Question écrite n° 05777 de M. Pierre Laurent (Paris – CRCE) publiée dans le JO Sénat du 21/06/2018 – page 3053
M. Pierre Laurent attire l’attention de M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères sur la nécessité de relancer le processus de désarmement nucléaire.
Le document qu’ont signé les États-Unis d’Amérique et la République populaire démocratique de Corée le 12 juin 2018 visant une « dénucléarisation complète de la péninsule coréenne » est une évolution positive qui en appelle de nombreuses autres tant dans cette région du monde qu’ailleurs.
La France a ratifié le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) en 1992. Ce traité est clair au regard des obligations de la France selon l’alinéa 8 du préambule qui mentionne que les États parties déclarent « leur intention de parvenir au plus tôt à la cessation de la course aux armements nucléaires et de prendre des mesures efficaces dans la voie du désarmement nucléaire » et au titre de l’article 6 du traité qui « engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire ».
À l’Organisation des Nations unies (ONU) la volonté de voir appliqué l’article 6 du TNP a mené en 2016 à des discussions en vue de négocier un instrument juridiquement contraignant d’interdiction des armes nucléaires, conduisant à leur élimination totale. Cette volonté a été partagée par la majorité des pays de l’ONU mais a rencontré une résistance résolue de quasiment tous les pays qui possèdent l’arme nucléaire dont la France. C’est ainsi que le 7 juillet 2017, 122 États ont adopté le traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN). Il entrera en vigueur une fois que 50 États l’auront ratifié. Actuellement 59 États l’ont signé et 10 l’ont ratifié.
La France ne peut continuer à se mettre en travers d’une démarche qui vise la sauvegarde de l’humanité. Elle doit prendre des initiatives tant du point de vue national, européen qu’international pour le désarmement nucléaire. Dans l’immédiat il serait souhaitable qu’elle ratifie l’ensemble des traités actuels créant des zones exemptes d’armes nucléaires et qu’elle s’engage enfin en faveur d’un traité d’interdiction et d’élimination complète des armes nucléaires, sous un contrôle mutuel et international strict et efficace en ratifiant le TIAN.
Il lui demande ce qu’il compte faire en ce sens.
Réponse du Ministère de l’Europe et des affaires étrangères publiée dans le JO Sénat du 02/08/2018 – page 4024
La France se conforme pleinement à ses engagements au titre de l’article VI du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Elle le fait dans le cadre d’une approche progressive et pragmatique de façon à promouvoir la stabilité régionale et internationale, sur la base d’une sécurité non diminuée pour tous. La France a souscrit à l’objectif, fixé par le TNP, du désarmement nucléaire, qui est plus généralement celui du désarmement général et complet. Elle doit donc créer collectivement les conditions qui permettront à terme l’élimination des armes nucléaires. Cela nécessite la progression du désarmement nucléaire mais aussi celle du désarmement conventionnel, l’universalisation et le respect de l’interdiction des armes chimiques et biologiques, la prise en compte de la prolifération balistique, la sécurité dans l’espace extra-atmosphérique, et la résolution des crises régionales de prolifération. À terme, la France partage l’objectif de l’élimination totale des armes nucléaires, quand le contexte stratégique le permettra. Pour y parvenir, elle a déjà accompli d’elle-même des efforts concrets et exemplaires depuis la fin de la guerre froide : démantèlement irréversible des installations de production de matières fissiles pour les armes nucléaires ; démantèlement complet de la composante nucléaire sol-sol ; réduction d’un tiers de la composante océanique et de la composante aéroportée ; démantèlement irréversible du site d’essais dans le Pacifique et ratification dès 1998 du traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE). Ce sont autant d’actes tangibles qui témoignent de son engagement concret et continu en faveur du désarmement nucléaire. Par ailleurs, la France n’a jamais participé à la course aux armements nucléaires. Elle a maintenu son arsenal nucléaire au niveau le plus bas possible, compatible avec le contexte stratégique, en application du principe de stricte suffisance. La Corée du Nord, à l’inverse, a développé son programme nucléaire et balistique en violation de ses obligations internationales et des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Pyongyang est ainsi le seul État à avoir procédé à des essais nucléaires au XXIème siècle, le dernier en septembre 2017. Il faut estpérer que le sommet de Singapour du 12 juin 2018 permette d’amorcer un processus de dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible de la péninsule coréenne. Mais la déclaration de Singapour ne contient pas d’engagement tangible en matière de dénucléarisation. La France souhaite donc que la Corée du Nord mette à présent en oeuvre des engagements concrets et précis en matière de non-prolifération. Le Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN) est un texte inadapté au contexte sécuritaire international, caractérisé par des tensions croissantes et la prolifération des armes de destruction massive. Ce traité crée une norme contraire au TNP, et par là même le fragilise alors même qu’un régime de non-prolifération robuste et respecté est aujourd’hui plus nécessaire que jamais. Le TIAN ne reprend pas les plus hauts standards de garanties de l’AIEA, et n’est par ailleurs assorti d’aucun mécanisme de vérification. La France n’a pas participé aux négociations de ce traité et elle n’entend pas y adhérer. La décision d’un très grand nombre d’États, dotés, possesseurs ou non d’armes nucléaires, de ne pas participer aux négociations, en Europe et en Asie notamment, illustre avec force ce décalage. La politique de sécurité et de défense de la France, tout comme celle de ses alliés et d’autres partenaires proches, repose sur la dissuasion nucléaire. La dissuasion vise à protéger la France de toute agression d’origine étatique contre ses intérêts vitaux, d’où qu’elle vienne, et quelle qu’en soit la forme. Un traité d’interdiction des armes nucléaires risquerait à cet égard d’affecter la sécurité de la région euro-atlantique et la stabilité internationale. S’agissant des initiatives portées par la France en matière de désarmement nucléaire, en particulier concernant la ratification des traités établissant des zone exemptes d’armes nucléaires, il convient de rappeler que la France a apporté son soutien à la constitution de zones exemptes d’armes nucléaires, et a donné dans ce cadre des garanties de sécurité à plus d’une centaine d’États, sous forme de traités. La France est ainsi partie aux protocoles des Traités de Tlatelolco, de Rarotonga, de Pelindaba et de Semipalatinsk – qui représentent l’ensemble des traités existants établissant des zones exemptes d’armes nucléaires. La France est également disposée à signer, dès que possible, le protocole au Traité de Bangkok, dans le prolongement des consultations menées en 2015 entre les États dotés et les membres de l’Association des États du Sud-est (ASEAN). Le désarmement nucléaire ne se décrète pas, il se construit – par des actions concrètes, adaptées et efficaces. La France demeure déterminée à mettre en œuvre les prochaines étapes concrètes du désarmement nucléaire, conformément à ses engagements au titre du TNP. En particulier : la France poursuivra son action résolue et déterminée en faveur du désarmement nucléaire. L’entrée en vigueur du TICE est à cet égard une priorité. Elle appelle tous les États qui ne l’ont pas déjà fait à signer et ratifier le TICE. En tant que contributeur technique et financier, elle apporte son expertise en soutien au système de surveillance international, désormais complet à 90 % et qui a fait la preuve de son efficacité pour la détection des essais nord-coréens ; la négociation, à la Conférence du désarmement, d’un Traité interdisant la production de matières fissiles pour les armes et autres dispositifs explosifs nucléaires (FMCT), constitue également une étape incontournable et irremplaçable vers un monde exempt d’armes nucléaires. Un FMCT empêchera le développement quantitatif des arsenaux nucléaires. La France a déjà participé activement au groupe préparatoire d’experts de haut niveau, établi par la résolution 71/259 de l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) sur le FMCT, qu’elle a soutenue ; les échanges sur les enjeux techniques de la vérification du désarmement nucléaire entre États dotés et non dotés d’armes nucléaires sont également importants pour accroître la compréhension et renforcer la confiance entre les États parties au TNP. C’est la raison pour laquelle la France participe activement au Partenariat international sur la vérification du désarmement nucléaire (IPNDV) et a soutenu la résolution 71/67 de l’AGNU qui établit, à partir de 2018, un groupe d’experts gouvernementaux (GGE) sur le rôle de la vérification pour avancer en matière de désarmement nucléaire. La France souhaite que le plus grand nombre possible d’États soutiennent ces différents processus très prometteurs ; enfin, les États-Unis et la Russie possèdent encore près de 90 % du stock mondial d’armes nucléaires. La France appelle donc ces pays à poursuivre dans la durée leurs efforts de réduction, et à préserver ou renouveler les instruments de maîtrise des armements existants (notamment le traité New START).
Source: JO Sénat du 02/08/2018 – page 4024