Avis n° 419227 du 25 juin 2018
NOR: CETX1817802V
ECLI:FR:CECHR:2018:419227.20180625
Le Conseil d’Etat (section du contentieux, 7e et 2e chambres réunies),
Sur le rapport de la 7e chambre de la section du contentieux,
Vu la procédure suivante :
Par un jugement n° 1602315 du 19 mars 2018, enregistré le 23 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le tribunal administratif de Bordeaux, avant de statuer sur la demande de M. A… B… tendant à l’annulation de la décision du ministre de la défense du 17 avril 2015 l’informant de ce qu’il devait rembourser la somme de 15 057,83 euros, a décidé, par application des dispositions de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d’Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1°) La lettre par laquelle l’administration informe un militaire qu’un indu sera répété, par retenue sur solde ou par la notification d’un titre exécutoire, et qui indique qu’elle vaut décision administrative et qu’elle peut faire l’objet d’un recours auprès de la commission des recours des militaires, constitue-t-elle un acte préparatoire ou un acte faisant grief ?
2°) Dans l’affirmative,
a) Le recours exercé contre la décision rejetant le recours préalable dirigé contre cette lettre constitue-t-il un recours pour excès de pouvoir ou un recours de plein contentieux ?
b) L’annulation de la lettre entraîne-t-elle par voie de conséquence l’annulation du titre exécutoire subséquent lorsque les deux actes sont notifiés successivement ?
3°) Dans la négative, en cas de retenue sur la solde, le recours du militaire qui attaque l’ordre de recouvrer révélé par cette retenue doit-il être précédé d’un recours administratif préalable obligatoire devant la commission de recours des militaires ou devant le comptable chargé du recouvrement pour être recevable ?
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code de la défense ;
– le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
– le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes ;
– les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de M. B…
Rend l’avis suivant :
1. La lettre par laquelle l’administration informe un militaire qu’il doit rembourser une somme indument payée et qu’en l’absence de paiement spontané de sa part, un titre de perception lui sera notifié, est une mesure préparatoire de ce titre, qui n’est pas susceptible de recours.
2. La lettre par laquelle l’administration informe un militaire qu’il doit rembourser une somme indument payée et qu’en l’absence de paiement spontané de sa part, cette somme sera retenue sur sa solde est, en revanche, une décision susceptible de faire l’objet d’un recours de plein contentieux.
3. Aux termes de l’article R. 4125-1 du code de la défense : « I. – Tout recours contentieux formé par un militaire à l’encontre d’actes relatifs à sa situation personnelle est précédée d’un recours administratif préalable, à peine d’irrecevabilité du recours contentieux. / Ce recours administratif préalable est examiné par la commission des recours des militaires, placée auprès du ministre de la défense (…) / III. – Les dispositions de la présente section ne sont pas applicables aux recours contentieux formés à l’encontre d’actes ou de décisions : / (…) 2° (…) qui relèvent de la procédure organisée par les articles 112 à 124 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ».
Aux termes de l’article 117 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, qui, comme les articles reproduits ci-dessous, figure dans le titre II relatif à la gestion budgétaire et comptable de l’Etat : « Les titres de perception émis en application de l’article L. 252 A du livre des procédures fiscales peuvent faire l’objet de la part des redevables : / 1° Soit d’une opposition à l’exécution en cas de contestation de l’existence de la créance, de son montant ou de son exigibilité ; / 2° Soit d’une opposition à poursuites en cas de contestation de la régularité de la forme d’un acte de poursuite. / L’opposition à l’exécution et l’opposition à poursuites ont pour effet de suspendre le recouvrement de la créance ». Aux termes de l’article 118 du même décret : « Avant de saisir la juridiction compétente, le redevable doit adresser une réclamation appuyée de toutes justifications utiles au comptable chargé du recouvrement de l’ordre de recouvrer ». Enfin, aux termes de l’article 128 : « Les dépenses de personnel sont liquidées et payées sans engagement ni ordonnancement préalable par les comptables publics désignés par arrêté du ministre chargé du budget, dans les conditions suivantes : / 1° L’ordonnateur certifie le service fait en communiquant au comptable assignataire les bases de calcul nécessaires à la liquidation et à la mise en paiement des rémunérations des agents ainsi qu’à la détermination des retenues à opérer sur celles-ci ; / 2° Le comptable assignataire liquide les rémunérations et procède à leur mise en paiement ».
Il résulte des dispositions reproduites ci-dessus que la lettre par laquelle l’administration informe un militaire de son intention de procéder à une retenue sur sa solde n’est pas au nombre des exceptions énumérées au III de l’article R. 4125-1 du code de la défense et doit donc faire l’objet d’un recours administratif préalable devant la commission des recours des militaires.
Dans l’hypothèse où l’administration procéderait directement à une retenue sur la solde d’un militaire sans information préalable, la décision révélée par cette opération de dépense régie par l’article 128 du décret du 7 novembre 2012 devrait également être précédée d’un recours devant cette commission.
En revanche, en cas de notification au militaire d’un titre de perception, l’opposition à ce titre, émis en application des dispositions de l’article 117 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, doit être précédée, conformément aux dispositions du 2° du III de l’article R. 4125-1 du code de la défense, d’une réclamation au comptable chargé du recouvrement de l’ordre de recouvrer, et non d’un recours devant la commission des recours des militaires.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Bordeaux, à M. A… B…, à la ministre des armées et au ministre de l’économie et des finances. Il sera publié au Journal officiel de la République française.
Source: JORF n°0147 du 28 juin 2018 texte n° 62
Cette publication a un commentaire
L’avis du conseil d’Etat n° 419227 contredit la procédure indiquée jusque là par le ministère des armées aux militaires dans ses décisions de notification pour des erreurs de paye à savoir le recours préalable obligatoire dans les deux mois à la Commission des recours des militaires puis en cas de rejet explicite ou implicite recours dans les deux mois également au tribunal administratif.
En effet cet avis indique que cette procédure est uniquement valable en cas de retenue sur la solde du militaire, directe ou notifiée, mais ne l’est pas en cas de notification par le ministère des armées et de recouvrement par la DGFIP. Dans ce dernier cas, les militaires doivent contester le titre de perception et non la décision du ministre des armées contrairement à ce que leur a indiqué l’administration
Depuis le 25 juin, les militaires qui ont contesté les erreurs de paye liées en grande partie au logiciel Louvois et qui ont appliqué la procédure de recours indiquée par le ministère des armées vont voir sans aucun doute leur requête rejetée pour irrecevabilité. La majorité d’entre eux ne pourra pas en conséquence contester le titre de perception de la DGFIP en raison du délai de deux mois qui sera dépassé sauf pour les cas tout récents.
Ainsi des militaires qui ont fait confiance à l’administration en se conformant à la procédure indiquée par cette dernière vont être privés de tout recours ce qui est un comble et contraire au droit européen en piétinant les principes de sécurité juridique dont celui de la protection de la confiance légitime dans l’administration et celui du droit au recours effectif.
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