Julia, militaire, agressée sexuellement : « J’ai été prise pour un objet » (Par Charlotte Hervot)

Julia sert la marine nationale. Un jour, un collègue a saisi sa tête pour mimer une fellation. Une blague pour lui. Une agression sexuelle pour elle. Du harcèlement sexuel pour la justice. Récit.

L’histoire, à la une de « Libération » le 23 mars, a fait grand bruit. Dans une enquête, le journal a donné un aperçu du quotidien des étudiantes de la prestigieuse prépa militaire de Saint-Cyr.

« Indifférence courtoise », humiliations, attouchements, de la part d’un groupe d’élèves ultraconservateurs surnommé les « tradis ». Florence Parly, la ministre des Armées, a réagi sur Twitter en annonçant des sanctions contre les élèves impliqués : « Le sexisme n’a pas sa place dans les armées. »

Pourtant, les cas de harcèlements, de discriminations et de violences sexuels au sein de l’armée française ne sont pas si rares. Entre 2014 et 2017, 35 viols et 63 « autres agressions sexuelles » (dont 17 en 2017) ont été recensés par Thémis, la cellule mise en place par l’armée en 2014, après la publication du livre « La Guerre invisible« , pour traiter les signalements et accompagner les victimes. S’agissant du harcèlement, la cellule a traité 116 cas depuis sa création, dont 32 en 2017.

Mais pas celui de Julia*.

Julia craint que cette histoire ne la suive

Entrée à 20 ans dans l’armée, elle fait désormais partie des 14 % de femmes dans la marine.

Il y a tout juste un an, cette quartier-maître de première classe a subi, de la part d’un collègue plus gradé, ce qu’elle a considéré – et considère toujours – comme une agression sexuelle.

Si elle a porté plainte, elle n’a pas signalé ces faits à Thémis. Et pour cause : elle n’avait jamais entendu parler de la cellule, trois ans après sa création. L’officier marinier en question a été condamné pour harcèlement sexuel par la chambre militaire du tribunal de Rennes le 20 mars 2018.

Après l’audience, Julia a accepté de témoigner, en gardant l’anonymat. À la façon des militaires sur Paye ton treillis, un Tumblr recensant des témoignages de sexisme, racisme, homophobie et transphobie dans les armées.

Julia craint que cette histoire ne la suive. Non sans raison. « Je ne veux pas être pessimiste, mais il ne faut pas rêver », signale Me Élodie Tuaillon-Hibon, avocate au barreau de Paris, spécialisée en droit du travail, qui a défendu Julia avec Me Pauline Picarda.

« Les dossiers de ces femmes les suivent. »

Il lui saisit la tête et mime une fellation

Les faits dont Julia a été victime se sont déroulés le 25 avril 2017. Ce jour-là, elle empaquette des colis dans un local de l’armée, un second maître à ses côtés. Entre un deuxième camarade, venu ragaillardir ses troupes :

« Est-ce que tu veux te faire prendre ? »

Julia est la seule femme du bureau. Elle n’écoute pas. Jusqu’à ce que le premier homme saisisse sa tête pour mimer une fellation en riant.

Julia le repousse et se réfugie dans les vestiaires, attendant que la journée se termine.

« Je partais le lendemain en vacances. Je me disais que ce serait bon quand j’allais rentrer. J’en ai parlé à mon entourage. On me disait ‘ah ouais, c’est chaud’, mais personne ne m’indiquait vraiment que c’était grave. Je m’étais débattue. Pour moi, j’avais bien géré la chose.

Quelques jours après, je me suis dit : mais pourquoi je dis ça alors que je souffre ? Je n’ai pas compris tout de suite à quel point je me sentais mal. »

Julia se questionne sur l’ambiance au boulot, ternie par les sous-entendus et les blagues de cul. « Tous les jours, j’en avais une », raconte-t-elle.

Elle s’en ouvre à la femme d’un collègue, qui travaille dans un autre service de la marine.

« Elle m’a bien fait comprendre qu’il y avait un gros souci, que ce n’était pas une ambiance de travail. Mais moi, j’étais dedans depuis trois ans, je ne connaissais que ça, c’était devenu carrément normal. »

« J’aimerais bien qu’on me suce »

A son retour de congés, Julia réintègre son bureau qu’elle partage avec six personnes, dont ce second maître.

« Lui était toujours là, assis face à moi. Et il a recommencé avec ses blagues de cul. Sa phrase préférée, c’était : ‘j’aimerais bien qu’on me suce’. Il disait ça tous les matins. Là, il l’a redite et j’ai pété les plombs. J’ai dit à mon chef que je ne voulais plus le voir et que je voulais porter plainte. »

Julia est entendue par les gendarmes maritimes. Elle souhaite porter plainte pour agression sexuelle.

« Mais pour eux, c’était du harcèlement sexuel. On s’est un peu pris la tête sur ça. Ils ont choisi à ma place, je n’ai pas apprécié. Le soir même, j’étais en arrêt. Mon commandant m’avait dit de ne pas revenir. »

Le collègue visé par la plainte écope de 20 jours d’arrêt avec sursis et est muté sur une autre base.

Julia revient deux semaines après, mais pas pour très longtemps.

« Cette histoire a créé des clans et des changements d’attitude. Comme c’est une petite unité, on se faisait la bise pour dire bonjour. Après ça, je n’y avais plus droit. Un matin, par réflexe, j’allais faire la bise à un collègue et il s’est reculé.

J’entendais aussi parler dans mon dos. Ça m’a un peu bloquée, alors je suis repartie en arrêt pour trois semaines. »

Pas assez pour faire taire les bruits de couloir.

« Quand je marchais dans la base, des gens que je ne connaissais pas venaient me voir pour savoir comment ça allait. Il y avait des clans pour moi et d’autres pour lui. Un matin, mon commandant a réuni toute l’unité et a mis le holà en disant qu’il ne voulait plus nous entendre en parler. »

Quand arrive le jour de l’audience, le 20 mars 2018, Julia ne dit rien à personne.

« Même pas à mon commandant. J’ai posé une journée et je suis allée au procès. »

L’affaire est jugée dans une petite salle, parmi le lot habituel de désertions. Julia suit les débats au premier rang, à un mètre de son ancien collègue, qu’elle avait formé à son arrivée en poste.

Agression ou harcèlement sexuel ?

Pour Julia, il n’y a pas de doute, ce qu’elle a vécu est une agression sexuelle. Mais c’est bien pour harcèlement sexuel aggravé que le marin a comparu devant la chambre militaire.

Pour lui, il ne s’agit toujours que d’une blague. Une « très mauvaise blague », a concédé le marin, la voix toute chevrotante face à Véronique Lanneau, la présidente. Une « blague » sortie dans une « ambiance de mecs ». « Je ne suis pas un agresseur, a-t-il plaidé. Je suis un blagueur. »

Le jeune homme, pâlot, penaud, s’est interrogé sur ses plaisanteries :

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