Commission de la défense nationale et des forces armées
Présidence de M. Jean-Jacques Bridey, président
— Audition de l’amiral Christophe Prazuck, chef d’état-major de la marine, sur le projet de loi de finances pour 2018
La séance est ouverte à neuf heures.
M. le président Jean-Jacques Bridey. Je suis heureux d’accueillir l’amiral Christophe Prazuck, chef d’état-major de la marine.
Amiral, nous vous retrouvons avec plaisir après votre première audition de juillet, cette fois-ci pour entrer dans le vif du sujet budgétaire. Nous avons hâte de vous entendre sur ce budget 2018 en attendant la nouvelle programmation militaire à l’occasion de laquelle nous serons amenés à nous revoir.
Avant de vous céder la parole je tenais à vous remercier, d’une part, pour l’université d’été de la défense (UED) qui a été un succès auquel vous avez pris toute votre part – y compris au niveau de la météo ! (Rires)
Amiral Christophe Prazuck, chef d’état-major de la marine. C’est mon point fort ! (Rires)
M. le président. D’autre part, je souhaitais vous remercier pour la journée d’immersion que vous avez organisée le lendemain de l’UED. Nous avons pu passer la nuit sur un bâtiment de projection et de commandement (BPC) et avons eu l’occasion de rencontrer et d’échanger avec certains de vos marins.
Sans plus attendre, je vous laisse la parole.
Amiral Christophe Prazuck. Merci Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, c’est un plaisir de vous retrouver ici pour ce rendez-vous toujours très important pour les chefs d’état-major de la marine. Depuis le 26 juillet dernier et ma dernière audition dans cette salle, de l’eau a coulé sous les ponts et sous la coque du Mistral sur lequel un certain nombre d’entre vous ont embarqué. Lors de cette audition, je vous avais dressé un panorama général du rôle et des missions de la marine, à quoi elle sert. Je vous ai parlé des deux missions permanentes, la dissuasion nucléaire et la défense maritime du territoire, et des cinq théâtres supplémentaires sur lesquels la marine est engagée, désormais de façon permanente depuis trois ans, bien au-delà des deux missions prévues par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. La dernière en date est la mission européenne Sophia menée au large des côtes libyennes et sur laquelle vous m’aviez interrogé.
Depuis, d’autres événements sont survenus, à commencer par les cyclones Irma et Maria, qui sont venus confirmer ma préoccupation sur la vulnérabilité de nos territoires ultramarins. Sur d’autres théâtres également, nos prévisions se sont vérifiées, notamment sur le front des ressources humaines.
Du côté de la marine, l’activité a redoublé d’intensité malgré la période estivale. Je voudrais faire quelques « zooms » illustratifs sur le fonctionnement de la marine et de ses moyens dans le cadre de ces opérations en cours, avant d’aborder le budget pour 2018.
Je commencerai par vous décrire l’opération de soutien à nos concitoyens de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, frappés par le cyclone Irma. Je reviendrai ensuite plus en détail sur notre action au Levant et dans le golfe de Guinée.
Dès le passage du cyclone Irma, deux de nos moyens présents sur zone – le Ventôse et le Germinal – ont été réorientés vers les Îles du Nord. Il s’agit de deux frégates de surveillance, basées à Fort-de-France, qui conduisaient à ce moment-là une mission de lutte contre le narcotrafic. Cela consiste à intercepter des embarcations rapides ou des voiliers en provenance du Venezuela ou de la Colombie et qui se dirigent vers l’arc antillais puis, ultérieurement, vers l’Europe. Je vous le disais la dernière fois, les bonnes années, nous interceptons là-bas l’équivalent de 40 % de la cocaïne consommée en France. Bien qu’il s’agisse d’une mission de sécurité maritime et pas de guerre navale au sens habituel du terme, de telles opérations nécessitent des moyens importants, dont des tireurs d’élite capables de tirer dans les moteurs des go-fast ou encore des commandos marine pour prendre d’assaut les embarcations des trafiquants. Ces moyens sont éclairés par des avions – en l’occurrence un Falcon 50 de surveillance maritime transféré de la base de Lann-Bihoué jusqu’aux Antilles – afin de surveiller une zone qui représente l’équivalent d’une demi-douzaine de départements. L’avion de surveillance maritime est alors capable de classifier les pistes qui semblent correspondre aux trajectoires des trafiquants, ce qui permet ensuite de diriger les moyens sur zone.
Ce sont ces moyens – ces frégates, ces hélicoptères embarqués, ces avions – qui ont été redirigés vers Saint-Martin et Saint-Barthélemy pour une action immédiate d’urgence : livraison d’eau – 150 000 litres –, de nourriture avec des rations de combat journalières, mais aussi production de pain frais par nos marins boulangers, des médecins et des bras pour aider à la reconstruction.
Pendant ce temps-là, le BPC Tonnerre se préparait à Toulon pour une mission plus lourde. Il a appareillé le 13 septembre avec à son bord quatre hélicoptères lourds, 1 000 tonnes de fret, 116 véhicules et 295 militaires des trois armées, en plus des 233 marins de l’équipage. Il est arrivé à Saint-Martin et Saint-Barthélemy le 23 septembre. Il a pu y débarquer le soutien humanitaire que je viens de vous décrire grâce à ses moyens amphibies. Souvent, en cas de catastrophe naturelle, les aéroports sont inutilisables, les routes sont coupées, les ports sont encombrés par des bateaux qui ont coulé et, en conséquence, les moyens normaux d’accès aux îles sont impraticables. Les moyens amphibies du BPC, ses chalands, permettent de débarquer des véhicules, des moyens lourds, et de les apporter au plus près des zones d’intervention. Je note également que le BPC avait emmené à son bord des marins pompiers du bataillon des marins pompiers de Marseille et des hydrographes du service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM), lesquels ont pu baliser et vérifier les chenaux d’accès aux ports de Saint-Martin et Saint-Barthélemy qui étaient encombrés. Les plongeurs-démineurs ont enlevé les épaves qui obstruaient les accès afin de permettre l’accès des bateaux et le ravitaillement des îles.
Nombre de nos départements d’outre-mer sont situés dans des zones tropicales et cycloniques. J’avais évoqué devant vous nos difficultés dans le domaine des patrouilleurs outre-mer : voilà qui illustre une nouvelle fois l’importance que nous devons accorder – et que j’accorde personnellement – au programme de bâtiments de surveillance et d’intervention maritime (BATSIMAR) pour doter à nouveau nos territoires ultramarins des moyens permettant de faire face à ce type de catastrophe naturelle.
Après les Antilles, le Levant et la lutte contre Daech. La marine conduit cette lutte à terre, aux côtés de nos camarades de l’armée de l’air à partir de la base aérienne projetée « H5 » en Jordanie. Actuellement, quatre Rafale marine sont déployés aux côtés des quatre Rafale de l’armée de l’air, ainsi qu’un avion de patrouille maritime Atlantique 2 (ATL2). Ce dernier constitue un excellent outil de renseignement, qui dispose en outre de capacités d’intervention et de tir. Cette capacité d’intervention à terre est complétée par la capacité d’appréciation autonome de situation en mer. Le Guépratte est actuellement au large des côtes syriennes. Il y a remplacé l’Aconit, une autre frégate type La Fayette, pour mener des actions d’écoute et de renseignement. Je précise que l’Aconit, qui est resté présent sur zone pendant trois mois, y était déjà l’an dernier. Il s’agit du bateau qui avait effectué le plus de jours de mer en 2016 avec 217 jours hors de son port base en 2016.
De l’autre côté, dans le golfe Arabo-Persique, la frégate anti-aérienne Jean Bart est actuellement déployée. Comme je vous l’ai expliqué, il est important pour nous de conserver des bateaux sur ces théâtres d’opérations afin d’être immergé dans les réseaux d’information et de commandement de la coalition, pour permettre ensuite à des bâtiments plus importants, comme le porte-avions, de s’intégrer aisément dans ces opérations. Le Jean Bart fait actuellement partie de l’escorte porte-avions américain Nimitz. C’est l’un de nos vieux bateaux qui, avant d’arriver sur zone, a subi un incendie en machine sur l’un de ses moteurs. Il en a réparé les conséquences à quai à Djibouti et a ensuite repris sa mission d’escorte. Cela montre la fragilité de ce type de moyens qui ont par ailleurs de vraies capacités opérationnelles mais qui, compte tenu de leur âge, sont victimes de ce genre d’aléas. Avant d’entrer dans le golfe, le Jean Bart a participé à la Combined Task Force 150, coalition internationale de lutte contre le narcotrafic dans le nord de l’océan Indien. Celle-ci était conduite par un amiral français, l’amiral Lebas, et, sous son commandement, la CTF 150 a intercepté des quantités importantes de stupéfiants, dont 1,3 tonne d’héroïne, représentant une valeur totale de 457 millions d’euros. Les bâtiments français, australiens et britanniques ont saisi ces substances qui financent les mouvements fondamentalistes d’Asie centrale.
Le commandant de la CTF 150 est mixte puisque l’adjoint de l’amiral Lebas était britannique. Ce type d’état-major mixte préfigure ce que nous mettons au point, depuis les traités de Lancaster House, pour commander ensemble une force aéronavale ou même une opération interarmées dans le cadre de notre force expéditionnaire commune, la Combined Joint Expeditionary Force (CJEF). La construction, année après année, d’une telle capacité de commandement, passe par de telles opérations où, pendant quatre mois, ces deux officiers ont commandé la CTF 150 depuis Bahreïn. En 2019, nous sommes convenus que le commandant de la CTF 150 sera un amiral britannique et son adjoint un officier français.
Troisième et dernier théâtre sur lequel je voudrais attirer votre attention : le golfe de Guinée. Il y a deux semaines, s’est tenu à Dakar le séminaire des chefs d’état-major des marines riveraines du golfe de Guinée. C’était la deuxième édition – la première s’était tenue à Brest en 2016 –, mais la première organisée par un pays africain, le Sénégal en l’occurrence. Pour la France qui entretient depuis plus de 20 ans un bâtiment dans le golfe de Guinée, c’est l’occasion d’organiser le transfert de compétences vers les marines africaines. Je souligne que la sécurité maritime dans cette partie du monde est un enjeu essentiel pour nous : 22 % de nos approvisionnements pétroliers proviennent du golfe de Guinée. Par ailleurs, près de 100 000 Français y vivent et des centaines d’entreprises françaises, comme Bourbon ou Total, y opèrent. D’un point de vue militaire, n’oublions pas également que les deux tiers des approvisionnements de la force Barkhane passent par le golfe de Guinée. La sécurité par rapport à la piraterie ou la pêche illicite – qui devient de plus en plus préoccupante – mérite notre attention et les marines africaines s’organisent pour l’améliorer dans le cadre d’une coopération internationale.
Irma, Moyen-Orient, golfe de Guinée… pendant ce temps il y avait bien sûr à tout moment au moins un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) en patrouille quelque part, et un marin sur dix contribuait à la défense maritime du territoire.
J’en viens au projet de loi de finances et ses implications pour la marine. Comme dit la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) : « un bon budget, c’est un budget qui permet, au moindre coût, d’atteindre des objectifs préalablement définis ». Je pense que, dans le cadre de ce budget 2018, nous remplissons cet objectif à plusieurs égards.
Ce budget permettra d’abord de soutenir nos engagements dont je vous ai dit qu’ils étaient supérieurs à ce qui était prévu par le Livre blanc. On constate une augmentation de 13 % des crédits consacrés à l’entretien programmé du matériel (EPM). Je vous ai cité le cas de l’Aconit qui avait effectué plus 200 jours de mer. Or le budget 2017 a dégagé les ressources pour que les bateaux effectuent 100 jours de mer en moyenne. C’est comme une voiture, si votre contrat d’entretien prévoit une révision tous les 10 000 kilomètres et que vous en effectuez 20 000, il faudra prévoir deux fois plus d’entretien. Cette poursuite de l’augmentation des crédits d’EPM est un premier point important pour moi. Ils permettront en outre au service du soutien de la flotte (SSF) de passer des contrats pluriannuels d’entretien. Ce sera le cas, pour la première fois, pour l’entretien de nos frégates européennes multi-missions (FREMM), ce qui permettra une diminution et donc une maîtrise des coûts du maintien en condition opérationnelle (MCO).
Deuxième enjeu, l’effort financier accompagne la régénération du matériel. Le suremploi de nos matériels induit des réparations, avec des défauts de structure qui commencent à apparaître et qu’il faut corriger. En outre, nous devons recompléter nos stocks de munitions. C’est l’objet de la régénération. L’effort doit être maintenu pendant plusieurs années pour retrouver des stocks de munitions cohérents avec la définition objective de nos besoins. Pour nos unités les plus anciennes sur lesquelles des défauts de structure apparaissent – fissures de coque par exemple – nous allons devoir investir dans la régénération avant que les matériels nouveaux n’arrivent. Nous estimons ce besoin à une centaine de millions d’euros sur plusieurs années.
Le troisième enjeu a trait au renouvellement de la flotte. Nous recevrons ainsi en 2018 la cinquième FREMM, la Bretagne. Il s’agit de navires extrêmement réussis, aux performances hors du commun notamment dans le domaine de la chasse aux sous-marins. Nous recevrons également un bâtiment multi-missions (B2M), le dernier de la série, qui sera basé en Martinique, et qui permettra de combler partiellement la rupture temporaire de capacité dans ce département depuis le départ de la Gracieuse en 2010 et du Dumont d’Urville cet été. L’année 2018 marquera bien sûr la sortie d’arrêt technique d’un Charles de Gaulle entièrement rénové et modernisé, avec un nouveau système de combat et d’entretien des aéronefs, lié au passage au « tout Rafale ». Nous recevrons également courant 2018 des missiles de croisière navals (MdCN), qui viendront compléter l’armement de nos FREMM.
Le quatrième enjeu de ce projet de loi de finances concerne la préparation de l’avenir. Nous commanderons en 2018 le cinquième sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) de type Barracuda. Nous lancerons la refonte à mi-vie de deux frégates type La Fayette, avec notamment l’ajout d’un sonar de coque. Nous lancerons également la rénovation de trois avions de patrouille maritime ATL2, que je passe mon temps à « roquer » de la Jordanie, où ils guident les tirs contre Daech et mènent des actions de renseignement en Syrie et en Irak, aux eaux du Groenland et de l’Écosse où ils font de la chasse aux sous-marins. Nous lancerons également l’adaptation de trois Falcon 50 issus de la flotte gouvernementale aux missions de surveillance maritime et sauvetage en mer. Il faut qu’ils puissent larguer des chaînes de sauvetage. Je note aussi que la ministre des Armées, Mme Florence Parly, a annoncé la commande d’un troisième patrouilleur pour les Antilles, en profitant du marché qui avait été passé pour les patrouilleurs légers guyanais (PLG). Les deux premiers PLG, conçus par l’entreprise Socarenam, ont été livrés l’an dernier en Guyane où ils participent à la lutte contre la pêche illicite et à la sécurisation du centre spatial guyanais. Ces bateaux sont extrêmement bien réussis.
Concernant mes préoccupations, vous avez sans doute tous lu le rapport annuel de performance publié par le ministère de l’Économie il y a trois mois dont j’ai noté quelques extraits relatifs à la marine : « la tenue de la fonction protection pour l’outre-mer est pénalisée par des ruptures temporaires de capacité des forces » ; « la défense maritime du territoire reste incomplète » ; « la faiblesse chronique des stocks de munitions ou de bouées acoustiques ainsi que le taux de disponibilité des frégates de premier rang constituent les principales limitations de la capacité de la marine à soutenir un engagement majeur » ; « les nombreuses activités de lutte anti-sous-marine en Atlantique Nord, les opérations de lutte/sauvetage en Méditerranée et le déploiement du groupe aéronaval ont fortement entamé les capacités de surveillance maritime ». Je ne suis pas satisfait de ces observations, néanmoins je les partage. Ma satisfaction est de voir qu’elles commencent à être prises en compte, notamment dans le projet de budget pour 2018.
Bien sûr, Rome ne s’est pas faite en un jour et ce n’est pas en 2018 que nous allons régler tous ces problèmes. C’est un sujet de plus longue haleine qui concerne la prochaine loi de programmation militaire (LPM) pour laquelle mes principaux enjeux sont les suivants.
Premièrement il s’agit de combler les ruptures capacitaires actuelles, notamment outre-mer, en matière de patrouilleurs, d’hélicoptères légers, de pétroliers.
Deuxièmement il convient de revoir le format, notamment celui de nos frégates de combat : 15 frégates sont prévues en 2030, j’en ai actuellement 17 et je n’arrive pas à faire tout ce que je devrais faire avec ce nombre. À mon sens, le format doit être revu à 18 frégates de premier rang, 18 Atlantique 2 modernisés et 18 patrouilleurs ;
Troisièmement, la question du nouveau porte-avions. Je constate que le porte-avions, aujourd’hui unique en Europe est une capacité qui fait la différence, pour reprendre l’expression du Premier ministre Édouard Philippe. C’est une capacité qui peut entraîner nos alliés, notamment nos partenaires européens. Au cours des années qui viennent, nous devrons rassembler les éléments techniques, budgétaires, financiers et opérationnels pour décider de la construction du nouveau porte-avions.
Quatrièmement, les ressources humaines. Des efforts très significatifs ont été consentis ces deux dernières années. Partout en Europe je vois des marines qui souffrent dans ce domaine : des frégates et des sous-marins restent à quai, faute d’équipage suffisant. Nous n’en sommes pas là, mais c’est pour moi un point de vigilance et nous devons rester attentifs à tout indice qui montrerait des difficultés de recrutement et de fidélisation. Le métier de marin est un métier qui se différencie de plus en plus du métier des « terriens ». Par construction, l’absence et l’éloignement de la famille sont importants, de même que la rupture du lien numérique. Ce qui n’est pas fondamental pour des gens de ma génération l’est pour les jeunes marins qui nous rejoignent. C’est également un métier dans lequel on ne fait jamais sa nuit, où l’on est toujours en « trois-huit », voire en « deux-douze ». C’est donc un métier qui use. L’attractivité, la fidélisation et le maintien des compétences sont donc des enjeux majeurs.
Ces quatre enjeux sont des enjeux déterminants, presque existentiels pour la marine.
Sans nos patrouilleurs, demain, nous perdrons notre souveraineté sur nos espaces ultramarins. Sans un nombre suffisant de frégates et avions nous serons incapables de défendre notre souveraineté. J’avais déjà évoqué l’exemple de la guerre des Malouines, au cours de laquelle la marine britannique avait perdu 14 bâtiments, dans un engagement pourtant limité. On voit donc bien qu’avec 15 frégates de premier rang, nous nous trouvons dans la norme basse de ce qui est nécessaire. Sans porte-avions, nous perdrons notre leadership militaire en Europe, notre capacité à entraîner nos partenaires. Enfin, sans marins, il n’y aurait pas de marine.
Après ce rapide point de situation sur les opérations menées ces derniers mois et sur les différents enjeux du budget 2018, je suis prêt à répondre à vos questions.
M. le président. Je souhaite d’abord un joyeux anniversaire à l’amiral. Après en avoir discuté au sein du bureau de notre commission et pour que chacun puisse s’exprimer, sans en venir à un système de quotas de temps parole par groupe qui serait absurde, je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir limiter la durée de vos questions à une minute, excepté pour le rapporteur pour avis. Cela permet déjà de dire beaucoup de choses.
M. Jacques Marilossian, rapporteur pour avis. Il faut souligner le rôle de la marine nationale dans la protection de notre territoire et de nos intérêts. Vous l’avez dit, la situation actuelle de la marine est un héritage de la précédente loi de programmation militaire, et le budget proposé pour 2018 permet déjà de redresser l’effort, notamment en matière de maintien en condition opérationnelle et d’entretien programmé du matériel. Pouvez-vous, amiral, nous présenter de façon plus approfondie les quatre grands axes de réflexion que vous avez esquissés pour la prochaine loi de programmation militaire ?
M. André Chassaigne. Concernant l’opération intérieure que la marine vient de conduire aux Antilles pour secourir les victimes du cycle Irma, comment est-elle financée ? Pèse-t-elle sur les seuls crédits de la marine, auquel cas elle risquerait de se traduire par des réductions de crédits d’entretien programmé du matériel ? En outre, qui prend les décisions d’engagement des armées dans ce type d’opérations intérieures : relèvent-elles du seul ministère des Armées ? Ne pouvaient-elles pas être anticipées ?
Par ailleurs, concernant la vente de STX, quels programmes concerne-t-elle ?
Enfin, dans les travaux de rénovation à mi-vie du porte-avions Charles de Gaulle, quelle part de la charge industrielle est dévolue au secteur public, quelle part revient au secteur privé, et quelle part revient à l’industrie européenne ?
M. Laurent Furst. Quels indicateurs permettraient de mesurer avec précision l’évolution de l’activité de la marine : les milles parcourus, le nombre de jours des bateaux à la mer, la consommation de carburant, etc. Par ailleurs, quelle appréciation portez-vous sur la course au tonnage et à la technologie que se livrent les États-Unis et la Chine, et quelle est la place de la France dans cette course ?
M. Stéphane Demilly. Le porte-avions Charles de Gaulle, après seize ans de service actif, est considéré comme étant en milieu de vie ; il a parcouru un million de kilomètres. Faut-il dès lors construire dès à présent un nouveau porte-avions, compte tenu de nos impératifs stratégiques et des conditions budgétaires actuelles, étant entendu qu’un porte-avions coûterait entre cinq et sept milliards d’euros ? Entre une nouvelle rénovation du porte-avions, qui permettrait de prolonger encore sa durée de vie, et la construction d’un nouveau bateau, qu’est-ce qui est préférable ?
Amiral Christophe Prazuck. Dans mon intervention, j’ai essayé d’esquisser quelques axes de réflexion, que je vous soumets en vue de vos travaux préparatoires à la prochaine loi de programmation militaire. Certains de ces axes concernent le court terme : tel est le cas du programme BATSIMAR, du remplacement des hélicoptères les plus anciens – je pense bien entendu en premier lieu aux Alouette, rendus populaires par la série Fantomas dans les années 1960… – et le remplacement de nos pétroliers-ravitailleurs, qui ont encore une simple coque alors que la réglementation en vigueur pour les navires civils impose une double coque. À plus long terme, il s’agit de consolider le renouvellement et la modernisation des forces navales, en portant de 15 à 18 le nombre de navires de premier rang, les FREMM et les FTI, car le format de ces forces issu du précédent Livre blanc ne correspond plus aux menaces actuelles. En la matière, l’horizon calendaire est 2030 plutôt que 2025. Troisième enjeu, la construction d’un nouveau porte-avions ; j’y reviendrai. Enfin, les ressources humaines constituent le quatrième enjeu de la prochaine programmation militaire. Plusieurs mesures récentes doivent entrer dans le « socle » budgétaire de la programmation militaire, comme la transposition du plan de modernisation des parcours professionnels, des carrières et des rémunérations (PPCR) de la fonction publique aux militaires, comme certaines mesures ciblées, donc peu coûteuses, en faveur de certains personnels, notamment ceux qui embarquent. L’attractivité et la compensation de la sujétion de l’embarquement devaient être renforcées, et nous avons commencé à le faire.
Pour répondre au président Chassaigne concernant les Antilles, un déplacement de BPC aux Antilles coûterait environ six millions d’euros. La question, toutefois, est plutôt celle du « suremploi » d’un bâtiment par rapport à son activité antérieurement programmée ; ce surcoût s’établit à deux millions d’euros environ pour la mission du BPC Tonnerre aux Antilles. La décision d’engagement des armées sur le territoire n’appartient pas aux armées : elle revient à la chaîne préfectorale, qui peut requérir ou demander le concours des moyens militaires. Les armées ont répondu avec les moyens disponibles et les plus adaptés.. Quant aux délais d’intervention, ils étaient contraints, et il est difficile d’anticiper une mission comme la nôtre aux Antilles. La mise en alerte des moyens de secours s’est faite très tôt, mais avant de les dépêcher sur place, il fallait un diagnostic des besoins, ne serait-ce que pour savoir avec quoi charger le BPC. D’ailleurs, le bateau était en surcharge à son départ ; il a dû décharger du gazole.
M. André Chassaigne. À tout le moins, le bâtiment de transport léger (BATRAL) Dumont d’Urville a bien manqué…
Amiral Christophe Prazuck. Certes, on peut regretter que le BATRAL Dumont d’Urville ait été retiré du service en janvier 2017, mais cela faisait déjà trois ans que ce bateau devait être désarmé, et remplacé par un bâtiment multi-missions (B2M) que nous attendons. Je connais bien ce type de bateaux, pour en avoir commandé un : c’est un bateau fragile, vulnérable dans un cyclone, et d’ailleurs moins rapide qu’un cyclone.
Concernant STX, le chantier a construit nos frégates de surveillance et nos BPC. En effet, il n’y a que STX en France qui dispose des infrastructures pour construire des bateaux de plus de 10 000 tonnes. Il en ira ainsi des pétroliers-ravitailleurs dont nous avons tant besoin et du futur porte-avions. Le repreneur de STX, l’Italien Fincantieri, a d’ailleurs établi les plans d’un pétrolier ravitailleur pour la marine italienne, plans qui nous conviennent à 98 % ; la marine nationale s’est donc rapprochée de Fincantieri pour étudier les possibilités de partenariat franco-italien en la matière.
Pour ce qui est de la mesure de l’activité de la marine, Monsieur Furst, nos bateaux ont assuré en 2016 13 000 jours de mer et nos moyens aéronavals 48 000 heures de vol ; en moyenne, chaque bateau a passé 96 jours à la mer en 2016 et 99 en 2017, ce qui correspond d’ailleurs au niveau d’activité financé par le projet de loi de finances pour 2018. La marine a annoncé récemment que les SNA avaient déjà accompli 1 000 jours de mer, soit 200 jours par bateau en ligne et par an, ce qui est inédit. Cela prouve les performances du service de soutien de la flotte et la qualité des équipages, mais aussi la pression opérationnelle que subit la marine, et qui motive l’emploi de ces sous-marins.
J’en viens à question de la course capacitaire entre les États-Unis et la Chine. Les Américains sont toujours à la recherche de points de rupture technologiques, par exemple dans le champ de l’hyperconnectivité des bâtiments. Les Chinois, eux, ont engagé leur marine dans une phase d’expansion impressionnante : en quatre ans, ils ont lancé l’équivalent en volume de la marine française ; d’ailleurs, en juillet dernier, il y avait davantage de navires de combat chinois que de navires français en Méditerranée… Toutefois, ils n’ont pas encore atteint le même niveau de performance technologique que les Américains ou les Français.
Pour ce qui est de la charge de travail industrielle pour la rénovation du Charles de Gaulle, elle représente quatre millions d’heures de travail, réparties entre l’équipage et des prestataires industriels privés. Cette rénovation donnera au porte-avions la capacité de poursuivre son activité pendant une vingtaine d’années, jusqu’à un terme situé entre 2035 et 2040.
M. Christophe Lejeune. La France possède la deuxième zone économique exclusive (ZEE) au monde. Avec la montée en puissance de la marine militaire chinoise, dont les ambitions en mer de Chine sont avérées, il est légitime de s’inquiéter de notre capacité à protéger nos ZEE et les ressources qu’elles recèlent, en particulier dans nos zones de pêche. Quels sont les moyens que vous jugez nécessaires pour accomplir vos missions de protection de nos ZEE sur toutes les mers et océans du globe ? Le budget est-il au rendez-vous ?
M. Olivier Becht. Je voudrais approfondir la question du groupe aéronaval que vous venez d’aborder. Vous avez souligné l’importance du porte-avions pour la France, et l’on voit bien que les nations qui nourrissent des ambitions pour ce siècle se dotent de ce type d’outil. Vous avez aussi insisté sur le coût, celui de la conception étant d’ailleurs presque plus important que celui de la construction. Quel format envisagez-vous ? Le programme porterait-il sur un ou plusieurs porte-avions ? Dans le cadre des rapprochements industriels et de l’Europe de la défense souhaitée par le président de la République, et en dépit de l’échec britannique, croyez-vous encore possible la mutualisation de ce type de programme avec d’autres partenaires ?
M. Gwendal Rouillard. Pouvez-vous faire un point sur la disponibilité des hélicoptères et plus globalement sur l’évolution du système de maintenance aéronautique – un chantier important pour notre ministre ? Ensuite, pouvez-vous nous faire part de l’état de vos réflexions sur l’avenir de la patrouille maritime, et en particulier dans le cadre de Patmar 2030 ?
M. Jean-Pierre Cubertafon. Lors de la dernière audition, vous nous avez fait part de votre principale préoccupation : le respect du contrat opérationnel avec un accroissement des missions liées au contexte international, entraînant de fait une usure accrue des moyens, notamment des patrouilleurs positionnés en outre-mer. Ce matin, vous avez l’air satisfait. Considérez-vous que votre budget sera suffisant en 2018 et qu’il permettra le renouvellement des patrouilleurs dans le cadre du programme BATSIMAR ?
Amiral Christophe Prazuck. Monsieur Lejeune, je vous réponds sur la ZEE et la mer de Chine. Il y a deux choses en mer de Chine : un enjeu régional, qui ne nous concerne pas, et un enjeu mondial : la remise en cause du droit de la mer. Jean-Yves Le Drian, encore ministre de la Défense, a participé plusieurs fois au dialogue de Shangri-La pour indiquer que la France, deuxième nation maritime au monde, n’était pas indifférente à la remise en cause du droit maritime international observée en mer de Chine méridionale ces dernières années. Nous sommes évidemment concernés. Notre ZEE, qui représente l’équivalent de la surface des États-Unis et du Mexique réunis, doit être surveillée, sauf à être pillée et contestée. Mais nous n’avons pas besoin de moyens colossaux pour ce faire. Mon ambition, c’est de revenir aux moyens, en nombre et en qualité, que nous avions en 1982, au moment de la signature de la convention de Montego Bay. C’est-à-dire : deux patrouilleurs par territoire ou collectivité d’outre-mer, un bâtiment logistique – le B2M –, et une frégate pour aller un peu plus loin. Pas plus. Nous avions fait des paris précédemment sur la prolongation de bâtiments anciens ; dans plusieurs cas nous n’avons pas pu le tenir. Comme je l’ai indiqué à monsieur Chassaigne, il me paraît déraisonnable de prolonger encore certains bateaux, comme le Dumont d’Urville, parce qu’à ce stade, on fait courir un danger aux équipages. Avec le programme BATSIMAR, avec le programme B2M, il s’agit de revenir à ce format de 1982 et j’ai bon espoir d’y parvenir dans les premières années d’exécution de la prochaine loi de programmation militaire.
En tout état de cause, le système de combat principal de ces bateaux outre-mer, c’est leur pavillon français. En Nouvelle-Calédonie, il y a un an, nous avons vu arriver des nuées de bateaux venus du Vietnam, les fameux « blue boats », peints en bleu, qui sont présents dans toute l’Océanie et qui causent des dégâts environnementaux considérables. Ils pêchent l’holothurie, un animal marin aussi appelé « concombre de mer » auquel on prête, dans cette région du monde, des vertus extraordinaires… Ces braconniers se comportent comme des pirates ! Mais en Nouvelle-Calédonie, après une demi-douzaine d’arrestations, ils ont cessé de venir. Malheureusement, ils ont reporté leurs opérations de prédation dans d’autres pays de la région… Voilà pourquoi il faut défendre nos ZEE. Il faut se battre mais j’ai bon espoir pour nos BATSIMAR. Naturellement, d’autres moyens seront employés : les drones, les capacités d’observation satellite pour diriger nos bateaux… Et cela me semble suffisant.
Sur le porte-avions, la question est avant tout celle du nouveau porte-avions. L’ambition d’une permanence d’un groupe aéronaval me semble raisonnable, avec un second porte-avions, arrivant en 2030, qui coexisterait avec le Charles de Gaulle jusqu’à son retrait du service actif et son remplacement… Je n’ai pas aujourd’hui d’assurances en ce sens. La loi de programmation militaire tranchera. Je ne banalise pas le coût de réalisation d’un bateau de cette complexité-là : il est évalué à 4,5 milliards d’euros, ce qui représente – étalé sur 10 ans – 0,02 % du PIB… Les études préalables sont dimensionnantes, elles doivent être conduites rapidement. Cet objectif reste atteignable.
La disponibilité des hélicoptères varie selon les modèles. Les hélicoptères civils comme le Dauphin ou le Panther, sont disponibles à 50 % voire 60 %. Mais les plus anciens ont une disponibilité épouvantable, comme le Lynx, disponible à 22 %. Pour les hélicoptères les plus récents, comme le Caïman, la disponibilité technique de 35 % ne me convient pas. Concrètement, j’en ai dix-sept en parc dont cinq disponibles, en moyenne. Un gros travail est en cours, avec l’industriel et la DGA. Mais toutes les armées font face à des difficultés identiques, s’agissant des hélicoptères.
Sur l’aviation de patrouille maritime, j’ai annoncé la rénovation prochaine de l’Atlantique 2. Je suis allé voir le nouveau radar et le nouveau système acoustique qui seront installés sur ces avions. J’ai été très impressionné par ce que j’ai vu chez Thales, Dassault et Naval Group. Cela permettra de prolonger ces avions jusque dans les années 2030. Après, il faudra réfléchir à la génération suivante peut-être avec les Allemands. Faudra-t-il des avions qui volent près des flots ou au contraire à haute altitude, comme les P8 américains ? Uniquement des avions ou un mélange d’avions et de drones à longue portée ? Les Allemands sont dans le même calendrier que nous, puisqu’ils rénovent actuellement leurs P3, qui devront donc être changés dans les années 2030-40. Cela augure bien pour une future coopération.
M. Jean-Jacques Ferrara. Dans le cadre de l’action de l’État en mer, une des missions de la marine est d’assurer la sûreté maritime. Or, il existe un risque majeur sur le transport maritime en Méditerranée, qui constitue le deuxième en volume, après le trafic transmanche, en particulier s’agissant des ferries. Pouvez-vous nous confirmer que les moyens mis en œuvre pour faire face au risque terroriste sur des bâtiments civils de transport maritime, en particulier en Méditerranée, sont renforcés ?
M. Olivier Faure. Après plusieurs questions sur le matériel, je voudrais vous poser une question sur les hommes. Quel est le taux de divorce parmi vos marins ? Au XXIe siècle, peut-on encore envoyer trois mois en mer des hommes dont les femmes travaillent ? Quelle politique est mise en œuvre pour accompagner les familles ? Existe-t-il une réflexion sur la polyvalence, qui permettrait d’alterner missions longues et missions courtes ? Existe-t-il des passerelles avec les autres armées pour ne pas être soumis aux mêmes contraintes toute une vie durant ?
Mme Patricia Mirallès. Comment allez-vous utiliser le « paquet protection » destiné au renforcement de la protection des personnels, crédité à hauteur de 105 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2018 ?
M. Jean-Christophe Lagarde. Je voudrais prolonger la question d’Olivier Becht sur le porte-avions. Je conçois que la France soit soucieuse d’avoir un groupe aéronaval lui permettant d’affirmer sa puissance. Je conçois difficilement qu’elle puisse être privée de cet instrument. C’est pourtant le cas en ce moment alors que nous sommes en guerre. Je voudrais avoir votre avis de marin sur l’impact de l’absence du porte-avions dans un contexte comme le nôtre. Les députés que nous sommes ne peuvent se désintéresser des économies que représenterait le partage du financement des études préalables. Y a-t-il, dans votre esprit, une possibilité de coopération avec les Britanniques pour mutualiser les études sur un porte-avions ?
M. le président. Amiral, vous allez devoir revenir pour une audition spéciale sur cette question du porte-avions !
M. l’amiral Christophe Prazuck. Monsieur Ferrara, nous sommes en effet très attentifs au risque que vous évoquez. Nous avons adopté plusieurs mesures de prévention. D’abord, en multipliant les capacités de renseignement et en entretenant des liens étroits avec les acteurs du monde maritime ; cela se traduit par des pelotons de sécurité maritime et portuaire (PSMP), armées par les gendarmes maritimes, qui dépendent de la marine. Il y en a à Marseille, à Brest, au Havre, et bientôt à Dunkerque-Calais et Saint-Nazaire. Ensuite, nous embarquons régulièrement des équipes de protection sur les navires à passagers (EPNAP). Nous avons aussi une capacité d’intervention immédiate, avec plusieurs équipes très réactives de fusiliers marins postées dans les grands ports français. Enfin, il existe un niveau d’intervention supplémentaire, avec les commandos marine et le GIGN.
Sur la conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée, on me dit que la durée du premier mariage dans la marine serait de 8 ans contre 13 ans en moyenne pour le reste de la population mais la moyenne d’âge des marins est de 30 ans ! La sociologie dans la marine est assez proche de la sociologie française, s’agissant des divorces ou de l’emploi du conjoint notamment. Il n’y a pas de différences majeures entre les marins et le reste des Français. Mais je constate, il est vrai, une tension croissante entre vie professionnelle et vie privée liée à l’éloignement, à la rupture numérique, aux changements de résidence, aux mutations fréquentes, etc. La mobilité est au cœur de notre modèle RH mais il est parfois difficile pour les conjoints de retrouver un emploi. Ainsi, le taux de chômage des conjoints de quartiers-maîtres et marins – c’est-à-dire de ceux qui sont en début de carrière, ceux qui gagnent le moins bien leur vie – est supérieur à 25 %. Je prends cela avec beaucoup de gravité. D’autres marines du monde se sont en effet « plantées » sur ces questions RH. J’ai évoqué tout à l’heure les mesures indemnitaires décidées récemment, qui contribueront à compenser les sujétions, mais j’ai aussi demandé une individualisation de la gestion des marins. Mon mot d’ordre, c’est que chaque marin compte. J’ai investi sur chacun d’entre eux, pour les recruter, pour les former. Je dois me battre pour qu’ils restent et j’ai besoin de leur adhésion pour partir dans des situations difficiles, en mer ou au combat. Donc chaque marin, quel que soit son grade, rencontre son gestionnaire à la fin de chaque affectation : tous les deux ou trois ans, pour faire un point sur sa carrière et ses objectifs. L’alternance terre-mer est aussi un objectif. Idéalement, un marin devrait avoir deux affectations embarquées et une affectation à terre pour se reposer, retrouver sa famille. Cela a un impact jusque dans l’emploi opérationnel de nos moyens. Comme vous l’avez compris, certains de nos bateaux sont vieux. En cas d’alerte, si celui qui devait partir est indisponible, il faut faire partir un autre bateau avec un ou deux jours de préavis. Je suis extrêmement vigilant sur ces modifications de programmes, parce que je dois donner de la visibilité aux marins. Ce qui les gêne, ce n’est pas de partir trois mois ; c’est de partir trois mois avec trois jours de préavis ! Aujourd’hui, dans un souci de fidélisation, nous faisons tout ce qui est possible pour éviter de rappeler nos marins de permission pour appareiller, y compris aménager certaines missions.
Après plusieurs années de bataille pour avoir des BATSIMAR outre-mer, j’ai proposé de différencier ce programme. J’avais initialement l’intention de remplacer les patrouilleurs métropolitains et les patrouilleurs outre-mer par une même classe de bateau. Je n’y parviens pas. Ce serait trop cher, me dit-on. Je propose donc de déployer outre-mer des bateaux deux à trois fois moins chers, pour les avoir plus vite. Je suis donc prêt à échanger du niveau de spécification contre un raccourcissement des délais. J’espère que cela va fonctionner. Ce sera l’un des objets du prochain conseil interministériel de la mer.
Sur le « paquet protection », 28 millions d’euros sont affectés à la marine pour la protection de ses emprises, notamment pour renforcer les enceintes ainsi que pour installer des caméras et des sonars de surveillance. Un quart de ces 28 millions d’euros seront consacrés aux équipements des marins qui protègent nos bases et qui supportent un nombre considérable d’heures de travail.
Que fait-on quand on n’a pas de porte-avions ? Nous sommes moins puissants mais sommes-nous démunis ? Non ! S’il fallait intervenir aujourd’hui, nous pourrions avoir recours à des missiles de croisière, d’une portée d’environ mille kilomètres, armant les frégates multi-missions. D’ailleurs, dans le projet de loi de finances pour 2018, il est prévu plusieurs réceptions de ces missiles de croisière. Cela permettrait de détruire un stock d’armes chimiques en Syrie, par exemple. Cela ne permet pas de renouveler des frappes pendant trois mois comme le fait un porte-avions mais cela permet d’envoyer des signaux politiques extrêmement forts. Deuxième moyen dans notre arsenal : les BPC, qui ont déjà servi de base de combat pour les hélicoptères de l’armée de terre pendant l’opération Harmattan en Libye. Les hélicoptères partaient chaque nuit faire des raids sur les forces du colonel Kadhafi. La portée des hélicoptères est évidemment beaucoup plus limitée que celle des Rafale du porte-avions ; il faut rester en zone côtière.
Peut-on mutualiser certaines actions avec les autres européens ? Nous avons eu des échanges avec les Britanniques dans les années 2000 sur la conception du porte-avions, à la suite desquels les Britanniques ont lancé la construction du Queen Elizabeth et du Prince of Wales. Ils auront donc deux porte-avions armés avec des F-35B. Je ne vois pas d’autre pays européen avec lequel on pourrait faire le même rapprochement. Mais toutes nos frégates de combat sont européennes, construites principalement avec les Italiens, qui sont nos grands partenaires en matière de construction navale. Nos pétroliers-ravitailleurs seront d’ailleurs bientôt conçus avec les Italiens. Avec les Britanniques, nous travaillons aujourd’hui sur la lutte contre les mines et, avec les Allemands, sur la patrouille maritime. La coopération européenne est donc dynamique. À part les sous-marins nucléaires, aucun domaine n’est a priori fermé à la coopération. Malheureusement, la fenêtre britannique sur le porte-avions me paraît fermée.
M. Bastien Lachaud. Amiral, la marine va expérimenter Source solde, le remplaçant de Louvois, fin 2017. En 2016, la Cour des comptes a rendu un rapport plus qu’inquiétant. Je voulais savoir si on avait avancé, si les nouvelles étaient rassurantes et si vous aviez un calendrier de déploiement. Si les nouvelles ne sont pas rassurantes, quelles seraient les mesures à prendre pour assurer à nos soldats le paiement d’une solde régulière et de niveau adéquat ?
M. Stéphane Trompille. Je voudrais connaître le positionnement actuel en ce qui concerne la marine sur les opérations de l’OTAN. Le porte-avions Charles de Gaulle étant en rénovation, j’aimerais aussi savoir où sont nos aéronefs et quel coût, si éventuellement ils sont placés sur des bâtiments alliés, ils représentent pour nous.
Mme Séverine Gipson. En place depuis 2008, l’opération Atalante est le fruit d’une coopération européenne afin de lutter contre la piraterie dans le golfe d’Aden et le long des côtes somaliennes. Efficace, elle a permis d’en finir avec les actes de piraterie : seulement un en 2016, depuis qu’on assure l’escorte des bateaux qui pourraient être des cibles potentielles. Cette opération a-t-elle vocation à perdurer et sous quelle forme ?
M. Philippe Chalumeau. Je voulais vous demander quelle serait la mesure attendue par les marins que nous pourrions porter. Ma deuxième question porte sur la défense européenne. Quels sont pour vous les grands enjeux en matière de construction d’une défense européenne ?
M. Joaquim Pueyo. Les pays européens sont conscients qu’ils ne peuvent pas faire face seuls aux défis qu’ils rencontrent sur les océans. Que pensez-vous de la coopération opérationnelle (je songe notamment aux opérations Atalante et Sophia) ? Que pensez-vous des coopérations structurelles qui pourraient être mises en place, à un moment où le président de la République a parlé de renforcer cette Europe de la défense ? Quelles sont les recommandations que vous avez reçues pour mieux travailler encore avec les autres marines dans le cadre de la marine ?
Amiral Christophe Prazuck. On ne passera pas fin 2017 sur Source Solde, mais en 2018. La question est de savoir si cela se passera avant ou après l’été. Ce n’est pas très exotique, mais je vous recommande d’aller voir le centre d’expertise des RH de la marine qui se trouve à Toulon. 3 % des marins sont soldés de manière quasiment manuelle par ce centre d’expertise. Il a été renforcé d’une centaine de personnes depuis 2012 pour pouvoir contenir la crise Louvois. Dans la marine, cette crise a été contenue à la fois pour solder convenablement les marins et récupérer les trop versés. Depuis 2012, il y a eu 65 millions de trop versés et nous en avons récupéré 63, en faisant les choses de manière rapide.
Nous avons consacré beaucoup d’énergie à Source Solde. On suit le développement de ce calculateur et son lien avec tous les systèmes nécessaires pour solder. Je ne donnerai pas d’avis positif pour lancer une bascule avant que les tests des calculateurs aient donné les résultats attendus. Le système sera probablement opérationnel mi -2018 ou fin 2018. C’est la DRHMD qui en a la charge. Je serai évidemment consulté car les marins comptent sur moi pour m’assurer qu’ils seront bien soldés.
L’OTAN est avant tout un outil qui produit des normes et de l’interopérabilité. Il y a une opération en Méditerranée sur laquelle nous sommes peu présents. En revanche, se déroule en ce moment sous le commandement du contre-amiral Lebas au large de Toulon l’exercice Brilliant Mariner, un exercice avec les observateurs de l’OTAN regroupant une trentaine de bateaux, la plupart européens, et qui doit permettre de certifier la capacité au commandement par la France de la composante maritime de la force de réaction rapide de l’OTAN ou d’une force européenne.
Nous avons actuellement quatre Rafale marine sur la base H5, et c’est la troisième fois qu’ils travaillent en Jordanie avec leurs camarades de l’armée de l’air. Ils vont aussi participer à la posture permanente de sûreté aérienne à Lann-Bihoué en occupant la fonction de permanence opérationnelle, ce qui soulagera l’armée de l’air. Début 2018, des avions et leurs pilotes seront envoyés aux États-Unis pour faire leurs gammes d’appontage. Les États-Unis ont mis à leur disposition à cet effet un de leurs porte-avions pendant plusieurs jours.
Atalante est la première opération maritime européenne et est un succès. Cependant, les raisons de fond de la piraterie continuent à exister. Un relâchement dans le comportement des navires commerciaux, qui avaient adopté de bonnes pratiques, pourrait conduire au renouveau des actes de piraterie. Une discussion sur l’avenir d’Atalante va bientôt débuter. Le lien entre les marines et les armateurs dont les navires transitent par le golfe d’Aden doit être préservé. Il nous faut aussi conserver un noyau de retour d’expérience. Derrière la piraterie, il s’est passé autre chose. L’historienne Michèle Battesti, spécialiste de la piraterie, a analysé la lutte contre les pirates comme le moyen employé à toutes les époques par les grandes puissances pour prendre pied à un endroit. C’est exactement ce qui s’est passé avec la Chine qui possède une flotte contre la piraterie dans le golfe d’Aden, alors que celle-ci a pratiquement disparu. C’est ce dont témoigne aussi la création d’une base chinoise à Djibouti.
Concernant les mesures attendues dans le projet de loi de finances en matière de ressources humaines, je dirai d’abord qu’un certain nombre de dispositions de nature indemnitaire décidées dans le courant de l’année 2016 vont trouver leur pleine réalisation dans le budget de l’an prochain. Par ailleurs, je tiens à évoquer un sujet auquel les marins, et plus largement l’ensemble des militaires, prêtent la plus grande attention : il s’agit de la mise en œuvre des mesures « Parcours professionnels, carrières et rémunérations », dites PPCR. Les marins seront très sensibles au calendrier d’application de ces mesures.
Enfin, j’en viens à l’Europe de la défense. À mon sens, des sujets d’importance pourraient faire l’objet d’un travail à l’avenir. Ainsi, en matière de prévention, j’ai déjà eu l’occasion de mentionner la situation dans le golfe de Guinée, où nous menons des activités visant à permettre aux autorités des pays africains concernés à assurer la sécurité dans la zone. Les Portugais, les Espagnols, les Italiens ou encore les Danois y sont très présents, et nous pourrions sans nul doute conduire des actions avec une meilleure coopération. Je pense aussi à la protection de nos approches maritimes, qui constitue pour moi un sujet de coopération possible à l’avenir.
M. Philippe Folliot. Amiral, vous ne serez pas surpris, ma question portera sur les forces de souveraineté. Nous l’avons compris, l’arrivée d’un nouveau bâtiment multi-missions ne saurait masquer vos impatiences quant au programme « bâtiment de surveillance et d’intervention unique », dit BATSIMAR.
Pensez-vous que la situation soit satisfaisante s’agissant de la surveillance satellitaire de notre zone économique exclusive, dans le contexte de remplacement des moyens d’Helios 1 et d’Helios 2 par Pléiade 1A et Pléiade 1B ? Par ailleurs, le pré-positionnement de deux frégates de premier rang, l’une dans l’océan Pacifique, l’autre dans l’océan Indien, ne permettrait-il pas selon vous de marquer symboliquement la présence française dans ces deux océans ?
Mme Françoise Dumas. Lors de votre dernière intervention devant notre commission, vous regrettiez que le taux de femmes dans la marine ne soit que de 14 %, alors qu’elles représentent 20 % des engagements, et qu’elles quittent l’institution à l’âge de 32 ans en moyenne, pleinement opérationnelles, essentiellement en raison des charges de famille qui pèsent sur elles. En vue d’améliorer la féminisation de la marine, vous aviez suggéré la mise en place d’un dispositif de disponibilité qui permettrait à des officiers mariniers d’occuper des emplois civils au sein du ministère ou d’intégrer les équipes d’un industriel durant quelques années. Je souhaitais donc savoir où vous en étiez de vos réflexions à ce sujet.
M. Yannick Favennec Becot. La commission a procédé la semaine dernière à l’audition des représentants des associations professionnelles nationales de militaires (APNM), le représentant de l’APNM Marine a évoqué les conséquences pour nos soldats des baisses d’effectifs dans la marine ainsi que la fermeture de deux bases navales. Pensez-vous que ce projet de budget vous permettra de répondre à ces légitimes préoccupations ainsi qu’à celles des familles de militaires ? De plus, vous nous aviez indiqué, en juillet dernier, qu’il serait extrêmement compliqué, pour ne pas dire impossible, de tenir le niveau d’activité opérationnelle de la marine si le nombre de frégates de premier rang n’était pas relevé. Estimez-vous que le projet de loi de finances vous permettra de faire face à vos missions ? Je vous remercie par avance de vos réponses.
M. Didier Le Gac. Amiral, je vous poserai deux questions courtes. La première concerne le maintien en condition opérationnelle (MCO), ô combien stratégique pour la marine. Pourriez-vous nous préciser la politique de la marine, notamment s’agissant de l’ouverture à la concurrence ? Député du Finistère, je sais que certaines entreprises regrettent que les activités de MCO ne soient pas toujours ouvertes à la concurrence. Une augmentation de l’externalisation et de l’ouverture à la concurrence ne serait-elle pas un moyen de réduire les coûts ? Ma seconde question concerne la filière drones. Il me semble qu’il y a là une piste industrielle intéressante. À la suite de la décision de la ministre des Armées d’armer les drones, pourriez-vous nous dire un mot sur les drones aériens de la marine ?
Mme Natalia Pouzyreff. Je souhaitais vous interroger sur la coopération franco-britannique et les moyens à mettre en œuvre pour garder arrimés les Britanniques à l’Europe de la défense. Vous y avez déjà amplement répondu, je vous en remercie, et je me bornerai donc à vous renouveler mes meilleurs vœux d’anniversaire.
M. Florian Bachelier. Ma question sera très courte : quelle est la place du cyber dans la stratégie de la marine, en 2017 et pour les années à venir ?
Amiral Christophe Prazuck. Merci pour ces questions nombreuses. Je commencerai par celle portant sur les satellites. Il ne m’est pas nécessaire de disposer de systèmes de type Helios pour savoir si un bateau navigue dans la zone économique exclusive. En matière de surveillance maritime, les satellites de renseignement, de très haute définition, ne correspondent pas aux besoins prioritaires du chef d’état-major de la marine. Je cherche avant tout à savoir dans une large zone où il y a des bateaux et, pour ce faire, il me suffit de voir une coque au milieu de la mer afin d’orienter mes bâtiments, patrouilleurs ou frégates. C’est pourquoi un industriel français très connu a mis au point le système Trimaran, qui permet de compiler toutes les images disponibles prises par tous les satellites, de toutes nations, au cours des dernières vingt-quatre heures. Grâce à cet outil, en moins d’une heure il nous est possible de savoir si des bateaux se trouvent près des îles Kerguelen, des îles Eparses ou encore autour de Clipperton. J’ai d’ailleurs recommandé l’utilisation de ce système à mes homologues africains, rencontrés à Dakar à l’occasion du symposium des chefs d’état-major des marines du golfe de Guinée, et qui me faisaient part de leurs difficultés à assurer la sécurité sans hélicoptères ou avions. Ainsi, pour l’exercice de la souveraineté, il n’est pas nécessaire de disposer d’un niveau de détail tel que celui d’Hélios.
S’agissant des frégates de premier rang, certaines naviguent déjà dans les océans Indien et Pacifique. J’ai ainsi mentionné le Jean Bart, qui a été déployé dans le golfe Arabo-Persique, y a mené des opérations de chasse à l’héroïne et a permis de saisir une quantité de stupéfiants équivalente à 457 millions d’euros en quelques mois. Il patrouille dans le nord de l’océan Indien. Concernant en revanche la possibilité de les pré-positionner, le coût du MCO exploserait. Il me faudrait trouver à Dubaï ou Singapour des capacités de MCO et ce n’est pas envisageable à ce jour. Il m’est toutefois possible aujourd’hui de maintenir en permanence une frégate de premier rang dans l’océan Indien ou d’en envoyer une patrouiller dans le Pacifique ou en mer de Chine méridionale, et travailler avec les Australiens, les Singapouriens ou les Malaisiens. Mais s’il est possible d’entretenir une frégate légère avec un système de combat assez simple partout dans le monde, ce n’est pas le cas pour les dernières frégates dont dispose la marine : elles comptent une centaine d’ordinateurs à bord, vingt-cinq millions de lignes de code et il n’est pas envisageable de les faire entretenir par un chantier étranger n’ayant pas participé à la conception.
J’en viens à présent à la question de Mme Dumas. En effet, entre trente et quarante ans, les femmes, comme les hommes d’ailleurs, éprouvent des difficultés à concilier vie professionnelle et vie privée. J’ai donc demandé au conseil de la fonction militaire marine de réfléchir à la question. Je rencontrerai d’ailleurs les membres de ce conseil à l’issue de notre réunion, afin d’une part de recueillir leur avis sur le plan « familles » annoncé par la ministre, et d’autre part d’entendre leurs propositions visant à faciliter la conciliation des vies professionnelles et familiales. Pour l’heure, le dispositif imaginé ne prendrait pas la forme d’une disponibilité mais les choses doivent être précisées ; nous souhaitons dans tous les cas être prêts au moment de l’élaboration de la prochaine loi de programmation militaire, afin d’y inclure ces mesures de fidélisation des marins, du moins ceux ou celles ayant acquis une compétence rare.
Le projet de loi de finances pour 2018 permettra-t-il d’augmenter le nombre de frégates de premier rang ? La réponse est non ; et ce n’est d’ailleurs pas son objet. Ce type de bâtiment coûte plusieurs centaines de millions d’euros, il faut plutôt envisager une telle augmentation à l’horizon 2030. Il serait d’ailleurs vain d’en faire la demande à court terme car tant pour des raisons budgétaires qu’industrielles, elle ne pourrait être satisfaite.
En réponse à la question de M. Le Gac sur la mise en concurrence des opérations de MCO, je dirai simplement que nous ne nous y prêtons pas quand les objets concernés sont complexes. Il en va ainsi des sous-marins nucléaires, des frégates de premier rang dotées d’un système de combat sophistiqué. La seule solution est de recourir aux compétences du concepteur, en l’espèce Naval group. En revanche, l’ouverture à la concurrence est de mise lorsqu’il s’agit de plus petits bâtiments, plus comparables à des bateaux civils, ou pour des parties de bateaux. C’est notamment le cas des frégates de la classe La Fayette : le système de combat est traité par Naval group mais s’agissant du reste du navire, d’autres industriels peuvent intervenir, y compris les plus petits d’entre eux. Cette mise en concurrence nous a permis de contenir le coût du MCO naval, à l’inverse du MCO aéronautique, dont les coûts dérivent qu’il s’agisse d’appareils neufs ou anciens. À titre d’exemple, le coût d’une heure de vol d’une Alouette III était d’environ 5 000 euros en 2010, contre bientôt près de 13 000 euros.
S’agissant des drones, la marine ne compte aucun drone armé. Elle dispose de drones sous-marins et nous travaillons actuellement avec la société ECA sur la conception de drones dédiés à la détection des mines. Alors qu’auparavant un bateau naviguait au milieu des mines en vue de les détecter, prenant ainsi des risques, il sera dorénavant possible de laisser le chasseur de mines en dehors de la zone minée et d’y déployer un drone sous-marin pour parcourir la zone. Nous pourrions envisager l’utilisation d’un drone dit « armé », mais dont la mission ne serait que de détruire la mine repérée. Contrairement à l’armée de l’air, la marine ne compte en revanche pas de drones de type Reaper susceptibles d’être armés ; elle possède néanmoins des petits drones hélicoptères construits par la firme autrichienne Schiebel. Enfin, Naval group et Airbus travaillent à la construction d’un drone hélicoptère de taille plus importante – le Cabri – qui pourrait être embarqué sur les futures frégates de taille intermédiaire (FTI) et les patrouilleurs et permettrait, grâce à un radar et un système optronique, de multiplier par six la surface couverte.
Comment parvenir à garder les Britanniques à nos côtés ? Avant tout, il convient de rappeler que le traité de Lancaster House est bilatéral, et n’est donc pas lié à l’avenir des relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Ensuite, je dirais que nous sommes naturellement liés aux Britanniques d’un point de vue militaire : ils ont la même « corpulence » que nous, les mêmes moyens aussi, dont des porte-avions et des sous-marins nucléaires, ils ont la même culture d’intervention que nous et interviennent sur tous les théâtres où nous sommes déployés. À mon sens, nous continuerons donc à les côtoyer en opérations, et avons donc vocation à approfondir notre coopération bilatérale.
S’agissant du cyber, la prise en compte de la menace est plus récente que l’emploi massif de l’informatique sur nos bateaux. En somme, sur certains d’entre eux, le recours à des outils informatiques est important, alors même qu’il n’existe pas vraiment de barrières cyber. Nous sommes donc en train de mettre en place ces protections, en lien avec l’industriel. Concernant les nouvelles générations de bateaux, et en particulier les FTI, qui entreront en service à compter de 2023, la nécessité de mettre en place une protection cyber est prise en compte dès la conception. Ce sera rapidement une nécessité pour l’interopérabilité des systèmes de combat. En la matière, il y a également un fort enjeu de ressources humaines – comment recruter et conserver les personnels compétents ? Je souhaite également que la marine se lance dans l’exploitation du big data afin de compléter la vision satellitaire dont parlait M. Folliot plus tôt. Il existe aujourd’hui des millions de données sur ce qu’il se passe en mer et nous ne les analysons pas suffisamment. Nous pourrions certainement resserrer nos interventions sur un nombre de bateaux suspects plus limité qu’aujourd’hui.
Enfin, un mot sur les APNM, dont deux représentants font également partie du conseil de la fonction militaire marine ; je les ai d’ailleurs vus hier. Nous avons notamment discuté des pistes de conciliation des vies professionnelle et personnelle pour les marins âgés de 30 à 40 ans et nous échangeons évidemment sur le moral des marins et la charge de travail qui pèse sur leurs épaules. Aujourd’hui, pour peu qu’il n’appareille pas sous trop faible préavis, un marin en mer est un marin heureux ; la situation est plus délicate à quai, probablement car, à mon sens, nous n’avons pas été au bout de la réforme engagée en 2008 autour des bases de défense. Les marins souffrent notamment de ce qu’ils appellent la surcharge administrative, c’est-à-dire la lourdeur des démarches nécessaires pour commander le moindre matériel. La situation est devenue courtelinesque. Tout le monde en est conscient aujourd’hui, il faut achever cette réforme en donnant plus de poids aux autorités de proximité. De plus, le respect du calendrier de renouvellement des bateaux est un point essentiel car lorsque l’un tombe en panne, c’est X qui part à la place de Y. Il nous faut donc raisonner l’emploi de nos bateaux et résoudre, j’y reviens, les tensions entre la vie professionnelle et la vie familiale – le plan « familles » souhaité par la ministre va dans ce sens.
M. le président. Amiral, il me reste à vous remercier pour cette audition des plus enrichissantes et vos réponses très complètes.
*
* *
La séance est levée à onze heures.
*
* *
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Damien Abad, M. Louis Aliot, M. François André, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Florian Bachelier, M. Didier Baichère, M. Xavier Batut, M. Thibault Bazin, M. Olivier Becht, M. Christophe Blanchet, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Ian Boucard, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Luc Carvounas, M. Philippe Chalumeau, M. André Chassaigne, M. Alexis Corbière, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Stéphane Demilly, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Jean-François Eliaou, M. Olivier Faure, M. Yannick Favennec Becot, M. Richard Ferrand, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Jean-Marie Fiévet, M. Philippe Folliot, M. Laurent Furst, M. Claude de Ganay, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, Mme Anissa Khedher, M. Bastien Lachaud, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Fabien Lainé, Mme Frédérique Lardet, M. Didier Le Gac, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, Mme Patricia Mirallès, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, M. Joaquim Pueyo, M. Gwendal Rouillard, Mme Laurence Trastour-Isnart, Mme Nicole Trisse, M. Stéphane Trompille, M. Patrice Verchère, M. Charles de la Verpillière
Excusés. – M. Bruno Nestor Azerot, M. M’jid El Guerrab, M. Marc Fesneau, M. Fabien Gouttefarde, M. Christian Jacob, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Franck Marlin, Mme Sereine Mauborgne, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Sabine Thillaye
Source: Assemblée nationale