Vous avez certainement entendu parler de « l’arrêt
GRIESMAR » rendu le 29 novembre 2001 par la Cour de justice des
communautés européennes : un magistrat, père de trois enfants, a
contesté en 1991 le mode de calcul de sa pension, effectué sur la seule base
de ses années de services effectifs, sans y ajouter la bonification prévue par
l’article L12 (b) du Code des Pensions Civiles et Militaires au profit des
fonctionnaires féminins (une annuité supplémentaire par enfant élevé).
La Cour, interrogée par le Conseil d’Etat, a jugé que ce
texte était contraire au principe d’égalité de rémunération entre homme
et femme prévu par le traité de Rome et précisé qu’il n’y avait « pas
lieu de limiter dans le temps les effets » de son arrêt.
Le 10 juillet 2002, l’affaire est revenue à l’audience
du Conseil d’Etat pour qu’il se prononce sur le fond.
Dans ses conclusions orales, le Commissaire du Gouvernement a
estimé que l’Administration sera en droit de rejeter les demandes de
révision qui lui seront présentées HORS DELAI, c’est à dire plus d’UN AN
après l’attribution de la pension, comme prévu par l’article 55 du Code
des Pensions Civiles et Militaires.
En effet, en vertu de l’article L.55 du Code des pensions,
les pensions ne peuvent être révisées que dans le délai d’un an à compter
de la notification de la décision de concession en cas d’erreur de droit.
Dans son arrêt rendu le 29 juillet 2002, le Conseil d’Etat,
suivant les conclusions de son Commissaire du Gouvernement, a pris position sur
ce point dans le considérant selon lequel l’ancien magistrat « a
formulé sa demande de révision dans le délai d’un an prévu à l’article
L.55 ». Par cette formulation, le Conseil d’Etat entend limiter les
effets de sa décision en empêchant une application rétroactive de l’article
12 b) à tous les fonctionnaires masculins à la retraite ayant élevé des
enfants.
Pour éviter le risque de forclusion, tous les
fonctionnaires masculins (dont les militaires), qui ont pris leur retraite
depuis moins d’un an ou qui vont la prendre, avec moins de quarante annuités,
mais qui ont élevé un ou plusieurs enfants, ont donc intérêt à demander
immédiatement au service des pensions le bénéfice des bonifications pour
enfants en justifiant qu’ils les ont élevés.
Pour les fonctionnaires masculins à la retraite depuis
plus d’un an, la cause n’est peut être pas définitivement
perdue ! En effet, pour éviter le coût très élevé d’une révision
rétroactive des pensions déjà liquidée , le gouvernement français avait
demandé à la juridiction européenne, une limitation dans le temps des
effets de son arrêt. La CJCE a refusé cette demande au motif « qu’il
est de jurisprudence constante que les conséquences financières qui pourraient
découler pour un Etat membre d’un arrêt rendu à titre préjudiciel ne
justifient pas, par elles-mêmes, la limitation des effets dans le temps de cet
arrêt ».
La position adoptée par le Conseil d’Etat de limiter dans
le temps les effets de sa décision risque bien d’être remise en cause par la
CJCE en cas de recours car l’incertitude subsiste !
Texte intégral de la décision
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux, sur le rapport de
la 6ème sous-section de la Section du contentieux – N° 141112 – Séance du
10 juillet 2002, lecture du 29 juillet 2002 – M. GRIESMAR
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Vu la décision, en date du 28 juillet 1999, par laquelle le
Conseil d’Etat statuant au contentieux a sursis à statuer sur la requête
présentée pour M. GRIESMAR enregistrée sous le n° 141112 et tendant à l’annulation
de l’arrêté du 1er juillet 1991 lui concédant une pension de retraite en
totalité ou en tant que ce titre ne prend pas en compte les trois annuités au
titre du b) de l’article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de
retraite, jusqu’à ce que la Cour de justice des communautés européennes se
soit prononcée sur la question de savoir : 1°) si, en premier lieu, les
pensions servies par le régime français de retraite des fonctionnaires sont au
nombre des rémunérations visées à l’article 119 du traité de Rome, devenu
article 141 du traité instituant la Communauté européenne ; dans l’affirmative,
eu égard aux stipulations du paragraphe 3 de l’article 6 de l’accord
annexé au protocole n°14 sur la politique sociale, si le principe d’égalité
des rémunérations est méconnu par les dispositions du b) de l’article L. 12
du code des pensions civiles et militaires de retraite ; 2°) si, dans l’hypothèse
où l’article 119 du traité de Rome ne serait pas applicable, les
dispositions de la directive n° 79/7 (CEE) du Conseil, du 19 décembre 1978,
font obstacle à ce que la France maintienne des dispositions telles que celles
du b) de l’article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de
retraite ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le Traité de Rome instituant la Communauté économique
européenne devenue la Communauté européenne ;
Vu le Traité sur l’Union européenne et les protocoles qui y
sont annexés ;
Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mlle Vialettes, Auditeur,
– les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat
de M. GRIESMAR,
– les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par un arrêt du 29 novembre 2001, la Cour
de justice des Communautés européennes, statuant après que cette question lui
avait été renvoyée par une décision du Conseil d’Etat, statuant au
contentieux, en date du 28 juillet 1999, a déclaré que les pensions servies
par le régime français de retraite des fonctionnaires entrent dans le champ d’application
de l’article 119 du traité de la Communauté économique européenne, devenu
article 141 du traité instituant la Communauté européenne, et que, nonobstant
les stipulations de l’article 6, paragraphe 3, de l’accord annexé au
protocole n° 14 sur la politique sociale joint au Traité sur l’Union
européenne, le principe de l’égalité des rémunérations s’oppose à ce
qu’une bonification, pour le calcul d’une pension de retraite, accordée aux
personnes qui ont assuré l’éducation de leurs enfants, soit réservée aux
femmes, alors que les hommes ayant assuré l’éducation de leurs enfants
seraient exclus de son bénéfice ;
Considérant que le b) de l’article L. 12 du code des
pensions civiles et militaires de retraite institue, pour le calcul de la
pension, une bonification d’ancienneté d’un an par enfant dont il réserve
le bénéfice aux « femmes fonctionnaires » ; qu’il résulte de ce qui
a été dit ci-dessus qu’une telle disposition est incompatible avec le
principe d’égalité des rémunérations tel qu’il est affirmé par le Traité
instituant la Communauté européenne et par l’accord annexé au protocole n°
14 sur la politique sociale joint au Traité sur l’Union européenne ;
Considérant qu’il en résulte que la décision par
laquelle le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie a
refusé à M. GRIESMAR le bénéfice de la bonification d’ancienneté prévue
par ce texte, alors même qu’il établirait avoir assuré l’éducation de ses
enfants, est entachée d’illégalité ; que, dès lors, M. GRIESMAR est fondé
à demander pour ce motif l’annulation de l’arrêté du 1er juillet 1991 en
tant qu’il lui a refusé le bénéfice de cette bonification ;
Sur les conclusions à fin d’injonction :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de
justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement
qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé
de la gestion d’un service public prenne une décision dans un sens déterminé,
la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même
décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai
d’exécution » ; qu’aux termes de l’article L. 911-2 du même code :
« Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de
droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service
public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la
juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision
juridictionnelle, que cette décision doit intervenir dans un délai
déterminé » ;
Considérant que, dans le dernier état de ses conclusions,
formulées dans un mémoire enregistré au secrétariat du contentieux du
Conseil d’Etat le 24 janvier 2002, M. GRIESMAR demande qu’il soit ordonné au
ministre de l’économie, des finances et de l’industrie de le faire
bénéficier de la bonification d’ancienneté prévue au b) de l’article L.
12 du code des pensions civiles et militaires de retraite ainsi que de
revaloriser en conséquence la pension qui lui a été concédée ; qu’il
sollicite également dans ce mémoire les intérêts et leur capitalisation ;
Considérant que le contentieux des pensions civiles et
militaires de retraite est un contentieux de pleine juridiction ; qu’il
appartient, dès lors, au juge saisi de se prononcer lui-même sur les droits
des intéressés, sauf à renvoyer à l’administration compétente, et sous
son autorité, le règlement de tel aspect du litige dans des conditions
précises qu’il lui appartient de lui fixer ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que M.
GRIESMAR a assuré la charge de trois enfants ; qu’il a formulé sa demande de
révision de sa pension dans le délai d’un an prévu à l’article L. 55 du code
des pensions civiles et militaires ; que dans la mesure où sont maintenues des
dispositions plus favorables aux fonctionnaires de sexe féminin ayant assuré
l’éducation de leurs enfants, en ce qui concerne la bonification d’ancienneté
retenue pour le calcul de la pension, M. GRIESMAR a droit, ainsi qu’il a été
dit plus haut, au bénéfice de la bonification prévue au b) de l’article L. 12
du code des pensions civiles et militaires de retraite ; qu’il y a lieu, dès
lors, de prescrire au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie de
modifier, dans le délai de deux mois suivant la notification de la présente
décision, les conditions dans lesquelles la pension de M. GRIESMAR lui a été
concédée et de revaloriser rétroactivement cette pension ;
Considérant que M. GRIESMAR a droit aux intérêts des
sommes qui lui sont dues à compter du 24 janvier 2002, jour où, ainsi qu’il a
été dit ci-dessus, il a demandé le paiement de ces sommes ; qu’à cette date,
il n’était pas dû une année d’intérêts ; que les conclusions à fin de
capitalisation des intérêts présentées par M. GRIESMAR ne peuvent, par
suite, être accueillies ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêté du 1er juillet 1991 concédant à
M. GRIESMAR sa retraite est annulé en tant qu’il a refusé à l’intéressé
le bénéfice de la bonification d’ancienneté d’une année par enfant.
Article 2 : Le ministre de l’économie, des finances et de
l’industrie modifiera, dans le délai de deux mois suivant la notification de
la présente décision, les conditions dans lesquelles la pension de M. GRIESMAR
lui a été concédée et revalorisera rétroactivement cette pension.
Article 3 : Les sommes dues à M. GRIESMAR porteront
intérêts à compter du 24 janvier 2002.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M.
GRIESMAR est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M.
Joseph GRIESMAR, au ministre des affaires sociales, du travail et de la
solidarité, au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et
au ministre de la fonction publique, de la réforme de l’Etat et de l’aménagement
du territoire.
Lire également :
Lettre circulaire de Maître Pierre BLANDINO, avocat et membre de l’ADEFDROMIL, sur les conséquences de l’arrêt GRIESMAR