Question écrite n° 05222 de M. Jean Louis Masson (Moselle – NI) publiée dans le JO Sénat du 31/05/2018 – page 2586
M. Jean Louis Masson attire une nouvelle fois l’attention de M. le ministre de l’éducation nationale sur les tentatives de dénaturation du droit local d’Alsace-Moselle en ce qui concerne les cours de religion dans les écoles publiques. L’artifice consisterait à remplacer les heures de religion pour les cultes reconnus par des cours dits « d’éducation au dialogue interreligieux et interculturels » (EDII). En Moselle, l’évêque de Metz et plusieurs parlementaires ont protesté fermement contre cette idée et il faut regretter que les questions écrites qui lui ont été posées, dès 2017 au Sénat, n’aient toujours pas obtenu de réponse. Curieusement un député alsacien de la majorité parlementaire qui a déposé en 2018 une question écrite, a lui obtenu très rapidement une réponse. Celle-ci a été à juste titre, un refus très ferme à l’encontre du projet EDII d’autant que pour les parlementaires qui le défendent, il ne s’agit que d’un clientélisme électoraliste en direction de la communauté musulmane. Quant aux églises protestantes d’Alsace qui sont en partie à l’origine du projet EDII, elles ont écrit noir sur blanc qu’elles sont motivées par le fait que la fréquentation de leurs cours de religion dans les écoles publiques est en chute libre. Au lieu de se poser des questions sur le contenu de leurs cours, elles cherchent leur salut dans un racolage à l’égard du musulman. Pire encore, suite au refus exprimé dans la réponse ministérielle susvisée, les églises protestantes sont revenues à la charge dans l’hebdomadaire « La Semaine » en se réjouissant d’avoir déjà mis en œuvre, dans certains lycées publics d’Alsace, le remplacement des cours de religion par des cours dits « d’éveil culturel et religieux » (ECR). Selon l’hebdomadaire « La Semaine », une circulaire du recteur de l’académie de Strasbourg aurait confirmé la légalité de ces cours ECR en 2015. Or ainsi que l’a indiqué la réponse ministérielle susvisée, les cours de religion doivent être des cours de religion stricto sensu, à l’exception de tout contournement du droit local, que ce soit par le projet EDII ou par l’expérimentation ECR. Il lui demande donc s’il approuve cette circulaire de 2015 du recteur. Le cas échéant, il lui demande quelles sont ses intentions.
Réponse du Ministère de l’éducation nationale publiée dans le JO Sénat du 23/08/2018 – page 4330
L’enseignement dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin est régi par des dispositions particulières constituant la base d’un droit local, dont l’existence est qualifiée de principe fondamental reconnu par les lois de la République par le Conseil constitutionnel (décision n° 2011-157 QPC du 5 août 2011, Société Somodia). Parmi ces règles particulières figure l’obligation d’assurer un enseignement religieux dans tous les établissements scolaires publics de ces départements. Cette obligation découle de la loi Falloux de 1850 (article 23) et d’une ordonnance allemande du 10 juillet 1873, modifiée par l’ordonnance du 16 novembre 1887 (article 10A), dont les dispositions ont été maintenues dans ces départements par les lois du 17 octobre 1919 et du 1er juin 1924 et l’ordonnance du 15 septembre 1944. Le Conseil d’État s’est prononcé sur le périmètre de cette obligation et a jugé qu’elle impliquait, pour les pouvoirs publics, d’organiser un enseignement de la religion pour chacun des quatre cultes reconnus en Alsace-Moselle (CE, 6 avril 2001, n° 219376, publiée au recueil Lebon). Par ailleurs, dans sa décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013, le Conseil constitutionnel a considéré qu’en proclamant que la France est une République laïque, la Constitution n’a pas pour autant entendu remettre en cause les dispositions législatives ou réglementaires applicables en Alsace-Moselle lors de l’entrée en vigueur de la Constitution et relatives à l’organisation de certains cultes et, notamment, à la rémunération de ministres du culte. Il résulte de ces dispositions particulières et de leur interprétation jurisprudentielle, d’abord, que l’obligation de l’État de dispenser un enseignement religieux est circonscrite aux seuls quatre cultes reconnus en Alsace-Moselle avant l’entrée en vigueur de la Constitution (le culte catholique, les deux cultes protestants, correspondant, d’une part, à l’Église luthérienne, dite Église de la confession d’Augsbourg d’Alsace et de Lorraine et, d’autre part, à l’Église réformée d’Alsace et de Lorraine, ainsi que le culte israélite). L’enseignement religieux à l’école publique y a connu diverses modifications depuis 1918. Dans sa décision Somodia pré-citée, le Conseil constitutionnel a précisé qu’il n’était désormais plus possible de faire évoluer cet enseignement spécifique, de même que l’ensemble du droit local alsacien et mosellan, autrement que dans un rapprochement avec les dispositions générales de la République française. L’État ne saurait donc, sur le fondement du droit local, organiser et financer l’enseignement d’un autre culte, notamment du culte musulman, dans les écoles publiques de ces départements. La loi ne saurait en tout état de cause en prévoir la possibilité, le Conseil constitutionnel ayant jugé qu’à défaut de leur abrogation ou de leur harmonisation avec le droit commun, ces dispositions particulières ne peuvent être aménagées que dans la mesure où les différences de traitement qui en résultent ne sont pas accrues et où leur champ d’application n’est pas élargi (décision n° 2011-157 QPC précitée). Une autre conséquence réside dans le fait que l’organisation d’un enseignement confessionnel dans les écoles publiques de ces départements pour ces quatre cultes constitue une véritable obligation pesant sur l’État. Le Conseil d’État a en outre précisé dans sa décision du 6 avril 2001 que « [cette] obligation (…) constitue une règle de valeur législative s’imposant aux pouvoirs réglementaires ». Ainsi, dès lors que la mise en place de cours de « culture religieuse » ou « d’enseignement interreligieux » à la place des enseignements religieux aurait nécessairement pour conséquence de vider ces enseignements de leur caractère confessionnel, une telle mesure ne pourrait être considérée comme légale, au regard des obligations qui incombent à l’État dans ce domaine. La circulaire rectorale de l’académie de Strasbourg à laquelle il est fait référence fixe l’organisation de l’enseignement religieux et ses modalités d’enseignement dans les établissements. Elle rappelle le caractère obligatoire et confessionnel de l’enseignement religieux, qui est dispensé par des professeurs d’enseignement religieux, dans les collèges et les lycées. Au lycée uniquement, l’éveil culturel et religieux, mis en place dans les années 1990, peut constituer une modalité pédagogique particulière de cet enseignement mais, il ne peut en aucun cas être imposé. Il est en tout état de cause mis en place avec l’accord des chargés de mission d’enseignement, désignés par les autorités religieuses et chargés du contrôle de la mise en œuvre de l’enseignement religieux. Enfin, les actions menées dans le cadre de l’éveil culturel et religieux doivent être décrites et le nombre d’heures consacrées à chaque confession précisé. Ces actions doivent recevoir la double validation du chef d’établissement et de l’autorité religieuse.
Source: JO Sénat du 23/08/2018 – page 4330