Note :Les trois plaignantes ont été aidées et soutenues par l’Adefdromil.
En 2016, trois femmes ont porté plainte pour harcèlement moral et sexuel contre le médecin en chef de l’antenne bordelaise de la Sécu militaire. Elles accusent aussi leur hiérarchie d’avoir protégé ce colonel parti à la retraite avec une paie majorée.
« – À partir de quand ça a dégénéré ? – Ah, tout de suite, dès le 1er juillet 2011, quand le nouveau médecin en chef est arrivé », répondent Jacqueline, Marie et Séverine (1). Elles répètent la date en écho avant de dérouler les longs mois de harcèlement moral et sexuel qu’elles ont vécu à l’antenne bordelaise de la Caisse nationale militaire de sécurité sociale (CNMSS), la Sécu des militaires et de leur famille. Ce vendredi 15 juin, au matin du procès de leur ancien chef, un colonel de 57 ans aux faux airs de François Hollande période « candidat svelte », elles racontent comment elles ont « craqué en cascade » après son arrivée. Pourtant « on nous l’avait présenté comme un gentil garçon », explique Marie, quadra pimpante. À l’époque, elle gère une équipe de cinq agents administratifs civils : deux hommes et trois femmes, dont Séverine, arrivée comme elle à Bordeaux en 2008.
HARCÈLEMENT SEXUEL AU QUOTIDIEN
Très vite, elles s’aperçoivent que le médecin chef est « sans filtre ». Chacune y va de son anecdote sur son quotidien à la caisse ces années-là. Il y a les « blagues » quasi quotidiennes du chef : « sur les carottes » quand il y en avait au mess [restaurant militaire] à midi ; sur les radiateurs, « il n’y a pas que les radiateurs qu’on ramone ici, hein Madame » ; sur les rubans roses distribués pour sensibiliser au cancer du sein, « moi aussi j’en ai un de noeud rose »… Il y a aussi les remarques sexistes, « pour lui, si on réussissait mieux les missions de relation-client, c’est parce qu’on avait un cul et des seins, ce sont ses mots » et les propos intrusifs. À l’époque, Jacqueline est médecin adjointe de l’antenne depuis 2010, la seule militaire avec le colonel R., le chef. Dégoûtée, elle raconte :
« Il nous a parlé de tout : de sa sexualité, de celle de sa femme, de celle de ses filles, de la nôtre, au vu du nombre d’enfants qu’on peut avoir… »
Peu à peu, elles sentent la charge de travail et l’ambiance s’alourdir. Quand le chef est de bonne humeur, « ça peut aller ». Sinon il crie et tend son majeur à celle qui n’est pas d’accord. Marie et Séverine évitent les décolletés et troquent les tenues colorées contre du noir. « C’est monté en puissance : jusqu’à fin 2011, ça nous paraissait normal. En 2012, chacune avait des alertes. En 2013, ça a dégénéré quand un collègue masculin est parti. En 2014, c’était intolérable et en 2015, c’était au-delà de l’intolérable », résume la commandante au visage émacié :
« En fait, on ne s’en est pas rendu compte, mais on était sous son emprise. »
Qui dit emprise dit souvent du temps pour comprendre et pour s’en libérer. « C’est la fable de la grenouille », illustre Me Élodie Maumont, le conseil des trois plaignantes. « Si vous plongez une grenouille dans une casserole d’eau bouillante, elle fuit ; alors que si vous mettez une grenouille dans une casserole d’eau froide et que vous augmentez peu à peu la température, elle ne se rendra pas compte qu’elle se fait ébouillanter et elle meurt. »
UN LONG COMBAT
En février 2015, Marie et Séverine suivent un stage de prévention contre les agressions extérieures. Mais « en remplissant les tests, on s’est aperçu que l’agression était interne ».Séverine détaille :
« On ne savait pas mettre de mots, c’est pour ça qu’on n’a rien fait avant. »
En septembre 2015, voyant vaciller Isabelle (1), une autre collègue « à bout », Marie et Séverine alertent la CFDT, le syndicat majoritaire à la Caisse. « Mais à l’époque, c’était parole contre parole et elles ne voulaient pas porter plainte », assure Catherine Meunier, la détonnante secrétaire générale de la CFDT. « On a appuyé leur demande auprès du directeur, qui a déclenché l’enquête sur les risques psycho-sociaux. »
Le médecin en chef est convoqué par le directeur de la CNMSS le 30 septembre, lors d’un séminaire au siège à Toulon. « Il s’est pris une avoinée, le toubib », raconte la responsable syndicale CFDT Annick Amodio. Sauf qu’au cours de l’entretien, le directeur balance le nom des plaignantes. « Après, j’ai pris le train avec mon chef et tout ce qu’il a trouvé à me dire c’est : “Les trois femmes, je n’en reviens pas, les trois femmes…” », remet Jacqueline, qui à l’époque avait refusé de témoigner de son propre mal-être. « Là, je me suis dit que mes collègues allaient en baver et c’est ce qu’il s’est passé. »
Le 7 octobre, l’Inspection santé sécurité au travail (ISST) rend son rapport au directeur de la structure. Selon un document consulté par Streetpress, l’ISST a bien établi « l’existence d’une dégradation des conditions de travail au sein de l’antenne de Bordeaux » à ce moment-là. Toujours selon l’ISST, les déclarations des plaignantes apparaissent alors « crédibles » et « dénuées d’un esprit de cabale » tandis que le colonel montre « un réel et sérieux problème de comportement et de management ».
L’inspecteur enjoint alors au directeur de la Caisse de « mettre fin à la situation ». Fin 2015, Marie et Séverine profitent d’un séminaire à Toulon pour rencontrer le directeur. « J’attendais juste qu’il me dise : “On est là, on va faire quelque chose” », se remémore Marie. Mais l’entretien tourne à l’évaluation professionnelle :
« À la fin, le directeur a conclu en disant qu’il n’y avait pas de harcèlement à l’antenne et qu’on devait soutenir notre chef, parce que s’il lui arrivait malheur, on pourrait le regretter. »
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Cet article a 2 commentaires
Il est temps qu’on, fasse le ménage dans toutes les institutions.
Tout mon soutien à « Jacqueline », « Marie » et « Séverine » ! C’est la bonne voie pour que le soleil arrive… !
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