— Audition de M. Jean-Yves Le Gall, président du CNES.

Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 4 avril 2018

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 60

Présidence de M. Jean-Jacques Bridey, président

— Audition de M. Jean-Yves Le Gall, président du CNES.

La séance est ouverte à seize heures trente.

M. le président Jean-Jacques Bridey. Nous poursuivons notre cycle d’auditions consacrées à l’espace avec l’audition – quelque peu différée, du fait de l’examen du projet de loi de programmation militaire – de M. Jean-Yves Le Gall, président du centre national d’études spatiales (CNES). Elle fait suite à l’audition du général Jean-Pascal Breton, commandant interarmées de l’espace, le 20 décembre 2017, et à l’audition de M. Alain Charmeau, président d’ArianeGroup, le 20 février dernier. L’espace est d’ailleurs un thème de la prochaine loi de programmation militaire que nous avons abondamment discuté et qui a fait l’objet de nombreux amendements. Nous sommes donc très au fait des enjeux liés à l’espace, et en particulier celui des débris spatiaux.

M. Jean-Yves Le Gall, président du CNES. Quatre volets me semblent devoir être abordés : le premier concerne l’architecture des programmes spatiaux de défense ; le deuxième, les questions relatives à la recherche ; le troisième, la surveillance de l’espace et enfin, le dernier concerne la loi de programmation militaire et le CNES.

Tout d’abord, s’agissant de l’architecture, je crois nécessaire de commencer par rappeler quelle est la place du CNES dans l’architecture générale de l’espace français et européen. Créé en 1961, le CNES est chargé de proposer une politique spatiale au Gouvernement et de la mettre en œuvre. Il gère un budget de près de 2,5 milliards d’euros : 2,438 milliards en 2018, pour être précis. C’est à l’initiative du CNES que l’Europe spatiale s’est construite, par étapes successives. Tout d’abord, l’Agence spatiale européenne, avec ses États membres, a fait de l’Europe une grande puissance spatiale. Puis l’Union européenne a pris un rôle croissant avec deux programmes emblématiques, Galileo et Copernicus. Grâce à ces étapes, l’Europe est la deuxième puissance spatiale mondiale aujourd’hui. Dans ce contexte, le CNES promeut les intérêts scientifiques, technologiques, industriels et diplomatiques de la France, tout d’abord au sein de l’Agence spatiale européenne mais aussi auprès des institutions européennes (Commission, Parlement, etc.) et des autres agences et organismes spatiaux nationaux en Europe.

Près de la moitié de notre budget va à l’Agence spatiale européenne. L’autre moitié est majoritairement employée dans un cadre de coopération ce qui conduit à le nommer le budget multilatéral. Une partie spécifique est plus nettement consacrée à la défense.

Dans le domaine militaire, le CNES est impliqué dans la conduite des programmes et la préparation du futur. L’expertise de nos ingénieurs et le succès de nos programmes ont conduit la défense à déléguer au CNES – il y a déjà de nombreuses années, puisque c’est le ministre André Giraud qui a pris cette décision en 1986 – la maîtrise d’ouvrage des segments spatiaux des programmes d’observation optique. C’est donc le CNES qui a assuré cette mission pour les programmes Hélios 1 et 2 (1994 à 2009) et ses successeurs CSO (Composante Spatiale Optique) en s’appuyant sur les technologies et les industriels utilisés pour la filière SPOT (Satellite Probatoire pour l’Observation de la Terre). En parallèle, le CNES a développé, sur ses crédits de recherche duale, retracés sur le programme 191, un programme dual innovant d’observation optique, la constellation Pléiades. Ainsi, la défense bénéficie de la priorité de programmation sur ces satellites Pléiades (lancés en 2011 et 2012). Pour ce qui est des programmes de télécommunications et de renseignement électromagnétique (ROEM), la direction générale de l’armement (DGA) en a conservé la maîtrise d’ouvrage mais elle a formé, avec le CNES, des équipes de programme intégrées. Celles-ci suivent le déroulement du programme et bénéficient des compétences des ingénieurs du CNES.

De la même façon que pour les satellites Pléiades pour l’observation de la Terre, le CNES a été à l’initiative d’un programme dual de télécommunications, Athena Fidus (lancé en 2012) développé par les agences spatiales et les ministères de la Défense français et italien au profit des services de défense et de sécurité des deux pays.

En même temps que le CNES et la DGA conduisent les programmes, ils préparent les technologies pour les satellites de la génération suivante. Les technologies spatiales étant duales et les investissements sur les projets contribuant à renforcer le tissu industriel, ces travaux s’intègrent parfaitement dans la démarche du CoSpace, mis en place en 2013 par les ministres de la Défense, de l’Économie et de la Recherche. Concrètement, nous avons mis en place au sein du CNES une équipe défense dédiée à ces sujets. Dans ce cadre, le CNES travaille avec l’état-major des armées (EMA) sur le programme d’observation de la Terre CO3D et sur les futurs satellites de télécommunications sécurisées, Syracuse 4. La contribution au spatial de la défense est donc totalement intégrée aux activités du CNES, que le CNES intervienne à titre délégué ou dans le cadre de programmes duaux, comme les satellites Pléiades.

Dans ce propos sur l’architecture, je voudrais dire quelques mots de la nouvelle répartition des tâches entre le CNES et l’industrie. Les modalités d’intervention du CNES et la répartition des tâches avec l’industrie sont en effet très variées. Pour CSO, par exemple, dont le premier exemplaire sera lancé avant la fin de l’année, le CNES intervient de façon très poussée dans le cadre d’une délégation de maîtrise d’ouvrage et de maîtrise d’œuvre, centre de contrôle, chaîne image et programmation. Dans le cas de CERES (Capacité de Renseignement Electromagnétique Spatiale), le CNES est positionné en assistance à maîtrise d’ouvrage, plus spécialement sur les interfaces lanceur et a la responsabilité des centres de contrôle mission et opérations. Et dans le cas de Syracuse 4, le CNES intervient dans une équipe intégrée entre le CNES et la DGA.

Au-delà de ces modes d’intervention historiques, un peu classiques, le CNES renforce aussi son intervention pour l’accompagnement de start-up et PME innovantes. C’est un enjeu qui nous paraît extrêmement important parce que dans des domaines qui sont moins liés au militaire, les PME et les start-up développent des systèmes qui, sans être aussi performants que ceux que nous développons dans le cadre classique, ont des capacités très intéressantes mais avec des coûts bien inférieurs. Globalement, les industriels français ont acquis une maturité et une autonomie évidentes. La répartition des tâches peut donc être plus souple et variée avec un CNES plus focalisé sur l’innovation, sur le moyen-long terme (R&T, démonstrateurs) et sur les « premières » (innovation scientifique, en particulier). Ainsi, de son côté, l’industrie peut davantage s’orienter sur les marchés plus récurrents, la compétitivité et le montage des projets commerciaux.

La contribution du CNES est donc tout à fait importante – qu’il s’agisse de l’architecture du spatial français et européen, du spatial de défense ou des relations avec l’industrie – mais cette contribution s’adapte de manière dynamique. Nous évoluons en fonction des demandes, de la maturité des acteurs qui va en s’affirmant et aussi en fonction des mutations de notre environnement, notamment du côté des start-up et des PME. Nous nous intéressons à ce nouvel écosystème afin que l’effort de défense en bénéficie.

J’en viens aux questions relatives à la recherche de défense, qui constituent le second volet de mon intervention. Celle-ci est gérée par la DGA sur le programme 144. Les grands axes de recherche duale sont décidés en coordination avec le ministère des Armées et les crédits sont utilisés en étroite coordination avec la DGA qui est pilote du programme 191. Notre souci permanent est la cohérence et la complémentarité des recherches.

Je veux insister sur les recherches de rupture. La démarche d’innovation que nous avons mise en place vise à soutenir l’émergence et le développement des acteurs en rupture dans toutes les strates de l’écosystème. L’espace ne doit pas être considéré comme un secteur clos et isolé mais comme un secteur économique qui s’insère dans l’écosystème général. Il peut donc trouver son inspiration pour des innovations de rupture dans des domaines autres que le sien. C’est pour cela que nous mettons en place des communautés d’experts, dans une démarche d’« open innovation », comme on dit, qui permet d’animer un dialogue autour de questionnements techniques transverses. Ce dialogue s’élargit désormais à des acteurs institutionnels, comme le CNRS ou l’Agence spatiale européenne et à des acteurs privés hors du secteur spatial, comme Renault.

En complément, le CNES a mis en place l’observatoire de prospective spatiale Space’ibles qui a organisé sa séance inaugurale le 8 novembre dernier et qui compte désormais 38 partenaires issus de tous les horizons. L’ouverture sur les autres secteurs se fait encore à travers les applications et les services aval. Dans ce cadre, le CNES a noué un partenariat avec la French Tech pour assurer une présence à Station F. Il s’agit d’être ouvert à toutes les ruptures, à tous les niveaux, car c’est ce qui crée l’essence même de ce qu’on appelle le NewSpace.

La dualité est l’une des caractéristiques du spatial. Nos moyens, nos technologies, voire nos satellites sont utilisés dans le cadre de missions civiles ou duales. Pour la R&T, ce principe de la dualité du spatial a conduit à la mise en place du programme LOLF 191, piloté par la DGA, et dont une partie est intégrée dans le budget du CNES. La part qui est consacrée à la R&T est orientée vers l’industrie sur des actions coordonnées avec la DGA et les armées.

La recherche est donc essentielle pour le secteur militaire. Elle doit être moderne, ouverte aux innovations de rupture, y compris celles qui ne proviennent pas du domaine spatial et duale afin que les bénéfices soient partagés entre le civil et le militaire.

Je voudrais maintenant dire un mot de la surveillance de l’espace. C’est un sujet dont on parle beaucoup alors que nos moyens sont sans doute plus limités que dans d’autres secteurs. C’est aussi un secteur sur lequel il y a des idées préconçues, voire des fantasmes. Ces derniers jours en ont donné une illustration tout à fait frappante. Je rappelle que la surveillance de l’espace couvre deux domaines : civil avec les aspects anticollision et surveillance des fragmentations, et militaire avec la connaissance de la situation spatiale. Or ces derniers jours, le monde entier, et la France en particulier, a vécu au rythme de la retombée de la station spatiale chinoise Tiangong-1, avec des contre-vérités patentes écrites dans les journaux. La station spatiale pouvait retomber à l’intérieur d’une bande comprise entre -42 degrés de latitude sud et +42 degrés de latitude nord, ce qui est extrêmement large. Dans le cas de la France, cela concernait la région de Perpignan et la Corse, zones qui représentaient à peine quelques millièmes de la surface totale de cette bande. Or dans les journaux, on a lu que la station allait retomber sur Perpignan ou sur la Corse !

M. Louis Aliot. On a eu peur, d’ailleurs ! (Sourires)

M. Christophe Lejeune. Selon un canal historique pour la Corse !

Mme Natalia Pouzyreff. Finalement, c’est tombé en Nouvelle-Zélande !

M. Jean-Yves Le Gall. C’est typiquement un exemple de situation dans laquelle les fantasmes prennent le dessus et où il faut avoir une capacité d’observation et de communication, disons, raisonnable. J’avoue que la façon dont cette station est retombée reste pour moi mystérieuse… Les Chinois nous affirmaient, depuis quatre ans, qu’ils avaient perdu le contrôle de la station. Pour leur rentrée dans l’atmosphère, tous les objets sous contrôle sont orientés vers le point dit « Nemo » dans le Pacifique sud, c’est-à-dire dans l’océan, loin de toute terre habitée. C’est là qu’on avait précipité la station Mir. Et aujourd’hui, on nous explique que cette station chinoise, théoriquement hors de contrôle, est tombée, comme par hasard au point Nemo ! La probabilité que cela arrive spontanément est d’environ 1 %. Nous avons lancé des investigations et nous saurons peut-être un jour de quoi il retourne. Mais je doute que seul le hasard ait contribué à cette chute appropriée ! Cela donne une idée de l’importance de la surveillance de l’espace et de l’intérêt stratégique qu’elle revêt pour un pays comme la France.

Je reviens sur les deux volets – le volet civil avec les aspects anticollision et le volet militaire avec la connaissance de la situation spatiale. Même si nos approches sont différentes, nos intérêts civils et militaires se rejoignent. Le CNES cherche en effet à assurer la sécurité des satellites qui lui sont confiés – et pour cela il doit connaître la position précise des autres satellites et des débris. L’approche des militaires est liée à leur besoin de connaître la position des satellites adverses. Nos relations avec les armées nous permettent de bénéficier des données des radars de l’armée de l’air et de la DGA, en particulier du radar de surveillance GRAVES qui offre à la France un certain niveau d’autonomie dans la connaissance de la situation spatiale. Le CNES s’est organisé pour avoir une capacité d’analyse permanente. Nous avons un centre d’orbitographie opérationnel (COO) à Toulouse. Nous avons le système d’analyse Caesar qui, sur la base des alertes détectées par les systèmes étrangers, notamment américains, ou par le radar GRAVES, assiste les opérateurs pour calculer et décider les manœuvres qui permettront d’atténuer le risque de collision. Nous travaillons main dans la main avec les militaires pour avoir une vision synthétique des trajectoires des objets, afin d’éviter les collisions de satellites civils et de savoir ce qui se passe. C’est dans ce cadre que nous avons suivi la manœuvre de Tiangong-1 et, de la même façon, nous nous assurons, par exemple lors d’un lancement d’Ariane, que le lanceur ne va pas se télescoper avec un satellite en orbite. Les moyens étant actuellement limités, nous conduisons une réflexion sur la mise en œuvre de nouveaux moyens dans un cadre européen. L’importance de ce sujet augmentera en effet nécessairement, en lien avec l’« arsenalisation » de l’espace. Cette dernière a deux impacts sur le CNES : elle nous oblige à avoir une bonne connaissance de la situation spatiale et nous pousse à renforcer nos compétences – déjà précieuses aujourd’hui – sur la résilience des moyens spatiaux.

L’enjeu de la surveillance de l’espace deviendra prégnant à l’avenir, sans doute plus qu’on ne l’imagine aujourd’hui. Vous avez certainement entendu parler des projets de « constellations » civiles : OneWeb – quelques centaines de satellites – mais aussi un autre qui vient d’annoncer qu’il avait obtenu les autorisations nécessaires pour un projet de quatre mille satellites ! Ce sont des projets d’une taille phénoménale. Je ne me prononcerai pas sur leur devenir mais l’honnêteté me force à dire que ces projets paraissent extrêmement ambitieux tant du point de vue technique que du point de vue du business model. À la différence d’un satellite géostationnaire, dont le coût est de plusieurs dizaines de millions d’euros (environ 150-200 millions d’euros) mais dont les opérateurs tirent assez rapidement des profits avant de lancer le suivant, il faudra mettre sur la table cinq à dix milliards de dollars d’entrée de jeu pour lancer ces constellations de satellites avant de commencer à récupérer le premier dollar. Cela a d’ailleurs tué les projets de constellations d’opérateurs de téléphonie. En outre, les constellations qui existent aujourd’hui comptent quelques dizaines de satellites ; passer à quelques centaines voire quelques milliers représente un saut technologique considérable. En tout état de cause, la surveillance de l’espace n’en sera que plus nécessaire. Il faudra savoir où sont ces satellites lorsqu’ils sont en fonctionnement, et en assurer le suivi lorsqu’ils ne le seront plus, car ce sont de potentiels débris spatiaux.

À présent, je voudrais aborder la loi de programmation militaire et trois programmes d’importance. Dans le domaine de l’observation optique, CSO est sur le point de prendre le relais des satellites Hélios. Trois satellites sont en fabrication et le premier sera prêt à la fin de cette année. CSO est la vitrine extraordinaire de ce que sait faire notre industrie. Ce sont des satellites de trois tonnes et demie, qui sont des merveilles de technologie et qui donneront des images d’un standard inégalé pendant les quinze à dix-huit prochaines années. Deuxième volet : CERES, l’observation électromagnétique. Trois satellites seront lancés par le lanceur Vega en 2019-2020. Puis, un peu plus tard, Syracuse 4 assurera la continuité des services de télécommunications sécurisées.

L’ensemble de ces trois volets – CSO, CERES et Syracuse 4 – contribue à placer notre pays au deuxième rang mondial en matière de spatial militaire, si on fait un rapport global entre quantité et qualité. Les Américains sont devant nous, c’est indéniable. Mais le budget du CNES est de 2,5 milliards d’euros tandis que la NASA dispose de 20,7 milliards de dollars et que son budget a augmenté l’an passé d’un montant équivalent à la moitié de celui du CNES après qu’il a déjà augmenté, l’année précédente, d’un montant équivalent à la totalité de notre budget ! Il faut ajouter à cela un budget identique pour le département de la Défense, ce qui fait donc près de quarante milliards de dollars, plus entre dix et quinze milliards de dollars pour ce qu’on appelle les Black Projects, à la discrétion du président des États-Unis. Avec un budget très inférieur, notre nation a toutefois accès à trois volets : le volet optique – sans lequel il n’y aurait pas d’opérations extérieures –, l’écoute électromagnétique – CERES va nous offrir une capacité d’une acuité hors normes dans ce domaine – et les télécommunications sécurisées. Pour poursuivre la comparaison au-delà des États-Unis, il faut dire que la Russie et la Chine ont des programmes spatiaux qui n’ont pas notre niveau technologique. Le Japon a un programme spatial lui aussi un peu inférieur au nôtre. En somme, grâce à la qualité de notre industrie et de notre R&T, nous aurons à horizon de trois ou quatre ans une capacité tout à fait remarquable, avec l’arrivée de systèmes totalement nouveaux.

Concernant toujours les programmes, le projet de loi de programmation militaire adopté en première lecture par votre assemblée prévoit un accroissement bienvenu des crédits de recherche, dont il faut se féliciter car ces crédits préparent l’avenir. Le CNES espère que cette augmentation permettra de financer des projets de recherche et des démonstrateurs dans divers champs de technologies spatiales spécifiques, comme l’alerte avancée, les moyens d’observation de l’espace ou les très grands miroirs d’observation optique à haute résolution. Il est aussi souhaitable qu’en parallèle de l’effort budgétaire consenti dans le domaine militaire, soient consolidés les crédits du programme 191, qui financent les programmes duaux du CNES.

J’en viens aux enjeux de souveraineté et d’autonomie dans le domaine spatial, et donc de maintien des compétences industrielles. Le repli des opérateurs commerciaux de télécommunications est à cet égard préoccupant. En effet, les fabricants de satellites sont en quelque sorte victimes de leur succès : un satellite lancé en 2020 remplace entre vingt à vingt-cinq satellites datant de 2010, ce qui réduit d’autant les besoins des opérateurs en matière de lancement de satellites, et ce, à un point préoccupant pour le plan de charge de notre industrie. Le CNES s’emploie donc à trouver les moyens de permettre à notre industrie de tenir son rang, par un effort accru en matière de recherche et technologie ou par la promotion des solutions satellitaires pour certains équipements. Tel est le cas, par exemple, pour la couverture téléphonique des « zones blanches » du réseau téléphonique : par rapport à d’autres options technologiques, le recours à un satellite pour couvrir l’essentiel des zones blanches a l’avantage d’alimenter le plan de charge l’industrie française.

Concernant l’observation de la Terre, les programmes Hélios et Pléiades ont donné une longueur d’avance à nos armées en opérations extérieures, et l’industrie spatiale française est l’une des rares à proposer des satellites d’observation à l’exportation. Elle a commencé par un programme modeste au Vietnam, puis en vendant un satellite de taille moyenne au Pérou, pour conclure dernièrement le contrat de vente de la « Rolls » de l’observation, Falcon Eye, aux Émirats arabes unis. L’exportation contribue ainsi à entretenir notre tissu industriel et, de ce fait, à consolider l’autonomie nationale.

Pour conclure, le CNES joue un rôle incontournable dans le secteur spatial militaire, lequel suppose un effort constant de recherche et d’innovation, ne serait-ce que pour que la France évite de se faire doubler, avec un accent particulier sur la surveillance de l’espace et une attention particulière aux programmes qui permettent d’entretenir nos capacités et de tenir notre deuxième rang mondial.

M. Bastien Lachaud. Vous n’avez évoqué ni les enjeux de résilience de nos satellites face aux menaces cybernétiques, ni les risques de voir nos satellites déplacés par des puissances adverses, à l’aide de lasers ou d’autres moyens. On dit qu’un de nos satellites a été ainsi déplacé de quelques centimètres il y a quelques années ; cela relève-t-il du pur fantasme ?

Mme Natalia Pouzyreff. Vous avez bien souligné l’importance de la surveillance de l’espace, voire de la cartographie spatiale. Ce besoin me semble bien reconnu aussi au niveau européen, notamment par la direction générale de l’industrie de la Commission. Il nous faudra en effet rattraper notre retard sur les Américains pour développer des capacités autonomes. Vous semble-t-il envisageable de le faire avec nos partenaires européens, et le cas échéant de financer un tel programme au titre de la coopération structurée permanente ou d’autres fonds européens ?

M. Séverine Gipson. Dans un contexte où l’accès à l’espace et aux services en orbite se banalise, l’espace n’en devient que plus stratégique, comme l’a souligné la revue stratégique. Le projet de loi de programmation militaire 2019‒2025 prévoit un effort de surveillance de l’espace et indique qu’en la matière, des coopérations seront recherchées. L’effort annoncé se matérialisera notamment par la modernisation de nos systèmes de suivi et de détection, qui repose sur GRAVES et les radars SATAM, dans le cadre de notre programme d’amélioration incrémentale du système de commandement et de conduite des opérations aériennes. Il est prévu que le CNES ait désormais accès au système GRAVES. Les données collectées permettent d’éviter des collisions de satellites avec des débris. Pouvez-vous nous rendre compte de cette activité ?

M. Thibault Bazin. En Allemagne, l’équivalent du CNES et celui de l’ONERA sont regroupés au sein d’une seule et même entité. Comment, en France, le CNES articule-t-il ses travaux avec ceux de l’ONERA d’une façon efficiente ?

M. Jean-Yves Le Gall. Monsieur Lachaud, les systèmes spatiaux sont susceptibles d’être attaqués, comme tous les autres systèmes, et sont protégés. Mais, par nature, leur protection, en orbite, est matériellement plus difficile que celle des autres systèmes souverains. On a pu observer des cas précis de satellites dits « butineurs », et l’on se prémunit d’éventuels méfaits par des méthodes classiques de codage et de blindage contre les tirs lasers et les charges électromagnétiques. Il faut cependant reconnaître que cette menace met en jeu des compétences technologiques avancées, qui sont davantage maîtrisées par nos alliés que par des puissances plus agressives.

Concernant la surveillance et la cartographie de l’espace, qu’évoquait Madame Pouzyreff, je pense en effet que l’avenir passe par la coopération européenne. Nous avons déjà mis en place un consortium rassemblant l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France. Comme toute coopération, ce consortium permet d’atteindre une masse critique et d’amortir davantage les coûts, mais il suppose des efforts de coordination ; nous avons déjà une certaine expérience en la matière.

S’agissant de la remise à niveau des systèmes GRAVES et SATAM, Madame Gipson, le CNES y contribue en y apportant ses compétences et ses conseils ; la coopération en la matière se fait en bonne intelligence.

Il en va de même pour nos relations avec l’ONERA. D’ailleurs, le DLR allemand a un périmètre assez différent de ceux cumulés du CNES et de l’ONERA, et intègre par exemple aussi certaines fonctions du CNRS. Le CNES et l’ONERA ont passé un accord-cadre sur la base duquel ils mettent en œuvre un dispositif de coordination étroit, avec des réunions trimestrielles de haut niveau, afin d’éviter tout doublon inutile entre les deux organismes.

M. Fabien Lainé. Si l’on peut se féliciter du rang qu’atteint la France en matière spatiale, je conclus de votre intéressante intervention le constat que la coopération européenne est indispensable. La France peut d’ailleurs exercer en la matière un vrai leadership. Quels sont à votre sens les principaux enjeux et les principaux programmes envisageables en la matière ?

M. Yannick Favennec Becot. Vous avez créé il y a un peu plus d’un an au sein du CNES une direction de l’innovation et des applications, la DIA, qui concourt au développement à l’orientation de la recherche spatiale et donc à l’orientation de notre politique spatiale. Son champ de compétence intègre non seulement les systèmes orbitaux, mais aussi les sciences et l’environnement. Un an après la création de cette DIA, quel bilan faites-vous de sa valeur ajoutée pour le renforcement de nos capacités d’innovation et de notre réactivité dans un contexte de plus en plus concurrentiel ?

M. Joaquim Pueyo. Vous avez souligné l’intérêt de l’autonomie nationale en matière spatiale, mais ne faut-il pas concevoir l’autonomie à l’échelle européenne, en la matière ? Quelles opportunités tirer du fonds européen de défense ? Par ailleurs, le futur lanceur Ariane 6 pourrait-il être à vos yeux concurrentiel avec les lanceurs de SpaceX ? Pouvez-vous, enfin, faire un point de l’important programme MUSIS ?

Mme Aude Bono-Vandorme. Lors de son audition, le commandant interarmées de l’espace a évoqué des partenariats conclus entre le CNES, la direction générale de l’armement et des universités dont les laboratoires développement des microsatellites, des nanosatellites et des pico satellites, à l’image des satellites conçus à l’École polytechnique dont vous avez financé le développement via votre programme Janus. Pouvez-vous nous faire un tableau de l’état de la recherche en la matière, de son financement, des partenariats envisageables et des usages que pourraient en faire nos armées ?

M. Louis Aliot. On voit émerger des acteurs privés dans le secteur spatial, principalement aux États-Unis, à grand renfort de capitaux. Est-ce le cas chez nous, et quel pourrait être contrôle de l’État sur ces opérateurs privés ?

M. Jean-Yves Le Gall. S’agissant de défense, les principaux projets européens tournent autour de la surveillance de l’espace, de la création d’une direction de la défense et de l’espace au sein des services de la Commission, et du passage à l’échelle européenne de programmes nationaux ou bilatéraux. Dans ce type de démarches de coopération, l’avantage, qui tient à la mutualisation des moyens, doit pouvoir l’emporter sur les inconvénients liés aux difficultés d’organisation inhérentes à toute coopération. En Européen convaincu, je crois que les avantages peuvent dépasser les inconvénients.

Observation, écoute et communications sécurisées sous toutes leurs formes demeurent les principaux chantiers militaires. En matière duale, par-delà la suite de Galileo, une large palette de projets existe, y compris dans le domaine de l’environnement. Globalement, ce ne sont pas les projets, qui manquent ; les difficultés tiennent davantage au financement et à des questions d’organisation. Mais l’Europe spatiale peut d’ores et déjà se prévaloir d’incontestables succès.

Quant à la DIA du CNES, elle a été créée à mon initiative. Le corollaire de l’innovation spatiale, ce sont les applications ; en effet, les systèmes de satellites sont de plus en plus performants, mais la valeur ajoutée réside dans l’utilisation des données qu’ils produisent. Prenez par exemple Galileo : l’Europe a réussi à déployer l’équivalent du GPS avec trois avantages : une précision supplémentaire, indispensable par exemple pour le développement des véhicules autonomes ; l’authentification du signal, qui protège des cyberattaques ; et la datation, extrêmement précise, qui connaîtra un grand nombre d’usages.

Reste à s’équiper pour utiliser ces données à bon escient. Telle est la raison qui a conduit à créer la direction de l’innovation, des applications et de la science. Elle a permis d’entraîner de nouveaux acteurs dans le secteur spatial, comme la SNCF, pour mesurer l’affaissement des ballasts ou la direction générale de la santé, pour le suivi de l’ostéoporose à partir des données collectées lors du séjour dans l’espace de l’astronaute Thomas Pesquet.

S’agissant de la coopération européenne, le Fonds européen de défense que nous avons évoqué constitue bien évidemment une avancée. Les programmes plus vastes dont j’ai parlé s’inséreront dans ce fonds.

J’en viens à Ariane 6, programme qui a été décidé à l’initiative du CNES quand, il y a quelques années, nous avons compris ce qui se passait sur le marché des lancements de satellites. Nous avons choisi le programme qui, il y a quatre ans, nous semblait le plus optimisé pour faire face à la compétition qui s’annonçait. Depuis lors, force est de constater que cette compétition s’intensifie. Toutefois, on ne peut changer de cheval au milieu du gué. Le programme Ariane 6 possède un certain nombre d’avantages, sachant par ailleurs que certains compétiteurs font des effets de manche. D’un côté, nous avons des nouveaux venus à la communication très dynamique, mais dont l’activité présente des hauts et des bas. Pour notre part, nous avons davantage une approche de père de famille, assez constante, ce qui ne nous interdit pas, en parallèle, de faire de l’innovation sur des technologies très novatrices et de rupture de sorte que si, dans quelques années, les compétiteurs que vous avez évoqués instaurent de nouveaux standards, nous serons en mesure d’y répondre.

CSO, dont j’ai parlé, est bien l’une des composantes du programme MUSIS.

S’agissant des remarques du général Breton et des pico, nano et microsatellites, c’est une véritable révolution à laquelle nous assistons. Nous avons donc décidé de développer une filiale de nanosatellites avec la société Nexeya autour du système Argos. Nexeya n’est pas une société classique du secteur spatial, elle ne fait pas partie du « canal historique » et porte des approches plus disruptives. Aujourd’hui, des charges utiles Argos sont placées sur des satellites. Demain, ces charges utiles constitueront des nanosatellites en tant que tels. Le premier lancement aura lieu l’an prochain et la filière que nous avons créée est très prometteuse.

S’agissant des États-Unis et du financement privé, j’insiste toujours sur le point suivant : quand on regarde précisément la situation, on se rend compte que toutes les sociétés privées concernées gagnent en réalité de l’argent grâce à l’argent public ! Les budgets considérables de la NASA et du DoD irriguent ces sociétés. L’industriel en matière de lanceurs qui fait la une des journaux parce que ses fusées reviennent parfois est, de mon point de vue, un centre de recherche de la NASA, mais avec des méthodes différentes. Il s’agit de méthodes de start-up, avec des employés aux salaires modestes, payés en stock-options avec la perspective de faire fortune le jour de l’introduction en bourse, et des rythmes de travail fort différents de ceux de la NASA. Je visite de telles sociétés chaque année. Ce qui me frappe régulièrement est la présence de pancartes indiquant « Si vous ne venez pas travailler le samedi, inutile de venir le lundi. » Si j’affichais les mêmes au CNES, c’est certainement moi qui n’aurais pas besoin de venir le lundi ! (Sourires)

Plus sérieusement, les États-Unis ont surfé sur cette image de start-up très valorisante, mais qui en réalité est largement alimentée par de l’argent public. Il n’y pas tant d’argent privé que cela dans le domaine spatial aux États-Unis. Il y a simplement une façon différente de « faire du spatial » avec de l’argent public.

Alors pourquoi n’existe-t-il pas plus d’investisseurs privés en Europe dans le domaine du spatial ? Du fait de différence des budgets. L’argent public est beaucoup plus rare en Europe qu’aux États-Unis.

M. Christophe Lejeune. Lorsqu’on évoque le CNES et comme vous l’avez très bien rappelé, on évoque des technologies duales qui renforcent les entreprises et pérennisent les emplois sur nos territoires. C’est le cas de la téléphonie. Qu’elle soit militaire ou civile, elle valorise de telles technologies. Sans les missions qui lui sont attribuées et les commandes qui lui sont passées par le ministère des Armées, le CNES aurait-il les moyens de porter ses ambitions civiles, ou est-il voué à marcher avec sa jambe civile et sa jambe militaire ?

M. Patrice Verchère. Mon intervention sera très rapide car notre collègue Joaquim Pueyo m’a volé ma question sur Ariane 6 et sa compétitivité face aux nouvelles technologies de réutilisation ! (Sourires)

Mme Frédérique Lardet. En 2015, les États-Unis ont adopté un texte facilitant l’exploitation commerciale des ressources extraites d’astéroïdes et d’autres corps célestes. En 2016, le Luxembourg leur emboîte le pas et devient le premier pays européen à présenter un projet gouvernemental visant à soutenir l’exploitation des ressources minières spatiales. Ces initiatives semblent entrer en contradiction avec le traité de l’espace signé en 1967. La France, pour sa part, continue à soutenir l’idée d’un régime international applicable aux ressources de la Lune et des autres corps célestes afin d’éviter tout conflit. La position française est-elle toujours d’actualité et va-t-elle dans le sens de nos intérêts ?

M. M’jid El Guerrab. Je souhaiterais avoir quelques précisions supplémentaires sur la station chinoise Tiangong-1 en vol incontrôlé depuis 2016 et qui a été globalement détruite lors de son entrée dans l’atmosphère au-dessus du Pacifique le lundi 2 avril dernier. En 60 ans de vols spatiaux, on dénombre environ 6 000 rentrées non contrôlées de gros objets fabriqués par l’homme. Même si, à ce jour, une seule personne a été touchée par un débris, les problèmes engendrés par ces déchets sont nombreux et variés : risques de collision ou d’explosion génératrices de nouveaux débris, endommagement de satellites en activité, manœuvres d’évitement à orchestrer depuis le sol… La question des débris spatiaux et, plus globalement, de la viabilité à long terme des activités spatiales est devenue une priorité. Quelles sont les pistes de réflexions du CNES à cet égard ?

M. Jean-Michel Jacques. Le général Jean-François Ferlet, directeur du renseignement militaire, avait précisé devant notre commission que plusieurs de nos satellites avaient été approchés par des engins inconnus. Quelles manœuvres d’évitement peuvent être entreprises par nos satellites ? L’intelligence artificielle peut-elle nous aider dans ce domaine ? La furtivité des satellites peut-elle être développée, afin d’éviter d’être suivis ?

M. Jean-Yves Le Gall. Nous avons effectivement besoin de nos deux jambes pour rester debout. C’est pourquoi nous avons une double tutelle et un programme de recherche civile, dont nous parlons beaucoup, ainsi qu’un programme de recherche duale, dont nous parlons sensiblement moins pour les raisons que l’on imagine. J’ai évoqué les programmes CSO, CERES et Syracuse 4 sur lesquels nous intervenons. Nous agissons aussi pour la préparation de l’avenir. Nous disposons d’une compétence spécifique dans le domaine de la défense, mais la défense bénéficie également de tout ce que nous entreprenons dans le cadre dual. Cela doit continuer et je crois que c’est la clé du succès de notre politique spatiale à la fois civile et militaire. Je crois qu’il faut rendre hommage au Gouvernement et au Parlement de l’époque, en 1986, pour avoir décidé de créer un centre spatial dual plutôt qu’un centre civil et un centre militaire séparés, ce qui aurait conduit à une dispersion des moyens. Par ailleurs, l’expérience montre que lorsque vous avez deux centres distincts, les gens ne se parlent pas. Notre organisation est mutuellement profitable au civil et au militaire et je ne crois pas que l’on puisse dire que l’un vit aux crochets de l’autre. L’ensemble est dual et intégré.

Sur Ariane 6, je répéterai ce que j’ai dit. Nous disposons d’un lanceur dont le développement se poursuit et tout se passe bien du point de vue technique, avec la perspective d’un premier lancement en 2020. L’environnement est très dynamique mais pas stabilisé. Parallèlement aux travaux que nous menons sur Ariane 6, nous conduisons des travaux qui nous préparent à d’éventuelles situations de rupture, si tant est qu’elles arrivent.

La question des astéroïdes est source de controverses. Tant les États-Unis que le Luxembourg ont décidé de faire de ce sujet le porte-drapeau de leur politique spatiale, en particulier le Luxembourg. Mais cela reste extrêmement théorique. Si on observe le système solaire, on y trouve Mercure, Vénus, la Terre et Mars, soit les quatre planètes rocheuses, la ceinture d’astéroïdes, et enfin les planètes gazeuses. Nous ne sommes encore jamais allés sur les astéroïdes. Cela nécessiterait plusieurs années de voyage et il n’est absolument pas établi que les astéroïdes hébergent l’Éden dont on parle s’agissant des minerais. Par ailleurs, rapporter ces minerais sur Terre représenterait une entreprise extrêmement complexe. À titre d’exemple, le CNES est très fier de développer avec la Japan Aerospace Exploration Agency (JAXA) la mission MMX (Martian Moons Exploration), qui a vocation à rapporter 10 grammes de Phobos, l’une des lunes de Mars. Cette mission prendra plusieurs années et représente un budget de 500 millions de dollars, soit un coût de 50 millions de dollars le gramme… Une exploitation commerciale d’astéroïdes n’est à mon avis pas pour demain.

Sur les débris spatiaux, j’ai toujours estimé que la meilleure façon d’avoir un espace propre est de ne pas le salir. Au début de l’ère spatiale, on salissait beaucoup l’espace : lorsqu’on séparait des étages de lanceurs, des boulons explosifs créaient une myriade de particules qui constituaient autant de débris. Aujourd’hui, et la France a montré la voie avec la loi sur les opérations spatiales (LOS), il existe une obligation à ne pas salir l’espace : on désorbite les étages de fusées en fin de vie, la séparation des étages se fait avec des sangles propres, etc. Je crois que c’est la meilleure façon de se protéger des débris spatiaux.

Concernant la protection des satellites, on ne sait pas concevoir un satellite furtif et on ne sait pas se protéger d’un satellite étranger qui viendrait fureter à proximité des nôtres. Certes on peut se durcir : protection contre les tirs laser, mesures de cyber sécurité, etc. D’ailleurs, nous réfléchissons sur ces sujets avec et sous la responsabilité de la défense qui est en charge de ces domaines. Mais il est clair que face à des satellites qui seraient vraiment hostiles, nous serions assez démunis. Un satellite portant une charge explosive pourrait détruire l’un de nos satellites. L’honnêteté force à dire que nous avons connu dans l’histoire récente quelques arrêts inexpliqués de satellites. Les plus indulgents mettent en cause l’action d’un ion lourd ou d’une micrométéorite, d’autres personnes pensent qu’il y a autre chose, mais il est difficile de le savoir…

M. Fabien Gouttefarde. Ma question porte sur les zones blanches. Vous avez évoqué une éventuelle solution technique à venir avec le positionnement d’un satellite. Pouvez-vous apporter des précisions sur l’échéancier, les différentes solutions techniques, les offres de service possibles – sachant qu’il en existe déjà en matière de téléphonie – et les plus-values attendues de telles offres ?

M. Jean-Pierre Cubertafon. Ma question rejoint celle de mon collègue. Le CNES est partie prenante dans le déploiement des satellites de communications appelés à combler les zones blanches. Les opérateurs français viennent de déclarer qu’ils s’engageaient à réduire ces dernières dans un délai de trois ans. Comment votre offre se positionne-t-elle par rapport à un tel engagement et par rapport au redéploiement du système Galileo ?

M. Thomas Gassilloud. Je reviens à la question des télécommunications militaires que vous avez évoquées avec les trois programmes structurants que sont CSO pour l’observation optique, CERES pour l’observation électromagnétique et Syracuse 4 pour la modernisation des télécommunications militaires. Beaucoup de nos systèmes d’armes nécessitent de la bande passante pour fonctionner, qu’il s’agisse du pilotage des opérations aériennes depuis Mont Verdun, du programme Scorpion pour l’armée de terre ou du fonctionnement des drones. Pouvez-vous nous en dire davantage sur Syracuse 4, notamment sur l’articulation entre la DGA, le CNES et les industriels retenus ? Quels sont les gains capacitaires attendus en termes de couverture et de débit ?

M. Charles de la Verpillère. Vous avez évoqué Galileo ; cette constellation est-elle dorénavant complète ? Il me semble que les premiers satellites ont été mis en orbite il y a déjà très longtemps. Par ailleurs, mais la réponse est peut-être classifiée, quelle est la résolution des satellites de CSO ?

M. Jacques Marilossian. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur les pistes en matière de coopération européenne, essentiellement en matière de défense ? La revue stratégique et le projet de loi de programmation militaire en font en effet un axe important de notre stratégie.

M. Jean-Yves Le Gall. En matière de couverture Internet, il existe des possibilités permettant de remédier aux zones blanches, grâce à des systèmes qui seraient plus « user friendly » ou faciles d’accès que l’existant. Si une décision en ce sens était prise, les zones blanches pourraient être résorbées en France à l’échéance de deux, voire deux ans et demi. Nous y travaillons et j’espère que nous serons en mesure de faire une annonce rapidement. Cet accès serait alors intégré dans l’offre d’Orange et serait transparent pour l’abonné connecté soit par la fibre, en zone urbaine, soit par un satellite en zone isolée et permettrait, comme on a coutume de citer cet exemple, à un habitant du Cantal de disposer d’Internet et de se connecter au site de la sécurité sociale, grâce à l’installation d’un terminal par son fournisseur d’accès. Ce serait possible grâce aux technologies VHTS (Very High Throughput Satellite) développé par le CNES. Nous sommes en train de monter un dossier avec un industriel français, un opérateur, qui pourrait être Orange, et un opérateur de satellites, qui pourrait être Eutelsat, et nous devrions pouvoir faire une communication sur ce sujet prochainement. Pour la couverture des zones blanches, nous voulons toutefois nous assurer d’une certaine autonomie et éviter de déployer un système en partenariat avec des sociétés étrangères susceptibles de nous mettre à terme dans une situation très inconfortable.

CSO, CERES et Syracuse 4 sont des systèmes considérablement plus élaborés que leurs prédécesseurs. La résolution de CSO est une donnée classifiée mais il s’agit en tout état de cause d’un système au meilleur niveau mondial. Syracuse 4 est plus perfectionné que le système actuel, qu’il s’agisse de la bande passante, de la disponibilité, de sécurisation, autant de domaines dans lesquels sont gagnés plusieurs ordres de grandeur. Je vous rappelle les propos que je tenais sur les difficultés de l’industrie spatiale : un satellite de 2020 remplace environ 15 satellites lancés en 2010. Ainsi l’utilisation de ces satellites en orbite est devenue quasiment indécelable pour le client final, leurs performances offrant les mêmes services que les systèmes terrestres.

Le système Galileo compte aujourd’hui 22 satellites en orbite dont 19 fonctionnent parfaitement. Les services initiaux ont été annoncés le 15 décembre 2016. Quatre satellites doivent encore être lancés par Ariane 5 le 25 juillet prochain. La constellation sera alors presque complète. Apple et Samsung ont accepté d’intégrer sur leurs smartphones de dernière génération des puces Galileo. Les utilisateurs pourront ainsi apprécier la précision de Galileo, bien supérieure à celle du GPS. Le parc de téléphones portables étant renouvelé tous les trois ans environ, si 200 millions d’appareils sont connectés aujourd’hui à Galileo, il y en aura plusieurs milliards d’ici à trois ans. Le smartphone choisit le système de géolocalisation le plus précis et oriente donc vers Galileo, des applications associées étant en cours de déclinaison.

C’est la DGA qui est chargée de la coopération en matière de défense, avec une véritable volonté d’avancer dans le domaine européen. Il existe toutefois une différence importante entre le civil et le militaire. Si dans le milieu civil, il n’y a pas de vrai enjeu de souveraineté, il en va autrement dans le domaine militaire où il faut coopérer mais sans être naïf, ainsi que l’ont montré de récents exemples avec certains partenaires proches qui peuvent vouloir tirer la couverture à eux. Il faut donc savoir résister tout en restant ouvert à la coopération dans le cadre d’un mode d’emploi maîtrisé.

M. le président. Merci monsieur le président pour toutes ces réponses à nos questions.

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La séance est levée à dix-sept heures cinquante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Présents. – M. Louis Aliot, M. François André, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Florian Bachelier, M. Xavier Batut, M. Thibault Bazin, M. Olivier Becht, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Alexis Corbière, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Stéphane Demilly, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. M’jid El Guerrab, M. Yannick Favennec Becot, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Philippe Folliot, M. Laurent Furst, M. Claude de Ganay, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Fabien Gouttefarde, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, M. Bastien Lachaud, M. Fabien Lainé, Mme Frédérique Lardet, M. Christophe Lejeune, M. Gilles Lurton, M. Jacques Marilossian, Mme Sereine Mauborgne, Mme Patricia Mirallès, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, M. Joaquim Pueyo, M. Gwendal Rouillard, Mme Sabine Thillaye, M. Patrice Verchère, M. Charles de la Verpillière

Excusés. – M. Damien Abad, M. Jean-Philippe Ardouin, M. Bruno Nestor Azerot, M. Didier Baichère, M. Christophe Blanchet, M. Ian Boucard, M. Luc Carvounas, M. Philippe Chalumeau, M. André Chassaigne, M. Olivier Faure, M. Richard Ferrand, M. Marc Fesneau, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Pascale Fontenel-Personne, Mme Émilie Guerel, Mme Anissa Khedher, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Didier Le Gac, M. Franck Marlin, M. Philippe Michel-Kleisbauer, M. François de Rugy, M. Antoine Savignat, M. Thierry Solère, Mme Laurence Trastour-Isnart, Mme Nicole Trisse, M. Stéphane Trompille, Mme Alexandra Valetta Ardisson

Source: Assemblée nationale

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