« L’Enfer est pavé de bonnes intentions, »
A la publication de nouvelles dispositions législatives ou règlementaires, les justiciables concernés et les associations de défense des droits des justiciables s’approprient le débat afin d’opérer un contrôle de l’atteinte portée aux droits et libertés.
A la suite de la reconnaissance du droit d’association pour les militaires en 2014, le pouvoir règlementaire précise les contours de cette liberté à travers plusieurs décrets et arrêtés.
Par un arrêté ministériel en date du 21 octobre 2016 pris en application des articles R 4126-1 à R 4126-7 du Code la défense relatifs aux associations professionnelles nationales de militaires, les APNM ont vu le périmètre de leurs obligations afférentes à la reconnaissance de leur représentativité s’accroitre.
L’article 3 de cet arrêté imposait aux APNM désirant obtenir la reconnaissance de leur représentativité de transmettre à un organe relevant du Ministère des Armées, en l’occurrence le secrétariat général du Conseil supérieur de la fonction militaire, « les listes d’adhérents de chaque association professionnelle nationale de militaires détaillant le grade, les nom et prénoms, la force armée ou la formation rattachée et le numéro identifiant défense (NID) de chaque adhérent ; ».
L’article 2 était également attaqué en ce que les pourcentages de représentativité sont fixés par le Ministre en charge de la Défense.
Il apparaît ainsi que le pouvoir réglementaire a entendu procéder à un fichage des personnels engagés au sein des APNM.
Face à l’atteinte manifeste portée à la liberté d’association, l’APNM-Marine a saisi le Conseil d’Etat d’une requête en date du 10 janvier 2017.
Le 9 février 2018, la Haute Assemblée décidait d’accueillir la requête de l’APNM-Marine et d’annuler l’article 3 de l’arrêté du 21 octobre 2016 du Ministre de la défense et les dispositions du I et du II de son article 2 en ce qu’elles fixent les pourcentages prévus aux articles R. 4126-6 et R. 4126-7 du code de la défense au-delà du 1er janvier 2021.
Aux termes de cette décision, le Conseil d’Etat a jugé que :
« 7. Considérant qu’en vertu des dispositions précitées le ministre de la défense fixe la liste des associations représentatives par groupes de grade dans chaque force armée ou formation rattachée ; qu’à cette fin, les dispositions du décret du 29 juillet 2016 citées au point 3 prévoient que la commission prévue à l’article R. 4124-22 du code de la défense, présidée par un conseiller d’Etat, vérifie le nombre d’adhérents déclarés par les associations avant que le ministre ne fixe la liste des associations professionnelles nationales de militaires représentatives et celle des associations pouvant siéger au Conseil supérieur de la fonction militaire et que les modalités d’application de cette procédure de vérification sont précisées par un arrêté ministériel ; que toutefois ni ces dispositions ni aucune autre n’habilitent le ministre de la défense à prévoir par arrêté que les listes d’adhérents comportant ces données seront transmises au secrétariat général du Conseil supérieur de la fonction militaire, auquel il revient d’assurer le secrétariat de la commission ; que, par suite, l’article 3 de l’arrêté attaqué, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens dirigés contre cet article, doit être annulé ; »
(CE, 7ème – 2ème chambres réunies, 9 février 2018, n°406742)
Ce faisant, la Haute Assemblée n’a pas manqué de rappeler que les services de l’Administration n’étaient pas habilités à procéder à un recueil de ces données individuelles et relatives à l’identité des personnes qui au demeurant s’apparentait à un fichage des personnels militaires.
Certains y verront une certaine répétition de l’histoire et se rappelleront « l’affaire des fiches » qui anima le début du XXème siècle avec cette fois ci la liberté d’association au cœur du débat.
Par la règle de l’économie des moyens, le Conseil d’Etat a annulé l’article de l’arrêté ministériel litigieux et condamné le Ministère des Armées à verser la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l’article L 761-1 du Code de Justice Administrative relatives aux frais de procédure.
Cette reconnaissance de la garantie de l’anonymat devra permettre aux personnels de s’engager au sein des APNM afin de contribuer à la défense des intérêts et de la condition militaire.
Il s’agit également d’une première victoire pour cette jeune APNM qu’il convient de saluer et de relayer.
© MDMH – Publié le 16 mars 2018