En matière de réforme, il a toujours été urgent d’attendre… l’urgence. La charge de cavalerie actuelle au sujet des retraites va en irriter plus d’un et ne pas satisfaire les autres, et le pouvoir risque d’y laisser son plumage lors des prochaines échéances électorales. Pour ceux qui aiment la politique et ses cheminements tortueux, les mois qui vont suivre seront passionnants.
Mais tout ce battage occulte une autre grande réforme majeure, ou présentée comme telle en son temps, celle du statut général des militaires. Il faut reconnaître que la commission de révision du statut (CRSGM) travaille d’une manière particulièrement discrète, et que nous risquons fort de ne découvrir le résultat de ses cogitations que vers le mois de juillet, c’est à dire au moment où les esprits sont partiellement occupés ailleurs.
Sauf à se désintéresser du contrat qui va soumettre la plupart des militaires au bon vouloir de leur haute hiérarchie pour les trente prochaines années, il faut être vigilant, et particulièrement réactif, si besoin est.
En dépit d’une discrétion inquiétante, que savons-nous déjà, et que pouvons-nous prévoir de cette réforme ?
Pour la partie connue, il suffit de faire retour en arrière. La commission a été installée par la ministre de la défense le 5 février dernier (Cf. article de l’ADEFDROMIL : Statut des militaires : vers une réforme temporaire ?). A cette occasion MAM a rappelé le problème essentiel du décalage « évolutionnaire » entre la société civile et la collectivité militaire, et une probable implication de cette divergence dans les difficultés de recrutement, présentes et à venir.
La ministre a aussi tenu a fixer les limites de la réflexion, déjà dessinées par le président de la république lors de la cérémonie des voeux : le cadre intangible. Elle a dévoilé les quatre grands axes abordés par l’étude : droits civils et politiques, garanties et protection, concertation, gestion des ressources.
Dans plusieurs occasions, par écrit ou sur les ondes, la ministre a pu donner son sentiment sur les directions à prendre et les buts à atteindre.
Mais pour faire oeuvre de prédiction, l’effort de mémoire doit remonter un peu plus loin dans le temps.
Le président de cette commission a clairement laisser entendre que la réflexion était déjà largement entamée, sinon bouclée, par les états majors depuis octobre dernier. A un journaliste qui lui demandait s’il comptait s’informer auprès des militaires concernés par les décisions qu’il allait prendre, monsieur Renaud Denoix de Saint Marc, ci devant vice président du Conseil d’Etat, a déclaré qu’il n’était pas intéressé par ce genre de « gesticulation ».
Poursuivant une sincérité pleine de spontanéité, le président a exprimé sa confiance absolue dans l’attention que portent les états-majors et directions, les inspecteurs généraux à la base des troupes. On peut difficilement faire preuve de plus de franchise dans l’énoncé de la méthode. Mais cette candeur reste très contre productive en matière de communication interne, et pas très rassurante pour la suite…
Car hélas, c’est bien à une « gesticulation » de cet ordre que s’étaient livrés deux députés, messieurs Charles COVA (RPR) et Bernard GRASSET (PS), il y a maintenant trois ans. Nos deux honorables parlementaires, déjà très au fait de la chose militaire, s’étaient littéralement immergés dans les troupes et au cours d’un périple considérable, en France comme à l’étranger.
Le résultat de ce travail fut remarquable et présenté en juin 2000 sous la forme d’un rapport d’information sur les actions destinées à renforcer le lien entre la Nation et son Armée.
Si monsieur Renaud Denoix de Saint Marc ne devait retenir que deux choses de ce rapport, se serait l’annonce prémonitoire du mouvement d’humeur des gendarmes avec plus de dix huit mois d’avance, et la proposition de nomination d’un médiateur de la république chargé de défendre les militaires contre les abus de leur hiérarchie.
On connaît parfaitement ce qu’il est advenu de la prophétie, on sait moins les raisons qui anéantirent la proposition d’un médiateur, et firent préférer la mise en place de la commission des recours de militaires, dont on mesure chaque jour un peu plus toute la vacuité.
C’est monsieur COVA lui-même qui vient de dénoncer les torpilleurs du projet, tout à fait récemment et lors d’une discussion relative à une enquête parlementaire (Cf. ADEFDROMIL : SERVICE DE SANTE DES ARMEES : un député à l’attaque, un autre à la rescousse). « Le principe du médiateur n’a pas été retenu parce que les inspecteurs généraux des armées s’y sont opposés ». Circulez, il n’y a plus rien à voir !
La démonstration du pouvoir des inspecteurs généraux peut quand même nous interpeller, et alerter les civils qui servent de caution à l’ouverture de la commission sur le monde extérieur.
D’une part, car on voit mal comment ces conseillers occultes lâcheront aujourd’hui ce qu’ils ont refusé de céder hier, et d’autre part parce que les leviers qu’ils emploient sont d’une nature plus que suspecte. En effet, comment expliquer autrement qu’un quarteron d’officiers généraux puissent faire échec à une volonté parlementaire consensuelle et parfaitement argumentée ?
Entre un président qui ne veut pas en connaître et des conseillers qui ne veulent pas en entendre parler, l’évolution conserve toutes ses chances de naufrage.
En dehors de ce qu’a dit ou laissé entendre la ministre, et du contenu de ce premier rapport exhaustif, l’avenir du statut général des militaires est forcément inscrit dans le document de synthèse rédigé par le contrôleur BONARDO, en date du 13 février 2002.
Ce pavé indigeste de 195 pages, abondamment argumenté, réussi l’exploit de faire coexister la totalité des propositions et contre propositions de tout ce qu’il est souhaitable, ou non souhaitable de faire évoluer, sur chacun des articles du statut général des militaires.
L’auteur, qui fait preuve ainsi d’une parfaite érudition, a tenu à éclairer constamment ses démarches diagnostique, pronostique et thérapeutique à la lumière des feux de l’Histoire. Le résultat ne manque pas d’intérêt, mais on regrettera que certains moments pénibles d’un antan révolu pèsent encore aussi lourdement sur la collectivité militaire.
S’agissant d’une réforme sensée rattraper un retard que personne ne conteste, se prévalant d’une ambition prospective, elle ne pourra avancer les yeux rivés sur d’antiques accidents de parcours, et les pieds entravés de toutes les chaînes hérités du passé.
Il est possible de compléter ces deux grands rapports (BONARDO et COVA-GRASSET), par la lecture des comptes rendus d’audition des représentants d’associations d’anciens combattants devant la commission de la défense nationale et des forces armées. A l’occasion de l’étude de la loi de programmation militaire, certaines de ces associations montrèrent une forte attente de libéralisation des processus associatifs vis à vis des militaires, passant notamment par la réforme de l’article 10 du statut.
Par ailleurs et en juin 2001, la Fédération des Officiers de Réserve Républicains et le club de réflexion « démocraties » dont le président est un général du cadre de réserve ont rédigé une plateforme commune en vue d’une modification en ce sens du statut général des militaires, proposition contresignée par les grandes centrales syndicales.
Enfin, et plus récemment, un débat passionnant sur le forum général de « la Saint-Cyrienne » nous apprenait que l’institution en était encore à la pêche aux idées fin avril. Elles n’ont pas manqué, mais paraissent assez significatives d’un état d’esprit « immobiliste » au sein de l’encadrement de premier niveau.
Voilà donc pour l’essentiel des éléments accessibles, procédons au périlleux exercice divinatoire sur les quatre axes définis plus haut.
1.- L’exercice des droits civils et politiques.
Un mien ami, philosophe et passablement cynique, dit qu’il faut savoir céder sur les points de détails, même quand on a raison, pour rester intransigeant sur les points importants, surtout quand on a tord.
Partant du principe qu’il faut lâcher du lest, si possible dans des domaines d’apparence majeure, mais facilement maîtrisables, l’exercice des droits politiques sera très vraisemblablement totalement libéré.
D’une part chacun s’accorde à dire que les militaires intéressés par la politique sont déjà impliqués, localement ou à l’échelon plus national, et que la libéralisation n’aura que le mérite de clarifier les situations ambiguës. D’autre part, le pourcentage de citoyens inscrits dans un parti politique reste ridiculement bas. On s’accorde à penser que, exit l’effet de mode, celui des militaires « militants » devrait rejoindre le niveau commun.
L’évolution concernerait surtout la possibilité d’exercer un mandat électif local, ou locorégional, tout en poursuivant son métier de militaire. Le placement en service détaché ne serait donc plus systématique dans un tel cas.
Mais les droits civils, quant à eux, risquent fort de demeurer longtemps réservés aux seuls civils. De fortes résistances s’opposent en effet à toute modification des restrictions apportées par le statut à l’exercice des libertés d’expression et d’association (articles 7 et 10).
Au fil du temps, nous avons eu vent de l’attitude particulièrement inflexible de monsieur Renaud Denoix de Saint Marc qui menacerait de son veto (!) toute proposition visant à modifier l’article 10. Comme quoi on trouve toujours plus militaire que soit.
Or c’est bien cet article 10, et surtout l’usage discrétionnaire abusif qui en est fait, qui interdit toute jouissance réelle de droits fondamentaux, accessoirement garantis par la constitution, la convention des droits de l’homme, et en dehors de tout alibi sérieux de sûreté nationale (Cf. ADEFDROMIL : Note du préfet MARLAND).
Cette position, pour intenable qu’elle soit sur le long terme, restera donc une pierre d’achoppement transitoire, non seulement vis à vis des professionnels de l’armée française, mais aussi face aux nombreux pays européens qui prônent une liberté totale pour le « citoyen en uniforme » (Cf. le site d’EUROMIL).
On ne sait pas ce qu’en pense l’amiral BEREAU, vice président de la commission et ancien directeur du personnel de la marine. Il est fort à parier que cet officier général de qualité, qui courut en son temps les popottes (pardon, les carrés) pour tirer le signal d’alarme sur l’appauvrissement des candidatures, mesure pleinement les effets attractifs d’un métier qui prétend pouvoir associer une disponibilité sans faille à une liberté tronquée.
La CRSGM devrait donc se faire particulièrement discrète dans ce domaine « réservé », ou bien proposer des évolutions alambiquées, entravées de complications parasites. Dans l’optique de couper l’herbe sous les pieds des associations de personnel d’active de nature « syndicale » et de diluer le mécontentement, elle pourrait offrir d’autoriser les militaires d’active à adhérer aux associations d’anciens combattants.
2.- Les « garanties » : règles d’imputabilité des accidents en service et « cumul » des sanctions.
Nous avons déjà largement soulevé le durcissement institutionnel des conditions d’accès à la réparation des dommages physiques résultants d’accidents jugés autrefois comme « naturellement » imputables au service.
Nous avons attiré l’attention sur le fait qu’il convient désormais de bien vérifier le régime de protection applicable à chaque cas d’espèce avant d’accepter une mission sans réserve (notamment si elle inclut un trajet en véhicule personnel), ou une séance de sport (est-elle programmée, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’enceinte militaire, sous le contrôle d’une autorité militaire ou d’un club).
En cas d’accident, le blessé doit toujours exiger que la transcription des faits soit rigoureuse sur la cause, la nature et le lieu de la blessure, et l’intervention d’un « élément extérieur soudain » générateur du dommage.
Cet enseignement nous vient malheureusement de l’étude des dossiers de nombreux camarades qui découvrent après qu’ils n’étaient qu’imparfaitement protégés, voire pas du tout, ou que le « rapport circonstancié », quand il existe, permet toutes les interprétations défavorables.
Est-il besoin de soulever qu’on vit plus difficilement avec les deux cinquièmes de sa solde (sans les primes !) qu’avec la totalité ? Et qu’il est plus difficile de trouver du travail quand on présente un certain degré d’invalidité.
Pour éviter toute surprise désagréable, vous avez pu contracter une assurance auprès de ces organismes mutualistes « militaires » qui hantent l’intérieur des casernes, notamment au moment des incorporations. Là encore, attention aux certitudes et vérifiez bien les clauses avant de signer. Et sachez que les mots courants n’ont plus du tout la même signification une fois qu’ils ont été triturés par les experts de vos mutuelles.
Ainsi, demandez leur de vous décliner les caractéristiques « assurancielles » du mot « accident ».
Il est donc vital de clarifier la situation pour pouvoir retrouver un esprit serein.
La multitude des décisions judiciaires invalidant les positions surprenantes et dogmatiques des commissions de réforme pension témoigne du peu de souci de « protéger » le militaire.
Le code des pensions militaires d’invalidité, dans une partie intégrée au nouveau SGM, pourrait se mettre en harmonie avec les nouvelles conditions d’exercice du métier. De surcroît, la réparation du préjudice pourrait aussi tendre vers l’intégralité, par la prise en compte d’un certain nombre d’éléments exclus jusqu’à présent par le principe de réparation forfaitaire.
Par ailleurs, nombre de militaires sont exposés à des nuisances du fait de leur travail. Ces nocivités induisent des pathologies dont la survenue reste insidieuse sans que les conditions soient extrêmes, et sans qu’ils pensent à aller consulter quand une gêne apparaît.
Le personnel étant réputé disponible en permanence, et travaillant parfois dans des situations précaires, la dose de nuisance reçue (durée multipliée par l’intensité, augmentée de l’absence de protection) est parfois supérieure à ce que l’on rencontre dans le civil pour des activités comparables (calculée pour 8 heures d’exposition journalière et 5 jours sur 7).
Pourtant, à la différence du civil, une pathologie manifestement induite par le travail ne sera pas prise en compte en raison de l’absence de fait précis de service. L’ADEFDROMIL a pu ainsi avoir connaissance d’une affaire concernant un parachutiste, perclus de rhumatismes et couturé de cicatrices, débouté en première instance par la commission des pensions au motif que les sauts vulnérants faisaient partie des conditions normales de service. Le tribunal n’a heureusement pas suivi cette manière originale de voir.
Le bénéfice de présomption d’origine pourrait être appliqué aux militaires dès qu’ils présentent une pathologie professionnelle compatible avec la nuisance connu de l’activité exercée et la durée d’exposition cumulée (tableau des maladies professionnelles).
La jurisprudence qui se fait jour, relative à l’amiante, substance à laquelle certains marins ont été exposés peu ou prou, 24 heures par jour et 7 jours sur 7, devrait accélérer le processus.
Ce n’est que justice et pour reprendre l’interrogation du rapport BONARDO : « est-il normal que les hommes et les femmes qui assurent la défense de la Nation (…), bénéficient d’une moindre protection que celles et ceux qu’ils défendent ? »
Si les conditions et procédures d’indemnisation des aléas de la maladie et de l’accident en service sont perfectibles, la protection contre les sanctions abusives reste entièrement à organiser.
Les militaires partagent avec le monde pénitentiaire le triste privilège de certaines punitions disciplinaires. Mais à la différence des militaires, les taulards échappent au principe du cumul des sanctions.
Pour une même faute, ces derniers peuvent être sanctionnés pénalement, subir une punition disciplinaire, professionnelle et statutaire,… et même s’il est secondairement prouvé qu’il n’y a pas eu faute ! (Cf. ADEFDROMIL : pendant la révision les liquidations continuent). Ce n’est plus la « double peine », mais la triple ou quadruple.
En effet, un militaire innocenté par un juge à la suite d’une mise en cause pénale (excès de vitesse, suspicion d’un crime ou délit) peut parfaitement se voir poursuivi par ses chefs pour les mêmes motifs, et encourir une sanction disciplinaire, professionnelle et statutaire.
Non seulement le principe de présomption de culpabilité prévaut alors sur celui d’innocence, mais il survit abusivement à la démonstration de l’innocence. Comme le rappelle le règlement de discipline générale : l’action disciplinaire est indépendante de l’action pénale.
Nonobstant le caractère un peu méprisant pour un juge ainsi ravalé au rang de partenaire faillible, et le caractère irrespectueux vis à vis de la chose jugée, la victime de cette avalanche punitive inique n’a pratiquement aucun recours effectif. L’exercice de l’article 13 du RDGA et du contentieux administratif risquant fort de n’aboutir qu’après quelques années de chômage si une sanction statutaire a été prononcée.
L’évolution jurisprudentielle actuelle, grâce aux rares recours gagnés, oblige l’institution à améliorer le système, mais n’ayons pas trop d’illusion dans ce domaine. On a pu voir sur certains forums surréalistes des futurs officiers réclamant l’instauration de sanctions pécuniaires (des amendes quoi !). Que de telles idées puissent naître dans l’esprit de personnels destinés à commander prouve à la fois une certaine appréhension face à l’exercice du commandement, et l’inaptitude à l’exercer.
On frémit à l’idée que ces « chefs » aient pu être entendus par la CRSGM.
Un régime disciplinaire n’est valable que si les militaires mis en cause peuvent se défendre ou être défendus devant des instances indépendantes du pouvoir hiérarchique. C’est loin d’être le cas aujourd’hui, et celui qui introduit des recours contentieux et même « amiables » voit sa carrière définitivement anéantie tandis que progressent jusqu’aux plus hauts niveaux des autorités plusieurs fois convaincues d’abus de pouvoir en Conseil d’Etat.
Quant aux hommes de la troupe, on profite souvent de leur méconnaissance des droits et des procédures, quand on n’abuse pas tout simplement leur confiance.
L’offensive générale déclenchée contre l’ADEFDROMIL par le préfet MARLAND restera l’exemple même de réponse inadaptée aux succès obtenus dans la défense de militaires abusivement sanctionnés.
Cette offensive, tout comme la résistance victorieuse des inspecteurs généraux à la nomination d’un médiateur, montre que l’institution n’est pas prête à accepter la concurrence en matière de justice.
On peut cependant espérer que le nouveau statut tranchera le cordon ombilical pervers qui existe entre vie privée, ressortissant de la justice commune, et la faute en service qui relève des mesures disciplinaire d’ordre interne. Après tout, si un accident hors service n’entraîne aucune prise en charge institutionnelle, pourquoi un incident ou accident de parcours aurait-il droit à un traitement différent ?
3.- La concertation.
Le rôle exact des conseils de la fonction militaire (CFM) et du conseil supérieur (CSFM) est désormais transparent. Leur crédibilité s’est estompée au fur et à mesure qu’ont été déçus les espoirs qu’ils avaient fait naître.
Par ailleurs, certains CFM ont surtout démontré leur efficacité à obtenir des prébendes supplémentaires à destination des plus hauts grades de leur hiérarchie. L’étude des carrières fulgurantes de quelques secrétaires généraux serait hautement édifiante de l’ambiance régnant au sein de ces organismes.
Au fil du temps les délais de production de documents de travail aux conseillers se sont raccourcis. L’ordre du jour a pu changer sans avertissement. L’élection du secrétaire de séance était abandonnée dans l’indifférence générale, et la fonction prise en charge par un élément de soumission moins aléatoire. L’immunité parlementaire s’estompa et de rapides affectations outre-mer vinrent clairsemer les rangs des râleurs. Le secret des débats, sensé favoriser l’expression, a été conchié par des dénonciations occultes dont les effets perdurent au sein des dossiers personnels des intéressés, et sont même parfois discrètement retrouvés dans des notations à tacite reconduction.
Cet état de fait, parfaitement connu de tous, n’a jamais empêché quiconque de se prévaloir de ces instances de concertation « à la française », avec un cynisme ridicule et une constance affligeante.
Toute la difficulté « révisionniste » de la CRSGM va consister à augmenter la crédibilité des CFM-CSFM, sans en accroître ni le pouvoir décisionnaire, ni la légitimité représentative.
Il faut absolument que chaque conseiller ne représente que lui-même, et ne s’intéresse qu’à son propre avenir, tout en donnant l’illusion d’avoir une utilité, voire une efficacité, collective.
Le rapport COVA-GRASSET qualifiait déjà le mode de désignation par tirage au sort de « discutable ». Aveugle et équitable par principe, il s’est même révélé contournable par de petits malins qui exigeaient le volontariat de tout leur personnel pour être certain de décrocher des places (régiments et hôpitaux militaires dans leur CFM respectifs).
La CRSGM va donc très vraisemblablement être obligée de proposer une modification de ce mode de scrutin.
La proposition d’un tirage au sort ou d’une élection au sein d’un collège de grands électeurs est envisageable, les impétrants étant choisis parmi les présidents de catégorie.
Cette procédure pourra mettre en avant une « élection » indépendante du pouvoir hiérarchique se déroulant au sein de personnalités déjà reconnues par leurs pairs. Et l’on omettra, à cet effet, de rappeler que les chefs de corps jouissent d’un pouvoir de récusation lors du dépôt des candidatures de président de catégorie.
La légitimité du « conseiller » restera strictement dépendante de son affectation et de son grade, ce qui permettra toutes les manipulations pertinentes pour s’en débarrasser honorablement en cas de nécessité. Par exemple s’il passe de la réflexion consultative à l’esprit contestataire.
Soyons sérieux, en dehors d’une élection démocratique de candidats connus, porteurs de la confiance de leur pairs et soutenus, le cas échéant, par des associations représentatives de personnels d’active, de réserve ou de retraités, l’instance de concertation à la sauce française n’a aucun avenir durable.
Vouloir maîtriser à toute force le jeu concertatif dénonce par ailleurs de bien mauvaises intentions et la faiblesse des fameuses contreparties promises en équilibre des sujétions qui pèsent sur le citoyen en uniforme.
Où sont donc celles qui devaient compenser la chute du montant des soldes de retraites ?
4.- La gestion du personnel.
Cela n’a échappé à personne, les contrats d’engagements proposés aux jeunes français en palliatif de la disparition du service militaire sont de véritables « kleenex ».
Conclu pour de courtes durées, leur renouvellement n’est pas assuré et la moindre incartade se traduit par une résiliation dans des conditions dont l’inhumanité ferait bondir n’importe quelle juridiction prud’homale. Devant ce mépris, le volontaire lui-même quitte souvent l’institution en claquant la porte dès qu’il découvre un horizon professionnel plus stable.
Cela tient d’ailleurs plus au déficit de considération qu’éprouvent les autorités de premier niveau pour une ressource de mauvaise réputation, que d’une volonté initiale de ne pas permettre à ces candidatures de perdurer dans un système en perturbant les autres carrières.
Les engagements plus durables souffrent parfois du même sentiment de précarité, même si l’embelli économique de la fin du siècle précédent avait considérablement restreint les volontariats et imposé un renouvellement plus systématique des contrat en cours.
Toute dégradation de la situation générale du travail produira des effets inverses et aggravera la fragilité de ce genre de CDD exorbitant du droit commun.
La commission proposera donc l’uniformisation des clauses contractuelles pour éviter que certaines armées n’attirent l’essentiel de la ressource disponible, et l’amélioration des garanties de reconduction pour maintenir l’attractivité générale. On parle de faciliter plus précocement l’accès à la carrière, et de dépoussiérer ainsi des textes de 1928. Ce ne serait que justice.
Le problème est diamétralement opposé en ce qui concerne les métiers facilement reconvertibles, pour lesquels la demande se renforce en secteur civil du fait d’une pénurie, et qui ne sont le plus souvent accessibles qu’à l’issue d’études longues ou très longue (4 à 12 ans).
Là, il ne s’agit plus de garantir l’emploi, mais de colmater la brèche. Une grande partie des nouvelles mesures relatives aux retraites des militaires n’a déjà pas d’autre objectif. Réduire au maximum le taux de pension à 15 et 25 ans de service peut déjà faire diminuer le nombre des candidats au départ.
Pour ces derniers, la commission risque fort d’introduire des mesures coercitives. Une non prise en compte des études (y compris menées sous régime militaire comme les grandes écoles ou les écoles du service de santé de armées) reportera les 15 ou 25 ans de services « effectifs » aux alentours des 45 /55 ans, âges où les velléités de reconversion et d’aventures sont moins prégnantes.
Ce lourd bâton pouvant s’avérer contre productif en matière de recrutement, la carotte consistera à revoir les fins de carrière en permettant l’accès automatique à des indices de soldes satisfaisants.
Les « bruits de coursives » comme les prises de positions annoncent que les limites d’âge seront largement augmentées. Ne serait-ce que pour permettre d’envisager une retraite acceptable, ou surtout pour pallier une pénurie dramatique (médecins notamment). Ces dispositions ne seront bien évidemment applicables que pour des spécialités sédentarisables, ou par éventuelle deuxième carrière plus administrative que combattante.
Quoiqu’il en soit, 65 ans paraissent être une limite plus que raisonnable. Il faut cependant espérer que, dans ces conditions, l’élitisme qui présida malheureusement à des avancements éclairs pour des motifs parfois fumeux, ne vienne soumettre des papys respectables et insubordonnés à des chefs de corps trop jeunes et peu diplomates.
Gageons cependant que la perspective de conserver des personnels ingouvernables jusqu’à cette limite d’âge élevée va effrayer considérablement les gestionnaires. La commission pourrait proposer des leviers d’évictions, manoeuvrables d’office pour les indésirables, mais qui devront, sous peine de contentieux inépuisables, apporter une compensation valable.
Le dilemme est que l’incitation au départ dans ces conditions doit être suffisamment forte pour éliminer les « encombrants », sans provoquer la fuite des autres. Notons que le fameux « conditionnalat » n’est plus applicable pour cause de pratique illégale.
Au total
Il n’est pas vraiment réalisable de passer en revue la totalité des éléments du statut, susceptibles d’être modifiés. Les quatre axes évoqués constituent néanmoins l’essentiel des points à fort potentiel évolutif.
Signalons, pour conclure sur une note pleine d’humour, ce message récupéré sur le forum de la Saint-Cyrienne. Il dénote, à l’évidence, une bien curieuse procédure de concertation au plus haut niveau, et avec des gens maîtrisant bien leur dossier.
Auteur : XXXX (62.39.215.—)
Date: 25/04/2003 22:13
J’ai appris le 23 avril que je devais exprimer mes propositions relatives à la réforme du statut des militaires, le 12 mai prochain au Vice-président du Conseil d’Etat, chargé de mener cette refondation. Passant auparavant par l’EMAT le 6 mai, je lance un appel à ceux qui accepteraient de me donner leurs avis et propositions qui contribueront à alimenter ma réflexion.
A suivre