l’Iraqi Counter Terrorism Service (ICTS), la principale force de sécurité irakienne ; un volet renseignement, essentiellement inséré dans la coalition ; un volet dit « cinétique », c’est-à-dire qui porte des coups, principalement mis en œuvre à partir de la base aérienne projetée H5, située en Jordanie et d’où sont effectuées près de vingt sorties par semaine, à des fins de renseignement ou d’appui feu, ainsi que par la task force Wagram qui continue d’appuyer l’action conduite à la frontière entre la Syrie et l’Irak dans la zone d’al-Dachicha. Cette zone est en passe d’être contrôlée par les forces démocratiques syriennes. Aujourd’hui, Daech contrôle moins de 2 % du territoire qu’il contrôlait en 2014-2015. Il me semble que la relance de l’action contre Daech dans la moyenne vallée de l’Euphrate peut nous laisser envisager la chute définitive du califat, physique, à l’automne. La question du désengagement ne commencera à se poser qu’à ce moment. L’idée n’est pas de fixer une date de manière arbitraire pour initier le désengagement, mais bien de tenir compte de la situation sur le terrain. Cette position est bien évidemment aussi celle de la ministre des Armées et du chef de l’État.

Pour le reste, en Syrie, les négociations américano-turques à Manbij sont en cours. Les autorités turques semblent prêtes à négocier la restitution de la poche de Manbij par les Kurdes à des populations syriennes arabes. Je pense que nous assisterons à l’élaboration d’un accord entre le régime syrien actuel, qui est sur le point de définitivement refermer les poches tenues par l’opposition, et les Kurdes, qui sont parvenus à maintenir leurs positions dans le nord de la Syrie. Nous demeurons vigilants dans la mesure où nous préférerions qu’un tel accord soit conclu une fois Daech définitivement défait, car nous tenons à éviter une démobilisation des forces kurdes, qui conduisent l’essentiel des actions contre les combattants de Daech. De ce point de vue, les éventuelles actions turques au nord du pays pourraient ralentir les opérations des forces démocratiques syriennes contre Daech.

Comme vous le savez, Deraa, d’où était partie l’insurrection contre le régime de Bachar el-Assad, est tombée. Deux points critiques demeurent néanmoins en Syrie.

D’abord, la poche d’Idlib, où se concentrent les groupes terroristes les plus durs. La stratégie du régime syrien, soutenu en cela par les autorités russes, consiste en effet à alterner les actions de force et de siège contre les groupes terroristes et des phases de négociation. La plupart du temps, ces négociations aboutissent à la libération des terroristes les plus durs, qui rejoignent progressivement tous cette zone. In fine, il ne restera donc que cette poche d’Idlib. De quelle façon cette situation sera traitée ? De quelle façon la France demeurera attentive pour s’assurer que le régime syrien ne recourt pas de nouveau à l’emploi d’armes chimiques ? Ces interrogations demeurent ; permettez-moi simplement de rappeler que le président de la République considère que la ligne rouge qu’il avait fixée existe encore. Dès lors, les armées devront être prêtes à réagir si elle devait être de nouveau franchie.

L’autre point d’attention concerne la place de l’Iran. La présence iranienne représente une menace pour la stabilité de la zone. Elle provoque une exaspération israélienne et entretient le complexe obsidional saoudien. Même s’il s’agit d’un sujet plus politique que militaire, nous demeurons vigilants.

En Irak, le devenir de l’opération Inherent resolve est lié à la formation d’un nouveau gouvernement irakien et à sa volonté à demander l’intervention de l’OTAN pour s’y substituer. En tout état de cause, les forces occidentales ne pourront pas quitter rapidement l’Irak dans la mesure où, aujourd’hui, Daech continue à exister de manière clandestine, notamment sur le plateau d’Hawija situé entre Mossoul et Bagdad. Très clairement, de longs mois, voire plusieurs années, devront passer avant que la situation ne soit pleinement stabilisée et que l’État de droit soit restauré en Irak.

Pour terminer ce panorama des opérations conduites à l’extérieur du territoire national, permettez-moi de citer les autres opérations en cours : l’opération Daman au Liban, dans le cadre de laquelle 700 de nos soldats arment la Force Commander Reserve de la FINUL ; l’opération Lynx de réassurance de l’OTAN en Lituanie, pour laquelle 300 soldats français arment la composante la plus robuste du bataillon avec notamment quatre chars Leclerc et treize véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI) ; le dispositif aérien enhanced Air Policing avec quatre Mirage 2000-5 engagés en Estonie ; l’opération EUNAVFORMED Sophia, enfin, qui permet de contrôler le nord de la Libye et au sein de laquelle nous déployons en permanence un bâtiment français. Cette dernière opération fait actuellement l’objet d’une revue stratégique.

Enfin, je souhaite évoquer avec vous le territoire national, sur lequel les armées sont engagées selon une stratégie globale avec des postures permanentes, tandis que des efforts sont déployés dans l’espace exo atmosphérique ou le domaine cyber, dans lequel une impulsion nouvelle a été donnée. Enfin, la posture de protection terrestre est articulée autour de l’opération Sentinelle qui a trouvé un rythme équilibré. Sentinelle s’est adaptée, avec une meilleure planification qui nous permet de mieux répartir les efforts et d’accroître notre efficacité. Durant l’été, 25 sections seront déployées en plus du dispositif opérationnel permanent à 134 sections. Les militaires de l’opération Sentinelle auront donc moins de vacances, au contraire d’autres… Le dispositif Héphaïstos ne doit pas être oublié. Il permet de prévenir et de lutter contre les feux de forêt dans la zone méditerranéenne, en appui de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises. Du 25 juin au 14 septembre, cela correspond à l’engagement d’un détachement d’hélicoptères, d’un groupe du génie et de deux modules adaptés de surveillance.

Que ce soit sur le territoire national ou sur les théâtres d’opérations, c’est l’honneur de nos armées de s’engager pour la défense de nos intérêts, la sécurité et la paix. Sachez que nous le faisons avec le sens du devoir, en tout temps et en tous lieux.

Je n’oublie pas les opérations que nous conduisons en Guyane, avec l’opération Harpie de lutte contre l’orpaillage – nous avons connu de vraies réussites cette année, avec des saisies d’avoirs criminels une fois et demie plus importante que l’an dernier à la même époque. Enfin, la mission de police des pêches se poursuit, de même que l’opération Titan, dispositif qui permet de surveiller en permanence les abords du centre spatial guyanais.

Avant de conclure, j’aimerais évoquer quelques éléments financiers, même si je suis bien conscient que nous aurons l’occasion de débattre de ces questions à la rentrée. Aujourd’hui, le surcoût OPEX-MISSINT net restant à financer d’ici la fin de l’année 2018 est estimé à 575 millions d’euros. De manière plus précise, le coût des OPEX et des missions intérieures est respectivement estimé à 1 213 millions et 151 millions d’euros, tandis que la loi de finances initiale prévoyait des dotations à hauteur de 650 millions d’euros pour les OPEX et 100 millions d’euros pour les missions intérieures. D’autres sources de financement sont à prendre en compte, comme le montant du remboursement effectué auprès de l’ONU, à hauteur de 39 millions d’euros.

Le chiffre de 575 millions d’euros est à mettre en regard des surcoûts nets des années précédentes : 828 millions d’euros en 2016 et 1,1 milliard d’euros en 2017. Comme nous en avons longuement débattu dans le cadre de l’élaboration de la LPM, il est important de trouver un bon niveau de soclage. Avec 650 millions d’euros cette année, le soclage a augmenté de 200 millions d’euros. L’augmentation va se poursuivre pour atteindre un milliard d’euros. Malgré tout, pour ce qui est des surcoûts résiduels, je tiens à réaffirmer mon attachement à la solidarité interministérielle. Je constate par ailleurs que la solidarité gouvernementale n’a concerné, de 2014 à 2016, que 19 % des surcoûts, le reste ayant été supporté par le ministère des Armées.

En conclusion, les forces armées françaises font la preuve, année après année, de leur excellence opérationnelle. Certaines limites persistent. Notre armée s’est considérablement amaigrie, la masse des forces et de leurs soutiens demeure à un niveau historiquement bas. Faut-il le rappeler, il n’est pas prévu de faire remonter cette masse des forces et de leurs soutiens. Je vous invite à mettre ce constat en rapport avec celui de l’état de la conflictualité et du monde tel que j’ai pu le brosser au début de mon propos liminaire.

Par ailleurs, les principes qui ont présidé à la réorganisation du ministère dans une période de forte déflation restent en vigueur, même après l’inversion de tendance. L’approche fonctionnelle, qui a supplanté l’approche organique de manière trop systématique, sans égard suffisant pour la singularité du fonctionnement des armées, nous a affaiblis. Nous devons veiller à remédier aux affaiblissements les plus criants.

Je prépare actuellement ma vision pour les armées. J’aurai l’honneur de la présenter à la ministre la semaine prochaine. Je vous livre ici quelques directions.

Premièrement, je souhaite durcir les armées, c’est-à-dire assumer la redondance de la ressource humaine et des systèmes, là où c’est nécessaire pour assurer la résilience des armées, de l’État et de la Nation.

Deuxièmement, je souhaite intégrer mieux et à tous les niveaux, en interarmées, en interservices, en interministériel et en interalliés.

Troisièmement, il faut explorer, c’est-à-dire redonner aux armées un esprit pionnier pour entrer sur des territoires nouveaux par l’innovation, les travaux doctrinaux ou encore l’ouverture sur le monde civil.

Quatrièmement, il convient de réunifier les armées par la reconnaissance de la singularité militaire à laquelle, vous le savez, je suis particulièrement attaché, et par un rapprochement entre les soutenants et les soutenus. Il faut mettre un terme à la logique de silos qui fragilise les armées.

Cinquièmement, il est indispensable de responsabiliser, par la réaffirmation du principe de subsidiarité, notamment en redonnant des prérogatives à tous les niveaux de la hiérarchie militaire.

Sixièmement, attirer les militaires de demain, dans un contexte de plus en plus concurrentiel. Pour ce faire, il faut mettre en œuvre une juste reconnaissance des sujétions attachées à l’état militaire, qu’il n’est pas question d’amoindrir.

Septièmement, affirmer l’identité militaire qui mêle l’esprit guerrier et la modernité technologique.

Enfin, inspirer par nos valeurs qui sont celles de la République, même si ces valeurs, en action au sein des armées, se traduisent par des vertus singulières.

Je vous remercie et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mme Sabine Thillaye. Ma question concerne la coopération franco-allemande dans le cadre d’opérations extérieures. La brigade franco-allemande sera déployée en septembre prochain dans la bande sahélo-saharienne, ce dont on peut d’ailleurs se féliciter. Cette coopération sur le théâtre africain démontre qu’une volonté partagée de participer à la défense européenne est en train de naître. On peut néanmoins constater que soldats allemands et français, s’ils seront bien déployés conjointement, seront actifs dans des missions complémentaires mais pas tout à fait ensemble sur le terrain. Les Allemands participent plus particulièrement aux missions de l’ONU, notamment la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), et aux missions de l’Union européenne (instruction et entraînement de l’armée malienne). Quelle est donc votre analyse opérationnelle de la brigade franco-allemande et plus largement, de cette coopération en matière d’opération extérieure ?

D’autre part, nos deux gouvernements travaillent actuellement sur l’actualisation du Traité de l’Élysée, auriez-vous des vœux particuliers à émettre à ce sujet ?

M. Stephane Demilly. La loi de programmation militaire, sur laquelle s’est engagé le président de la République, prévoit que le budget des armées françaises représente 2 % du PIB d’ici 2025. Si cela est une bonne nouvelle, vous avez toutefois récemment déclaré que nos soldats n’en ressentiraient les effets que dans deux ans environ. Vous aviez d’ailleurs précisé, et l’avez redit ce soir en d’autres termes, que nos soldats subissaient depuis plusieurs années la décroissance des ressources qui leur sont consacrées et le délabrement progressif du système de défense français et de nos armées. Pouvez-vous nous informer sur le moral des troupes dans la perspective annoncée d’une hausse des crédits ? Deuxièmement, un plan d’amélioration de la condition militaire, appelé « Plan famille », a été lancé pour un budget de 300 millions d’euros sur cinq ans. Comment cette politique, impulsée par la ministre et qui devrait produire ses effets beaucoup plus rapidement, est-elle accueillie ?

Enfin, le 11 juillet, le président américain Donald Trump a suggéré aux membres de l’OTAN d’accroître leurs dépenses militaires pour atteindre environ 4 % du PIB, soit bien plus que les 2 % auxquels nous nous engageons en France. D’après vous, qui avez déclaré que la France entretenait une relation de très grande proximité avec les États-Unis et qu’il existait une importante fraternité d’armes entre nos militaires, comment accueillir les déclarations du président américain ?

M. Alexis Corbière. J’aimerais poser une question sur un sujet que vous n’avez pas abordé, à savoir l’implication de la France dans le conflit au Yémen. Ce dernier oppose les rebelles houthis et les forces pro-gouvernementales menées par une coalition comprenant l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis qui, comme vous le savez, a fait l’objet de très vives controverses dernièrement. Les exportations d’armes françaises vers ces deux pays sont susceptibles de constituer de graves violations du droit humanitaire et international. Mais au-delà l’engagement de la France dans le déminage du port d’Hodeida et sans même supposer la présence de forces spéciales françaises sur le terrain, je vous pose la question du niveau réel de soutien logistique et humain apporté par la France à la coalition saoudienne. Mon général, est-il possible de nous éclairer sur ce point et, nous l’espérons, de nous rassurer sur ce sujet éminemment important ?

M. Charles de la Verpillière. Quelles sont les implications militaires de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, notamment sur l’aspect opérationnel, l’OTAN, mais aussi l’application des accords de Lancaster House ?

D’autre part, par curiosité, j’aurais aimé comprendre ce que vous entendez par « l’approche fonctionnelle a supplanté l’approche organique ».

M. Joaquim Pueyo. J’aimerais revenir sur la question du Mali, dont vous nous avez rappelé que la présence française y dure depuis 2013. La situation apparaît toujours tendue et délicate puisque malgré la présence du G5 Sahel, nous continuons de recenser des attaques, notamment contre des membres de l’ONU. Entre 2012 et 2014, deux missions conduites dans le cadre de la politique de défense commune ont été mises en place, l’une pour former les forces de sécurité intérieures maliennes et une seconde pour former des militaires. À peu près 12 000 hommes auraient été formés par cette mission européenne. Pensez-vous que cette formation présente une « plus-value » ? De même, pensez-vous possible un prochain retrait progressif de nos forces si la formation s’avère toujours efficace et parvient à mettre les forces intérieures maliennes capables de sécuriser elles-mêmes leur pays ?

Je me souviens en effet que nous avions prévu une sortie dès le début de notre intervention, mais la situation est aujourd’hui toujours figée. Quelle est donc votre analyse ?

M. Jean-Pierre Cubertafon. Depuis 1995, l’armée française s’est déployée sur 106 terrains d’opérations extérieures aux quatre coins du globe du Congo au Mali, du Liban à la Guyane. Nos forces armées ont cependant subi un important manque de ressources, qu’il s’agisse du renouvellement des équipements, des effectifs ou encore des budgets. Aujourd’hui, le budget des armées attribué par la loi de programmation militaire 2019-2025 vous paraît-il en adéquation avec les besoins des armées en ressources humaines et matérielles ? Enfin et surtout, estimez-vous, au vu de l’intensité des opérations extérieures, que l’armée française sera au terme de cette LPM en mesure d’être déployée sur de nouveaux théâtres militaires ?

M. Didier Le Gac. J’ai été particulièrement sensible à l’une des phrases que vous avez prononcée dans votre propos liminaire. Vous nous avez rappelé que vous seriez vigilant sur les missions qui relèvent réellement des armées, notamment sur le plan national. À titre de témoignage, la semaine dernière, dans ma ville de Brest, huit soldats patrouillaient dans une rue déserte aux alentours de 19 heures. Je vous avais déjà posé cette question concernant Sentinelle l’année dernière, ce à quoi vous m’aviez répondu que nous devions revoir le niveau d’intervention de nos soldats. Selon vous, nos hommes sont-ils bien « utilisés » dans ce contexte ? J’insiste également sur le niveau de mobilisation de ces mêmes soldats puisque l’on peut légitimement questionner l’intérêt, pour ces jeunes militaires, de mener ce type d’action. Bien que le commissaire de police que j’ai rencontré ait démontré une grande satisfaction quant au fait que Sentinelle participe efficacement à la sécurité nationale, je ne suis toujours pas sûr que cela corresponde à la mission de nos soldats.

Général François Lecointre. Je vais m’attacher à répondre à l’ensemble de vos questions avec une parfaite franchise.

Les armées françaises et allemandes n’ont objectivement ni les mêmes capacités opérationnelles, ni le même esprit de combat. Cela s’explique par différentes raisons ; certaines tiennent pour partie aux procédures constitutionnelles d’engagement des forces, d’autres ont trait aux règles qui régissent la vie de nos armées : par exemple, les règles européennes sur le temps de travail sont appliquées aux militaires allemands mais pas aux militaires français, et il importe à mes yeux qu’il en reste ainsi pour les armées françaises. L’histoire, elle aussi, contribue à expliquer cet état de fait.

Nous n’avons pas d’autre choix que de tenir compte de ces contraintes dans l’emploi de la brigade franco-allemande. À mon sens, il est pragmatique d’engager cette formation sur un théâtre d’opération en tant que telle, dans toute sa cohérence organique, et d’employer chacune de ses composantes au mieux. En effet, au sein de cette brigade, unités françaises et allemandes se connaissent bien et ont l’habitude de travailler ensemble. Mais il serait contre-productif de chercher à forcer la main des Allemands en demandant d’eux des engagements dont ils ne sont aujourd’hui pas capables pour des raisons politiques.

L’option retenue aujourd’hui me paraît donc meilleure que de chercher à « tordre le bras » aux Allemands ; ne faisons pas de mauvaises manières à nos partenaires, entraînons-les avec nous, et espérons qu’ils évoluent peu à peu, au fur et à mesure des engagements conjoints. D’ailleurs, la contingence des circonstances peut pousser nos partenaires à s’engager davantage, par nécessité : même si on refuse par principe les missions de combat, on peut dans certaines circonstances ne pas avoir le choix. Tel est le cas, par exemple, pour la MINUSMA : si les casques bleus nous paraissent avoir une posture peu offensive, ils subissent en réalité de dures attaques et leurs pertes sont lourdes. En tout état de cause, de tels engagements créent les conditions d’un processus d’aguerrissement commun qui ne peut être que positif. D’ailleurs, c’est le même esprit de pragmatisme qui inspire l’initiative européenne d’intervention.

Monsieur Demilly, qu’il faille au moins deux ans pour que nos soldats perçoivent les bénéfices concrets de cette loi de programmation militaire relève du bon sens ; cela ne devrait surprendre personne. Il faut en effet du temps pour conduire des travaux d’infrastructures ou pour que l’industrie nous fournisse de nouveaux matériels.

Vous m’interrogiez aussi sur le moral des troupes. Il n’y a rien de surprenant à ce qu’il soit marqué par une certaine impatience. Celle-ci naît inévitablement du décalage entre les annonces qui sont faites aujourd’hui, dans le temps court qui règle la vie politique, et leurs effets concrets dans les infrastructures et les équipements, dont les programmes s’inscrivent dans le temps long, celui de l’action militaire. À nous, chefs militaires, de gérer cette impatience. Notez que certaines annonces commencent à produire très rapidement des effets concrets, notamment avec le Plan famille, voulu par la Ministre et dont elle suit la mise en œuvre avec une attention toute particulière. Certaines mesures, concernant par exemple l’accueil des enfants de parents divorcés, sont très rapidement mises en œuvre, ce qui permet à nos militaires de se rassurer quant à la détermination des autorités politiques à voir leurs annonces suivies d’effets.

S’agissant de l’idée de consacrer 4 % du PIB à la défense, voire plus encore, ce n’est pas le chef d’état-major des armées qui refusera davantage de moyens ! En tout état de cause, nous sommes des partenaires crédibles pour nos alliés américains. J’entretiens ainsi une grande proximité avec mon homologue américain, le général Joseph Dunford, comme je le crois la ministre avec le sien, le secrétaire d’État à la Défense James Mattis. Cela me vaut d’ailleurs d’être critiqué par certains. Je voudrais ici être très clair : je ne suis ni « anti-gaulliste », ni « OTANien » forcené. Il faut s’en tenir aux faits : Français et Américains sommes engagés ensemble, en frères d’armes qui paient le prix du sang, conformément aux responsabilités que nous confient nos autorités politiques respectives.

Concernant le conflit au Yémen, soyez-en certains : la France n’y intervient absolument pas. Les armées françaises ne sont pas engagées au Yémen, pas même pour des opérations spéciales. La France n’y interviendrait que si le président de la République le décidait très expressément et, comme pour toute opération extérieure de nos armées, vous en seriez informés.

S’agissant des risques humanitaires qui résulteraient de ventes d’armes françaises à l’Arabie saoudite, pour avoir participé dans mes précédentes fonctions à de nombreuses réunions de préparation des décisions du Premier ministre après les travaux de la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre, je peux en témoigner : nos ventes d’armes reposent sur une procédure robuste et très encadrée. Les demandes de licences d’exportation d’armes à l’Arabie saoudite sont examinées avec une grande vigilance et sont octroyées de façon très mesurée, grâce à une procédure de contrôle renforcée.

En toute franchise, je crois que beaucoup de ce qui se dit autour du rôle de la France dans le conflit yéménite relève du fantasme, que ce soit en matière d’engagement militaire ou de vente d’armes. Ni l’histoire ni la géographie ne font de ce pays une de nos zones d’intérêt prioritaire. Dans la région, ceux-ci portent principalement sur la liberté de circulation et d’action dans le détroit de Bab-el-Mandeb et en mer Rouge, et pas au-delà.

Monsieur de la Verpillière, il y aurait beaucoup à dire en réponse aux questions que vous m’avez posées sur le Brexit et sur le jeu savant des logiques fonctionnelle et organique dans l’organisation du soutien des armées !

J’ai reçu hier Sir Nick Carter, nouveau chef d’état-major des armées britannique, et je dois avouer que nous nous trouvons tous deux dans le même embarras : nous, militaires, faisons tout notre possible pour entretenir la flamme des accords de Lancaster House, mais tout dépend in fine de décisions politiques qui nous échappent, et nous ne savons pas où vont les Britanniques. La mise en œuvre de ces accords s’est traduite par de grands progrès en matière d’interopérabilité, notamment grâce à notre projet de force expéditionnaire conjointe. Avec mon homologue britannique, nous avons convenu de saisir toute occasion d’un engagement de cette force conjointe qui se présenterait. L’engagement d’hélicoptères lourds Chinook britanniques au Sahel peut d’ailleurs être vu comme marquant l’intention des Britanniques de ne pas tout lâcher.

Mais il faut reconnaître que d’autres signes ne vont pas dans le même sens. Je pense par exemple à notre coopération capacitaire, qui devient difficile. Vous savez que la partie britannique nous avait déjà contraint à réduire l’effort consacré à la phase de démonstration du projet de drone de combat FCAS, et vous avez certainement relevé que les Britanniques viennent d’annoncer leur intention de lancer leur propre programme de système de combat aérien futur. Celui-ci se présente comme un concurrent à notre projet de SCAF, projet franco-allemand que nous comptons ouvrir à d’autres partenaires. Je ne sais pas quelle est l’intention réelle des Britanniques dans cette affaire, et l’on ne peut exclure que cette annonce soit en réalité une sorte de coup politique. En effet, ils nous disaient il y a tout juste quelques mois ne plus avoir les moyens de nos ambitions conjointes initiales pour le projet de drone de combat FCAS ; comment auraient-ils aujourd’hui les moyens de financer quasiment seuls un nouveau programme d’avion de combat ? Il est difficile de prendre au pied de la lettre de telles déclarations.

Dans ces conditions, mon rôle consiste à continuer à approfondir notre interopérabilité par des exercices communs et, si possible, des engagements conjoints. C’est ainsi que nous montrons combien nos deux armées continuent à être l’une pour l’autre des partenaires importants, combien elles ont besoin l’une de l’autre et combien elles sont proches. Elles mettent en œuvre un outil de dissuasion nucléaire et ont la culture de l’engagement ; cela crée des convergences.

Quant aux approches fonctionnelles et organiques dans l’organisation de nos soutiens, j’en ai dit tout ce que j’en pense dans un article de la revue Inflexions intitulé « De la fin de la guerre à la fin de l’armée ». Pour résumer ma pensée, les armées étaient organisées de façon hiérarchique et pyramidale, avec différents échelons de synthèse permettant à chaque chef, à son niveau de commandement, de disposer de l’ensemble des moyens nécessaires à l’engagement de la force. Certes, cette organisation comportait de ce fait des redondances, qui étaient nécessaires pour garantir une certaine autonomie à chaque niveau de commandement ‒ telles une brigade, une division ou une armée. On a supprimé ces redondances, ce qui a conduit à faire de chaque unité une sorte de réservoir de forces, dans lequel on puise désormais pour composer au gré des engagements successifs une petite armée de circonstance. On a ainsi organisé les soutiens en grandes fonctions verticales, ce qui a fragilisé le commandement et s’est accompagné d’une grande pression sur les effectifs et les ressources. Il nous faut revenir là-dessus.

Cependant, nous ne reviendrons pas totalement aux organisations du passé, qui se justifiaient du fait de l’organisation de notre défense contre les forces du Pacte de Varsovie mais ne se justifient plus face aux menaces actuelles. Il s’agit avant tout de corriger les excès de l’approche fonctionnelle, dont les armées ont souffert ces dix dernières années.

Monsieur Pueyo, l’opération EUTM Mali a bien formé 12 000 hommes. C’est moi qui ai conçu, lancé et commandé en premier cette opération. Devant les institutions européennes, j’annonçais déjà qu’il ne serait pas réaliste d’espérer reconstituer une véritable armée malienne en moins d’une dizaine d’années. On le sait bien : une armée est une organisation qui se détruit rapidement mais ne se reconstruit que lentement. Objectivement, les résultats d’EUTM Mali jusqu’à présent sont déjà impressionnants. En effet, en 2013, le Mali n’avait qu’un semblant d’armée en débandade ; aujourd’hui, j’ai pu observer moi-même que les forces armées maliennes se reconstituent, combattent, essuient des pertes, et réussissent à approfondir leur formation auprès de l’EUTM suivant des cycles de perfectionnement réguliers, afin d’atteindre le niveau d’excellence qu’appelle la situation du pays. Il faut souligner ce fait : l’armée malienne se forme et se reconstitue en même temps qu’elle est en permanence engagée en opération.

Monsieur Cubertafon, concernant l’équilibre général des ressources qui sous-tend la loi de programmation militaire 2019‒2025, je ne peux que rappeler ce que je disais en introduction : aujourd’hui, la masse de nos armées est plus réduite que jamais, et cela n’aura pas changé en 2025. Certes, à l’issue de la période de programmation militaire qui s’ouvre, notre armée ne sera plus éreintée, sous-équipée, sous-dotée et sous-entraînée comme aujourd’hui ; mais elle restera une armée des « dividendes de la paix », une armée de temps de paix. Reste à savoir si nos armées seront alors capables d’être engagées sur plusieurs théâtres, dans des conflits peut-être plus violents et en tout cas très différents que ceux d’aujourd’hui.

D’où mon souci de moduler nos engagements actuels, pour retrouver des marges de manœuvre permettant de faire face à d’éventuels engagements nouveaux. Or, aujourd’hui, nos armées atteignent déjà les limites de leurs capacités avec 30 000 hommes en situation opérationnelle, ce qui n’est pourtant pas un niveau historiquement élevé.

C’est là une préoccupation majeure de tout chef d’état-major des armées, de tout ministre des Armées et de tout chef d’État : comment faire face à la surprise stratégique ? Au fil de notre histoire, avant chaque grand conflit, il s’agissait pour nos prédécesseurs de pouvoir mobiliser puissamment les ressources de la Nation pour faire face aux menaces. À l’époque du maréchal Joffre, par exemple, il s’agissait de concevoir un système de mobilisation générale extrêmement rapide. Les enjeux de notre époque sont certes différents, mais si la situation se détériorait, il serait alors de la responsabilité des autorités politiques comme de celle des autorités militaires de bien faire comprendre la nécessité d’un effort bien plus important qu’aujourd’hui pour la défense du pays.

Pour finir avec la question de Monsieur Le Gac, il n’y a rien de très étonnant à ce que l’on trouve parfois certains soldats peu convaincus de l’utilité de leur mission, que ce soit sur le territoire national ou, plus rarement, en opération extérieure. D’ailleurs, c’est une responsabilité constante des chefs de tous niveaux d’expliquer à leurs subordonnés le sens de leur mission et le bien-fondé des modes opératoires utilisés. Ce commandement de « conviction » est exigeant car il nécessite d’expliquer sans relâche. C’est cependant la seule manière d’obtenir l’adhésion sans laquelle aucune efficacité militaire n’est possible. Je suis certain qu’avec l’évolution permanente du dispositif de l’opération Sentinelle, nos soldats sont bien employés sur le territoire national. Depuis le mois de février dernier, le dispositif est désormais plus dissuasif et plus réactif qu’avant. Je me suis rendu à Vincennes y rencontrer les personnels du 501e régiment de chars de combat qui sont engagés dans l’opération Sentinelle et j’ai pu constater qu’ils prennent leur mission à cœur et que leurs cadres jouissent d’une véritable autonomie sur le terrain. Si le chef de groupe est compétent, il n’y a nulle raison que ses hommes se plaignent.

Mme Françoise Dumas. Vous avez rappelé la mobilisation de mille soldats engagés dans le cadre de l’opération Chammal en Irak et en Syrie. Outre le pilier de l’appui aux forces locales qui sont engagées contre Daech, le pilier « formation » nous permet d’avoir une stratégie de long-terme en faveur de la reconstruction des institutions et de l’amélioration des savoir-faire des troupes irakiennes. Depuis 2007, le Conseil de l’Union européenne a lancé une mission pour soutenir la réforme du secteur de la sécurité en Irak, qui constitue un excellent complément d’expertise européenne. Aussi, pouvez-vous nous préciser les synergies potentielles entre nos forces nationales et les effectifs européens permettant de mener des actions coordonnées qui puissent s’inscrire dans une stratégie de long-terme ?

M. Yannick Favennec Becot. Comme beaucoup de questions ont déjà porté sur les opérations extérieures, je souhaitais aborder un sujet potentiellement sensible, à savoir la prochaine réforme des retraites. En effet, les militaires demandent la prise en compte des spécificités de leur métier, qu’ils ont souvent commencé très jeunes. Avez-vous déjà entamé une réflexion sur ce sujet ? Quelle est votre position en tant que chef d’état-major des armées sur un sujet dont on va sûrement beaucoup parler en 2019 ?

M. Claude de Ganay. Je souhaiterais vous interroger sur la robotisation du champ de bataille et le recours à l’intelligence artificielle (IA). Où en sommes-nous à ce sujet ? Nous ne commencerons qu’en 2019 à utiliser des drones armés, alors que les Américains le font depuis 2001. Aujourd’hui, parmi tous nos adversaires, quels sont ceux qui seraient d’ores et déjà repérés et susceptibles de nous surclasser dans ce domaine ?

Par ailleurs, vous avez suscité la création d’un groupe de travail sur l’évolution des bases de défense (BdD), avec le souhait de redonner des marges de manœuvre au commandement en matière de soutien. Cela aboutira-t-il à démanteler nos bases de défense ? Quels moyens seront affectés à la réorganisation de ces soutiens ?

M. Bastien Lachaud. Je reviens d’un déplacement dans la bande sahélo-saharienne (BSS) et, après échange avec les militaires, j’ai constaté que le premier des piliers de l’opération Barkhane est un succès et que, en effet, nos troupes tiennent le territoire et remplissent leurs missions. En revanche, sur le deuxième pilier, qui comprend notamment le développement du G5 Sahel, je m’interroge sur le financement et le déblocage du financement de cette structure. Quels sont les critères retenus pour débloquer les fonds ? Ces critères sont-ils réellement atteignables par les forces du G5 Sahel ? Ces critères sont-ils crédibles ? Enfin, sur le troisième pilier, le pilier « développement », j’aimerais savoir quelles sont vos perspectives, notamment en termes de recrutement, parce que j’ai l’impression qu’il s’agit de l’oublié du moment.

J’aimerais également vous interroger sur les frappes en Syrie comme j’ai interrogé la ministre lors de sa dernière audition par la commission. Où en êtes-vous du retour d’expérience (RETEX) sur cette opération et en particulier sur ce qui a défrayé la chronique dans la presse, notamment les ratés du missile de croisière naval ?

M. Fabien Lainé. J’ai apprécié l’exposé exhaustif que vous avez fait sur l’opération Barkhane. La vulnérabilité des pays de la bande sahélo-saharienne provient de l’absence de structuration de l’État. Au Mali, au Niger, mais aussi au-delà, au Tchad, au Burkina Faso, l’État s’étend rarement au-delà des capitales. Sur le long terme, la consolidation des services publics est nécessaire pour permettre aux populations de se défendre et de lutter efficacement contre le terrorisme. Au-delà des progrès enregistrés au niveau de l’armée, notez-vous des progrès dans tous les services publics qui structurent l’État, à savoir la justice, l’éducation ou la police ?

Mme Séverine Gipson. Lorsque vous évoquez les défis futurs de notre armée, vous avez évoqué un niveau d’effectifs bas. À ce titre, des orientations importantes en ce sens deviennent essentielles. L’identité militaire, qui est à renforcer, est l’inspiration des valeurs de la République. Comment imaginez-vous la mise en place d’actions en ce sens à l’attention de nos jeunes citoyens ?

Général François Lecointre. Je n’ai qu’une vision assez faible sur la façon dont se déroulent les synergies entre la mission de l’UE et les missions de formation ou de conseil que nous sommes en train de conduire, que ce soit au travers de la Task force « Monsabert » ou de la Task force « Hydra ».

Nous sommes engagés aujourd’hui dans l’opération Inherent resolve et nous tenons à y rester le plus longtemps possible. L’opération Inherent resolve permet de mutualiser des moyens de soutien pour l’ensemble de l’opération, ce dont nous bénéficions.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, lorsque nous réfléchissons à la mise en place et au lancement d’une opération de l’OTAN, nous souhaitons éviter une duplication avec la mission Inherent resolve. Lorsque la mission de l’OTAN montera en puissance, nous souhaitons qu’il y ait une bascule des moyens de soutien de l’opération Inherent resolve dans l’opération de l’OTAN. Notre principal souci est aujourd’hui d’éviter un effet de ciseau et devoir ainsi s’engager seul ou en bilatéral, parce que nous n’aurions pas les moyens de soutenir cette opération d’ampleur dans la durée.

Je rappelle que la mission de l’UE n’est qu’une mission d’expertise, et non une réelle mission d’assistance et de reconstruction, alors que l’opération de l’OTAN sera réellement importante. Aujourd’hui, nous cherchons donc essentiellement les synergies entre l’opération Inherent resolve, qui est conduite par une coalition ad hoc, et l’OTAN, qui a la prétention de monter en puissance en Irak.

Concernant la réforme des retraites, nous avons reçu un premier courrier de Mme Buzyn et de M. Delevoye dans lequel ceux-ci ont affirmé la singularité des armées et la nécessité de conserver un système de retraite qui permette aux militaires de quitter l’armée après quelques années de service seulement, de façon à conserver une armée jeune. Par ailleurs, le président de la République a fait de nouvelles déclarations sur ce sujet à l’hôtel de Brienne au soir du 13 juillet.

Aujourd’hui, les travaux sont lancés. Nous avons rencontré M. Delevoye avec l’ensemble des chefs d’état-major des armées et le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) il y a un mois et demi à l’occasion d’une visite à la ministre. Nous réfléchissons à la manière dont nous préserverons ce système. Le principe de son maintien nous semble être acquis.

Par ailleurs, la réflexion sur la retraite est nécessairement à relier au sujet de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) pour laquelle ont été créditées des ressources importantes dans la LPM. Il faudra que nous prenions l’ensemble de ces sujets en compte.

Le régime de retraite des militaires est également un moyen important d’attractivité, de reconnaissance de la nécessité d’avoir une ressource humaine jeune et de reconnaissance du service proprement extraordinaire qui est rendu par ceux qui s’engagent dans les armées. Il convient néanmoins que ce régime permette en outre de garantir que nous conserverons, au sein des armées, les compétences dont nous avons besoin.

Enfin, je souhaite que nous soyons encore plus équitables que ce que nous l’avons été jusqu’à présent. Je pense notamment que le système par points permettra d’être plus équitable vis-à-vis des militaires sous contrat, qui passent peu de temps dans les armées.

En définitive, je souhaite être plus équitable, préserver la singularité militaire et la jeunesse de notre ressource humaine et conserver une incitation pour garder les gens qui pourraient bénéficier de la retraite à jouissance immédiate mais dont je ne souhaite pas qu’ils quittent les armées au moment où nous avons besoin de leurs compétences.

En matière de robotisation, le véritable sujet n’est pas de savoir quels sont les armées ou les adversaires qui nous surclassent aujourd’hui, mais de savoir, dans les espaces actuels où nous sommes engagés, face à un ennemi qui utilise assez peu la robotisation, quel peut être l’apport de cette robotisation. Aujourd’hui, le drone armé n’a pas besoin d’être utilisé contre un ennemi qui lui-même utiliserait beaucoup de robotisation, mais il nous permettra d’agir plus efficacement sur de très vastes étendues et face à un ennemi qui, au contraire, est tout à fait asymétrique et joue de sa dilution dans l’espace pour nous surclasser.

Aujourd’hui, la robotisation est vraiment pensée pour être une force supplémentaire dans des situations dans lesquelles nos engagements se caractérisent par le faible nombre des moyens que nous engageons, si nous le rapportons aux surfaces que nous avons à couvrir et à la diversité des ennemis que nous avons à affronter, bien plus qu’à leur niveau technologique. J’ai de bons espoirs que nous continuerons à progresser dans ce domaine et nous serons toujours extrêmement attentifs à ce que l’homme reste dans la boucle quel que soit le niveau de robotisation.

S’agissant de l’autre question que vous avez posée, M. de Ganay, il est évidemment hors de question de démanteler les bases de défense. Au lieu de cela, il est question, dans la réforme du soutien telle que nous l’envisageons, de créer des pôles de soutien qui seront rattachés aux formations soutenues, avec la possibilité d’un pouvoir prescripteur plus fort du commandant de la formation soutenue, tout en restant sous l’autorité du chef du groupement de soutien de la BdD.

Nous sommes donc en train de créer une adaptation fine et intelligente qui permettra de revenir sur les excès de la réforme précédente, qui avait profondément découplé les unités soutenues du soutien. Pour autant, compte tenu des efforts demandés aux soutiens, il n’est plus possible de revenir à la redondance qui prévalait avant les réformes.

M. Lachaud, je vous remercie pour le satisfecit que vous nous faites du travail de l’opération Barkhane. Effectivement, les soldats occupent le terrain. Vous avez jugé vous-même des distances et de la difficulté d’y vivre. Dans ces conditions, ce qui est extraordinaire, c’est que nous gênons aujourd’hui l’ennemi là où nous sommes. Encore une fois, cela ne se compte pas en nombre de morts. Cela se compte en présence, en suprématie que nous exerçons sur cet ennemi qui, par conséquent, ne peut plus terroriser les populations et qui n’a plus autant de liberté pour se mouvoir dans un espace et pour se substituer à l’État comme il le faisait auparavant. C’est ce rapport de force inversé qui est le gage du succès.

Pour le reste, parvenons-nous à faire venir les forces de police ainsi que les autres facteurs de développement autant que nous le souhaitons ? C’est objectivement compliqué. Il y a d’abord une partie qui ne dépend pas de moi. Je sais néanmoins que, lors des divers conseils de défense où nous travaillons sur ces sujets, le président de la République est très incisif et demande aux autres ministères de faire les efforts nécessaires. Je n’imagine pas que nous n’allons pas progresser dans ce domaine.

Par ailleurs, il s’agit d’un domaine qui demande de la prédictibilité. Nous faisons, pour notre part, des actions de développement, qui sont des actions d’accompagnement de l’action militaire, qui ne constituent pas des grands plans de développement en tant que tel. Les « développeurs » nous expliquent que les plans de développement de long-terme doivent pouvoir être anticipés de façon à produire des effets au bon moment. Nous donnons au Quai d’Orsay et à l’Agence française pour le développement (AFD) les moyens de cette anticipation, en les alertant sur les zones où nous allons nous déployer dans les mois et les années qui viennent. Je pense que cela permettra de donner les délais suffisants pour lancer les projets de développement au bon moment, c’est-à-dire aux moments où nous aurons produit nos effets de sécurité et où, enfin, arriveront, selon le bon tempo et le bon chaînage, les effets de développements qui doivent être produits. Je fais tout ce que je peux pour qu’on avance le mieux possible.

Je ne dispose pas encore du RETEX complet des frappes en Syrie. En revanche, j’ai un RETEX opérationnel sur ce que nous avons détruit, et c’est ce qui m’importe. Lors de ces frappes, j’ai expliqué que tout système militaire fonctionnait sur la redondance. Nous tirons plus de munitions qu’il n’en faut pour détruire les cibles que nous visons. Nous avons atteint les objectifs que nous nous étions fixés et nous les avons détruits.

Ensuite, je veux simplement relever que la mise en œuvre d’équipements aussi modernes que les systèmes d’armes que constituent un missile SCALP et une frégate multi-missions est en soi un tour de force. La mise en œuvre de ces systèmes par une puissance comme la France, qui les maitrise du début jusqu’à la fin, qui a un outil industriel qui permet de les concevoir et de les bâtir avec les grands industriels que sont MBDA ou Naval Group, qui arrivent à faire cette intégration de systèmes, est exceptionnelle. Je ne connais pas d’autres nations européennes capables de faire cela. Cela nécessite évidemment, par ailleurs, de la part des armées, une formation, un entraînement et une préparation opérationnelle extrêmement sophistiqués et exigeants.

Cela pose, malgré tout, une question de fond. Ces systèmes d’armes sont extrêmement sophistiqués, ils produisent des effets redoutables lorsqu’ils atteignent leur cible, mais ils coûtent extrêmement cher et donc, de facto, nous conduisent à réduire le nombre de tirs réels à l’entraînement et à faire des efforts considérables de développement de simulateurs de tirs. Cela ne doit pas nous exonérer d’essais à tir réel, lesquels ne nous garantiront d’ailleurs eux-mêmes jamais d’un défaut au tir d’une munition, quelle qu’elle soit. Cela pose à nouveau la question des stocks objectifs et des tirs de préparation à l’entraînement.

Pour répondre à M. Lainé, au Niger, je pense que le président Issoufou fait des choses assez remarquables. Je pense que le Mali avance progressivement. Les politiques maliens doivent prendre à bras-le-corps le point de départ que représente la mise en œuvre de l’accord de paix et de réconciliation, accord politique devant permettre de rassembler tout le monde autour de la table et de faire avancer les choses, ce qui n’a pas vraiment été fait jusqu’à présent. Néanmoins, il y a une telle concentration d’attention de l’ensemble des donateurs, des pays qui interviennent, des organisations internationales autour du Mali qu’objectivement, tout est mis en œuvre pour réunir les conditions qui mèneront au succès.

En revanche, je suis très inquiet pour la situation au nord du Burkina Faso, région en train de devenir une zone de non-droit et où nous avons peu de visibilité. Les évolutions de l’opération Barkhane iront marquer un effort dans ce secteur, ce qui requiert toutefois une participation des forces armées burkinabés. C’est pour cela que l’on compte également sur la force G5 Sahel, à laquelle le Burkina Faso participe.

S’agissant des actions en direction de la jeunesse, nous continuerons à communiquer, à faire des journées portes ouvertes, des périodes de réserve, des actions de cadets de la défense et de préparation militaire. Toute ma vie, je me suis engagé en allant dans les écoles, en essayant de forcer les portes de l’éducation nationale qui, pendant très longtemps, nous a regardés avec une certaine défiance. Nous continuerons à le faire.

Je pense que, fondamentalement, il faut que nous assumions notre singularité. Il faut dire aux gens que nous sommes leur force, et pas n’importe quelle force, et notamment pas les forces de l’ordre. Les armées sont là pour mettre en œuvre la force de manière délibérée, jusqu’à tuer. C’est très singulier.

Or, c’est quelque chose qui est dénié, sur lequel on a souvent jeté un voile pudique parce que les gens refusent ce recours délibéré à l’usage de la force, en d’autres termes parce qu’il leur semble que rien ne légitime ce recours délibéré à la force. Je pense, qu’au contraire, il faut assumer que la France est suffisamment forte et sûre de ses valeurs pour considérer qu’il y a des combats qui valent d’être menés et qu’il y a des circonstances dans lesquelles, au-delà de sa propre survie, il est légitime que la France recoure à la force. Je pense que c’est cela qu’il faut expliquer.

Lorsque nous recourrons de manière délibérée à cet emploi de la force, il existe une forme de responsabilité collective de cet acte absolument terrible effectué par chacun des soldats qui, aujourd’hui, tue un ennemi. Comme vous le savez, ce soldat peut ensuite être marqué toute sa vie par un trouble post-traumatique. Il n’arrivera à mettre cette réalité à distance que si l’on arrive à faire partager à nos concitoyens que cette responsabilité de l’acte commis en leur nom est partagée entre le soldat qui tue et le citoyen qui donne l’ordre de tuer.

Mme Natalia Pouzyreff. Le 26 juin dernier, huit pays ont signé aux côtés de la France une lettre d’intention sur l’initiative européenne d’intervention, d’une nature, semble-t-il, différente de celle de la coopération structurée permanente en matière de défense, qui a davantage une ambition capacitaire. Ce peut être un exercice de planification à froid sur des scénarios préétablis, de l’entraînement de type CJEF… en tout cas, nous avons compris que cet exercice serait conduit par les chefs d’états-majors. Général, sous quel format et avec quels objectifs envisagez-vous de travailler avec vos homologues ?

M. Jean-Charles Larsonneur. Mon général, évoquant l’Union européenne et l’OTAN, vous avez eu dans votre propos liminaire des paroles lourdes de sens – j’espère toutefois ne pas trahir votre propos – affirmant qu’à ce jour, aucune instance dédiée n’avait réellement de vision stratégique commune. Dans ce contexte, je souhaite vous poser une série de questions sur les conclusions du récent sommet de l’OTAN à Bruxelles. Je ne reviens pas sur les éléments de coopération que nous avons déjà en commun et que vous avez évoqués (la police du ciel ou « Baltic Air Policing », la composante de réaction rapide, la présence avancée rehaussée…). Je vais droit au but : le communiqué final du sommet de l’OTAN annonce la mise en œuvre, d’ici 2020, de l’initiative « 4 x 30 » : trente escadrons mécanisés, trente escadrons de chasse, trente bâtiments de premier rang seront prêts à être engagés dans un délai de trente jours. Quelle sera l’implication française dans cette initiative « 4 x 30 » ? Est-ce que la force Lynx continuera d’être déployée dans les prochains mois ? Quelle sera la participation française dans les centres de commandement qui seront créés à Norfolk pour sécuriser les communications à travers l’Atlantique et à Ulm pour favoriser la mobilité des troupes en Europe ?

M. Jean-Michel Jacques. Je voudrais revenir sur la bande sahélo-saharienne et sur les beaux résultats de la force Barkhane. L’ennemi auquel elle faisait face a muté. Il est aujourd’hui plus diffus sur l’ensemble du territoire, ce qui impose à nos forces armées des modes d’action différents. En particulier, d’après ce que j’ai pu lire du général Guibert, nous devrions gagner en mobilité et éviter de laisser une empreinte trop forte ou de laisser nos actions devenir prévisibles. Cela implique-t-il de revenir aux patrouilles SAS en profondeur, aux côtés desquelles les Chinook britanniques pourraient nous être utiles, ou envisagez-vous une autre solution ?

M. Philippe Chalumeau. Merci beaucoup pour ce moment d’échange simple, franc et direct. En Syrie, la poche de Deraa est tombée, peut-être à la suite du retrait des Américains. L’étape suivante sera sans doute celle d’Idlib, ville de trois millions d’habitants, dont un million de déplacés internes. Avec le blocage de la frontière turque au nord et l’accord que vous évoquiez entre le régime syrien et les Kurdes, quel scénario vous paraît le plus probable, à la lumière de ce que vous savez et de ce que nous ne savons pas ?

M. Jean-Philippe Ardouin. Le 1er juillet, une attaque terroriste a frappé, au Mali, la force Barkhane ainsi que la population de Gao. Nous devons déplorer quatre blessés sérieux au sein de la force d’intervention. De plus, une attaque dimanche dernier par des djihadistes présumés a fait une dizaine de morts civils dans le nord-est du Mali. Le peuple malien se rendra aux urnes le 29 juillet pour désigner un nouveau président de la République. De quelle manière les armées françaises, en partenariat avec les forces maliennes, peuvent-elles assurer le bon déroulement de ce scrutin et lutter efficacement contre les groupes djihadistes au Mali ?

M. Loïc Kervran. Permettez-moi, Mon général, de prendre ma casquette de président du groupe d’amitié France-Liban à quelques semaines de l’échéance du mandat de la FINUL. Quelle est votre évaluation du niveau de menace que font peser les belligérants sur nos forces mais aussi sur la paix, dans un contexte de tensions liées aux activités de l’Iran, du Hezbollah, aux violations de l’espace aérien, du fait des survols quasi quotidiens par l’armée israélienne du territoire libanais, et de la construction du mur israélien sur la « ligne bleue ». J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec le ministre de la Défense libanais qui m’a affirmé avoir donné l’ordre à ses troupes de tirer si les Israéliens franchissaient ce que les Libanais appellent « la ligne bleue ». Pouvez-vous donc nous éclairer, d’une part, sur le niveau de menace et, d’autre part, sur l’efficacité de la FINUL, dans la perspective de donner plus d’assurance à Israël et au Liban pour faire baisser ces tensions ?

M. Christophe Lejeune. Dans vos propos et en réponse à une précédente question, vous avez dit vouloir « durcir » les effectifs des armées. Étant donné la multiplicité des théâtres d’opérations sur lesquels la France est engagée, à l’étranger ou sur le territoire national, favoriser le déploiement de réservistes disponibles en OPEX et OPINT n’est-il pas de nature à pallier la faiblesse des effectifs pour réaliser ces missions. Je sais que les réservistes les plus déployés en OPEX sont ceux qui possèdent une compétence particulière dont peuvent manquer les armées. Est-il possible d’étendre l’emploi des réservistes à toutes les compétences, sous réserve, bien entendu, de leur disponibilité ?

M. Jacques Marilossian. Mon général, vous nous avez confirmé tout à l’heure que trente mille de nos militaires étaient actuellement déployés en opérations, de sorte que je me demande si nous avons les moyens de nous engager plus encore. À votre sens, la priorité serait-elle de renforcer nos forces de souveraineté, de développer nos forces de présence ou de participer à de nouvelles opérations extérieures, seuls, avec l’OTAN ou avec l’ONU ? Le cas échéant, quel effort cela représenterait-il pour l’armée de terre, la marine ou l’armée de l’air ? Et à défaut, que convient-il de faire ? Revoir la loi de programmation militaire ? Déjà ?

M. Thomas Gassilloud. Mon général, je souhaiterais vous poser quelques questions sur la Centrafrique qui rappelleront peut-être quelques souvenirs à l’ancien chef de section du 3e régiment d’infanterie de marine que vous êtes ! Depuis le retrait de l’opération Sangaris, la France a impulsé des actions internationales – déploiement de douze mille hommes de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA), présence de la mission de formation de l’Union européenne à Bangui et maintien d’un élément de soutien national de cent cinquante personnels pour permettre une remontée en puissance rapide, si la situation l’exigeait. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre perception de la situation en Centrafrique et éventuellement sur les accords de défense bilatéraux entre la France et la République centrafricaine ?

Mme Sereine Mauborgne. Le retrait des hélicoptères de transport et de protection allemands et belges, le mois dernier, ne sera a priori pas compensé par l’arrivée d’hélicoptères canadiens ou salvadoriens, moins nombreux et disposant de moindres capacités ou utilisés pour de moindres missions. Dans quelle mesure ces insuffisances capacitaires de la MINUSMA pèsent-elles sur Barkhane et comment se traduisent-elles concrètement pour la conduite des opérations ?

M. Olivier Becht. Mon général, je tiens à vous remercier pour la franchise de vos propos. Vous nous avez dit que nous étions engagés, pour ce qui concerne certains conflits extérieurs, sur le temps long, peut-être plus de dix ans. Je ne vous entraînerai pas dans un débat sur la question de savoir si ces guerres hybrides, hors limites, peuvent véritablement être gagnées. L’OTAN est resté plus de treize ans en Afghanistan et les Talibans sont, hélas, toujours présents. Je souhaite plutôt vous demander comment vous percevez les questions de régénérescence, non seulement des hommes mais aussi des matériels. Un « syndrome britannique » est-il à craindre ? Sommes-nous capables aujourd’hui, et plus encore demain, de défendre notre territoire national et de nous engager dans un conflit de forte intensité en Europe ?

M. Patrice Verchère. Le dernier numéro d’Air Actualités souligne que la récupération de personnels isolés, comme celle d’un équipage contraint de s’éjecter d’un avion de combat, fait bien entendu partie des missions de l’armée de l’air. Or, un rapport récent d’un de nos collègues sénateur nous apprend que le parc d’hélicoptères des armées est confronté à des ruptures temporaires de capacité, en raison de la faible disponibilité de la flotte des Caracal. Dans ces conditions, Mon général, comment allez-vous pouvoir assurer les missions de recherche et de sauvetage au combat, si importantes pour la survie de nos soldats en milieu hostile, alors qu’une nouvelle commande de Caracal, prévue en 2017, a été finalement reportée à la suite des coupes budgétaires et qu’aucune commande ne semble prévue en 2018 ?

Général François Lecointre. Toutes vos questions sont passionnantes et mériteraient toutes des développements approfondis. Je vais tenter d’apporter quelques éléments de réponse pertinents pour chacune.

Pour être tout à fait honnête, l’IEI est un objet encore en cours de définition. Il est l’expression d’une volonté très forte de rendre plus opérationnelle la coopération européenne. Vous savez que cela fait suite à de nombreuses tentatives. À la fin des années 1990 fut défini un objectif global, le « Helsinki Headline Goal », qui devait permettre d’engager plusieurs milliers d’hommes, plusieurs centaines d’avions et de bâtiments. Cet objectif global devait être décliné ensuite dans chaque État membre. Après l’échec de cette démarche, il fut décidé de dresser un état des lacunes de l’Union européenne, qui conduisit, par exemple, à mesurer l’absence d’hélicoptères de transport lourd dans la plupart des armées européennes. Mais ce processus n’a pas non plus abouti et, en réalité, nous n’avons comblé aucune des lacunes alors identifiées. Nous avons continué à agir selon des logiques nationales. Comme cette logique du haut vers le bas ne fonctionnait pas, d’autres initiatives avec une vision du bas vers le haut furent envisagées, comme les Battle Groups, limitant l’ambition d’intervention à des bataillons constitués de quelques centaines d’hommes. Un tour d’alerte de ces Battle Groups a été élaboré mais ceux-ci ne sont jamais intervenus. Même quand l’occasion pourrait s’en présenter, on ne recourt jamais aux Battle Groups. Au-delà de la coopération structurée permanente et de ce qu’on peut faire sur le plan de la coopération en matière d’armement, il nous semble, à nous Français, qu’une troisième tentative mérite d’être engagée. Cette troisième tentative, c’est l’IEI. Elle consiste à ne pas définir préalablement une structure bataillonnaire ou de brigade susceptible d’intervenir – vous avez évoqué à cet égard, Madame Thillaye, les difficultés d’emploi de la brigade franco-allemande – mais plutôt, dans une approche pragmatique, à réunir autour de nous des pays dont on sait qu’ils ont la volonté et un niveau de réactivité suffisant pour engager des moyens humains et matériels assez vite. Avec ces pays, nous allons bâtir des scénarios d’engagement, à partir desquels nous essaierons de faire de la planification en commun, de roder des méthodes communes de planification, de faire des exercices avant de faire des planifications sur des cas concrets assez probables. La première séance de travail aura lieu certainement fin octobre, à Paris, avec les chefs d’états-majors d’armées, sur la base d’un certain nombre d’exercices pour lancer concrètement le processus de l’IEI.

Ensuite, le nouveau concept « 4 x 30 » de l’OTAN aura assez peu d’implications pour la France. Il s’agit d’augmenter le niveau de réactivité global de l’Alliance. Or, la France fait d’ores et déjà partie des Alliés les plus réactifs, si ce n’est le plus réactif. Notre élément national d’urgence sera ainsi recyclé au sein du « 4 x 30 » et nous montrerons que nous sommes déjà très aptes à participer à ce concept. La mission Lynx sera poursuivie. S’agissant des centres de commandement de Norfolk et d’Ulm, vous savez que dans le cadre de la réforme de la structure de commandement de l’OTAN, la France s’est longtemps battue pour limiter l’ampleur de l’augmentation du coût de cette structure. Elle a fini par accepter une augmentation de l’ordre de 1 200 personnels supplémentaires. Des discussions doivent maintenant avoir lieu pour affecter ces personnes dans ces centres de commandement, en veillant à la réalisation d’une véritable plus-value. Comme je l’ai dit au dernier comité militaire de l’OTAN, mon souci est de poser comme principe qu’il ne pourra y avoir recours à des contractors civils. Je suis en effet persuadé que les nations alliées auront du mal à générer cette ressource humaine dans les délais imposés par l’Alliance. Je veux ainsi m’assurer, d’une part, que des structures qui, à mon sens, doivent rester militaires, ne deviennent pas civiles et, d’autre part, qu’il y aura des évaluations régulières permettant d’assurer cette croissance en fonction de nos capacités et en réévaluant l’existence du besoin qui, à mon avis, a été parfois surévalué.

Monsieur Jacques, s’agissant de la mobilité à Barkhane, vous me demandiez en quelque sorte si nous allions revenir aux « commandos-de-la-mort-qui-tue ». (Sourires). Je vous réponds : non. Vous le savez, nous parlons d’espaces immenses. Mais quand le général Guibert parle de mobilité, il parle essentiellement de mobilité dans la troisième dimension et de l’aéromobilité aujourd’hui insuffisante, essentiellement du fait des hélicoptères de manœuvre, dont le faible nombre réduit notre capacité à transporter rapidement des troupes en grand nombre sur différents points du théâtre d’opérations. Pour le reste, vous le savez bien, la mobilité au sol doit surtout assurer la protection de nos hommes qui, compte tenu du mode opératoire de nos ennemis, passe par du blindage. Aujourd’hui, le système SCORPION, le Griffon et le VBMR répondront malgré tout prioritairement à ces impératifs de blindage et de protection. Ce sont des équipements lourds, dont nous essaierons de maîtriser le poids, mais nous ne pouvons pas exposer la vie de nos soldats inutilement. C’est un compromis à trouver. Si on a fantasmé un temps sur l’idée de recréer des unités d’intervention très rapides dans des véhicules légers type VLRA, on ne le fera pas pour ne pas exposer inutilement nos hommes.

Idlib, Monsieur Chalumeau ! Idlib, c’est loin, et cela va être compliqué. Je n’ai pas de solution à donner. Je sais que c’est l’abcès de fixation qui est soigneusement organisé depuis deux ans. Chaque fois que le régime de Bachar-al-Assad, appuyé par les Russes, parvient à résorber une poche, il le fait en permettant l’évacuation et le regroupement des mouvements terroristes les plus durs dans cette poche d’Idlib. Cette poche devient problématique dès lors qu’elle peut être le lieu de la reconstitution d’une base à partir de laquelle ces mouvements terroristes n’auront d’autre souci que d’organiser des actions en Europe et en France en particulier. C’est pour cette raison qu’il est souhaitable que cette poche soit résorbée. Cela fera forcément l’objet d’un accord tripartite incluant la Turquie, limitrophe de la poche d’Idlib, la Russie et le régime syrien. J’ignore cependant la forme que prendra cet accord. Ce qui est certain, c’est qu’avec le président de la République et la ministre, nous portons une attention très appuyée aux moyens qui seront mis en œuvre pour réduire cette poche d’Idlib.

M. Ardouin m’a demandé si nous étions prêts à intervenir en soutien du déroulement du scrutin des mois de juillet et août au Mali. Non, nous ne le ferons pas. Notre objectif est de faire en sorte qu’il se déroule sous la responsabilité de l’État malien, qui est un pays libre, avec un engagement fort des forces de sécurité et de l’armée maliennes. En cas d’événement très grave affectant la sécurité, nous serons prêts à intervenir au profit de l’armée malienne mais il est important que nous ne soyons pas présents dans les zones où se dérouleront les élections présidentielles maliennes. Nous souhaitons que ce scrutin se déroule dans les meilleures conditions possibles mais nous ne tenons pas à courir le risque d’être désignés comme responsables de l’échec du scrutin si de quelconques difficultés devaient survenir, ce que certains ne manqueraient pas de faire, en toute mauvaise foi. Voilà pourquoi nous nous tiendrons à l’écart de ce scrutin tout en étant prêts à intervenir, uniquement à la demande expresse et très explicite de l’État malien.

Je n’ai pas les moyens de répondre à la question concernant le niveau de menace au Liban. Je pense que la FINUL joue un rôle dissuasif et, comme c’est souvent le cas avec les forces de l’ONU et leurs opérations, la simple présence de Casques bleus attirerait une attention internationale très forte et entraînerait une réaction internationale quasiment certaine en cas de dégradation de la situation. C’est le principal intérêt de la présence de la FINUL et il est loin d’être nul. M’étant rendu dans cette région en décembre dernier, pour la première fois de ma vie, j’ai constaté que la densification de l’urbanisation dans la région de Naqoura est absolument stupéfiante, avec de magnifiques villas. Les Libanais avec lesquels j’ai pu discuter sur place estiment que le Hezbollah n’a aucun intérêt au retour de la guerre et de la confrontation dans cette région en raison d’intérêts matériels importants liés à la fulgurante reconstruction de cette zone depuis vingt ou trente ans. Il n’en reste pas moins que cette zone est effectivement une poudrière et nous ferons notre possible pour que la situation reste sous contrôle, mais cela ne concerne pas que la France. L’urgence est que les réfugiés syriens puissent retourner le plus rapidement possible dans leur pays, leur présence au Liban et en Jordanie constituant malheureusement un facteur de déstabilisation important.

Pour ce qui concerne l’emploi des réservistes en opérations, il n’y a pas de limitation de principe dans la limite toutefois de 210 jours annuels permis par la loi. Il est indifférent de projeter un personnel d’active ou de réserve. Nous veillons simplement à ce que les unités déployées soient constituées pour la mission. Les réservistes projetés sont le plus souvent des compléments individuels en état-major, uniquement sur volontariat afin de veiller à l’équilibre familial et professionnel. Il s’agit cependant d’un renfort très apprécié pour les unités très sollicitées en OPEX et sur le territoire national.

S’agissant du renforcement de nos forces de présence et de nos forces de souveraineté, je pense qu’il ne faut rien opposer. Selon les conclusions de la Revue stratégique, il convient de mettre à profit le patrimoine et la richesse considérables que constituent pour la France ces dispositifs prépositionnés de souveraineté ou de présence. C’est aussi une manière de réaffirmer qu’il n’est plus question de toucher à ces dispositifs et de continuer à les réduire, ce qui fut le choix, et selon nous l’erreur, de la loi de programmation militaire précédente. Nous réaffirmons que ces bases doivent être entretenues et pouvoir être utilisées de façon modulable. Les effectifs doivent pouvoir varier à la hausse et à la baisse, comprendre des partenaires européens désireux, avec nous, d’intervenir ou de développer des politiques de coopération dans l’objectif d’une stabilisation de l’ensemble des pays de la zone concernée. Nous aurons, par ailleurs, vraisemblablement l’impératif d’un renforcement de notre position dans le Pacifique dans les années qui viennent. Il s’agit, comme vous le savez, d’une zone pivot de nouvelles conflictualités dans laquelle nous sommes l’acteur européen présent territorialement et nous devrons, au moins, renforcer les moyens de surveillance de notre ZEE et nos moyens d’intervention à partir de la Nouvelle-Calédonie. La prochaine LPM devrait nous permettre de concilier ces deux préoccupations sans qu’il y ait de choix à faire entre les forces prépositionnées et le renforcement de nos moyens dans le Pacifique.

Il demeure que la LPM ne nous permettra pas d’être une armée susceptible d’être engagée seule dans un conflit majeur en Europe centrale, par exemple. Ce type d’intervention ne serait possible que dans le cadre de l’OTAN et avec un soutien massif des États-Unis. Il s’agit bien de l’enjeu évoqué dans le cadre des discussions avec l’OTAN et avec le président Trump lors de ses déplacements en Europe.

C’est sympathique de me rappeler que j’ai été marsouin, lieutenant au 3régiment d’infanterie de marine à Bangui. Aujourd’hui la situation continue de se dégrader en Centrafrique et chaque fois que la situation se détériore au-delà d’un certain degré de crise humanitaire, seule la France prend ses responsabilités afin d’arrêter les massacres, comme nous l’avons fait lors de l’opération Turquoise au Rwanda, pour l’honneur de la France quoiqu’en disent certains. Nous souhaitons mettre en avant la coopération internationale avec l’opération de l’ONU, assez efficace, et l’Europe avec la présence d’EUTM-RCA. Le pouvoir centrafricain sait que, si nécessaire, nous sommes prêts à intervenir en réassurance à partir du Gabon. Nous n’abandonnons pas les Centrafricains, nous sommes prêts à assumer la relève des Portugais à la tête de l’opération EUTM à la fin de leur mandat l’année prochaine. Nous sommes présents mais ne voulons pas l’être au premier rang et nous laissons la communauté internationale faire son travail en étant attentifs et en faisant savoir au président Touadéra que nous le sommes. Un de mes prochains rendez-vous téléphoniques avec mon homologue russe, le général Guerassimov, sera l’occasion de parler de l’action des sociétés militaires privées en Centrafrique. Je pense, à ce propos, que les Centrafricains commencent à s’inquiéter d’une possible attitude de prédation de la part de ces sociétés. Nous n’abandonnons donc pas la Centrafrique et il serait tout à fait illusoire de croire que le sujet s’évanouirait avec notre départ.

L’insuffisance capacitaire de la MINUSMA pèse-t-elle sur Barkhane ? Vous me pardonnerez cette réponse expéditive mais, non, elle pèse sur la MINUSMA et tout ce qui affaiblit la MINUSMA n’est pas une bonne nouvelle.

Si on ne peut pas gagner les guerres hybrides, il s’agit surtout de ne pas les perdre. J’ai souvent tendance à dire que l’on ne porte jamais au crédit d’un soldat le fait que le pire ait été évité. Pensez-y souvent. C’est la grande difficulté de nos guerres et de nos engagements, c’est la difficulté dans laquelle je me trouve depuis que je suis soldat : jamais nous n’irons défiler sous l’Arc de Triomphe pour le défilé de la victoire. C’est ainsi. Nous nous trouvons dans des situations qui durent, pour lesquelles nous sommes présents afin d’éviter qu’elles ne dégénèrent en crises encore plus graves et pour faire en sorte de les maîtriser et de les stabiliser. Ceci prend du temps, et, une fois la situation définitivement stabilisée, elle ne peut pas être considérée comme absolument consolidée pour autant. Je pense à cet égard que nous devons porter une attention particulière aux prochaines élections en Côte d’Ivoire.

Avons-nous un risque de « syndrome britannique » ? Non, je pense que nous évitons précisément ce risque grâce à l’effort fait dans la LPM et, pour compléter mes propos sur notre grande proximité avec les États-Unis, grâce à une véritable indépendance française. Nous ne sommes pas là pour donner des gages aux Américains mais pour intervenir là où nous considérons que les intérêts de la France, et plus largement de l’Europe, sont engagés et menacés.

Je veux enfin rassurer M. Verchère. Il n’y a pas de problème en ce qui concerne le sauvetage au combat. On l’assure pour les aviateurs qui sont engagés. Par ailleurs, le Caracal qui n’a pas été commandé en 2018 se trouve dans le document prévisionnel de gestion en priorité une et la commande sera passée début 2019 ; l’armée de l’air devrait donc pouvoir en disposer rapidement.

Je crois que j’ai répondu à toutes les questions.

M. le président. Merci, Mon général, pour toutes ces précisions et, pour le mot de la fin, j’espère que le président de la République prendra quelques jours de vacances, ce sera une bonne chose pour vous.

La séance est levée à dix-neuf heures.

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Membres présents ou excusés

Présents. – M. Louis Aliot, M. Jean-Philippe Ardouin, M. Xavier Batut, M. Thibault Bazin, M. Olivier Becht, M. Christophe Blanchet, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Jacques Bridey, M. Philippe Chalumeau, M. Alexis Corbière, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Stéphane Demilly, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Yannick Favennec Becot, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Philippe Folliot, M. Claude de Ganay, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Fabien Gouttefarde, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, Mme Anissa Khedher, M. Bastien Lachaud, M. Fabien Lainé, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Didier Le Gac, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, Mme Sereine Mauborgne, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Patricia Mirallès, Mme Natalia Pouzyreff, M. Joaquim Pueyo, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Sabine Thillaye, Mme Laurence Trastour-Isnart, Mme Nicole Trisse, M. Stéphane Trompille, M. Patrice Verchère, M. Charles de la Verpillière

Excusés. – M. François André, M. Florian Bachelier, M. Ian Boucard, M. Sylvain Brial, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Luc Carvounas, M. André Chassaigne, M. M’jid El Guerrab, M. Olivier Faure, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Jean-Christophe Lagarde, Mme Josy Poueyto, M. François de Rugy, Mme Alexandra Valetta Ardisson

Assistait également à la réunion. – M. Stéphane Viry

Source: Assemblée nationale

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