Discours de M. Edouard PHILIPPE, Premier ministre
Devant les sessions nationales 2017-2018 de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) et de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ)
Ecole militaire, Paris 7ème
Vendredi 16 février 2018
Seul le prononcé fait foi
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames et messieurs les élus,
Monsieur le chef d’Etat-major des armées,
Madame la directrice,
Mon général,
Mesdames, messieurs,
A peu près au moment où je faisais mon service militaire en 1994, j’ai lu pour la première fois un livre qui m’a profondément marqué et dont je parle souvent.
C’est un livre de Marc BLOCH qui s’appelle « L’Etrange défaite ». J’aime beaucoup Marc BLOCH, pas seulement pour « L’Etrange défaite » mais parce qu’il a une langue d’une très grande simplicité, d’une très grande précision, une érudition tout à fait remarquable sur la France, son histoire. Vous savez qu’avec d’autres – notamment avec Lucien FEBVRE – il a été un de ces historiens qui ont voulu intégrer le temps long dans l’approche historique. Il a été un officier, il s’est battu pendant la Première Guerre mondiale et dans ses œuvres complètes, il y a un recueil de lettres qu’il écrivait aux familles des soldats morts sous ses ordres, qui sont des lettres absolument magnifiques.
Il avait demandé à être remobilisé pour la Seconde Guerre mondiale. Il avait dépassé l’âge auquel normalement il aurait dû être remobilisé, mais il l’avait demandé de façon explicite. Et dans « L’Etrange défaite », il se livre à un exercice difficile pour un historien, difficile pour un officier et au fond probablement difficile pour un Français. Il s’interroge sur ce qu’il est en train de vivre ou plus exactement sur ce qu’il vient de vivre, les raisons de la défaite et d’une certaine façon de l’effondrement et de l’armée et de l’Etat.
C’est un livre formidable parce qu’il est d’une intelligence lumineuse. Il est à la fois très triste parce qu’au moment où Marc BLOCH écrit, la France est occupée, défaite et en même temps, il y a une forme de petit espoir dans ce livre parce que justement, c’est l’intelligence et la lucidité à l’œuvre, et que c’est la base sur laquelle on peut évidemment tout reconstruire.
Ce livre m’a beaucoup impressionné parce qu’il est pour moi une forme de cauchemar. Il montre que des Français en 1940 ont pu vivre alors même qu’ils pensaient que c’était impossible, inenvisageable. L’effondrement complet de leur pays, l’effondrement de tout ce qui constitue la nation française, l’armée et l’Etat.
Et depuis que j’ai effectué mon service militaire, depuis que j’ai commencé ma vie professionnelle, d’abord dans la fonction publique, ensuite dans l’engagement en politique et parallèlement dans des entreprises privées, j’ai ce cauchemar en tête. L’idée que si nous n’y prenons pas garde, notre pays peut lui aussi à nouveau s’effondrer.
Je sais que le dire comme ça un matin de février où il fait enfin un peu beau, où nous vivons sur le territoire national dans une forme de paix à laquelle nos concitoyens sont attachés, dire que le cauchemar récurrent de mes 30 dernières années c’est la possibilité qu’un jour nous voyions notre Etat s’effondrer a quelque chose de peut-être provocateur. Mais c’est un fait.
Nous devons toujours agir et préparer l’avenir comme si cette perspective, celle que je viens d’évoquer, celle que Marc BLOCH a décrite n’était pas impossible, comme si nous devions nous y préparer, comme si nous devions tout faire pour éviter qu’elle puisse advenir. C’est en tout cas l’esprit dans lequel je me place en vous parlant ce matin. Un esprit qui est donc à la fois sérieux et conscient des enjeux qui sont les nôtres.
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Une des choses qui m’a beaucoup frappé dans les derniers mois, dans les dernières années, c’est évidemment l’élection du Président de la République, d’abord parce que quand vous êtes un acteur politique, le moment présidentiel est toujours un moment important, ensuite parce que directement après cette élection présidentielle, ma situation personnelle s’est trouvée un peu transformée, mais beaucoup plus fondamentalement que ça, parce qu’avec cette élection présidentielle s’est ouverte une forme de moment – particulier – dans lequel toute une série de choses, dont il apparaissait qu’elles étaient difficiles deviennent non pas simples mais plus aisément envisageables. Toute une série de décisions, de transformations, de réformes, qui étaient perçues comme nécessaires mais comme peut-être irréalisables, entrent dans le domaine du possible ; et qu’il nous appartient de profiter de ce moment pour transformer effectivement notre pays, notre Etat, notre armée, pour être à la hauteur des enjeux qui sont les nôtres.
Et c’est de ça au fond mesdames et messieurs que je voudrais vous parler ce matin, de la possibilité de profiter de ce moment politique, peut-être un jour dira-t-on de ce moment historique, mais peut-être ne le dira-t-on pas, ce n’est pas à moi qu’il appartient de le dire, mais en tout cas de ce moment politique pour transformer notre pays et le rendre plus fort, pour qu’il renoue non pas du tout avec une puissance qui l’aurait abandonné, mais avec des décisions qui lui permettent d’assumer cette volonté de puissance qu’il affirme depuis longtemps.
Ce qui est très intéressant, c’est que ce moment français, cette possibilité de prendre des mesures indispensables coïncide avec des hésitations et avec une forme de repli peut-être du monde occidental. Si l’élection du Président crée un moment français, si l’élection du Président français est un moment français, nous savons tous que dans le monde occidental d’autres élections ont conduit à des réactions de repli ou d’hésitations. C’est vrai au Royaume-Uni où nous voyons une forme de doute ; c’est vrai aux Etats-Unis où un certain nombre d’expressions font parfois naître une forme de doute sur la cohérence, la résolution d’un certain nombre d’engagements.
La décision du Président américain de se retirer de l’Accord de Paris illustre ce que je viens d’exprimer, c’est-à-dire ce doute sur la capacité des Etats occidentaux à formuler des objectifs collectifs et à s’astreindre aux efforts nécessaires pour les atteindre.
On a vu aussi un accroissement des tensions protectionnistes, des nationalistes, des populistes à certains égards. On a vu dans le même temps une émergence – elle est ancienne, elle s’accélère – de puissances ailleurs que dans le monde occidental. Puissances organisées, puissances animées par des ambitions, cohérentes, par des volontés de puissance assumée et, donc, une remise en cause de cet état de fait qui prévalait jusqu’à présent.
La façon dont la puissance française peut s’incarner dans le monde de 2018, c’est évidemment le recours à un dialogue ouvert mais ferme. Ce dialogue repose sur une vision la plus réaliste possible du monde tel qu’il est, une appréciation des nouveaux rapports de force.
Le réalisme commande d’entretenir le dialogue avec tout le monde, parler à tout le monde est une exigence française, une ligne rappelée régulièrement et à juste titre par le Président de la République et, ce, même quand nos interlocuteurs ne partagent pas nos valeurs.
Le Président de la République en a offert un exemple fondateur et remarqué immédiatement après son élection en accueillant le Président russe en France, à Versailles. Cette approche réaliste, soyons clairs, je ne la crois pas cynique. Elle est indispensable. Elle ne veut pas dire que parce que l’on parlerait avec tout le monde, on se tairait ou on accepterait tout, ou on acquiescerait à toutes les décisions qui seraient contraires, soit évidemment à nos intérêts soit au bien commun.
Il faut donc accepter que la France, dans tous les conflits et dans toutes les situations, assume de parler à chacun, assume d’entrer dans des logiques de rapport de force, mais assume d’essayer justement de créer des marges de manœuvre pour ne pas en rester au seul rapport de force.
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Cette volonté de la France, elle doit s’asseoir et elle doit être fondée sur une crédibilité et sur une responsabilité. La crédibilité passe d’abord par une crédibilité militaire restaurée. Et j’ai bien conscience en utilisant ce terme de restaurée que certains ici pourraient penser qu’elle ne serait pas aujourd’hui assurée. Je veux dire les choses clairement, nous voulons avec le Président de la République une France forte, une France lucide, une France crédible. Et la crédibilité militaire de la France, c’est la pierre angulaire de notre défense et de notre sécurité.
Nous avons sous l’impulsion du Président de la République fait des choix très clairs. Et après les travaux de la revue stratégique, nous avons préparé une loi de programmation militaire qui sera présentée et discutée très rapidement par le Parlement.
Cette loi de programmation militaire, elle a été préparée en bonne intelligence avec l’ensemble de ceux qui sont concernés par ce sujet. Je voudrais saluer l’engagement de la ministre des Armées, du chef d’état-major des armées, du délégué général pour l’armement, du secrétaire général pour l’administration et des chefs d’état-major.
Cette loi de programmation militaire est une loi de reconquête. Sur la période de 2019-2023, l’Etat investira près de 200 milliards d’euros dans sa défense et ses armées, afin de porter sa trajectoire des ressources à 2 % du produit intérieur brut en 2025, comme cela avait été promis au cours de la campagne.
200 milliards d’euros sur la période 2019-2023, c’est une marche budgétaire de 1,8 milliard d’euros supplémentaires chaque année, dans un contexte où il n’a échappé à personne, mesdames et messieurs, que la volonté du Gouvernement et la nécessité des finances publiques commandaient une maitrise des dépenses publiques.
C’est donc un effort absolu important et un effort relatif considérable. Pourquoi consentir cet effort ? Parce que nous devons moderniser nos équipements et parce que nous devons pallier nos lacunes. Nous devons renforcer nos capacités dans les domaines émergents comme le cyber, nous devons commencer à renouveler les composantes de la dissuasion nucléaire, nous devons continuer à innover et conforter nos 5 fonctions stratégiques : la dissuasion, la connaissance et l’anticipation, la prévention, la protection et l’intervention. Enfin, nous devons consacrer une attention particulière et accrue à l’amélioration de la condition du personnel et à la mobilisation de nos partenaires européens.
En tant que chef du Gouvernement, je veux l’assurer, c’est un effort financier considérable que la Nation consent aux armées, à la défense, mais c’est un effort nécessaire, justifié et responsable. Et c’est un effort qui est la seule façon pour nous de remédier à l’érosion insidieuse que subissent nos capacités militaires depuis plusieurs décennies.
Cet effort, nous avons eu l’occasion d’en discuter avec les responsables militaires, il sera considérable. Il ne sera pas immédiatement visible mais il sera immédiatement réel car nous savons tous ici que lorsque nous partons avec un retard à rattraper, le fait de rattraper ce retard n’est pas toujours spectaculaire. Si je devais utiliser les mots les plus précis qui me viennent à l’esprit, je dirai que l’effort que nous allons tous consentir, il sera visible mais il ne sera pas spectaculaire. Mais il est indispensable et il sera efficace. Il nous permettra, il permettra aux armées de remplir leurs missions dans des conditions qui leur permettent d’être à la hauteur de nos attentes et elles sont élevées. Et donc c’est un effort considérable, qui doit à la fois nous permettre de tenir notre rang et d’éviter les mauvaises surprises dans un monde qui ne cessera pas d’être dangereux ou incertain.
Nous devons aussi, mesdames et messieurs, tirer parti d’une culture stratégique française, originale et responsable. Je voudrais notamment ici réaffirmer mon attachement à ce qu’on appelle « la culture stratégique française », parce que face à la complexité du monde, face au piège du manichéisme il faut garder dans toute la mesure du possible le recul de l’histoire.
Il se trouve que grâce à notre histoire exceptionnelle, peut-être à cause de notre histoire exceptionnelle, la France dispose d’une très riche culture stratégique. Elle appartient à un continent qui a été traversé, rythmé, détruit, plusieurs fois par des siècles de guerre. Et ces siècles, ils nous ont appris au moins 3 choses qui définissent, me semble-t-il, notre culture militaire et stratégique.
D’abord qu’on ne peut pas transformer le monde contre son gré. Je ne crois pas mesdames et messieurs que l’on puisse facilement importer, exporter ou décréter la démocratie ou tel modèle politique durable. Je crois qu’il faut avoir le courage d’apprendre de nos erreurs, je pense que les interventions militaires en Irak, en Afghanistan ou en Libye ont produit des conséquences délétères qu’il ne faut jamais mésestimer.
Et enfin, nous savons qu’il existe toujours un lendemain à la guerre. Il faut combattre avec une détermination inflexible bien entendu, tout en anticipant les projets qui scelleront ensuite une réconciliation durable pour soi et pour ceux qui viendront après.
La force de la culture stratégique française, c’est un équilibre entre la réflexion et l’action, avec une volonté de limiter le recours à la violence pour résoudre les conflits. Dans l’action, nos armées gardent constamment le souci du local, qui implique l’immersion dans les populations, et la vision large que permet notre excellence technologique. L’audace, le courage dont font preuve nos militaires au combat ne sont pas exclusifs d’un profond respect du droit international et de l’adversaire.
Et c’est une réflexion qui n’est pas neutre et gratuite dans le contexte dans lequel nous vivons, car les crispations, les affrontements, une certaine forme de manichéisme tendent à nous faire oublier cette dimension essentielle. Et d’une certaine façon, les deux instituts que vous incarnez aujourd’hui représentent le lieu par excellence où nous devons en permanence réfléchir et diffuser cette culture stratégique française.
On a beaucoup parlé ces dernières années du continuum sécurité défense, mais votre réflexion doit aussi porter sur le continuum de la pensée stratégique qui s’est construite au fil de notre histoire et qui doit être constamment actualisée.
Pour aller plus loin, je dirai volontiers que cette conception de la guerre doit innerver toute la culture stratégique européenne que le Président de la République appelle de ses vœux. Elle doit déterminer les initiatives que nous prenons au sein de nos alliances comme dans les dialogues stratégiques que nous entretenons avec nos partenaires. Nous ne construirons rien de durable, et la coopération européenne en matière de défense resterait un vœu pieux, s’il n’existe ni formation commune, ni culture stratégique partagée. Vous avez donc tous autant que vous êtes, quelles que soient vos fonctions, un rôle déterminant à jouer en la matière.
Et la souveraineté de la France ne peut se concevoir seule. Je voudrais insister sur le lien important et l’attachement essentiel qui est celui de la France à la question du multilatéralisme. L’illusion d’une autarcie n’est souhaitable ni pour la France ni pour l’Europe. Nous savons par notre histoire que nous désolidariser, nous désintéresser de l’ensemble des défis mondiaux du 21ème siècle ne peut constituer une solution pour nous, sauf à ce que ces défis finissent par nous atteindre sans que nous y soyons préparés.
Etablir un espace de sécurité commun constitue donc une nécessité impérieuse pour lutter contre la propagande sur Internet, pour lutter contre les circuits de financement du terrorisme, pour garantir la sécurité durable de nos concitoyens.
La maitrise de nos frontières, la réforme de nos politiques migratoires impliquent aussi que nous parlions d’une seule voix. La crise migratoire nous l’impose au risque de mettre en péril ce que nous avons construit dans l’Union européenne, ce marché, cet ensemble de pays, cette géographie qui nous permettent une libre circulation des biens, des personnes, des marchandises. Nous mettrions tout ça en cause si nous n’arrivions pas à avoir des réactions et une maitrise coordonnées des chocs migratoires qui peuvent se produire. Face aux drames humains qui se répètent, c’est ensemble que nous devons agir à la source par des actions de stabilisation et d’aide au développement en Méditerranée et en Afrique.
Nous allons porter notre effort d’aide publique au développement en France à 0,55 % du revenu national brut d’ici à 2022, conformément aux engagements pris par le Président de la République, ce qui représente plus de 7 milliards d’euros dans les 5 prochaines années. Et de nombreux partenaires européens s’engagent aujourd’hui à nos côtés, c’est tant mieux.
Dans le domaine de la défense, cette action coordonnée passe par trois avancées qui ont marqué l’année 2017, sous l’impulsion forte du Président de la République : la coopération structurelle permanente, le fonds européen de défense, l’initiative européenne d’intervention.
Ce qui est en jeu c’est notre capacité à agir, de façon plus autonome, et à développer une véritable culture stratégique européenne. Alors il faut sans doute s’entendre sur le bon équilibre à trouver avec l’OTAN, qui est en réalité très complémentaire de cette Europe de la défense. Mais pour durer, cette souveraineté requiert aussi une nouvelle donne, dans des domaines très variés, les domaines du numérique, de l’écologie, pour faire face à l’ensemble des transitions et des révolutions auxquelles nous sommes confrontés. De même, la convergence européenne de nos politiques, sociales notamment, me paraît indispensable pour garantir une cohérence à nos projets économiques et monétaires.
En somme, seule l’Europe est capable de concevoir et de mettre en œuvre une approche globale face à ces défis qui excédent largement les enjeux de la défense et de la sécurité. Au sein du continent européen, chaque peuple, chaque citoyen, devra rendre des comptes du monde que nous construisons. Relever les défis du 21ème siècle sera donc une des questions, essentielle, morale, politique, qui sera posée à l’Union européenne.
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Je voudrais dire un mot, aussi, de la transformation de notre puissance, de notre pays. Sur notre sol, la France est confrontée à de multiples défis : le terrorisme, l’insécurité qui abîment certaines parties du territoire en métropole comme en Outre-mer, la problématique migratoire, je l’ai évoquée, la montée en puissance d’une radicalisation dans la contestation violente de grands projets d’aménagement. Le Gouvernement, évidemment, prend en compte tous ces sujets pour renforcer la cohésion nationale.
La menace terroriste demeure élevée, vous le savez bien, elle est aujourd’hui principalement d’origine endogène, et elle reste un défi que nous allons devoir relever pendant longtemps, un combat que nous allons devoir livrer pendant longtemps. Les réponses à ce défi ne sont ni simples, ni faciles. Ce à quoi nous devons nous opposer, ce contre quoi nous devons lutter, c’est une idéologie qui est mortifère, qui est brutale, qui détourne, qui travestit et transforme une religion, l’instrumentalise, pour diviser très profondément la société française, à certains égard pour la casser.
Nous avons souhaité renforcer la coordination du renseignement et sortir de l’état d’urgence tout en maintenant un dispositif solide face à la menace, c’était le sens de la loi Sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme ; elle est en œuvre aujourd’hui. Ce que nous voulons, avec le Président de la République, et avec le ministre de l’Intérieur, c’est assurer une réponse sécuritaire très ferme, efficace, et équilibrée. Je voudrais saluer l’action de tous les services de sécurité et de renseignement, comme l’appui des Armées dans ce combat, souvent discret, mais toujours essentiel.
Dans nos sociétés connectées, et assez largement sous influence, les enjeux du cyber sont également vitaux. Je me réjouis que vos instituts consacrent dès la rentrée une nouvelle session nationale à ce thème. Elle pourra profiter des travaux conduits sous l’autorité du SGDSN pour la Revue stratégique de cyberdéfense. Et à court terme, nous attendons des acteurs majeurs de l’Internet qu’ils accompagnent ce combat.
La culture du renseignement peut elle aussi encore progresser en France. Nous allons mobiliser le monde universitaire, en créant des formations dédiées à ce domaine. Comprendre est un préalable indispensable à l’action ; ce sera aussi la mission du Conseil scientifique en charge de la recherche sur les processus de radicalisation. Il sera piloté par l’INHESJ et nous l’installerons au printemps. Dès le 23 février je dévoilerai un ensemble de mesures qui s’inscrivent dans le plan national de prévention de la radicalisation.
Ce combat contre le terrorisme il n’est pas exclusif de toute autre forme de combat contre l’insécurité, bien entendu. Nos concitoyens, en ville comme dans nos campagnes, souffrent, parfois au quotidien, de l’insécurité, de la délinquance, des incivilités. La police de sécurité du quotidien, ainsi qu’une hausse de 10.000 effectifs pour les forces de sécurité intérieure sur l’ensemble du quinquennat, apporteront des réponses très concrètes à ces fléaux. Nos forces de sécurité intérieure, nous voulons les recentrer sur leur cœur de métier, en les délivrant des tâches, parfois administratives, et parfois inutiles, qui les éloignent des citoyens.
Nos responsabilités, nous voulons aussi les assumer face à ceux qui occupent illégalement des zones, et dont je constate, mesdames et messieurs, que nous avons trop longtemps accepté qu’ils les occupent. Si nous voulons éviter que ces choses se reproduisent, il faut donc que nous fassions en sorte que les procédures administratives soient menées, et que nous ne laissions pas s’enkyster, sur des parties du territoire national, des zones que, le moment venu, il est bien délicat de traiter, dès lors que nous nous sommes placés dans les pires dispositions pour pouvoir les traiter.
Je n’ai aucun doute sur le fait, mesdames et messieurs, que lorsqu’il faudra procéder à des évacuations de zones, ça viendra, que lorsqu’il faudra mettre en œuvre un certain nombre d’éléments qui ont pour objet de garantir ou de renforcer la sécurité des Français, ça viendra aussi, prévenir même des accidents ou des éléments, nous nous heurterons à des moments d’impopularité. Si je peux me permettre, je vous dirais volontiers que celui qui a pris la décision d’abaisser la vitesse sur nos routes bidirectionnelles sans séparateur à 80 km/h y est prêt.
Une France qui restaure sa capacité à agir, qui garantit la sécurité de ses concitoyens, c’est indispensable. C’est indispensable de lire cette France, et de la vivre, dans le cadre d’un Etat de droit, et probablement d’un Etat de droit renouvelé. Dans un Etat de droit, auquel nous sommes tous très attachés, rien n’est possible sans une justice forte. Si elle est lente, si elle est lointaine, si elle est inégalitaire, je dirais même si elle est complexe, et donc peu comprise, la confiance dans notre justice s’érode. Si ses décisions ne sont pas respectées, si elles tardent à être exécutées, si elles ne sont pas comprises, c’est la Justice qui perd en crédibilité.
Vous le savez, nous travaillons en ce moment à une réforme constitutionnelle qui permettra, notamment, de renforcer l’indépendance des magistrats du Parquet, et la garde des Sceaux présentera dans quelques semaines, en Conseil des ministres, un projet de loi de programmation quinquennale pour la Justice. La priorité budgétaire donnée à sa réforme sera actée.
En octobre dernier nous avons, avec madame la garde des Sceaux, lancé cinq grands chantiers pour la Justice. Ils ont pour objectif de permettre une simplification de la procédure pénale et de la procédure civile, d’amorcer la réforme numérique et la réorganisation territoriale de la Justice, et de revoir le sens des peines. Le projet de loi donnera à la justice les moyens d’engager un vaste mouvement de dématérialisation, de simplification, de réorganisation, avec, je l’ai dit, une réelle progression du budget de la Justice.
Ce projet de loi actera aussi la volonté de l’Etat de s’engager dans une réforme pénale et pénitentiaire audacieuse. L’ambition est d’exécuter plus vite, et mieux, les peines. Nous construirons évidemment des places de prison, car il est inadmissible qu’on ne puisse pas incarcérer ceux qui doivent l’être. Et là encore, disons les choses clairement, et disons-les d’autant plus clairement que, nous le savons tous, le sujet n’est pas en discussion : nous vivons aujourd’hui dans une situation où nous payons le prix d’un sous-investissement, ancien et considérable. Et lorsque pendant des années vous n’investissez pas en matière de Justice, comme en matière militaire, comme dans toute autre matière, suffisamment, eh bien la première année ce n’est pas grave, mais au fil du temps, et de l’accumulation de ce sous-investissement, vous finissez par vous trouver dans une situation périlleuse. Notre objectif, en la matière, sera d’apporter des réponses durables à ce sous-investissement manifeste. Construire des places de prison est donc devenu indispensable.
Je vois dans vos rangs un certain nombre de directeurs d’établissements pénitentiaires. Lorsque vous vous déplacez dans une prison construite pour 600 personnes, et qu’elle accueille 1080 détenus, eh bien vous voyez tout de suite que la façon dont vous allez envisager la peine, et l’éventuelle réinsertion à l’issue, ne peut pas se passer dans les conditions normales qui étaient celles qui ont prévalu au moment de la construction de la prison, et au moment du prononcé de la peine. Ce n’est pas raisonnable.
Nous devons donc en effet construire des places de prison, parce que c’est indispensable sur le plan des principes, parce que nous devons traiter dignement les détenus. Nous construirons des quartiers très sécurisés, mais notre réponse ne peut pas, en même temps, se réduire au tout sécuritaire, ni au tout carcéral.
Je pense notamment qu’il faut revoir la question des peines les plus courtes, car elles ne permettent pas, lorsqu’elles se traduisent par un emprisonnement, la mise en place d’un travail éducatif utile. Le plus généralement, nous disent les spécialistes qui vivent dans l’exécution et dans l’accompagnement de ces détenus, ces peines très courtes d’emprisonnement conduisent à une désocialisation accrue et à un taux de récidive important. Toutes les pistes seront donc explorées : diversifier les solutions, développer les peines sous bracelet électronique, travailler sur des centres qui mettent en responsabilité les détenus et qui favorisent leur réadaptation, tout en garantissant la sécurité de nos concitoyens et la surveillance des détenus.
Ambitieux, créatif et global, le projet de transformation de la Justice est un jalon incontournable pour renforcer la cohésion nationale, pour que la France reste une référence partout dans le monde, quand on parle de droits, et pour que nous n’ayons pas honte de ce que nous faisons en matière de Justice et d’administration pénitentiaire.
Enfin, notre souveraineté, militaire, diplomatique, régalienne est aussi un enjeu de souveraineté économique retrouvée. Pour réarmer notre Etat régalien il est bon d’avoir un discours de puissance, mais cette puissance s’appuie sur une force économique. Quand notre dette publique se rapproche de 100 % du PIB, quand elle est majoritairement détenue par des non-résidents, notre souveraineté passe aussi par la restauration de l’équilibre de nos finances publiques.
Une première tendance est enclenchée, dès 2017, nous en aurons bientôt la confirmation. L’action du Gouvernement, et les efforts entrepris par les Français nous permettront de ramener notre déficit public sous les 3 % du PIB, ce qui devrait nous permettre de sortir de la procédure pour déficit excessif qui a été ouverte à l’encontre de notre pays il y a déjà 10 ans. Accessoirement, à peu près tous nos partenaires européens sont sortis de cette procédure. L’idée que la France soit l’un des deux ou trois derniers Etats de l’Union européenne à vivre sous l’empire d’une procédure de déficit excessif a pour moi quelque chose d’insupportable. Avec ce premier résultat qui devrait être obtenu rapidement, c’est un signal de sérieux que nous allons envoyer à nos partenaires pour leur dire que la France est effectivement au rendez-vous des engagements qu’elle a pris. A moyen terme nous visons l’équilibre budgétaire structurel, ce qui nous permettra de faire face aux éventuelles attaques sur notre dette. Cet équilibre budgétaire, il conditionne aussi notre solidarité nationale en cas de crise. Enfin, seul l’équilibre budgétaire peut consolider notre système de santé et assurer la viabilité de notre système de retraite sur le long terme. C’est donc un objectif majeur de ce Gouvernement.
On pourrait l’atteindre en choisissant entre deux options. Première option : l’augmentation des prélèvements obligatoires afin d’assurer l’équilibre. Nous l’avons écartée pour une raison simple, c’est qu’ils atteignent déjà des niveaux records. Je pense qu’en la matière on doit pouvoir faire moins.
Deuxième option, indispensable : l’action sur la dépense publique, que nous privilégions, puisque le poids de cette dépense, dans le PIB, baissera de plus de 3 points, au cours du quinquennat, et que nous voulons faire baisser notre dette de 5 points de PIB sur le quinquennat. Ce qui, mesdames et messieurs, illustre, avec peut-être encore plus de force, ce que j’indiquais au début de mon propos sur l’effort consenti pour nos armées, pour la Justice, pour l’Intérieur. Nous augmentons, en la matière, nos dépenses nettement plus vite que le rythme de la croissance, alors que globalement, les dépenses publiques diminueront dans le même temps dans la proportion du PIB.
Pour atteindre cet objectif toutes les administrations publiques sont mises à contribution, conformément à la loi de programmation des finances publiques qui a été votée à la fin de l’année 2017, pour les années 2018 à 2022. Et pour y parvenir nous essaierons d’agir en évitant, dans toute la mesure du possible, la logique du rabot, parce que la logique du rabot qui produit des effets efficaces à court terme, est totalement déstabilisatrice et inefficace à long terme. Elle paupérise les services publics et leur interdit, d’une certaine façon, de se transformer.
Dès le budget 2018, des choix ont été assumés avec des économies structurelles et conséquentes dans les domaines du logement, de l’emploi, et des infrastructures de transport aussi. Ce sont des choix de transformation, car notre méthode consiste à transformer les politiques publiques avant d’en tirer les conséquences budgétaires, et pas l’inverse.
Pour l’emploi nous avons fait primer l’investissement dans la formation, dans les compétences, plutôt que le maintien dans la précarité des emplois aidés. Pour faire repartir notre pays, pour développer sa force, sa compétitivité, il faut avant tout faire le pari de l’intelligence, de la formation, depuis les classes préparatoires dédoublées, jusqu’à la transformation du baccalauréat, depuis la transformation de l’entrée au premier cycle universitaire jusqu’à la transformation de l’apprentissage, et bientôt de la formation professionnelle. Dans cet investissement sans précédent que nous voulons faire sur l’acquisition, la transformation, l’élévation du niveau de compétences, il y a là quelque chose de fondamental, et quelque chose que ceux qui ont une culture militaire peuvent parfaitement comprendre. Je n’ai jamais vu un lieutenant, un capitaine, un colonel ou un général douter une seconde de ce que la meilleure chance de réussir la mission était la formation de ses hommes et de ses femmes. Et donc nous devons, non pas pour reproduire le modèle militaire dans la vie civile, porter une attention considérable et première à l’élévation du niveau de compétences. C’est la plus grande sécurité pour nos concitoyens, dans le monde qui vient, pour affronter ces transformations.
Enfin, dernier mot, mais je ne m’appesantirai pas sur ce sujet car il justifierait à lui seul que je commence maintenant un discours plus long : nous allons transformer notre Etat. C’est l’objectif du programme Action publique 2022. Domaine par domaine, politique publique par politique publique, il doit nous permettre, non pas d’appliquer des logiques du rabot mais de transformer, de redonner du sens à ce que nous faisons, et de vérifier si les objectifs que nous nous assignons peuvent être atteints par l’organisation qui prévaut actuellement et qui est, parfois, héritée de choix, parfaitement légitimes, parfaitement rationnels, mais déjà trop anciens.
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Mesdames et Messieurs, ces dernières années la France a été mise à l’épreuve, elle est, à bien des égards, encore en état d’alerte, mais, je citais Marc BLOCH au début de mon propos, je voudrais citer deux autres écrivains français célèbres, d’abord Saint-John PERSE, qui dans son discours de Stockholm disait, je le cite, « les civilisations mûrissantes ne meurent point des affres d’un automne, elles ne font que muer, l’inertie seule est menaçante ». Je pense que Saint-John PERSE avait parfaitement raison. L’inertie, l’immobilisme, la tranchée, sont les menaces que nous devons éviter. Nous devons rester en mouvement, nous devons nous transformer, par exigence individuelle, par exigence vis-à-vis de notre pays et vis-à-vis de ceux qui, après nous, le feront vivre.
Je vous avais dit que je terminerai par un auteur. Pendant longtemps j’ai été élu au Havre, mais j’ai travaillé à Paris, et donc j’ai fait beaucoup d’allers-retours en voiture. La grande menace, lorsqu’on fait beaucoup d’aller-retour en voiture, c’est l’excès de vitesse bien entendu, mais c’est aussi, peut-être encore plus insidieux, l’endormissement. Et pour lutter contre l’endormissement j’avais pris l’habitude d’écouter les discours enregistrés de MALRAUX, parce que ça réveille, parce que ça fait vibrer, parce que je suis bien persuadé ici, dans cette salle, que dès lors que vous entendez les mots et le ton de MALRAUX vous avez la chair de poule et les tripes qui se retournent. Il se trouve que MALRAUX – on connaît sa phrase célèbre « l’homme est ce qu’il fait » – a écrit dans le dernier chapitre de « La condition humaine », une phrase qui, compte tenu de ce que je viens de vous dire, doit nous faire réfléchir, mais donne finalement beaucoup de sens à ce que je crois. Il dit « sans doute les hommes ne valent-ils que par ce qu’ils ont transformé. » Eh bien, ce que nous voulons faire, ce n’est pas changer la France, parce que nous l’aimons, c’est la transformer, parce que c’est notre devoir.