COMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L’HOMME. Avis sur la prévention de la radicalisation 

Avis sur la prévention de la radicalisation

NOR: CDHX1808588V

ELI: Non disponible

(Assemblée plénière du 18 mai 2017 – Adoption : unanimité, cinq abstentions)

1. La lutte contre la « radicalisation » est devenue un objectif prioritaire des politiques publiques, jouissant en outre d’une vaste couverture médiatique. Elle fonde aujourd’hui des dispositifs législatifs et administratifs d’ampleur tels que le plan d’action contre la radicalisation du 9 mai 2016, contenant 80 mesures plus ou moins nouvelles, relatives au renseignement, à la sécurité publique, l’éducation ou la politique de la ville. Ces mesures mettent en cause le respect des droits et libertés fondamentaux alors même qu’elles ne reposent pas sur une conception solide et éprouvée du concept de « radicalisation », mais essentiellement sur un objectif de prédiction des comportements dans le but d’éviter tout acte terroriste. Il en découle un profond changement de perspective dès lors qu’il n’est plus seulement question de prévenir à proprement parler la commission d’une infraction terroriste, mais plutôt de détecter des personnes susceptibles de basculer dans une idéologie qui pourrait les amener, à terme, à s’engager dans un projet d’action violente.
Cette politique de détection s’accompagne de mécanismes dits de « contre-radicalisation » qui risquent d’atteindre aux droits et libertés fondamentaux.
2. La CNCDH a dès lors décidé de s’auto-saisir de ces questions afin de proposer des recommandations en faveur de mesures plus respectueuses de ces derniers.
3. A titre liminaire, il convient de préciser que la CNCDH ne reprend pas à son compte les termes de « radicalisation », de « processus de radicalisation » et de « contre-radicalisation » tels qu’ils sont utilisés par les pouvoirs publics (1) puisque c’est précisément leur insuffisante conceptualisation qui est responsable des dangers véhiculés. Néanmoins, pour favoriser la compréhension des alertes adressées au Gouvernement, il en sera fait usage, par commodité rédactionnelle, sans qu’ils soient toujours placés entre guillemets.
4. La CNCDH ne néglige pas le besoin de donner une réponse aux attentats terroristes qui se sont succédé en France et ailleurs ces dernières années. La nécessité de les prévenir est impérieuse tout comme la préoccupation de répondre aux demandes de l’opinion publique, largement relayées par les médias. Sans doute faut-il répondre aussi au désarroi des parents dont les enfants présentent des signes de radicalisation. Cela ne doit cependant pas conduire les pouvoirs publics à élaborer des dispositifs qui impliquent des restrictions disproportionnées des libertés et des effets stigmatisants pour une partie de la population, ayant un impact dévastateur à terme sur la cohésion sociale. Bien au contraire, lorsque l’Etat de droit est menacé, il doit montrer sa capacité à résister à des tentations sécuritaires aveuglantes.
5. La CNCDH ne méconnaît pas non plus, face à une problématique nouvelle, le besoin de construire par une politique des petits pas des réponses adaptées qu’il convient d’expérimenter. Lors de son audition à l’Assemblée nationale, M. L. Granier de l’Unité de coordination de lutte anti-terroriste (UCLAT) reconnaissait lui-même que, pour la gestion du fichier des personnes radicalisées (2), « les choses se sont faites rapidement et tout le monde réfléchit en marchant » (3). La CNCDH salue l’initiative du secrétaire d’Etat chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, au lendemain des attentats du Bataclan, de demander à l’alliance ATHENA (4) d’engager des recherches en la matière. Elle espère que les pouvoirs publics sauront tirer profit des propositions que cette dernière a formulées en mars dernier (5).
6. Pour l’heure, les politiques publiques reposent sur une conception de la radicalisation insaisissable (6). L’apparition dans le débat public des termes de « radicalisation », « radicalisation religieuse », « processus de radicalisation », « en voie de radicalisation », « radicalisation violente », attestent d’ailleurs de la volatilité du concept. En 2006, le rapport des universitaires à la commission européenne (GERCEV) soulignait déjà le manque de validité scientifique du concept de radicalisation au titre de la prévention du terrorisme. Il insistait sur le fait que les personnes impliquées viennent de milieux différents, subissent des processus divers et sont influencées par une combinaison de motivations multiples. Il remettait en cause l’idée qu’il soit possible de prédire l’évolution d’une personne. La publication du rapport a malheureusement été refusée par la Commission européenne (7). D’autres travaux, issus de groupes d’experts issus du monde de la sécurité, divergeaient dans leurs résultats en suggérant la possibilité de fournir des « profils types » de personnes susceptibles de se radicaliser. On peut déplorer une marginalisation du discours universitaire en ce domaine au profit des « experts en sécurité » plus en ligne avec les demandes des services de renseignements. Ainsi, lorsque, en 2014, la France a confié au comité interministériel de prévention de la délinquance (CIPD), la prévention de la radicalisation, elle a repris les thèses des experts en sécurité sans en éprouver au préalable la pertinence scientifique. Pourtant, à cette date, le recul était suffisant pour faire un bilan des programmes mis en place en Grande-Bretagne, en Allemagne ou aux Pays-Bas notamment, sur le fondement des préconisations formulées en 2006 par la Commission européenne.
7. Les pouvoirs publics, le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) en tête, ont ainsi adopté une conception de la radicalisation contestée et contestable. S’inspirant de la définition qu’en a donnée le sociologue Farhad Khosrokhavar (8), le CIPDR retient trois caractéristiques cumulatives de la radicalisation : « un processus progressif, l’adhésion à une idéologie extrémiste, l’adoption de la violence » (9). L’action du CIPDR en matière de prévention de la radicalisation, qui est arrimée à la prévention des actes de terrorisme, repose en réalité sur le présupposé qu’il existe un continuum nécessaire entre l’adhésion à une idéologie et une action violente.
8. C’est ce présupposé qui implique et justifie l’élaboration des grilles de détection des personnes radicalisées ou en voie de radicalisation. Les indices de basculement contenus dans ces grilles, en couvrant un spectre très large de comportements, témoignent d’une volonté d’agir le plus en amont possible de l’action violente. Leur repérage est complexe et favorise en pratique l’extension du champ des suspects au-delà de ce qui est nécessaire à la lutte contre le terrorisme. En outre, certains de ces indices témoignent de la focalisation des pouvoirs publics sur la radicalisation islamiste (10), alors que de nombreux pays (Canada, Allemagne, Danemark, Norvège par exemple) se préoccupent de toutes les formes de radicalités (11). La mise en place de ces grilles de détection s’accompagne, d’un point de vue institutionnel, d’un débordement des services de renseignement dans le domaine de l’action sociale, qui risque d’être contre-productif pour la prévention de la radicalisation.
9. Les réponses institutionnelles apportées à la détection des personnes radicalisées varient en fonction du degré de radicalisation constaté. D’un côté, les politiques dites de contre-radicalisation visent à faire sortir d’une idéologie, sans qu’il y ait eu nécessairement de passage à l’acte, au risque de favoriser un glissement vers une police des pensées et un traitement stigmatisant, voire discriminatoire à l’égard des musulmans. D’un autre côté, la notion de radicalisation a également des répercussions parfois inquiétantes sur la police administrative et le droit pénal. En s’attachant à lutter contre des convictions idéologiques ou religieuses, les pouvoirs publics s’engagent dans le champ des limites aux libertés, de conscience ou de religion.
10. En fin de compte, les pouvoirs publics mettent en place un filet de détection trop étendu au regard de ce qui est requis par l’objectif de lutte contre le terrorisme (I), puis proposent des dispositifs de prise en charge qui sont non seulement coûteux (12), souvent inadaptés et à l’origine d’atteintes disproportionnées aux libertés, mais qui risquent encore d’être contre-productifs (II).
I. – La détection des personnes « radicalisées »
11. Les phénomènes visés par le concept de radicalisation, tel qu’il est utilisé par les pouvoirs publics, couvrent un spectre très large d’agissements allant d’un changement vestimentaire ou pileux, à un projet d’attentat. Les grilles de détection mises en place par les ministères de l’intérieur et de la justice pour objectiver la radicalisation d’un individu relève d’une logique prédictive très incertaine et potentiellement discriminatoire. Plus généralement, la prévention de la radicalisation menée par les pouvoirs publics repose sur une logique de surveillance susceptible de parasiter les missions traditionnelles exercées par un certain nombre de professions tournées vers l’éducation et le travail social. De surcroît, une telle approche, dominée par les impératifs du renseignement, risque d’être contre-productive en détournant les jeunes radicalisés de tout contact institutionnel.
A. – Une approche par indices sujette à caution
12. Sous couvert d’un concept formulé en termes vagues, l’objectif des pouvoirs publics et des acteurs impliqués dans la « prévention de la radicalisation » est d’identifier les personnes « radicalisées », ou en « phase de radicalisation », le plus précocement possible. La logique de détection ainsi à l’œuvre s’accommode difficilement en pratique d’une notion aux contours incertains. Plusieurs administrations ont par conséquent mis en place des « indicateurs de basculement » (13) afin de guider l’action des agents publics chargés de repérer les situations à risque, qu’elles concernent les personnes détenues ou les jeunes.
Des dispositifs de détection par indices
13. Dans le cadre du volet préventif du plan national de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes défini par la circulaire du 29 avril 2014, une plate-forme téléphonique a été créée au sein de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), le Centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation (CNAPR), pour écouter, informer et orienter les familles qui souhaitent signaler les « situations de radicalisation violente » de leurs proches. Afin de permettre aux écoutants d’identifier au mieux les situations de radicalisation, un certain nombre d’indicateurs ont été définis par un groupe de travail interministériel piloté par le SG-CIPDR et composé des ministères de l’intérieur (UCLAT, Bureau central des cultes), de la justice (direction de la protection judiciaire de la jeunesse, direction de l’administration pénitentiaire), de l’éducation nationale, des affaires sociales et de la santé, de la ville, de la jeunesse et des sports et de la MIVILUDES.
14. De son côté, l’administration pénitentiaire a élaboré plusieurs grilles d’aide à la détection, dont la dernière en date, diffusée par une circulaire du 5 décembre 2016, intègre un certain nombre d’indicateurs de nature diverse (attitude vis-à-vis des codétenus, comportements alimentaires, rapport à la religion, antécédents judiciaires, etc.) (14). Afin de renforcer le caractère pluridisciplinaire de la détection des personnes détenues radicalisées ou en voie de radicalisation, ces grilles doivent être renseignées par tout le personnel pénitentiaire (les surveillants, l’encadrement/commandement, les conseillers pénitentiaires d’insertion et probation).
15. Des démarches comparables ont été adoptées dans d’autres ministères et organismes publics, témoignant de la large mobilisation par l’Etat de ses agents et plus largement des acteurs de l’éducation, de l’animation et du sport, dans le champ de la détection des personnes radicalisées :

– au ministère de l’éducation qui a mis à la disposition du personnel enseignant un livret (15) synthétisant la liste des indicateurs issus des travaux du CIPDR ;
– au ministère de la jeunesse, de la ville et des sports qui a renvoyé aux travaux du CIPDR (16) ;
– au ministère des affaires sociales, par la commande d’un rapport à Michel Thierry intitulé : Valeurs républicaines, laïcité et prévention des dérives radicales dans le champ du travail social (17) et la reprise des indicateurs du CIPDR ;
– à la Caisse nationale d’allocation familiale, par l’intervention dans l’aide à la parentalité ou l’accompagnement des jeunes sur internet (18) et le renforcement du contrôle des établissements conventionnés de la petite enfance et des centres sociaux.

Objet de la détection : des indices peu opérationnels
16. Il est d’abord surprenant qu’un concept défini en des termes vagues puisse donner lieu à une série d’items relativement précis et objectifs. Ensuite, les indices de basculement sont nombreux et la plupart n’ont pas de lien avec la violence : ils concernent des attitudes familiales, amicales, des comportements vestimentaires ou bien encore certains types de propos. En définitive, le programme de détection, tel qu’il est conçu, a vocation à intervenir très en amont de l’expression violente de la radicalisation, dès les premiers signes avant-coureurs.
17. Cette incitation à la détection précoce est particulièrement visible dans le livret remis au personnel de l’éducation nationale, qui ne vise que des changements de comportement sans rapport avec une quelconque valorisation de l’action violente. Or, face à des attitudes susceptibles de révéler autant les différentes modalités d’expression d’un besoin d’affirmation de soi propre à l’adolescence qu’une adhésion au projet djihadiste, le livret ne fait pas de distinctions. Il rappelle, aussitôt après avoir énuméré les indicateurs de surveillance, qu’« en cas de situation jugée préoccupante, tout personnel de l’éducation nationale a obligation de la signaler à des fins de protection au procureur de la République ». Il se réfère à l’article 40 du code de procédure pénale qui concerne le signalement d’infractions (19). La CNCDH s’inquiète par conséquent de la mise en place d’un dispositif qui engendre une confusion, puisque la conjonction d’un certain nombre de comportements non prohibés devient l’indice d’une supposée intention criminelle, ce qui est contraire aux principes du droit pénal.
18. Enfin, le filet de détection mis en place par les grilles de détection couvre un spectre très large de profils, susceptible de concerner en théorie des personnes sans lien avec la problématique de la radicalisation. Selon Guillaume Brie, chercheur à l’ENAP, les indicateurs de la radicalisation en prison « conviendraient tout autant pour la détection des risques suicidaires », concluant donc que cela « relativise grandement leur capacité à spécifier un phénomène singulier » (20). La CNCDH relève par conséquent le caractère potentiellement inopérant des critères au regard de l’objectif poursuivi. C’est pourquoi la commission recommande de renouveler les grilles de détection en impliquant davantage les chercheurs dans l’élaboration des critères.
Critères de détection : des indices discriminants et contre-productifs
19. L’exposé introductif du référentiel des indicateurs, mis à la disposition des agents de la plate-forme téléphonique chargée de recueillir des signalements, explique que « l’un des enjeux de ce travail de repérage des indicateurs de radicalisation est d’éviter toute stigmatisation d’une pratique religieuse dans le respect du principe de laïcité » (21). Les outils de repérage mobilisent en effet des items susceptibles de fonctionner avec n’importe quelle personne, indépendamment de sa confession religieuse : la « rupture familiale », le « développement d’une vision paranoïaque du monde », ou encore la « pratique intensive du sport » en détention par exemple. La banalité de ces items ne manque pas de susciter la perplexité et ne peut qu’accentuer l’étendue du spectre des personnes suspectes.
20. Ces items sont toutefois croisés avec d’autres caractéristiques propres à la religion musulmane, tel que le port de la « barbe » ou de la « djellabah », ou bien encore « la participation à des conférences religieuses de prédicateurs islamistes » ou la distinction attachée par la personne aux « bons et mauvais musulmans ». Pour sa part, la grille de repérage mise à la disposition du personnel pénitentiaire affecté à la surveillance évoque explicitement à trois reprises la religion musulmane au titre des indicateurs de détection (22). La CNCDH exprime sa préoccupation à l’égard de ces indices, en raison des atteintes aux droits de l’homme qu’ils sont susceptibles d’engendrer. En effet, l’approche indiciaire, axée sur des marqueurs religieux déterminés, peut difficilement échapper à une mise en œuvre stigmatisante et discriminatoire par des personnels non formés, et investis principalement dans d’autres tâches. De plus, la suspicion attachée à des « propos critiques à l’égard des institutions », ou à des comportements révélateurs d’une certaine pratique de l’islam à tendance piétiste, peut porter atteinte à la liberté d’opinion et à la liberté de conscience.
21. L’efficacité du dispositif paraît en outre sérieusement remise en cause par les travaux académiques les plus récents. Conscients de l’existence de critères de détection, les personnes désireuses d’échapper au radar mis en place par les pouvoirs publics, quelles que soient leurs intentions d’ailleurs – notamment la peur d’être suspectée à tort de nourrir des intentions terroristes – peuvent être tentées de dissimuler leurs croyances. Farhad Khosrokhavar, sociologue, insistait dès 2014 sur l’émergence de nouvelles formes de radicalisation marquées par « la dissimulation de son allégeance ainsi que [par] l’adoption d’un habitus “normal”, voire “laïc” dans l’accoutrement et le mode de comportement social » (23). Des personnes craignant d’être victimes d’un amalgame entre l’exercice d’un culte et un comportement jugé potentiellement criminel, peuvent être aussi tentées de renoncer à exercer leur culte, particulièrement les détenus en établissement pénitentiaire. Dès lors, la logique de détection précoce s’avère inefficace et contre-productive, tout en menaçant la liberté de culte des musulmans.
22. La CNCDH exprime également son inquiétude à l’égard des effets d’une diffusion plus étendue des indicateurs de basculement. Ces derniers sont publics et ont été largement diffusés, notamment sur les réseaux sociaux. Ce faisant, la logique de suspicion à l’égard des personnes musulmanes, arborant certains signes d’appartenance confessionnelle, a pu s’étendre à l’ensemble de la population, à la faveur de certains discours politiques. Afin d’éviter tout amalgame entre les terroristes et certaines expressions d’appartenance à l’islam, la CNCDH recommande d’éviter toute confusion entre les deux. Elle rappelle avec force qu’on ne saurait déduire d’une pratique religieuse, pour radicale qu’elle soit, un ralliement à l’action violente.
La méthode du faisceau d’indices : un risque d’arbitraire
23. Si la précision des indices de basculement est variable, ce qui est critiquable en soi, cela complique le travail des agents qui sont chargés de la détection. La banalité des indices conjuguée à un contexte de « stress institutionnel » (24) et à une sensibilité accrue pour le « péril islamique », tend à favoriser une identification étendue des personnes suspectes. A la banalité de certains indices, s’ajoute en outre une méthode d’appréhension de ces derniers réservant à l’agent une très large marge d’appréciation : la méthode du faisceau d’indices. En effet, les guides qui accompagnent les grilles d’évaluation insistent sur le fait qu’un indice pris isolément ne suffit pas pour attester « l’existence d’un risque de radicalisation » (25). D’autres éléments s’ajoutent encore à la procédure d’évaluation : d’une part, les agents sont invités à tenir compte de l’âge de la personne – un adolescent pouvant « adopter des attitudes provocatrices uniquement pour attirer l’attention des adultes », et d’autre part, certains indicateurs sont associés à un marqueur d’intensité – « signaux forts/signaux faibles » : c’est le cas de la grille mise au point par le secrétariat général du CIPDR.
24. Les auditions menées devant la CNCDH, couplées aux observations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) (26), révèlent à cet égard un défaut de formation du personnel pénitentiaire pour l’utilisation des grilles de détection. Cela s’explique en partie par un remaniement régulier des critères retenus pour alimenter la grille de détection. Depuis la première version mise au point en 2005, c’est une troisième version qui est actuellement en vigueur. En pratique, les agents se trouvent souvent dans l’embarras pour assurer une mission de détection qui n’est pas leur cœur de métier.
25. Si la CNCDH admet l’existence inévitable d’une marge d’appréciation dans la mise en œuvre d’une approche indiciaire, elle insiste toutefois sur la nécessité de dispenser une formation appropriée aux agents en charge de la détection. Sans cela, la commission s’inquiète de l’éventuel arbitraire qui pourrait présider à la détection des personnes radicalisées et, surtout, des conséquences pour des personnes considérées à tort comme radicalisées.
B. – Le risque de dérive vers un contrôle social généralisé
Le travail social subverti par la logique du renseignement
26. La surveillance généralisée induite par les dispositifs de signalement a des effets non seulement sur la population principalement visée – les musulmans – mais également sur les agents en charge de sa mise en œuvre. Un nombre croissant d’acteurs est en effet mobilisé, d’un côté, pour œuvrer à la cohésion sociale et, d’un autre côté, pour détecter les personnes dites radicalisées : les travailleurs sociaux, les enseignants, etc. L’ensemble de ces agents est enjoint de relayer auprès des services de renseignement les informations qu’ils estiment préoccupantes au regard des indices de basculement. Nombre de chercheurs en sciences sociales ont ainsi relevé la « captation d’un ensemble de services publics dans la lutte contre le terrorisme » (27).
27. L’injonction à la détection et au signalement heurte les missions traditionnelles des travailleurs sociaux. Cela est particulièrement notable pour la prévention spécialisée qui repose en principe sur le respect de la confidentialité et la libre adhésion des personnes suivies. Or, dans le cadre des conventions passées entre la préfecture et des associations agissant dans ce domaine, des éducateurs sont amenés à entrer en contact avec des personnes soupçonnées d’être radicalisées et à assurer pour le compte de la cellule de suivi préfectorale une mission de surveillance et de remontée d’informations.
28. Cette confusion dangereuse des missions amène la CNCDH à préconiser, à l’instar du rapport de M. Thierry adressé au ministre des affaires sociales et de la santé (28), qu’a minima, le processus de signalement se fasse dans le strict cadre déontologique de droit commun (29). Il revient au travailleur social d’apprécier le risque de basculement dans la délinquance et la stricte proportionnalité des transmissions d’information par rapport aux finalités de l’action éducative. Il est essentiel pour le travailleur social, à partir du faisceau d’indices, d’établir la gravité du danger et l’inexistence d’options alternatives réalistes à la décision de signaler. Il convient en outre d’associer la hiérarchie à la décision de signalement qui doit, si possible, être collégiale. En outre, les travailleurs sociaux devraient être informés des suites données au signalement, notamment en matière de suivi social, ce qui est loin d’être toujours le cas à l’heure actuelle (30). La CNCDH appelle les pouvoirs publics à tenir compte de ces recommandations et à ne pas porter atteinte au cœur de métier des travailleurs sociaux.
Une injonction au renseignement contre-productive
29. La réussite de la mission des travailleurs sociaux – notamment l’accompagnement des personnes vulnérables – repose sur la constitution et l’entretien d’un lien de confiance. Or, la logique de détection des personnes dites à risque qui préside à la mise en œuvre des indices de basculement fragilise ce lien. Lors des auditions menées par la CNCDH, le risque de rupture du lien de confiance a été particulièrement souligné concernant le personnel pénitentiaire : les injonctions à la détection perturbent au quotidien le travail des agents de surveillance et des CPIP (31). En principe chargés d’informer exclusivement les magistrats sur la situation des personnes qu’ils ont en charge, les CPIP sont censés communiquer aux services de renseignement toute attitude ou propos susceptible de correspondre aux items de la grille de détection. Il en est de même pour les enseignants (32).
30. La contamination du champ de l’action sociale par les impératifs du renseignement tend à produire les effets inverses à ceux poursuivis. En fragilisant le lien de confiance, désormais entaché de suspicion, elle risque en effet d’entraîner l’éloignement des personnes suivies du dispositif de protection, ou bien encore d’engendrer des comportements de dissimulation. Elle risque même de les renforcer dans leur hostilité aux institutions. De ce point de vue, la CNCDH exprime sa préoccupation à l’égard d’un dispositif de prévention de la radicalisation qui risque de compromettre non seulement les objectifs du travail social, mais encore la lutte contre le terrorisme.
31. La CNCDH rappelle donc avec insistance la nécessité de respecter la mission centrale des travailleurs sociaux, lesquels ne doivent pas devenir des auxiliaires de police ou des services de renseignement. Les pouvoirs publics ne sauraient faire primer une logique sécuritaire sur des politiques publiques mues par un objectif d’intégration sociale. Plutôt que de faire peser sur les travailleurs sociaux cette nouvelle mission de surveillance (33), la CNCDH recommande de garantir l’autonomie des acteurs sociaux et de les renforcer dans leurs fonctions d’origine. Depuis plusieurs années, le défaut de moyens alloués à l’accompagnement des jeunes en difficulté, à la réinsertion des détenus, n’a fait qu’accroître la vulnérabilité de ces personnes. La CNCDH tient à souligner le rôle déterminant que la Protection judiciaire de la jeunesse pourrait jouer en matière d’accompagnement en mettant en place une prise en charge et un suivi adaptés des jeunes primo-délinquants et de leur famille (34).
32. Le dispositif de détection mis en œuvre par les pouvoirs publics engendre plus largement des comportements qui inquiètent la CNCDH. Certains professionnels, des médecins ou des avocats notamment, s’adressent au CNAPR (le numéro vert) pour indiquer qu’une personne mériterait d’être surveillée, à partir d’informations en principe couvertes par le secret professionnel (35). Il existe bien des exceptions à ce principe, qui tiennent principalement à l’obligation de dénoncer un crime ou un délit (36). Or, en l’occurrence, les situations à l’origine de ces signalements se situent tellement en amont d’une éventuelle infraction que ces transmissions d’information représentent une atteinte disproportionnée au secret professionnel au regard de l’objectif poursuivi.
33. Par ailleurs, le même numéro vert, également mis à la disposition des familles, induit un mélange des genres susceptible de compromettre le but recherché. Arborant une ambition d’aide aux familles, le site internet dédié au grand public, STOP-DJIHADISME, les oriente vers la plate-forme téléphonique « en cas de question ou de doute face à un changement d’attitude ». Le caractère extrêmement vague de cette indication met les familles au service d’un filet de détection susceptible de concerner la quasi-totalité des jeunes. Elle favorise un climat de suspicion dans les familles, tant à l’égard des enfants que des pouvoirs publics. Cela risque de susciter de la méfiance de la part des premiers, voire même de la défiance, et d’accentuer ainsi des comportements de repli susceptibles d’accélérer un processus d’endoctrinement.
34. La CNCDH s’inquiète d’une dérive sécuritaire des pouvoirs publics qui engendre une confusion entre le renseignement et la protection de l’enfance. La commission regrette en effet, dans le cas d’une situation préoccupante affectant un mineur, la priorité accordée au canal du renseignement, plutôt qu’à celui des services de l’aide sociale à l’enfance ou de la Protection judiciaire de la jeunesse. La plate-forme téléphonique mise à la disposition des familles pourrait être transférée au SNATED qui gère déjà le numéro 119 pour l’enfance en danger. Elle serait alors déconnectée des services de police et du renseignement. La confidentialité des informations recueillies à l’occasion de l’entretien téléphonique serait ainsi garantie aux appelants, sauf en cas de danger immédiat pour la personne ou pour la sécurité commune (37). La CNCDH recommande donc aux pouvoirs publics de déconnecter des services de renseignement le dispositif d’écoute des familles et de l’entourage d’une personne présentant des signes de radicalisation.
La dérive sécuritaire : le fichage des radicalisés
35. Le dispositif de prévention de la radicalisation s’est accompagné de la création d’un nouveau fichier : le fichier des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Créé en mars 2015, ce fichier prend place dans le dispositif national de détection de la radicalisation. Il est administré par l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT). Les décrets de création et de modification de ce fichier (38) n’ont pas été rendus publics dans la mesure où il concerne la sûreté de l’Etat, la défense et la sécurité publique. La création de ce nouveau fichier a d’abord donné lieu à un avis favorable de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Cependant la modification intervenue en octobre 2015 a reçu un avis favorable avec réserve, non publié (39). Au terme de l’assimilation de la radicalisation à un processus menant d’une adhésion à des idées à de l’action violente, le Gouvernement a pu ainsi mettre en place un fichier secret alors même que la plupart des personnes inscrites ne présentent pas de danger pour la sûreté de l’Etat. La CNCDH regrette donc l’absence de publicité de ces décrets.
36. Selon les derniers chiffres disponibles, au total, 17 393 individus étaient inscrits au FSPRT au 1er mars 2017 (40). Comme le rappelle la mission d’information du Sénat dans son rapport sur les collectivités territoriales et la prévention de la radicalisation, les individus ainsi fichés ne donnent pas tous lieu à une surveillance. Par ailleurs, en fonction de la « dangerosité » des personnes figurant dans ce fichier, il est décidé ou non d’un suivi spécifique. Sur la totalité des personnes inscrites au fichier, entre 3 000 et 4 000 sont considérées comme les plus dangereuses et sont suivies spécifiquement par la DGSI. Les autres font l’objet d’un suivi plus ou moins étroit par des associations mandatées par les préfectures. Il convient de préciser également que des mineurs sont inscrits dans ce fichier.
37. La CNCDH a déjà eu l’occasion de critiquer à de nombreuses reprises les dangers inhérents aux fichiers conçus à des fins sécuritaires (41). Elle s’interroge ici sur l’opportunité de créer un nouveau fichier alors que plusieurs fichiers couvrent déjà la lutte contre le terrorisme. D’abord le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT) ; et surtout, le fichier des personnes recherchées (FPR), dont les fiches S qui concernent les personnes « faisant l’objet de recherches pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l’Etat, dès lors que des informations ou des indices réels ont été recueillis à leur égard » (42). En l’absence d’information à ce sujet, la CNCDH invite les pouvoirs publics à préciser les modalités d’articulation de ces différents fichiers (43).
38. Plus fondamentalement, l’absence de cohérence des profils réunis au sein du fichier FSPRT, au regard de l’objectif sécuritaire qui lui est assigné, inquiète la CNCDH. Les personnes fichées ne font pas toutes l’objet d’un signalement en raison d’agissements menaçant, directement ou indirectement, la sûreté de l’Etat mais simplement en raison d’une conduite ou d’un comportement exprimant une conviction politique ou religieuse. La CNCDH estime donc que le régime spécial attaché à la collecte et à l’accès au FSPRT, très restrictif des libertés, en raison de la finalité sécuritaire qui lui est assigné, porte une atteinte disproportionnée au respect de la liberté et de la vie privée protégées par l’article 2 de la DDHC et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, de surcroît lorsqu’il s’agit de mineurs. La CNCDH appelle donc les pouvoirs publics à supprimer le fichier FSPRT.
39. La CNCDH s’inquiète en outre de l’utilisation qui pourrait être faite de ce fichier. A cet égard, elle tient à relever le danger que représenterait pour les libertés l’une des recommandations portées par la mission d’information du Sénat. Les sénateurs proposent en effet de porter à la connaissance des élus locaux les informations pertinentes contenues dans les fichiers FIJAIT, FPR et FSPRT, afin d’alimenter les procédures de ressources humaines des collectivités territoriales (44). Or, la plus grande majorité des personnes fichées présentent un signal faible de radicalisation. La CNCDH estime donc que cette proposition ferait peser sur le respect de la vie privée une atteinte manifestement disproportionnée par rapport à l’objectif de sécurité.
II. – Les réponses institutionnelles apportées à la « radicalisation » des personnes
40. Face à un sujet aussi sensible que la prise en charge des personnes dites radicalisées la CNCDH reconnaît le bien-fondé de la démarche « expérimentale » adoptée par les responsables du ministère de l’intérieur et l’administration pénitentiaire (45). Des programmes ont ainsi été mis en place afin de contrer ce phénomène, en milieu ouvert et en milieu fermé. Les mesures de police et le droit pénal sont aussi mobilisés dans la riposte engagée par les pouvoirs publics contre les personnes radicalisées. L’ensemble de ces réponses s’avèrent plus ou moins pertinentes, plus ou moins respectueuses des droits et libertés, et parfois même totalement inefficaces.
A. – Des programmes de contre-radicalisation attentatoires aux droits et contre-productifs
41. La prise en charge des personnes radicalisées appelle des réponses de la part des pouvoirs publics qui varient en fonction de l’évaluation du « degré de radicalisation » et, selon qu’elles sont placées ou non sous main de justice. Nombre de professionnels veulent faire de la « déradicalisation » sans savoir ce que cela recouvre exactement (46). Le constat de la CNCDH en la matière s’apparente à celui qu’elle a dressé pour l’élaboration des grilles de détection : une certaine forme d’improvisation semble avoir présidé à la prise en charge des personnes radicalisées, quel que soit le cadre d’intervention, ce qui ne manque pas de susciter des interrogations sur la pertinence de cette prise en charge, indépendamment même des atteintes apportées aux droits fondamentaux.
1. Personnes prises en charge par l’administration
42. Plusieurs types de programmes ont été mis en place afin de prendre en charge les personnes jugées « radicalisées » sans pour autant que leur dangerosité justifie des mesures privatives de liberté, telles que des assignations à résidence par exemple. En fonction des informations dont elles disposent – via l’UCLAT ou leurs propres renseignements – les préfectures optent ou non pour une prise en charge des personnes signalées (47). Afin d’apporter la réponse la plus appropriée au phénomène de radicalisation, la prise en charge oscille entre des dispositifs de droit commun aménagés ou non et des mécanismes ad hoc.
Les préfectures au cœur du dispositif de prise en charge
43. Dans le climat de panique collective suscité par les attentats de 2015, et sous la pression des médias, les pouvoirs publics, contraints à agir dans l’urgence, se sont appuyés sur ceux qui revendiquaient une expertise en matière de radicalisation. Par la voie de partenariats non formalisés, puis depuis l’été 2016 en passant par des conventions, les préfectures ont mandaté des associations pour assurer le suivi de personnes présentant des signes faibles de radicalisation. Des abus ont parfois été constatés avec des associations aux pratiques et à la déontologie douteuses (48). La CNCDH tient néanmoins à saluer les résultats positifs parfois obtenus dans le cadre de certains partenariats avec des professionnels de l’enfance, tout en relevant les problèmes que cela pose s’agissant de la confidentialité des informations recueillies à l’occasion de la prise en charge (49).
44. Les préfectures disposent d’une grande marge d’appréciation dans le choix de leurs partenaires. La réponse aux appels d’offre est toutefois en grande partie due à des effets d’aubaine : dans un contexte de raréfaction des subventions publiques, les associations arborent la lutte contre la radicalisation afin de recueillir des financements. Le contrôle exercé par les services préfectoraux sur la pertinence des méthodes employées par ces associations n’est d’ailleurs pas toujours à la hauteur des enjeux, soit parce que la nécessité d’apporter une réponse prime sur toute autre considération, soit parce que les services ne disposent pas de compétences en matière d’évaluation des pratiques (50).
45. Si la CNCDH comprend que des expérimentations puissent échouer ou évoluer sur le fond et sur la forme, elle critique néanmoins l’absence dès 2014 d’un conseil scientifique chargé de diligenter des recherches actions et de poser un cadre éthique aux interventions des associations. Elle salue donc sa création le 3 mai dernier (51), même si elle s’interroge sur sa composition qui l’apparente davantage à un haut conseil. La commission s’interroge également sur le tropisme « islamiste » qui semble avoir présidé à sa composition (52) et regrette l’absence de personnalités spécialistes d’éthique.
46. En outre, la CNCDH relève que les moyens humains et financiers mobilisés ont été disproportionnés par rapport au nombre de personnes susceptibles de représenter un danger (53). L’objectif de lutte contre le terrorisme a capté une grande partie des budgets consacrés jusque-là à la lutte contre la délinquance et au fonctionnement habituel des administrations. La CNCDH recommande de favoriser la prise en charge des mineurs dits radicalisés dans le cadre du droit commun, par un travail d’accompagnement et d’insertion indépendant des services de police et de renseignement.
L’échec de l’expérimentation du centre de réinsertion et de citoyenneté
47. Un « Centre de réinsertion et de citoyenneté », situé en Indre-et-Loire, a été créé en 2016 à titre expérimental pour accueillir des jeunes entre 18 et 30 ans pendant dix mois afin de construire en internat un désengagement dans la durée (54). Son échec est notamment lié à un mauvais ciblage des personnes prises en charge. En raison du faible nombre de candidats volontaires pour intégrer ce programme (55), l’expérimentation n’a finalement pas eu le temps de porter ses fruits. La mission d’information du Sénat sur le désendoctrinement et la réinsertion des djihadistes a constaté en février dernier que le centre n’accueillait plus personne (56), et le ministre de l’intérieur a suspendu son fonctionnement à cette date.
48. Il paraît pour le moins étonnant que des personnes perçues comme étant en « rupture » avec leur environnement, « hostiles » aux institutions publiques, acceptent de participer à un programme qui, même s’il n’est pas intitulé comme tel, n’en reste pas moins pour les medias et les personnes visées un programme de « déradicalisation ». Autrement dit, le principe de l’adhésion volontaire restreint la portée du dispositif à des personnes faiblement radicalisées, si tant est que cet oxymore puisse avoir un sens.
49. De surcroît, ces centres de réinsertion coûtent très cher. Le budget annuel de fonctionnement du centre de Pontourny avoisine 2,5 millions d’euros. La mission d’information du Sénat sur l’endoctrinement relativise ce chiffre en le comparant à celui, plus important en termes relatifs, de celui d’un Centre éducatif fermé (CEF) (57). La comparaison a de quoi surprendre car les CEF représentent une alternative à l’incarcération pour des mineurs délinquants. Or, en l’occurrence, il s’agit de personnes faisant l’objet d’une simple prise en charge administrative. Surtout, l’argent investi dans cette structure l’a été en pure perte puisque très peu de personnes ont été proposées et ont adhéré au dispositif. Si la CNCDH salue le recours à l’expérimentation, elle ne peut que constater son échec et invite les pouvoirs publics à tirer le bilan de ce mode de prise en charge.
Une remise en cause de la liberté religieuse et de la liberté de pensée
50. Les personnes détectées comme radicalisées, et portées candidates au Centre de réinsertion et de citoyenneté, l’auront été en raison de leur adhésion au salafisme piétiste (58), et plus généralement à certaines idées jugées incompatibles avec les valeurs de la République. L’un des volets de la prise en charge consistait à inculquer ces valeurs et à remettre en cause les théories du complot (59). La CNCDH s’inquiète des dérives de ce qui pourrait s’apparenter à une police de la pensée. Par ailleurs, elle tient également à souligner qu’il n’est pas possible de contraindre une personne à changer d’opinion : un accompagnement approprié peut éventuellement l’amener à reconsidérer ses convictions. Dans le cadre de cet accompagnement, la mobilisation des « repentis », autrement dit de ceux qui ont renoncé à une idéologie, peut constituer une expérimentation utile.
51. En outre, la CNCDH rappelle que le principe de laïcité, dont se réclamait pourtant le CIPDR à l’occasion de la création du Centre (60), implique le respect de la liberté de conscience et le principe de non-discrimination entre les confessions religieuses. Le principe de laïcité ne saurait être utilisé afin d’établir quelles formes d’islam sont acceptables ou non. Sous réserve de l’absence de trouble à l’ordre public, l’Etat doit garantir le respect de toutes les pratiques ou convictions religieuses. La CNCDH recommande donc de ne pas axer la prise en charge des personnes dites radicalisées sur une remise en cause de leurs convictions religieuses.
2. Personnes placées sous main de justice
52. Le milieu carcéral a souvent été désigné comme un facteur aggravant du phénomène de radicalisation. Le ministère de la justice s’est efforcé à partir de la fin de l’année 2015 de mettre en place des mesures destinées à prévenir la radicalisation en prison, en luttant notamment contre les risques de prosélytisme. Bien que le garde des sceaux ait récemment annoncé une réorientation du dispositif, celui-ci ne paraît pas changer fondamentalement et continue de poser un certain nombre de problèmes, non seulement au regard du respect des droits fondamentaux mais également vis-à-vis de l’objectif de réduction de la menace terroriste.
L’hésitation sur les dispositifs de prise en charge
53. Le code de procédure pénale prévoit la possibilité d’une mise à l’isolement pour les détenus dangereux (61). A ce régime de droit commun se sont ajoutées des mesures de regroupement des personnes radicalisées ou en voie de radicalisation au sein d’unités dédiées. Les premières ont été créées à l’initiative du chef d’établissement de la prison de Fresnes en octobre 2014, puis ont été étendues après les attentats d’octobre 2015, par la garde des sceaux, à trois autres établissements : Osny (Val-d’Oise), Fleury-Mérogis (Essonne) et Lille-Annœulin (Nord). L’objectif affiché de la création de ces unités dédiées était d’éviter le « prosélytisme ». La concentration en région parisienne (62) de détenus proches de la mouvance djihadiste était susceptible d’accroître les risques d’influence de ces derniers sur les détenus de droit commun. C’est pourquoi la France a dans un premier temps opté pour un regroupement des détenus radicalisés. Le placement dans des unités dédiées (UD) était alors réservé aux personnes écrouées pour des faits de terrorisme liés à l’islam, puis il a été étendu aux personnes repérées en détention comme radicalisées, ou en voie de radicalisation, avec les problèmes de détection déjà soulignés.
54. Après l’agression de deux surveillants en septembre 2016 par un détenu au sein de l’unité de prévention de la radicalisation de la prison d’Osny (63), le ministre de la justice a opté pour un nouveau dispositif, qui s’articule en deux temps : l’évaluation de la dangerosité des personnes radicalisées d’abord, puis le traitement différencié des personnes radicalisées selon leur niveau de dangerosité. Les prévenus écroués pour des faits de terrorisme en lien avec l’islamisme radical sont placés dans l’un des quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER), le temps d’une évaluation pluridisciplinaire de quatre mois. Au terme de ce placement, les détenus « dont la radicalisation est la plus forte et la plus susceptible d’entraîner de la violence » (64) sont regroupés dans des quartiers pour détenus violents (QDV). Les autres, « dont l’évaluation aura révélé qu'[ils] peuvent engager un désistement de la violence », font l’objet d’une prise en charge spécifique au sein de l’un des vingt-sept établissements « qui présentent des conditions de sécurité élevées et bénéficient de renforts de personnels (surveillance, équipes pluridisciplinaires) ayant reçu une formation ».
L’atteinte aux droits fondamentaux des personnes détenues
55. Outre l’absence de précision sur les critères mobilisés pour apprécier le degré de « dangerosité » des prévenus, ainsi que sur leur régime d’incarcération, la mise en place de ce nouveau dispositif préoccupe la CNCDH pour plusieurs raisons. Elle s’inquiète d’abord que les critiques exprimées par la Contrôleure général des lieux de privation de liberté à l’égard du dispositif antérieur demeurent d’actualité. L’autorité administrative indépendante pointait l’atteinte portée à certains droits fondamentaux des détenus, tel que l’absence de recours contre la décision de placement en unité dédiée, ou bien encore les atteintes potentielles au respect de la vie familiale (65). Si la loi du 3 juin 2016 (66) a finalement garanti aux détenus le droit de contester en justice leur affectation en unité dédiée, la création d’un nouveau dispositif de prise en charge des personnes radicalisées, ou suspectées de l’être, réduit à néant les efforts accomplis en faveur du droit de recours. La CNCDH recommande de garantir ce droit contre les décisions de placement en quartier pour détenu violent.
56. Par ailleurs, l’éloignement de leur région d’origine et de leur famille du fait du regroupement des détenus radicalisés dans des établissements pénitentiaires localisés dans la région parisienne (à l’exception de celui du Nord) peut s’avérer contre-productif dans la mesure où les familles jouent un rôle important pour favoriser la réinsertion de jeunes radicalisés. La CNCDH appelle donc les magistrats en charge de ces dossiers à porter une attention particulière aux situations individuelles familiales afin de garantir au mieux le maintien des liens familiaux.
57. La CNCDH s’interroge également sur l’opportunité de créer une nouvelle catégorie de détenus soumis à un régime dérogatoire du droit commun. En effet, le code de procédure pénale prévoit d’ores et déjà la possibilité de soumettre les « détenus particulièrement signalés » (DPS) – inscrits comme tels dans un répertoire ad hoc – à un régime de détention plus sévère. Les personnes concernées sont celles qui sont « susceptibles de mobiliser les moyens logistiques extérieurs d’organisations criminelles nationales, internationales ou des mouvances terroristes » ou « dont l’évasion pourrait avoir un impact important sur l’ordre public en raison de leur personnalité et / ou des faits pour lesquels elles sont écrouées » (67). Surtout, comme il l’a déjà été mentionné, si l’inscription au répertoire des « détenus particulièrement signalés » (DPS) peut faire l’objet d’un recours juridictionnel, l’affectation dans un quartier pour détenu violent (QDV) n’est pas assortie d’une telle garantie.
58. Alors que l’objectif affiché est de « déradicaliser » les détenus, les spécialistes ne manquent pas de relever que leur regroupement aura au contraire pour effet de les conforter, voire de les renforcer, dans leurs convictions. Il n’est par ailleurs pas impossible, malgré la mise en place d’une évaluation de la radicalisation, que certains détenus orientés à tort vers un QDV, sous l’effet conjugué des conditions d’incarcération et de la promiscuité avec des détenus animés par des intentions terroristes, se rapprochent de réseaux d’action violente. Non seulement les droits fondamentaux de ces personnes seraient remis en cause, mais encore la CNCDH insiste sur le fait qu’une telle éventualité, loin d’être improbable étant donnés les ressorts incertains de l’évaluation, met en lumière le caractère contre-productif, voire dangereux, de ce dispositif.
Des programmes de « déradicalisation » souvent contre-productifs
59. Les programmes de « déradicalisation » menés en prison mettent l’accent sur une approche pluridisciplinaire dont la portée n’a pas pu encore faire l’objet d’une évaluation. Selon le rapport de juillet 2016 de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, l’administration pénitentiaire n’a pas défini clairement le contenu des programmes de « déradicalisation », laissant une grande autonomie aux équipes dans l’organisation des ateliers proposés : « cette autonomie permet certes de s’appuyer sur des initiatives locales et de mettre en place des activités innovantes (un atelier d’escrime thérapeutique à l’Unité dédiée d’Osny par exemple) mais elle entraîne de grandes disparités dans l’offre de prise en charge de ces personnes voire des improvisations » (68). Par ailleurs, les personnes affectées à l’Unité dédiée étaient informées très tardivement de leur transfert comme du contenu des programmes, ce qui « est en totale contradiction avec l’adhésion recherchée de la personne ».
60. La recherche action menée à Osny et à Fleury-Mérogis présente de ce point de vue un grand intérêt (69). Elle repose en effet principalement sur une approche non stigmatisante, confidentielle, et axée sur la mise en confiance et la réinsertion sociale, à travers des groupes de discussion mixte (personnes radicalisées/non radicalisées) et des rencontres autour de professionnels. La CNCDH regrette que la prise en charge des détenus identifiés comme « radicalisés » repose trop souvent sur un « contre-discours » (70), une volonté d’inculquer les valeurs de la République de manière unilatérale. Une telle approche ne peut qu’alimenter le ressentiment et la frustration de personnes en rupture avec la société, et là encore, s’avérer contre-productif en aggravant leur éventuelle radicalisation. La CNCDH appelle donc l’administration pénitentiaire à généraliser le genre d’approche développée par la recherche action, qui s’inspire d’ailleurs des dispositifs de droit commun existants, tels que les programmes de prévention de la récidive (PPR).
61. Si la participation des personnes non détenues aux programmes de déradicalisation repose sur leur consentement, il n’en est pas de même pour les personnes mises en examen ou reconnues coupables. En effet, le code de procédure pénale prévoit la possibilité pour les magistrats d’ordonner une prise en charge visant « la réinsertion et l’acquisition des valeurs de la citoyenneté » (71). C’est d’autant plus étonnant pour les prévenus qu’ils n’ont pas encore été sanctionnés. Surtout, la CNCDH perçoit mal comment l’acquisition des valeurs républicaines pourrait se faire sans le consentement des personnes intéressées.
B. – Des réponses administratives et judiciaires disproportionnées
62. La « radicalisation » ne peut pas constituer un chef d’accusation pénale ou bien motiver à elle seule les mesures de police administrative prévues dans le cadre de l’état d’urgence. Néanmoins, dans la mesure où elle est susceptible de caractériser le comportement d’un individu, elle peut être mobilisée parmi les éléments de fait au regard desquels les autorités administratives et les magistrats motivent parfois leurs décisions. La « radicalisation » d’une personne engendre des réponses administratives, et/ou judiciaires, particulièrement précoces par rapport à des agissements répréhensibles, justifiées parfois par le « stress institutionnel » engendré par les attentats. Or, ces réponses se caractérisent par des mesures privatives de libertés particulièrement sévères.
La radicalisation : un motif d’intervention administrative mal étayé
63. Les assignations à résidence et les perquisitions qui peuvent être mises en œuvre dans le cadre de l’état d’urgence le sont lorsqu’il existe des « raisons sérieuses de penser » que le « comportement [d’une personne] constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics » (72). La « radicalisation » d’une personne est souvent invoquée par l’Etat devant le juge administratif pour caractériser les raisons de penser qu’elle constitue une menace pour l’ordre public (73). Surtout, les éléments mobilisés dans les « notes blanches » par le ministère de l’intérieur pour étayer l’existence d’une radicalisation justifiant une assignation à résidence (74) paraissent faibles : les signes d’appartenance à la mouvance salafiste, voire des comportements de dissimulation adoptés par des musulmans (75). Si le juge administratif contrôle avec une rigueur accrue la légalité des assignations à résidence, la CNCDH ne peut que regretter le caractère disproportionné de mesures restrictives de la liberté d’aller et de venir au regard du caractère très incertain de ce que recouvre la radicalisation des personnes concernées. En outre, la CNCDH s’inquiète une fois encore du caractère discriminatoire de mesures qui amalgament encore trop souvent musulmans salafistes et djihadistes. A ce titre, la CNCDH recommande à nouveau la levée de l’état d’urgence (76).
Des incriminations attentatoires à la liberté de pensée et au principe de nécessité des délits et des peines
64. S’agissant de la réponse pénale, il convient au préalable de rappeler qu’en matière de terrorisme prévaut un régime d’exception issu des multiples réformes de procédure pénale qui se sont succédé depuis la fin des années 80. Il ne sera pas question ici de revenir sur les risques que cette évolution fait peser sur les droits fondamentaux. En conséquence, la CNCDH n’évoquera pas ici de manière générale la manière dont la justice traite les faits de terrorisme (77).
65. La CNCDH exprime son inquiétude à l’égard de certaines infractions destinées à contrer le processus de radicalisation. La prévention de la radicalisation prend parfois la forme d’une sanction précoce, qui intervient dans une phase du processus bien antérieure à une éventuelle intention terroriste. C’est notamment le cas du délit de consultation de sites djihadistes, dont le caractère attentatoire aux droits fondamentaux a d’ailleurs été relevé par le Conseil constitutionnel. Le 10 février 2017, ce dernier a en effet censuré l’article 421-2-5-2 du code pénal (78), qui incriminait le fait de consulter habituellement sur internet des sites « mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie ». Il a en effet considéré que cette disposition portait une atteinte qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée à l’exercice de « la libre communication des pensées et des opinions » garantie par la Déclaration des droits de l’homme de 1789 qui « implique la liberté d’accéder » à Internet.
66. La CNCDH se félicite de cette décision mais ne peut que déplorer la réintroduction de ce délit, sous une forme à peine remaniée, à la faveur d’un amendement déposé en commission mixte paritaire lors de l’examen du projet de loi relatif à la sécurité publique (79). Comme elle a déjà pu l’exprimer dans son avis consacré à cette loi, la CNCDH estime que la nouvelle rédaction ne tire pas les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel (80). Alors que ce dernier mettait en cause l’absence de lien exigé entre la consultation d’un site djihadiste et une volonté de commettre un acte terroriste, le législateur s’est contenté de préciser que cette consultation doit s’accompagner d’« une manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée » sur le site. Or, cette précision n’apparaît pas suffisamment déterminée pour éviter les risques d’arbitraire. La CNDCH recommande donc l’abrogation de ce délit.
67. La CNCDH regrette plus généralement le développement d’incriminations préventives, qui mettent en cause des faits entretenant un lien très incertain avec l’infraction de terrorisme. C’est particulièrement le cas de la consultation de sites djihadistes. Cette évolution témoigne d’une confusion des genres entre police administrative et droit pénal, la logique préventive de la première déteignant sur le second. Cette confusion est alimentée par la notion de radicalisation, telle qu’elle est conçue par les pouvoirs publics, qui repose sur l’idée invérifiée scientifiquement qu’il existerait une chaîne causale menant d’une hostilité pour les institutions ou d’un intérêt pour le mouvement djihadiste vers l’action terroriste. Le législateur en vient donc à interdire des comportements qui ne constituent pas, à proprement parler, « des actions nuisibles à la Société » (article 5 de la DDHC). La CNCDH invite donc les pouvoirs publics à ne pas ériger en infraction des comportements sans lien direct avec le terrorisme.
Une justice pénale bouleversée par la radicalisation
68. Certaines règles de procédure remettent en cause le respect des droits fondamentaux des prévenus, en sacrifiant le respect des droits de la défense au bénéfice d’une réponse pénale accélérée.
69. Depuis la loi du 9 septembre 1986, les dossiers de terrorisme sont centralisés par des magistrats parisiens (parquet, pôle d’instruction et cour d’assises spécialisée) (81). Ce n’est qu’en septembre 2016 qu’une chambre correctionnelle dédiée à la question a été créée. A l’initiative du président du TGI de Paris, les dossiers de « basse intensité » sont jugés en « circuit court » par la 16e chambre correctionnelle (82) c’est-à-dire en comparution immédiate : c’est notamment le cas pour les délits de consultation de sites terroristes ou d’apologie du terrorisme. La première audience s’est ainsi tenue le 7 février 2017 malgré les craintes des avocats pénalistes (83) qui ont demandé « au bâtonnier de Paris de dénoncer officiellement cette nouvelle pratique judiciaire qui viole les libertés fondamentales ». Si les comparutions immédiates n’offrent pas, de manière générale, les garanties suffisantes au respect des droits de la défense, la CNCDH regrette a fortiori son application à des délits pour lesquels les peines peuvent aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement (apologie du terrorisme).
70. Il est indéniable qu’une lourde responsabilité pèse sur les juges dans des affaires en lien plus ou moins direct avec la menace terroriste. La CNCDH s’inquiète de la pression ainsi ressentie par certains magistrats en charge de dossiers relatifs à des personnes radicalisées. Les auditions ont, par exemple, mis en évidence le fait que les juges des libertés et de la détention (JLD) adoptent une position de retrait par rapport aux requêtes du parquet auxquelles ils donnent une suite positive quasi systématiquement (prolongation de garde à vue, placement en détention provisoire, autorisation d’une perquisition) (84). Il est également ressorti de ces auditions l’impossibilité matérielle pour un JLD de contrôler certains actes de procédures susceptibles de se dérouler à des centaines de kilomètres de son ressort, puisque le parquet de Paris et les Juges d’instruction ont une compétence nationale en matière d’anti-terrorisme.
71. Les informations communiquées aux juges sur l’éventuelle radicalisation d’un prévenu soulèvent des problèmes, tant du point de vue de la déontologie des magistrats que du respect du contradictoire. Par leur présence au sein des cellules de suivi préfectorales, les procureurs sont susceptibles de recueillir des informations dans le cadre du suivi des personnes détectées comme radicalisées. En l’absence de directives officielles sur le partage de ces informations, certains procureurs peuvent être amenés à les transmettre aux magistrats du siège. D’un autre côté, l’évaluation de la radicalité menée par l’administration pénitentiaire, et plus généralement par les services de renseignement, peut être communiquée au juge pour apprécier le risque de passage à l’acte de la personne mise en cause pour son lien avec une activité terroriste (en raison d’un départ en Syrie, d’apologie de terrorisme etc.) (85).
72. En principe, sauf en cas de « secret défense », toute information versée au dossier doit être communiquée aux parties. Faute de directive claire sur la conduite à tenir à l’égard des informations relatives à la radicalisation d’un prévenu, les magistrats du siège adoptent des pratiques différentes en la matière. Certains n’introduisent pas ces informations dans le contradictoire, tandis que d’autres portent à la connaissance des parties leur contenu, au risque de mettre à mal leurs relations avec les services de renseignement (86). La CNCDH invite donc les pouvoirs publics à définir des directives claires sur le partage et la communication, au sein de la sphère judiciaire, des informations recueillies dans le cadre de la prévention de la radicalisation, ainsi qu’à garantir le respect du contradictoire.
73. La CNCDH s’inquiète de la part prise par la « radicalisation » du prévenu dans le raisonnement des juges lorsqu’ils appréhendent certaines situations pour lesquelles les preuves d’agissements répréhensibles s’avèrent insuffisantes (87). Elle ne peut que déplorer une telle dérive prédictive qui fait que la personne est non plus jugée à l’aune de son acte mais de ceux qu’elle pourrait commettre.
74. La sévérité des sanctions pénales prononcées contre des personnes dont le rattachement au terrorisme passe parfois par des raccourcis ou des présomptions – tels que la notion de radicalisation, ou bien encore lorsqu’il s’agit des personnes ayant séjourné en Syrie ou en Irak – appelle encore de la part de la CNCDH une observation finale : les pouvoirs publics ne se préoccupent pas suffisamment de ce qu’il adviendra de ces personnes une fois leur peine exécutée. La CNCDH recommande donc d’utiliser les sursis avec mise à l’épreuve, permettant de conjuguer accompagnement et suivi de la personne.
75. Tout en reconnaissant les difficultés relatives à la lutte contre le terrorisme, et la nécessité d’y répondre, la CNCDH a souhaité mettre en évidence dans cet avis aussi bien les atteintes apportées aux droits et libertés par le dispositif de prévention de la radicalisation que son caractère souvent contre-productif. Le principe de précaution ne saurait inspirer la politique de prévention du terrorisme, au risque de miner les principes qui fondent l’Etat de droit. Indépendamment des préoccupations sécuritaires, la question de la radicalisation appelle une approche plus globale, attentive au maintien du lien social dans le respect des droits et des convictions de chacun.
III. – Recommandations
76. A. – La détection des personnes « radicalisées »
77. La CNCDH invite les pouvoirs publics à engager une réflexion sur la dérive d’une logique de répression des infractions vers une logique de détection anticipée de ces dernières, dérive à l’œuvre dans le dispositif de prévention de la radicalisation mis en place par les pouvoirs publics.
78. la CNCDH recommande de renouveler les grilles de détection des personnes « radicalisées » en impliquant davantage les chercheurs dans l’élaboration des critères.
79. La CNCDH recommande la mise en place d’une offre de formation plus adaptée pour les agents en charge de la détection des personnes dites radicalisées.
80. Afin d’éviter tout amalgame entre le terrorisme et certaines expressions d’appartenance à l’islam, la CNCDH appelle les pouvoirs publics à éviter toute confusion entre les deux dans leurs déclarations publiques.
81. La CNCDH appelle les pouvoirs publics à ne pas porter atteinte au cœur de métier des travailleurs sociaux : plutôt que de faire peser sur eux une nouvelle mission de surveillance, la CNCDH recommande de garantir leur autonomie et de les renforcer dans leurs fonctions d’origine d’assistance et d’accompagnement.
82. La CNCDH recommande de déconnecter des services de renseignement le dispositif d’écoute mis à la disposition des familles et de l’entourage des personnes dites radicalisées, et de le transférer au 119 qui gère l’enfance en danger.
83. La CNCDH appelle les pouvoirs publics à supprimer le fichier des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).
84. La CNCDH invite les pouvoirs publics à préciser les modalités de l’articulation des différents fichiers utilisés dans la lutte contre le terrorisme (le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT) ; le fichier des personnes recherchées (FPR) et le fichier des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).
85. B. – Les réponses apportées à la « radicalisation » des personnes
86. La CNCDH recommande de favoriser la prise en charge des mineurs dits radicalisés dans le cadre du droit commun, par des professionnels de l’enfance oeuvrant dans un cadre pluridisciplinaire, et indépendant des services de police et de renseignement.
87. La CNCDH invite les pouvoirs publics à dresser le bilan et à tirer toutes les conséquences de l’échec de l’expérimentation du centre de « contre-radicalisation » de Pontourny.
88. La CNCDH recommande de ne pas axer la prise en charge des personnes dites radicalisées sur une remise en cause de leurs convictions religieuses. Pour les détenus, la CNCDH appelle l’administration pénitentiaire à s’inspirer des dispositifs de droit commun existants, tels que les programmes de prévention de la récidive (PPR).
89. La CNCDH recommande de mettre en place un recours contre les décisions de placement en quartier pour détenu violent (QDV).
90. la CNCDH rappelle sa recommandation relative à la levée de l’état d’urgence.
91. La CNDCH recommande l’abrogation du délit de consultation de sites djihadistes (art. 421-2-5-2 du code pénal).
92. La CNCDH recommande au législateur de ne pas ériger en infraction des comportements sans lien direct avec le terrorisme.
93. La CNCDH appelle les pouvoirs publics à définir des directives claires sur le partage et la communication, au sein de la sphère judiciaire, des informations recueillies dans le cadre de la prévention de la radicalisation, ainsi qu’à garantir le respect du contradictoire.
94. La CNCDH appelle à engager une réflexion sur les modalités de la prise en charge des anciens détenus dits radicalisés, et recommande l’utilisation des sursis avec mise à l’épreuve.

(1) Au lendemain du 11 septembre 2001, le terme radicalisation est né d’une double volonté des organes de renseignement :

– une volonté politique de refonte de l’appareil anti-terroriste dans un cadre juridique plus large, et donc plus attentatoires aux libertés individuelles qui « implique et justifie de travailler et donc d’intervenir en amont du passage à l’acte et sur l’individu » ;
– une volonté de réforme des analyses qui porte la marque de l’école américaine des choix rationnels : « pourquoi pareil individu décide-t-il de tuer et de mourir ? Son intérêt bien compris n’est-il pas plutôt de vivre le bonheur de l’American Way of Life ? ». Dans ce cadre d’analyse, la radicalisation est utilisée, selon Gilles Kepel, comme une « prénotion » qui prétend rendre compte des ruptures successives du « radicalisé » par rapport aux normes de la sociabilité dominante. Pour rappel, le concept de prénotion est emprunté au sociologue Emile Durkheim pour lequel il s’agit d’un concept formé spontanément par la pratique et qui n’a pas encore subi l’épreuve de la critique scientifique.

Selon le groupe d’experts de la Commission européenne sur la radicalisation violente (GERCEV), le terme est apparu dans le langage politique de l’UE après l’attentat de Madrid de mars 2004. En France, son utilisation est officialisée en avril 2014, lorsque le Conseil interministériel de prévention de la délinquance (CIPD) a été chargé de la coordination de l’action contre la « radicalisation violente » devenant ainsi CIPDR.

Le mot « radicalisation » en a remplacé d’autres comme « extrémisme », « intégrisme » ou « fanatisme ».

(2) Le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT)

(3) Assemblée nationale, Commission des lois, Rapport sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence, 25 mai 2016 (http://www2.assemblee-nationale.fr/documents/notice/14/rapports/r3784/%28index%29/depots)

(4) L’Alliance thématique nationale des sciences humaines et sociales regroupe des chercheurs des universités, de l’ENS, du CNRS et de l’INSERM.

(5) ATHENA, Recherches sur les radicalisations, les formes qui en résultent, et la manière dont les sociétés les préviennent et s’en protègent, Etat des lieux, propositions, actions, mars 2016. Disponible à : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/164000158.pdf

(6) A l’origine, le terme « radical » apparaît au XVe siècle et vient du latin radix qui signifie racine, fondement, souche. « Radicaliser » apparaît vers 1845, et signifie « rendre plus fondamental, plus extrême ». Est « radical », selon la définition qu’en donne le dictionnaire, « ce qui tient à l’essence, au principe d’une chose », mais également « ce qui va jusqu’au bout de ses conséquences, sans concession ». Le mot « radicalisation » renvoie donc à une transformation vers l’extrême, une intransigeance politique, sociale, religieuse ou culturelle, mais elle n’est pas obligatoirement violente et exceptionnellement armée. Par extension, il définit un parcours personnel.

(7) G. Brie et C. Rambourg, Radicalisation : Analyses scientifiques versus usage politique – Synthèse analytique, CIRAP, 2015.

(8) « Processus par lequel un individu ou un groupe adopte une forme violente d’action, directement liée à une idéologie extrémiste à contenu politique, social ou religieux qui conteste l’ordre établi sur le plan politique, social ou culturel ».

(9) SG-CIPDR, « Référentiel des indicateurs de basculement dans la radicalisation », p. 1.

(10) Ainsi qu’en témoignent les propos tenus par le SG-CIPDR dans un kit de formation : « si la radicalisation peut prendre plusieurs formes, notre propos sera consacré à la radicalisation islamiste, qui est au cœur des enjeux actuels ». Voir SG-CIPDR, « Prévention de la radicalisation », Kit de formation, 2015 (2e éd.), p. 103.

(11) La CNCDH a mené des auditions avec des spécialistes de la radicalisation au Canada, en Allemagne et au Danemark.

(12) Doté habituellement d’un peu plus de 50 millions d’euros annuels, et rallongé de 60 millions supplémentaires (sur trois ans) suite aux attentats en 2015, le plan d’action contre la radicalisation et le terrorisme (PART) sera désormais financé à environ 90 millions d’euros, et ce jusqu’en 2018. Il comporte une part de réorientation des budgets existants ainsi qu’un effort supplémentaire de 40 millions d’euros, qui sera assumé « par l’Etat dans le cadre de la révision budgétaire ».

(13) Selon l’expression employée par le SG-CIPDR.

(14) Directeur de l’administration pénitentiaire, « Guide d’utilisation des outils d’aide au repérage pluridisciplinaire d’un risque de radicalisation violente en établissement pénitentiaire », 5 décembre 2016.

(15) Ministère de l’éducation, « Prévenir la radicalisation des jeunes », 2015.

(16) Ministère de la jeunesse, de la ville et des sports, « Acteurs du sport et de l’animation : Mieux connaître, mieux comprendre et mieux prévenir les phénomènes de radicalisation », 2016.

(17) http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/_prevention_des_derives_radicales_dans_le_champ_du_travail_social.pdf.

(18) https://www.caf.fr/sites/default/files/cnaf/Documents/DCom/Quisommesns/Lettre_AF/Laf_11/LAF.ed_speciale_n11.pdf.

(19) Article 40 du code de procédure pénale : « (…) Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».

(20) Audition de Guillaume Brie.

(21) Ministère de l’intérieur, SG-CIPDR, « Référentiel des indicateurs de basculement dans la radicalisation », p. 1.

(22) « Se rend au culte musulman – Oui/Non » ; « Cherche à imposer sa conception de l’islam aux autres – Oui/Non » ; « Refuse l’affectation d’un codétenu non musulman dans sa cellule voire de tout détenu dans sa cellule – Oui/Non » : cf ministère de la justice, directeur de l’administration pénitentiaire (DAP), Guide d’utilisation des outils d’aide au repérage pluridisciplinaire d’un risque de radicalisation violente en établissement pénitentiaire, 5 décembre 2016, Annexe 1, « Grille de recueil d’informations du personnel de surveillance ».

(23) Farhad Khosrokhavar, « Nouveau paradigme de radicalisation en prison », Cahiers de la sécurité et de la justice, 2014, n° 30, p. 20 ; ou du même auteur, « Prisons en France », Robert Laffont, 2016, pp. 309 et s. Dans le même sens, voir : Claire de Galembert, « Le “radical”, une nouvelle figure de dangerosité carcérale aux contours flous », Critique internationale 2016/3 (N° 72), p. 53-71.

(24) Selon l’expression d’Antoine Garapon et de Michel Rosenfeld : Démocraties sous stress, les défis du terrorisme global, PUF, 2016.

(25) Ministère de l’intérieur, SG-CIPDR, « Référentiel des indicateurs de basculement dans la radicalisation », p. 2 ; Voir également : Le directeur de l’administration pénitentiaire DAP, Guide d’utilisation des outils d’aide au repérage pluridisciplinaire d’un risque de radicalisation violente en établissement pénitentiaire, 5 décembre 2016, p. 5.

(26) CGLPL, Avis du 11 juin 2015 sur la prise en charge de la radicalisation islamiste en milieu carcéral.

(27) Audition de Francesco Ragazzi.

(28) Michel Thierry, « Valeurs républicaines, laïcité et prévention des dérives radicales dans le champ du travail social », Rapport au ministre des affaires sociales et de la santé, remis en juillet 2016.

(29) Voir : Conseil supérieur du travail social, Avis sur l’échange d’informations et le partenariat dans le cadre de la prévention de la délinquance, 17 juillet 2014 ; La charte déontologique type des comités locaux de prévention de la délinquance.

(30) Michel Thierry, « Valeurs républicaines, laïcité et prévention des dérives radicales dans le champ du travail social », op. cit.

(31) Auditions de Sarah Silva Descas et Yves Lapresle.

(32) Marie Piquemal, « Radicalisation à l’école : faire classe ou faire flic ? », Libération, 5 décembre 2016.

(33) Les services sociaux remplissent déjà des missions de veille et de protection des personnes (PMI, protection de l’enfance par exemple), mais les personnes accompagnées en sont informées, sans même évoquer les mesures judiciaires qui sont attentatoires aux libertés mais sont ordonnées après audition des personnes concernées et dans le respect du contradictoire.

(34) Audition de Danièle Epstein.

(35) Loïc Garnier, chef de l’UCLAT, in Assemblée nationale, Rapport sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence, mai 2016 (http://www2.assemblee-nationale.fr/documents/notice/14/rapports/r3784/%28index%29/depots).

(36) Code pénal, article 223-6.

(37) Audition de Benjamin Ducol.

(38) Décret n° 2015-252 du 4 mars 2015 modifiant le décret n° 2007-914 du 15 mai 2007 modifié pris pour l’application du I de l’article 30 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Il a fait l’objet d’une modification en octobre 2015, non public également : Décret du 30 octobre 2015 modifiant le décret portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « FSPRT ».

(39) CNIL, Délibération n° 2015-342 du 6 octobre 2015 portant avis sur un projet de décret modifiant le décret portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « FSPRT ».

(40) Sénat, Rapport d’information sur les collectivités territoriales et la prévention de la radicalisation, 29 mars 2017, p. 27. Parmi les personnes inscrites :

– 7 400 individus ont été signalés par les préfectures via les Etats-Majors de sécurité (EMS) ;
– 5 346 individus ont été signalés par le public via le Centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation ;
– 5 799 objectifs ont été inscrits par des services de police ou de gendarmerie.

(41) Voir not. : CNCDH, 16 avril 2015, Avis sur le projet de loi relatif au renseignement ; CNCDH, 25 septembre 2008, Avis sur le fichier HEDVIGE et le traitement de données personnelles, et CNCDH, 1er juin 2006, Avis sur les problèmes posés par l’inclusion d’éléments biométriques dans la carte nationale d’identité.

(42) Décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées, art. 2, III, 8°. Au sein du fichier FPR, les fiches S sont au nombre de 12 000 d’après le rapport parlementaire relatif au renseignement pour l’année 2016 du 2 mars 2017. Les fiches S ne se réduisent toutefois pas à la seule problématique du contre-terrorisme. Ainsi, la DGSI utilise également la mise en surveillance de personnes au sein de ce fichier dans le cadre de ses autres missions : le contre-espionnage, la lutte contre les extrémismes violents, la lutte contre les organisations terroristes autres que sunnites et, de manière plus réduite, la contre-prolifération et la lutte contre la criminalité organisée.

(43) C’est d’ailleurs une recommandation partagée par la délégation parlementaire au renseignement : Rapport relatif à l’activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l’année 2016, Mars 2017, p. 60.

(44) Sénat, Rapport d’information sur les collectivités territoriales et la prévention de la radicalisation, 29 mars 2017, pp. 87-88.

(45) Auditions de Muriel Domenach et Pierre Pibarot.

(46) Audition de Delphine Bergère-Ducôté.

(47) Des personnes dont les signaux de radicalisation paraissent trop faibles pour une prise en charge constituent néanmoins des dossiers en veille.

(48) Voir l’affaire Sonia Imloul notamment.

(49) Audition de Serge Hefez.

(50) Voir encore l’affaire Sonia Imloul.

(51) Décret n° 2017-693 du 3 mai 2017 créant un conseil scientifique sur les processus de radicalisation.

(52) Décret du 5 mai 2017 portant nomination au conseil scientifique sur les processus de radicalisation.

(53) Les créations de postes dans la fonction publique au titre de la radicalisation ne correspondent pas au nombre de prise en charge ou d’activités nouvelles. Elles compensent des fermetures de postes antérieures au titre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) ou de la Modernisation de l’action publique (MAP).

(54) Ce centre devait préfigurer l’ouverture de treize centres similaires, un dans chaque région métropolitaine. Il est constitué juridiquement sous la forme d’un groupement d’intérêt public (GIP), et se trouve placé sous la responsabilité du secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR).

(55) Au préalable, les préfets, après avis des services de renseignements, soumettaient au centre des propositions de personnes qui avaient fait l’objet d’un signalement auprès des services de la préfecture, laissant au centre le soin d’évaluer la pertinence d’un placement. Dans un second temps, les personnes ciblées étaient contactées pour les informer de leur possibilité de rejoindre le centre. Seules 38 préfectures sur les 66 contactées ont fait des propositions, comme l’indique le compte rendu du comité de suivi.

(56) Esther Benbassa, Catherine Troendle, « Bilan d’étape de la mission “Désendoctrinement, désembrigadement et réinsertion des djihadistes en France et en Europe” », 17 février 2017. Forts de ce constat, après avoir relevé un certain nombre de dysfonctionnements, les sénatrices s’interrogent sur l’efficacité d’un modèle de « centre de déradicalisation » tel qu’envisagé par les pouvoirs publics français. Selon elles, les causes de cet échec résident principalement dans : l’isolement des personnes placées loin de leur milieu d’origine – lesquelles ne peuvent être prises en charge efficacement que sur leur lieu de vie ; l’adhésion volontaire au dispositif qui ne permet pas de retenir les personnes ; des phénomènes d’emprise constatés parmi les individus pris en charge.

(57) Cette comparaison s’explique par le fait que les créateurs du centre avaient comme modèle de fonctionnement les CEF, avec un encadrement renforcé, permanent et pluridisciplinaire.

(58) Les personnes auditionnées ont insisté sur la différence entre le salafisme piétiste et le salafisme djihadiste. A la différence du second, le premier ne préconise pas l’action violente.

(59) CIPDR, GIP Réinsertion et Citoyenneté, « Le programme réinsertion et citoyenneté ».

(60) CIPDR, GIP Réinsertion et Citoyenneté, « Le centre de prévention, d’insertion et de citoyenneté d’Indre-et-Loire ».

(61) Code de procédure pénale, art. 726.

(62) En raison de la compétence du parquet et du pôle de l’instruction de Paris en matière de répression des infractions terroristes, nombre de personnes mises en détention provisoire pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste sont incarcérées dans des établissements proches de Paris.

(63) Ce détenu avait été condamné plusieurs mois avant pour avoir tenté de rejoindre la Syrie.

(64) Plan d’action du 25 octobre 2016, p. 22.

(65) Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Avis du 11 juin 2015 sur la prise en charge de la radicalisation islamiste en milieu carcéral, Journal officiel du 30 juin 2015.

(66) Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, art. 19.

(67) Garde des sceaux, circulaire du 15 octobre 2012 relative à l’instruction ministérielle relative au répertoire des détenus particulièrement signalés (DPS).

(68) CGLPL, Rapport sur la prise en charge de la radicalisation islamiste en milieu carcéral : les unités dédiées ouvertes en 2016, p. 54.

(69) Cette recherche action a été menée par la sociologue Ouisa Kies.

(70) Pour une critique du « contre-discours » ou de la « contre-communication », voir : G. Brie et C. Rambourg, Radicalisation, Analyses scientifiques versus usage politique – Synthèse analytique, CIRAP, 2015, p. 59 et s.

(71) Respectivement les articles 138, 18° et 132-45, 22° du code de procédure pénale.

(72) Loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, respectivement art. 6 et 11.

(73) Auditions de Mes Brengarth et Alimi.

(74) Sur la critique des assignations à résidence décidées dans le cadre de l’état d’urgence, voir les précédents avis de la CNCDH : Avis sur le suivi de l’état d’urgence, 18 février 2016 ; Avis sur le suivi de l’état d’urgence et les mesures antiterroristes de la loi du 21 juillet 2016, 26 janvier 2017.74

(75) Auditions de Me Brengarth et Alimi.

(76) Voir les avis précédents : Avis sur le suivi de l’état d’urgence, 18 février 2016 ; Avis sur le suivi de l’état d’urgence et les mesures antiterroristes de la loi du 21 juillet 2016, 26 janvier 2017.

(77) Sur cette question, la CNCDH a déjà eu l’occasion de se prononcer. Voir not. : Avis sur le suivi de l’état d’urgence et les mesures antiterroristes de la loi du 21 juillet 2016, 26 janvier 2017.

(78) Conseil constitutionnel, Décision n° 2016-611 QPC du 10 février 2017, M. David P. [Délit de consultation habituelle de sites internet terroristes].

(79) Loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, art. 24. Désormais l’article 421-2-5-2 du code pénal est ainsi formulé : « Le fait de consulter habituellement et sans motif légitime un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende lorsque cette consultation s’accompagne d’une manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée sur ce service. Constitue notamment un motif légitime tel que défini au premier alinéa la consultation résultant de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervenant dans le cadre de recherches scientifiques ou réalisée afin de servir de preuve en justice ou le fait que cette consultation s’accompagne d’un signalement des contenus de ce service aux autorités publiques compétentes ».

(80) CNCDH, Avis sur la loi relative à la sécurité publique, 23 février 2017.

(81) Code de procédure pénale, art. 706-16 et s.

(82) Ces affaires ne font pas l’objet d’une instruction. Seule une enquête préliminaire, dirigée par un procureur, est confiée à des enquêteurs spécialisés, puis les prévenus sont renvoyés en comparution immédiate ou convoqués par procès-verbal.

(83) Collectif, « Refusons la nouvelle justice terroriste d’exception ! », Le Monde, 6 janvier 2017 (lemonde.fr/idees/article/2017/01/06/refusons-la-nouvelle-justice-terroriste-d-exception_5058569_3232.html).

(84) Notamment l’audition d’Isabelle Prévost-Desprez et de Laurence Blisson.

(85) Audition de Laurence Blisson.

(86) Audition de Laurence Blisson.

(87) Auditions de Mes Brengarth et Alimi.

Source: JORF n°0077 du 1 avril 2018 texte n° 46

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