Discours de François Cornut-Gentille dans l’hémicycle sur les crédits 2018 de la défense.

7 novembre 2017
Jeudi soir, en commission élargie, le budget de la défense a déjà été amplement décortiqué. Aussi, dans cet hémicycle, il me semble plus utile de revenir sur un sujet devenu central depuis plusieurs mois. Je veux parler de cet objectif des 2 % du PIB qui semble désormais unanimement partagé, ce dont on pourrait se réjouir.
A bien y réfléchir, je crois cependant qu’en dépit des apparences, la promotion de ce thème a été une fausse bonne idée. Lors de la campagne présidentielle, états-majors et industriels ont cru habile de promouvoir ce chiffre symbolique pour convaincre les candidats d’accomplir un effort supplémentaire pour nos armées. Reprendre cet objectif, c’était s’engager pour une augmentation significative des moyens alloués à la défense.
Mais c’était oublier un point crucial. Après 5 années d’OPEX intensives et une progression significative du Titre 2, nos armées n’ont pas seulement besoin d’une stratégie d’avenir, mais d’une régénération à court terme face à l’usure des matériels et des hommes. Certes, les 2 % indiquent une ambition louable mais ils ignorent l’urgence de cette situation.
De bonne foi, l’exécutif et la majorité peuvent s’engager significativement mais sans prendre conscience des difficultés actuelles. En caricaturant à peine, il en est ainsi des 2 % comme de la transition énergétique. On en parle beaucoup car l’idée plaît ; mais, en pratique, on laisse prudemment au successeur le soin de la faire. Loin d’être un levier, les 2 % agissent plutôt comme un leurre sans même qu’il y ait nécessairement volonté de tromper. Ils détournent l’attention des sujets urgents pour se projeter dans le souhaitable alors même que ce souhaitable n’a aucune chance d’advenir si l’on méconnait la réalité d’aujourd’hui.
Il vous appartient, Madame la Ministre, de gérer les conséquences de cette situation. Exercice difficile sinon périlleux tant l’optimisme est aujourd’hui de mise et l’opprobre facilement jeté sur ceux qui se bornent à rappeler quelques données factuelles.
Pour réussir, vous n’avez, me semble-t-il, qu’un chemin : détourner les regards de 2025 pour concentrer nos débats et nos efforts sur ces moments de vérité qui sont devant nous. Pas dans plusieurs mois ou plusieurs années. Mais bien dans les jours et les semaines qui viennent.
Ces moments de vérité diront si les actes sont conformes aux intentions et si la trajectoire budgétaire envisagée est crédible ou chimérique. En un mot, nous saurons bientôt si la future LPM reposera sur une base solide ou ne sera qu’un plan com’…
Le premier moment de vérité, c’est ce soir. Certes, l’augmentation de 1,8 milliards d’euros a été saluée sur tous les bancs ; mais, jeudi dernier, Madame la Ministre, vous n’avez pas été en mesure de lever des interrogations sur plusieurs points décisifs : la pérennité de la solidarité interministérielle sur les surcoûts OPEX, malgré une provision accrue, ou encore l’accélération des programmes devant combler nos lacunes capacitaires.
Le second moment de vérité interviendra lors de l’adoption définitive de la loi de programmation des finances publiques et de son article 14 qui plafonne le reste à payer. Madame la Ministre, jeudi dernier, vous avez reconnu qu’une application stricte de cet article constituerait pour la défense un sérieux problème. Où en sommes-nous ? Qu’en dit Monsieur Darmanin ? J’ajoute, en sortant de mon rôle d’opposant, pouvons-nous vous aider ?
Le troisième moment de vérité sera le projet de loi de finances rectificative qui viendra solder la gestion 2017. Nous saurons alors si votre ministère sera ponctionné du reliquat des surcoûts OPEX et de sommes encore gelées ; nous saurons également s’il devra supporter un report de charges approchant 3,5 milliards d’euros. Sur ce dernier point, je veux souligner pour mes collègues de la majorité que faire supporter à l’exercice 2018 des impayés 2017 à hauteur de 10 % revient à dénaturer profondément le bel édifice que nous nous apprêtons à voter.
Mes chers collègues, dans le domaine économique, la réussite ou l’échec de la politique gouvernementale ne pourra s’apprécier que dans 2 ou 3 ans. Mais les choses sont bien différentes dans le domaine de la défense. L’heure de vérité, c’est maintenant : nous saurons avant la fin de l’année si oui ou non les armées constituent dans les faits une priorité.
Madame la Ministre, en août 2011, en Corée du Sud, le titre de champion du monde du 100 mètre était promis au jamaïquain Usain Bolt. Vous êtes aujourd’hui dans la position de l’athlète dans les starting-blocks. Vous visez la ligne d’arrivée, les fameux 2 % de 2025. Je ne vous souhaite pas de connaître la mésaventure de Bolt, disqualifié après un faux départ.
Aussi, n’ayez pas peur de monter fortement au créneau car c’est bien maintenant que se joue la crédibilité de notre effort de défense.
Intervention de François Cornut-Gentille le 2 novembre 2017 sur les crédits 2018 de la défense en commission élargie (Assemblée nationale)
Plutôt qu’à une analyse détaillée des programmes 146 et 144 dont je suis le rapporteur, il me semble utile pour ce premier budget de la défense du quinquennat, de procéder à un rapide diagnostic. Ce dernier peut s’exprimer en quelques mots : en dépit d’améliorations notables, le budget de la défense reste –et certainement restera – de plus en plus contraint.
Ainsi, il faut tout d’abord souligner quelques avancées significatives :
Assurément, dans le contexte budgétaire actuel, une hausse des crédits de 1,8 milliard marque une réelle volonté en faveur de nos armées ;
D’une manière générale, on note également un effort de sincérité budgétaire, notamment dans la meilleure prise en compte des OPEX et dans le moindre recours au gel de crédits ;
Enfin, l’annonce récente et prioritaire du plan famille indique une prise en compte des tensions sociales au sein des forces.
S’en tenir à ces réalités positives aboutirait cependant à une vision extrêmement déformée de la situation. En effet, de nombreux sujets de préoccupations, lourds de conséquences, demeurent ou s’annoncent pour l’avenir.
L’avenir immédiat tout d’abord ; c’est-à-dire la fin de gestion. Après la suppression de 850 millions cet été, de nouvelles amputations (essentiellement sur les équipements) ou un report de charges trop élevés auraient pour effet d’abaisser le point de départ du budget 2018 et donc de la LPM. Cela jetterait d’emblée un doute sur la trajectoire ambitieuse annoncée qui serait vraisemblablement compromise.
Pouvez-vous nous faire un point sur la situation exacte à ce jour ? Qu’en est-il en particulier du déblocage des 700 millions encore gelés ? Vont-ils être intégralement débloqués ? et si oui à quelle date ?
Par ailleurs, sur la prise en charge interministérielle du surcoût des OPEX, je connais et j’approuve votre position mais le silence pesant de Bercy m’inquiète. Pouvez-vous nous dire où en sont les discussions ? Pensez-vous avoir besoin d’un arbitrage et à quel niveau ?
Enfin, quel sera le report de charges de 2017 sur 2018, globalement et notamment sur le programme 146 ? le report de 2016 à 2017 était de 3,1 milliards d’euros. Pensez-vous tenable un tel montant ?
Pour les années à venir, deux points me préoccupent particulièrement qui relèvent de l’effort de sincérité budgétaire mais qui pourraient poser de graves problèmes au Ministère des armées. Ainsi en est-il de la budgétisation des OPEX : en 2018, un reliquat d’au-moins 650 millions soulèvera de nouveau la question de la prise en charge interministérielle. Mais surtout, l’effort de sincérisation lors des exercices suivants par une augmentation de la provision réduira d’autant l’ampleur de l’effort budgétaire annoncé en faveur des armées.
Plus insidieusement, l’article 14 du projet de loi de programmation des finances publiques gèle le reste à payer pour les années à venir au montant de celui de 2017 soit environ 100 milliards pour l’Etat (50 milliards pour le ministère des armées dont 35 milliards pour le seul programme 146). Dans ces conditions, la modernisation des équipements militaires au cœur de la prochaine loi de programmation militaire risque d’être sérieusement mise à mal. En effet, les équipements militaires obéissent à une logique pluriannuelle incompatible avec le couperet de l’article 14. Quelle est votre analyse sur ce point ? Pensez-vous pouvoir obtenir une dérogation pour les équipements des armées ? Enfin, la stricte mise en œuvre de l’article 14 ne risque-t-elle pas d’entraîner le retour des fameuses sociétés de projet ou d’autres types d’achat en leasing, au final plus coûteux que l’acquisition patrimoniale.
Ces questions sont d’autant plus cruciales que l’état actuel de nos équipements peut remettre en cause les ambitions militaires de la France. En réalité, c’est désormais la cohérence de notre modèle qui devient de plus en plus problématique. Une fragilité grandissante dont je veux rappeler les trois principales causes et symptômes :
D’abord des équipements qui atteignent la limite d’âge : je pense notamment aux véhicules de l’avant-blindés ;
Ensuite, la sur-sollicitation des OPEX qui a accéléré l’usure des matériels sans que la chaîne MCO n’ait été en mesure de répondre ;
Enfin, les trous capacitaires : je citerai les patrouilleurs pour la marine, les avions ravitailleurs et bien sûr le transport stratégique.
Certes, les historiens et les spécialistes nous diront que cette situation n’a rien de surprenant ou de neuf. L’écart entre nos ambitions et nos moyens en matière de défense ne date pas d’aujourd’hui. Tout cela n’est donc pas nouveau et, pour certains, il n’y aurait pas de quoi s’inquiéter.
Je crois au contraire qu’il y a un élément nouveau qui change profondément la donne. En effet, ce qui était autrefois supportable le devient beaucoup moins après 5 années d’OPEX intensives et qui, semble-t-il, sont appelées à perdurer. Et c’est bien ce que démontrent les difficultés rencontrées par les Britanniques à la suite de leur engagement en Irak et en Afghanistan. Depuis 2010, ces derniers s’emploient à remonter la pente. Deux chiffres résument l’ampleur de l’effort à accomplir lorsque le modèle est fragilisé :
en 2016, le budget de la défense britannique a dû franchir une marche de 2,5 milliards d’euros.
Quant au budget global hors pension, il se situe aujourd’hui à un niveau supérieur au nôtre de 14 milliards ! Il vous incombe ainsi, Madame la Ministre, de gérer une situation extrêmement délicate. Dans l’opinion, et sans doute auprès de beaucoup de vos collègues du gouvernement, votre ministère reste privilégié. Mais si l’on se place dans une analyse des besoins nécessaires à l’accomplissement des missions confiées aux armées, la réalité est toute autre : le compte n’y est pas. Il vous faudra beaucoup de pédagogie et de diplomatie pour dire les choses sans rompre la solidarité ministérielle. Je vous souhaite d’avoir ce talent.
Source: http://www.francois-cornut-gentille.fr/

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