Examen, ouvert à la presse, du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (n° 104)

Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 12 septembre 2017

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 10

Présidence de M. Jean-Jacques Bridey, président

— Examen, ouvert à la presse, du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (n° 104)

— Informations relatives à la commission

La séance est ouverte à dix-huit heures.

M. le président Jean-Jacques Bridey. M. Charles de La Verpillière a souhaité intervenir avant que nous n’abordions notre ordre du jour. Je lui donne la parole.

M. Charles de La Verpillière. J’apprécie votre courtoisie républicaine, Monsieur le président !

Les députés du groupe Les Républicains de la commission de la Défense souhaitent réagir aux propos inacceptables tenus, sur Europe 1, le 10 septembre dernier, par M. Christophe Castaner, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement. Il commentait le fait qu’un député du groupe La République en Marche, devenu député non inscrit, à la suite de sa mise en examen, soit passé de la commission des Finances à celle de la Défense.

Pour être sûr de ne pas déformer ses propos, permettez-moi de les citer : « Je vais vous faire une confidence, passer de la commission des Finances à la commission de la Défense, ce n’est pas une promotion. Ça ressemblerait presque à une sanction ! Vous sortez quelqu’un qui avait un statut de rapporteur spécial à la commission des Finances, qui va travailler sur le budget : c’est loin d’être une promotion. Aujourd’hui, “poursuit M. Castaner”, la commission de la Défense, elle n’est pas dans des dossiers aussi chauds que la loi de finances qui arrive à la fin du mois de septembre. » Pour conclure, le secrétaire d’État ajoute que le président du groupe La République en Marche, M. Richard Ferrand, « a sanctionné ce député en le mettant à la commission de la Défense ». Et d’ajouter : « Je préfère vous dire les choses clairement, comme ça, au moins, c’est dit. ».

Ces propos sont inacceptables, et ils sont insultants pour la commission de la Défense. Tous, nous avons choisi d’y siéger parce que la défense de notre pays et la condition de nos militaires sont au cœur de nos préoccupations. Cette insulte à la commission, proférée par un membre du Gouvernement, témoigne d’une forme de mépris pour l’engagement de nos militaires, que ce soit au Sahel, au Moyen-Orient, dans l’opération Sentinelle ou, en ce moment même, sous les ordres du président de la République, à Saint-Martin. Si aux yeux de M. Castaner, il ne s’agit pas de « dossiers chauds », il faut qu’il révise sa copie !

M. Joaquim Pueyo. J’ai été scandalisé par les propos du secrétaire d’État et j’imagine, Monsieur le président, que c’est également votre cas, puisque vous avez été membre de la commission de la Défense durant cinq ans. Pour ma part, après y avoir passé quatre années, je l’ai quittée pour siéger à la commission des lois, mais j’estime que nous y avons travaillé comme l’ont fait les membres de toutes les autres commissions. Je ne savais pas qu’il existait une hiérarchie entre les commissions, ni que celle de la défense était la dernière d’entre elles…

M. le président. Il n’a jamais été dit une chose pareille !

M. Joaquim Pueyo. C’est, en tout cas, ce que l’on pouvait comprendre !

Je m’associe en conséquence aux propos tenus par notre collègue du groupe Les Républicains, et je souhaite que le secrétaire d’État revienne sur ses déclarations.

Demain matin, lors d’une cérémonie, je me recueillerai devant la sépulture d’un militaire tombé lors d’une opération, en janvier dernier. Vous imaginez ce que peuvent signifier pour l’opinion publique de tels propos sur la commission de la Défense…

M. le président. Monsieur Pueyo, ce n’est pas parce que cette réunion est ouverte à la presse qu’il faut être outrancier ! Je vous demande de revenir à la raison. Il ne faudrait pas transformer la courtoisie républicaine évoquée il y a un instant en une outrance républicaine. Il faut faire attention à ce que l’on dit !

M. Charles de La Verpillière. Je n’ai fait que citer les propos du secrétaire d’État. Chacun peut se faire son opinion.

M. le président. Vous savez parfaitement que le secrétaire d’État n’a jamais mis en cause la commission de la Défense. Il n’a pas du tout été méprisant. Il a simplement expliqué la situation : après qu’un député a quitté le groupe La République en Marche pour devenir non inscrit, les services de l’Assemblée ont cherché dans quelle commission permanente il pouvait siéger à ce titre, car tous les députés, sans exception, doivent siéger dans l’une des commissions permanentes. Cela n’était possible que dans deux commissions, dont celle de la défense, et le député en personne a fait son choix. Il ne s’agissait pas du choix des responsables du groupe La République en Marche…

M. Charles de La Verpillière. Ce n’est pas ce qu’a dit M. Castaner !

M. le président. M. le secrétaire d’État n’a rien dit de plus sinon, effectivement, qu’il s’agissait d’une sanction parce que le député concerné était rapporteur spécial en tant que membre de la commission des Finances, et qu’il n’a aucune responsabilité particulière dans notre commission, où il n’en aura peut-être pas. Il s’agit bien d’une dégradation en termes de responsabilité, et c’est uniquement cela que le secrétaire d’État a exprimé.

Peut-être, sous la pression, a-t-il mal formulé la réponse qu’il a apportée à une question posée à la radio, mais je ne vois pas de raison de monter sur ses grands chevaux ou de parler de « mépris » à l’égard de la commission de la Défense. Au début du mois, vous avez été nombreux à participer à l’université d’été de la défense : vous avez pu constater combien les membres de notre commission étaient respectés par ce que le chef d’état-major appelle la « communauté des armées ».

Peut-être y a-t-il eu une maladresse dans un propos de Christophe Castaner ; je m’en suis expliqué avec lui. Cela ne doit pas aller plus loin, car nous avons d’autres affaires à traiter : nos sept rapporteurs pour avis travailleront sur le budget de nos armées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018 avant que notre commission n’étudie la future loi de programmation militaire. Concentrons-nous sur nos missions au service de la sécurité de notre pays et de nos armées, et restons-en là !

La commission examine pour avis le projet de loi projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (n° 104).

M. le président. La commission de la Défense nationale et des forces armées s’est saisie pour avis des articles 5 à 7 et 8 à 9 du projet de loi, adopté par le Sénat, renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. J’ai reçu la candidature de M. Guillaume Gouffier-Cha au poste de rapporteur pour avis.

La commission nomme M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur pour avis sur le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur pour avis. Monsieur le président, chers collègues, je suis honoré d’inaugurer cette rentrée parlementaire en rapportant le premier texte dont notre commission s’est saisie pour avis sous cette nouvelle législature. Cette saisine concerne deux domaines qui intéressent la défense : les systèmes de traitement des données Advanced Passenger Information (API) et Passenger Name record (PNR), qui font l’objet des articles 5 à 7 du projet de loi, et les techniques de renseignement, traités dans les articles 8 à 9.

Je présenterai successivement les principales dispositions prévues dans ces matières, en m’efforçant d’être le plus clair possible malgré la technicité de ces sujets.

Les articles 5 et 6 concernent le système « API-PNR aérien ». Ils visent, d’une part, à pérenniser le système expérimental en vigueur qui arrive à échéance à la fin de l’année 2017, d’autre part, à mettre en conformité le droit national avec le droit communautaire à la suite de l’adoption définitive de la « directive PNR ».

J’anticipe nos débats sur les amendements de suppression de ces deux articles en rappelant dès à présent que la transposition d’une directive constitue une obligation communautaire en vertu des traités européens, ainsi qu’une exigence constitutionnelle.

Les données PNR sont l’ensemble des informations fournies par une personne physique ou par un opérateur lors de la réservation d’un voyage auprès d’un transporteur aérien. Ce sont des informations déclaratives. On dénombre dix-neuf catégories PNR, parmi lesquelles : la date de réservation et d’émission du billet, la ou les dates du voyage, les noms, prénoms, et dates de naissance des voyageurs, ou encore les informations relatives aux éventuels programmes de fidélité.

Afin de relativiser certaines craintes concernant ces données PNR, je rappelle qu’elles existent depuis plusieurs dizaines d’années, et qu’elles sont recueillies et exploitées à des fins commerciales par les opérateurs privés du secteur aérien dans l’indifférence générale des citoyens-passagers. Il peut paraître surprenant que leur utilisation devienne suspecte dès lors qu’elle est le fait de la puissance publique afin de prévenir les crimes les plus graves et d’appuyer les enquêtes.

Les données API sont des données d’enregistrement et d’embarquement collectées, comme leur nom l’indique, lors de ces phases. Il existe seize catégories de données API parmi lesquelles le numéro d’identification du passager, le numéro et le type du document de voyage utilisé, ou encore le nombre, le poids et l’identification des bagages.

Ce système permet aux différents services de sécurité et de renseignement spécialement habilités d’interroger, de manière indirecte, une base de données dans le cadre de finalités limitativement énumérées. En substance, il s’agit de prévenir et de détecter les formes les plus graves de criminalité – actes terroristes, traite d’êtres humains, trafic d’armes par exemple –, mais aussi d’appuyer les enquêtes menées dans ces domaines. Prenons l’exemple imaginaire d’un M. X mis en cause par la justice pour participation à un réseau de trafic de drogue. Le système permettra de confirmer qu’il était présent sur plusieurs vols entre l’Amérique du Sud et la France, en ayant toujours acheté ses billets à la dernière minute sans réservation, sachant que des saisies de drogue d’origine sud-américaine avaient été opérées à l’arrivée de chacun de ces vols.

La France a créé, sur le fondement de l’article 17 de la loi de programmation militaire pour la période 2014-2019, un système expérimental dans le domaine aérien. À l’époque, elle s’était fortement inspirée des dispositions du projet de directive PNR. De fait, la transposition de la directive PNR « finale » n’appelle que des ajustements marginaux de notre système.

La procédure du système français comprend trois étapes.

Les opérateurs concernés transmettent d’abord à un service spécifique, l’Unité Information Passagers (UIP), les données pour l’ensemble des vols à destination et en provenance du territoire national, à l’exception des déplacements reliant deux points de la France métropolitaine. Sont donc concernés les vols internationaux, les vols intra-européens, ainsi que les vols en provenance et à destination des collectivités et territoires ultramarins.

Les différents services habilités peuvent ensuite adresser des requêtes à l’UIP, dans le cadre des finalités limitativement prévues que j’ai brièvement rappelées. Ces services ne disposent donc pas d’un accès direct au système de traitement. Les agents de l’UIP, individuellement désignés et spécialement habilités, traitent la requête après en avoir vérifié la conformité. Ils exploitent les données selon deux méthodes en procédant soit par criblage des individus et des objets, soit par ciblage.

Le criblage consiste à croiser les informations API-PNR avec certains fichiers relatifs à des personnes ou des objets recherchés ou surveillés, comme le fichier des personnes recherchées, ou le système d’information Schengen.

Le ciblage se traduit par l’application de grilles d’analyse des risques qui comprennent différents critères et leur pondération. On détectera, par exemple, l’existence de trajets atypiques avec le cas de passagers se présentant régulièrement à l’embarquement sans avoir réservé ou, au contraire, ne s’y présentant pas après avoir réservé.

Enfin, l’UIP transmet le résultat de la requête au service demandeur.

Que prévoit la directive 2016/681, dont les articles 5 et 6 assurent la transposition ? Elle a trois objets principaux. Elle oblige les transporteurs aériens à transmettre les données PNR de leurs passagers aux UIP de tous les États membres concernés par les vols extra-Union européenne. Elle permet aux États membres d’étendre cette obligation à tout ou partie des vols intra-Union européenne, sous réserve de le notifier à la Commission européenne. Enfin, elle oblige les États membres à mettre en œuvre des traitements de données alimentés par les informations PNR, aux seules fins de prévenir et détecter les infractions terroristes et les formes graves de criminalité, et de permettre les enquêtes et les poursuites en la matière.

Les modifications à apporter au droit national sont de deux ordres.

Elles concernent les finalités du système. Au-delà des actes terroristes, prévus par la directive comme par notre droit actuel, la liste des « formes graves de criminalité » diffère entre les normes européenne et nationale. La directive retient un champ légèrement plus réduit, prévu à son annexe II. Logiquement, l’article 6 du projet de loi renvoie à cette même annexe afin d’harmoniser le droit français avec le droit européen. Le projet de loi maintient par ailleurs un troisième type de finalité : les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, notion inscrite à l’article 410-1 du code pénal. Cette finalité n’est pas prévue par la directive car une telle matière ne relève pas de la compétence de l’Union européenne, mais de celle de chaque État membre, de manière souveraine. Son maintien dans le droit national est donc conforme à la directive.

Les modifications concernent aussi les opérateurs soumis à l’obligation de transmission des données. En l’état du droit en vigueur, les transporteurs aériens ont l’obligation légale de transmettre les données à l’UIP. Les opérateurs de voyage ou de séjour affrétant un aéronef peuvent également y être soumis. Comme la directive le permet, l’article 6 complète la liste des opérateurs concernés, en y ajoutant les agences de voyages.

Pour conclure sur ce sujet je précise que, comme tous les États membres, la France est tenue de transposer la directive 2016/681 avant le 25 mars 2018.

J’en viens à l’article 7 qui concerne le système « PNR maritime ».

La loi du 20 juin 2016 pour l’économie bleue avait prévu un système « PNR maritime » expérimental jusqu’au 31 décembre 2017. L’article 7 pérennise l’autorisation de collecte des données pour les passagers du secteur maritime au-delà de cette date. Il autorise la création d’un système automatisé de traitement de ces données distinct de celui instauré dans le secteur aérien.

Je pense qu’il faut rendre permanent ce système préventif à l’embarquement. La menace terroriste reste malheureusement encore vive, et le secteur maritime présente des vulnérabilités auxquelles il est nécessaire de remédier. Des mesures ont toutefois déjà été prises, comme, dans le domaine de la sécurité portuaire, le renforcement des pelotons de sûreté maritime et portuaire (PSMP), et, dans le domaine de la sûreté des navires en mer, la mise en place, depuis le 1er août 2016, d’équipes de protection des navires à passagers (EPNAP).

Je rappelle l’importance de l’activité des navires à passagers pour la France en termes de flux : elle concerne 32,5 millions de passagers par an. Le trafic transmanche est le plus important, avec 17 millions de passagers environ, suivi par les liaisons entre la Corse et le continent avec quatre millions de passagers. Les outre-mer sont également concernées : l’activité de croisière représente par exemple 1,6 million de passagers aux Antilles.

En substance, les finalités du système « PNR maritime » seront les mêmes que celles prévues pour le système aérien : la prévention et la constatation des actes de terrorisme, des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, et d’un certain nombre d’infractions parmi les formes les plus graves de criminalité.

L’obligation de transmission des données s’appliquera aux exploitants de navires pour les passagers à destination ou en provenance du territoire national, quel que soit le pavillon arboré. Les agences de voyage et les opérateurs de voyage ou de séjour affrétant tout ou partie d’un navire pourront également y être soumis.

Quelles seront les modalités d’accès au fichier par les services habilités ? Souhaitant écarter toute possibilité d’accès direct, le Sénat a précisé, en première lecture, que les services devraient interroger une unité spéciale, sorte d’UIP du secteur maritime. S’il s’agit d’une idée intéressante qui enrichit le débat et qu’il ne faut pas exclure de mettre en œuvre dans les années qui viennent, ce dispositif pose aujourd’hui davantage de questions qu’il n’en résout.

Je relève que le système « PNR maritime » sera alimenté par des données qui présentent un degré de sensibilité moindre que le système « API-PNR aérien » – la seule information potentiellement sensible étant la communication des moyens de paiement et de l’adresse de facturation. Dès lors, cela ne justifie pas la mise en œuvre des mêmes modalités de connexion au fichier, telle que l’interdiction d’accès direct par les services.

Par ailleurs, je souhaite insister sur un aspect très pratique. Si une unité de gestion devait être créée, les délais incompressibles pour son installation auraient pour conséquence de priver notre pays des possibilités offertes par le système durant cette période. En effet le système expérimental deviendrait caduc dès la promulgation de la loi, alors que le système pérennisé ne pourrait pas fonctionner avant la mise en place, relativement longue et coûteuse, d’une « UIP maritime ». Il s’agit d’une question complexe que nous allons devoir trancher au cours des débats et nous échangerons sur ce sujet avec l’exécutif. Un dispositif spécifique devra sans doute être envisagé d’ici à la séance publique.

J’en viens aux dispositions relatives aux techniques de renseignement. Les articles 8 à 9 du projet de loi redéfinissent le régime légal de surveillance des communications hertziennes afin de mettre le droit en conformité avec une récente censure du Conseil constitutionnel.

Je rappelle brièvement les principes qui encadrent l’utilisation des techniques de surveillance, avant de souligner en quoi et pourquoi le régime applicable au domaine hertzien en diffère.

Le régime juridique applicable aux activités et techniques de renseignement a été défini par deux lois de juillet et novembre 2015. Deux types de services peuvent mettre en œuvre ces techniques. Il s’agit, d’une part, des « services spécialisés de renseignement » qui disposent d’une habilitation générale à mettre en œuvre l’ensemble des techniques de surveillance pour l’exercice de leurs missions respectives, et pour l’ensemble des finalités limitativement prévues par la loi. Ces six services constituent le « premier cercle » de la communauté française du renseignement. On y trouve trois services relevant du ministère des Armées : la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la direction du renseignement militaire (DRM) et la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD). D’autre part, certains services, dits du « second cercle », peuvent être autorisés à recourir à ces techniques, mais uniquement pour certaines finalités et pour une liste définie de techniques.

Qu’en est-il de la procédure ? Par principe, toute demande d’utilisation d’une technique de renseignement destinée à surveiller le territoire national fait l’objet d’une procédure d’autorisation préalable. Elle est délivrée par le Premier ministre, après avis préalable obligatoire, mais simple, de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), qui dispose par ailleurs d’un certain nombre de pouvoirs de contrôle.

La surveillance des communications électroniques internationales, reçues ou émises de l’étranger, est soumise à une procédure d’autorisation différente : si elle reste délivrée par le Premier ministre, l’avis de la CNCTR n’est pas légalement requis.

Le régime spécifique au domaine hertzien est appelé « exception hertzienne ». En 1991, le législateur avait choisi d’exclure de la procédure d’autorisation préalable et de contrôle les mesures de surveillance des communications empruntant la voie hertzienne. Ce régime dérogatoire avait été confirmé par la loi de juillet 2015. Ce choix se justifiait par le fait que les mesures mises en œuvre dans le domaine hertzien ne visent pas des communications individualisables, et que, par conséquent, elles ne portent pas atteinte à la vie privée ou au secret des correspondances. En effet, techniquement, ces communications se propagent dans l’espace public sans support filaire. Elles peuvent donc être librement captées par quiconque dispose d’un récepteur branché sur la bonne fréquence et se trouve dans leur périmètre d’émission. Ce type de communication s’apparente au cas d’un individu qui utiliserait un mégaphone dans la rue : dès lors que vous disposez d’un récepteur, vos oreilles, et que celui-ci est situé dans le périmètre d’émission du message, vous le captez. Son auteur ne peut dès lors prétendre que vous portez alors atteinte à sa vie privée et au secret de ses correspondances, puisqu’il a choisi de le diffuser dans le domaine public.

Le problème réside dans le fait que toutes les communications opérées par la voie hertzienne ne revêtent pas ce caractère intégralement « public ». C’est notamment ce qu’a relevé le Conseil constitutionnel. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité en 2016, il a jugé que le régime de « l’exception hertzienne » était contraire à la Constitution. Le principal grief étant que ce régime n’excluait pas l’interception de communications ou le recueil de données individualisables. Le Conseil a par ailleurs relevé que la mise en œuvre du régime ne faisait l’objet d’aucune procédure d’autorisation ni d’aucune garantie en termes de contrôle, notamment. Afin de permettre au législateur de tirer les conséquences de cette censure, le Conseil constitutionnel a reporté les effets de sa décision au 31 décembre 2017.

L’objet des articles 8 à 9 du projet de loi consiste donc à redéfinir une « exception hertzienne » conforme aux droits et libertés garantis par la Constitution.

Le maintien de techniques de surveillance dans le domaine hertzien est une nécessité opérationnelle dans trois domaines. Dans le domaine militaire, les interceptions de communications radio longues et très longues distances permettent aux forces armées de disposer d’informations précieuses, y compris lorsqu’elles sont menées depuis le territoire national. Je rappelle à cet égard que notre territoire ne se limite pas à la France métropolitaine. Ces interceptions peuvent par exemple permettre de détecter des mouvements de troupes, de navires ou d’aéronefs étrangers. Dans le domaine de la contre-ingérence, les services peuvent intercepter des communications entre les puissances étrangères et leurs agents. Enfin, en matière de lutte contre le terrorisme, les communications radio peuvent être utilisées par les organisations terroristes et les groupes djihadistes.

Avant de présenter ce que le texte prévoit, ce qu’il est, je tiens d’abord à dire ce qu’il n’est pas : il ne témoigne pas d’une volonté de surveillance généralisée, et ne permettra pas aux services d’écouter plus qu’avant. Il leur permettra d’écouter et de surveiller autant, mais dans un cadre juridique renouvelé, conforme aux droits et libertés garantis par notre Constitution. Il sera plus protecteur des libertés publiques, du respect de la vie privée et du secret des correspondances, car il sera entouré de garanties inédites dans le domaine de l’hertzien « public ».

L’article 8 du projet de loi limite donc « l’exception hertzienne » au strict nécessaire. Il crée à cet effet un dispositif à double entrée, qui en restreint le champ.

L’hertzien « privé » concernera les communications qui empruntent exclusivement la voie hertzienne, sans intervention d’un opérateur, mais qui revêtent malgré tout un caractère privé. Les demandes de surveillance dans ce domaine seront dorénavant soumises au droit commun, avec autorisation préalable du Premier ministre et contrôle de la CNCTR.

L’hertzien « public » concernera les communications qui empruntent exclusivement la voie hertzienne, sans intervention d’un opérateur, mais qui ne relèvent d’aucun réseau privatif. Leur surveillance restera logiquement soumise à un régime allégé sans autorisation préalable, comme c’est le cas actuellement, mais des modalités inédites de contrôle a posteriori par la CNCTR seront prévues – nous y reviendrons.

Comment faire la distinction entre hertzien « privé » et hertzien « public » ? L’hertzien « privé » regroupera les communications échangées au sein d’un réseau réservé à l’usage d’un groupe fermé d’utilisateurs. C’est le recours à certains modes de communication qui permettra de le déterminer. Le principal équipement concerné serait le talkie-walkie numérique ou PMR (Private Mobile Radio), qui se caractérise, d’une part, par sa portée limitée, d’autre part, par l’intégration dans l’appareil de mécanismes d’authentification et de partage de clés de chiffrement. De fait, son utilisation révèle bien l’intention des utilisateurs de conférer un caractère privé à leurs échanges, quand bien même ceux-ci empruntent le domaine public que constitue l’hertzien.

La nouvelle « exception hertzienne » sera dorénavant expressément et légalement limitée au seul hertzien « public », conformément aux prescriptions du Conseil constitutionnel. Son nouveau champ sera résiduel, car limité aux communications qui ne relèvent d’aucun réseau privatif, et qui ne peuvent être interceptées sur le fondement d’aucune des autres techniques de renseignement.

Au total, la grande majorité des interceptions hertziennes sera soumise au droit commun, ce qui constitue un progrès considérable en termes de respect des droits et libertés. Concrètement, le nouveau champ couvrira uniquement la CB, les radioamateurs, les talkies-walkies analogiques ainsi que les communications radio des gammes VLF et HF et les moyens radio militaires tactiques. Bref, l’« exception hertzienne » et le régime dérogatoire qui y est attaché deviendront réellement « exceptionnels ».

Je vous proposerai deux amendements dans ce domaine. Le premier précisera le point de départ des délais de conservation des informations collectées. Le second aura trait aux modalités de contrôle de la CNCTR : il s’agit de lui donner accès non pas à l’ensemble des renseignements collectés, puisque ceux qui s’avèrent inutiles sont détruits par les services, mais aux seuls renseignements effectivement conservés et exploités par ces derniers.

Enfin, l’article 9 permettra aux unités des armées chargées de la défense militaire de continuer à mettre en œuvre des mesures de surveillance hertzienne, dans le cadre du seul hertzien « public », et uniquement pour l’exercice de leurs missions. Ces missions ont trait à la dissuasion nucléaire, à la défense opérationnelle, à la défense maritime du territoire et à la défense aérienne ; elles s’exercent également dans le cadre de l’action de l’État en mer. De telles mesures pourraient, par exemple, permettre de détecter la présence d’embarcations communiquant entre elles sur l’hertzien « ouvert », et qui chercheraient à pister un sous-marin nucléaire lanceur d’engins sortant de la base de l’Île-Longue, au large de Brest.

Les modalités de contrôle par la CNCTR seront allégées par rapport au régime prévu pour les mesures de surveillance de l’hertzien « ouvert », dans le cadre d’actions de renseignement. Un tel allégement est légitime : d’une part, puisqu’il s’agit de communications non privatives, les mesures prises par les unités militaires ne sont pas attentatoires aux libertés publiques ; d’autre part, ces mesures, qui ne constituent pas des actions de renseignement au sens de la surveillance administrative, ont une visée purement opérationnelle.

Le même article permet également à la Direction générale de l’armement (DGA) d’effectuer des interceptions sous le régime de « l’exception hertzienne », mais à une fin unique et précise : la conduite des campagnes d’essai des matériels utilisés par les forces armées et permettant la mise en œuvre de mesures de surveillance. Toutes les données collectées dans le cadre des tests des matériels sont, bien entendu, immédiatement détruites par la DGA.

Mes chers collègues, je vous prie de m’excuser d’avoir été un peu long, mais il s’agit de sujets relativement complexes, et j’espère avoir été suffisamment clair pour que chacun des membres de notre commission puisse prendre la mesure des enjeux des articles qu’il nous revient d’examiner pour avis.

M. le président. Les dispositions qui figurent dans ce projet de loi visant à compléter notre dispositif de lutte contre le terrorisme sont effectivement très techniques. Avant de passer à l’examen des seize amendements que j’ai reçus sur ce texte, certains de nos collègues souhaitent vous poser quelques questions, Monsieur le rapporteur pour avis.

M. Jean-François Eliaou. J’aimerais savoir s’il y aura des liaisons et des interactions possibles entre le PNR aérien et le PNR maritime : ce point est important car, à défaut de pouvoir croiser les données, il me semble que nous perdrions un peu en efficacité.

Par ailleurs, y aura-t-il des connexions entre le PNR maritime français et ceux d’autres pays européens, et la Corse sera-t-elle incluse dans le PNR français ?

J’ai entendu dire qu’il était question de créer deux PNR maritimes français, l’un pour la côte méditerranéenne, l’autre pour l’Atlantique. Si cela devait être le cas, les données de ces deux PNR pourraient-elles être croisées ?

Enfin, je n’ai pas très bien compris si vous étiez favorable ou non à la création d’une UIP maritime : pourriez-vous nous préciser les enjeux de cette question ainsi que votre position ?

M. Christophe Lejeune. J’ai compris que les fichiers ne concerneraient que les personnes suspectées d’actes liés au terrorisme, et que nos services secrets ne disposeraient pas d’un accès direct à ces fichiers, mais devraient passer par l’intermédiaire d’UIP. Pouvez-vous nous préciser qui nommera les personnes constituant les UIP et qui aura autorité sur elles ?

M. Bastien Lachaud. Plutôt que de poser une question, j’aimerais faire une intervention à caractère général sur le texte de loi, en commençant par rappeler que notre pays s’est doté de six lois antiterroristes depuis 2012, et que c’est donc la septième loi de ce genre qui nous est soumise aujourd’hui. Le fait de revenir aussi régulièrement sur le même sujet montre, à mon sens, que l’on n’aborde jamais les vrais problèmes, ou que l’on n’y apporte pas les bonnes solutions. Cela me semble être malheureusement encore le cas avec ce texte, qui tient surtout de l’affichage, avec la pérennisation dans l’État de droit des mesures d’exception de l’état d’urgence.

En procédant de la sorte, nous ne posons pas les questions qui seraient pertinentes pour lutter contre la commission d’actes terroristes, notamment celle des moyens financiers et humains accordés aux services de renseignement, celle de la traque de l’argent servant au financement du terrorisme – en particulier dans le cadre des paradis fiscaux –, celle des alliances stratégiques nouées par la France avec des États qui encouragent la commission d’actes terroristes, ou encore celle de la participation de la France à la déstabilisation de régions entières du fait de décisions prises par des présidents de la République sans contrôle du Parlement, contrairement à ce que prévoit l’article 35 de la Constitution.

Par ailleurs, les mesures d’exception de l’état d’urgence vont perdre en efficacité en même temps qu’elles vont perdre leur caractère d’exception, car les personnes souhaitant commettre des actes terroristes vont pouvoir contourner plus facilement des dispositions qu’ils connaissent bien.

Un bilan des mesures d’exception passées dans le droit commun, notamment aux États-Unis à la suite des attentats du 11 septembre 2001, montre que les facilités accordées à l’exécutif se sont révélées inefficaces, voire contre-productives. En effet, le fait de revenir sur notre État de droit constitue une victoire morale pour nos adversaires, et les mesures intégrées au droit commun sont dévoyées pour entraver l’action syndicale ou la défense de l’environnement, voire d’autres formes de mobilisation nécessaires à la vie démocratique. Nous portons donc atteinte à l’État de droit en permettant de faire subir indûment des atteintes à la vie privée, des mesures vexatoires ou simplement arbitraires à nos concitoyens qui, de ce fait, ne trouvent plus dans la République la sûreté qu’ils sont en droit d’en attendre.

La logique générale de ce texte est celle d’un approfondissement de ce que certains appellent déjà une « démocrature » à propos de pays que nous jugeons d’habitude avec sévérité. Parallèlement au coup d’État social que représentent les ordonnances relatives à la réforme du code du travail qui, si nous ne les empêchons pas, feront vivre les salariés dans la crainte de l’arbitraire d’un licenciement abusif jamais véritablement puni, ce texte constitue une autre façon de saper l’État de droit, qui est justement ce que nos ennemis cherchent à abattre.

Je voudrais conclure en vous rappelant l’avertissement lancé par un penseur insoupçonnable à vos yeux, le libéral Benjamin Constant, qui, il y a deux cents ans, disait déjà : « Lorsque l’arbitraire frappe sans scrupule les hommes qui lui sont suspects, ce n’est pas seulement un individu qu’il persécute, c’est la nation entière qu’il indigne d’abord et qu’il dégrade ensuite (…) L’arbitraire est dangereux pour un gouvernement considéré sous le rapport de son action ; car, bien qu’en précipitant sa marche, il lui donne quelquefois l’air de la force, il ôte néanmoins toujours à son action la régularité et la durée ».

M. Joaquim Pueyo. Je suis très favorable à une mise en œuvre rapide et concrète du PNR européen qui, je le rappelle, correspond à une recommandation que nous avions formulée en juillet 2016 dans le cadre du rapport que la mission d’information sur les moyens de Daech et adoptée à l’unanimité.

La problématique du retour de ceux que l’on appelle les « combattants étrangers », à savoir les Français qui se sont rendus dans la zone irako-syrienne pour y rejoindre des organisations terroristes, nous oblige à renforcer les contrôles des déplacements de ces individus afin de pouvoir les intercepter à leur retour, notamment quand ils évitent le transport aérien au profit du transport maritime – une pratique qui justifie à elle seule la création d’un PNR maritime.

La lutte contre les faux passeports renforcera l’utilité et l’efficacité du PNR si l’on fait en sorte d’imposer la biométrie à l’ensemble des passeports au sein de l’Union européenne. Pour ce qui est du PNR maritime, nous sommes favorables au texte.

Si le rôle de la CNCTR, réintroduite à plusieurs reprises par le Sénat, me paraît fondamental, il est permis de se demander si elle disposera de moyens suffisants pour exercer la mission de contrôle qui lui sera confiée – une mission extrêmement importante, car le contrôle est indissociable de l’État de droit.

J’apprécie que la délégation parlementaire au renseignement (DPR) puisse se faire communiquer les observations de la CNCTR, ce qui permettra au Parlement d’exercer pleinement sa mission de contrôle.

Les dispositions les plus délicates de ce texte sont sans doute celles relatives à la surveillance hertzienne. Cependant, les observations formulées par le Conseil constitutionnel ont été prises en compte, ce qui constitue à mes yeux une garantie importante et me permettra de voter en faveur de ces dispositions, comme je le ferai pour le reste du texte.

M. le rapporteur pour avis. À l’heure actuelle, il n’existe pas de lien entre le PNR aérien et le PNR maritime, et le véritable enjeu réside dans la possibilité de coordonner le PNR aérien français à ceux des autres États de l’Union européenne. Je répète que le PNR aérien et le PNR maritime sont appelés à contenir des données différentes en nature et en nombre – seize à dix-neuf catégories de données pour le PNR aérien, une dizaine pour le PNR maritime.

Pour ce qui est du PNR maritime, il concerne tous les ports français, y compris ceux de la Corse et ceux situés outre-mer.

Avant la mise en place de l’Unité Information Passagers, les données du PNR aérien étaient déjà collectées par les compagnies privées ; la création de l’UIP est donc la bienvenue en ce qu’elle confère aussi cette compétence à la puissance publique. Pour ce qui est du PNR maritime, c’est aujourd’hui la gendarmerie maritime qui est destinataire des données adressées par les compagnies maritimes. Une réflexion sera à mener, au cours des années à venir, sur la constitution, d’ores et déjà envisagée, d’une ou deux unités de gestion chargées de la collecte des données auprès des transporteurs maritimes. À titre personnel, je suis favorable à ce qu’il ne soit créé qu’une seule unité – à l’instar de ce qui se fait dans le domaine aérien, avec l’unité basée à Roissy – plutôt qu’une unité pour la façade atlantique et une autre pour la Méditerranée. Cela dit, si l’exigence de la création d’une UIP dédiée au secteur maritime subsiste dans le texte, le PNR maritime ne pourra pas fonctionner au 1er janvier 2018.

Pour répondre à M. Lejeune, je précise que les agents de l’UIP sont nommés par décret. L’UIP est une unité interministérielle basée à Roissy et rattachée au ministère chargé des douanes, mais qui exerce aussi ses missions pour le compte des ministères des Armées, de l’Intérieur et des Transports.

M. Lachaud a développé des considérations à caractère politique, auxquelles je répondrai par des éléments d’ordre technique. Premièrement, ce texte est nécessaire, car il faut bien sortir de l’état d’urgence, qui n’a pas vocation à devenir un état permanent. Deuxièmement, ce texte est responsable, puisque nous sommes en train d’atteindre l’équilibre recherché. Il porte enfin la marque d’un certain courage, une qualité nécessaire pour mettre fin à la prorogation permanente de l’état d’urgence.

Je rappelle par ailleurs que les cinq articles que nous examinons ne sont pas issus de dispositifs se rattachant à l’état d’urgence, mais qui existent déjà, et qu’il nous appartient de mettre en conformité avec le droit. Ainsi, l’exception hertzienne remonte à 1991, et c’est le Conseil constitutionnel qui nous a demandé de mettre ce dispositif en conformité avec la Constitution – c’est l’objet des articles 8 et 9 du projet de loi, qui vont dans le sens d’un renforcement de la protection de nos libertés publiques.

M. Pueyo soulève une vraie question, celle des moyens de la CNCTR et du rôle du Parlement. Sur ce point, nous devons saluer le travail accompli par nos collègues sénateurs. À l’origine, le texte prévoyait, pour l’hertzien « public », un filtre sous la forme d’une autorisation préalable du Premier ministre, que le Sénat a supprimé et que le Gouvernement ne semble pas désireux de réintroduire : nous devrions donc en rester à un contrôle direct de la CNCTR.

Les sénateurs ont, par ailleurs, introduit un article 8 bis qui me semble aller dans le bon sens, puisqu’il introduit la DPR. Désormais, la CNCTR devra rendre compte devant la DPR des observations qu’elle aura à formuler au sujet des interceptions hertziennes.

La commission en vient à l’examen des articles dont elle s’est saisie pour avis.

Article 5 (art. 17 de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale) : Pérennisation du traitement des données relatives aux passagers aériens, dit « système API-PNR France »

La commission est saisie de l’amendement DN6 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud. L’article 5 propose de pérenniser une mesure qui ne devait rester en vigueur que jusqu’au 31 décembre 2017 : le législateur précédent entendait en effet donner un caractère temporaire au fichier de traitement automatisé qu’est l’API-PNR, une intention sur laquelle nous devrions pour le moins nous interroger. Ne s’agissait-il pas de se donner le temps de vérifier l’utilité de cette mesure et les risques d’atteinte à l’État de droit qu’elle comporte ? Alors que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) affirmait, en août 2016, que ce fichier créé à titre expérimental devrait faire l’objet d’une évaluation avant d’envisager ou non son maintien, aucune étude n’a jamais prouvé l’utilité de conserver ces données personnelles pour une durée maximale de cinq ans.

Estimant que vous avez l’intention de faire entrer dans le droit commun une disposition dont personne ne peut garantir aujourd’hui le bien-fondé, nous proposons pour notre part de supprimer l’article 5, afin d’éviter de pérenniser un traitement de données que nous estimons attentatoire au droit à la vie privée.

M. le rapporteur pour avis. Je suis un peu déçu de constater que mon exposé liminaire ne semble pas avoir convaincu tous nos collègues. Je suis défavorable à cet amendement, comme je le serai à l’amendement DN7 visant à supprimer l’article 6, et pour les mêmes raisons.

Sur le plan juridique, la France est tenue de transposer la directive PNR : il s’agit à la fois d’une obligation en vertu des traités ratifiés par notre pays et d’une exigence constitutionnelle. Pour ce faire, les articles 5 et 6 doivent être adoptés. Dans le cas contraire, nous manquerions à nos engagements européens et à nos règles constitutionnelles.

Sur le fond, comme je l’ai dit, le système API-PNR – dont on nous a confirmé l’efficacité au cours de plusieurs auditions, en dépit de ce que vous affirmez – n’est pas seulement un outil de prévention – et pas uniquement du terrorisme –, c’est également un outil précieux d’appui aux enquêtes, qui permet de confondre les individus mis en cause par la justice pour la commission des infractions les plus graves.

Nous avons des divergences de fond en la matière, qui auront plutôt vocation à se confronter dans l’hémicycle. Si cela peut vous donner un peu d’espoir, sachez qu’un réexamen de tous les éléments de la directive PNR est prévu d’ici à 2020. Vous pourrez donc, le moment venu, mobiliser vos représentants au Parlement européen pour faire valoir à nouveau vos arguments. En attendant, notre pays se conformera à ses obligations.

M. Jean-Christophe Lagarde. En quoi la directive européenne exige-t-elle que les dispositifs deviennent permanents ?

M. le rapporteur pour avis. La directive européenne oblige à mettre en place une UIP dans chaque État-membre et à créer des traitements de données alimentés par les informations API-PNR.

M. Jean-Christophe Lagarde. À mon sens, elle demande à ce que soit mis en place un fichier PNR, mais n’exige pas que ce fichier soit pérenne. La souveraineté de la France n’est pas en cause, puisque l’Europe ne nous contraint pas à rendre le fichier permanent. Ce qui avait été adopté sous la législature précédente suffisait à répondre à l’exigence européenne, en prévoyant un réexamen périodique effectué dans le cadre du contrôle parlementaire. Il serait donc vain de prétendre que c’est l’Europe qui nous interdit de prendre la décision de revoir nos procédures – ce qui ne saurait se faire que d’un commun accord avec les autres pays, dans la mesure où le PNR est un fichier partagé.

M. le rapporteur pour avis. Je le répète, une révision sera possible d’ici 2020.

La commission rejette l’amendement.

La commission examine l’amendement DN2 de M. Stéphane Trompille.

M. Stéphane Trompille. Après avoir échangé avec le rapporteur pour avis, je retire mon amendement.

M. le rapporteur pour avis. La disposition prévue créerait en effet une trop lourde charge et du reste l’amendement est mal placé.

L’amendement est retiré.

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 5 sans modification.

Article 6 (art. L. 232-1 et L. 232-7 du code de la sécurité intérieure) : Transposition de la directive « PNR »

La commission examine l’amendement DN7 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. L’amendement DN7 vise à supprimer l’article. Je remercie le rapporteur pour avis d’avoir eu la franchise de nous indiquer que les dispositifs que nous examinons ne sont pas la transposition de l’état d’urgence mais que la majorité entend saisir l’occasion qui lui est ici offerte pour légiférer sur toute une série de sujets, profitant d’une sorte d’effet d’aubaine, si je puis m’exprimer ainsi.

Disons clairement aux Français que si le PNR avait été en vigueur, il n’aurait eu aucune efficacité pour empêcher les attentats qui ont frappé la France : aucun des criminels impliqués n’a pris l’avion. Aussi la généralisation envisagée des contrôles nous engage-t-elle dans une spirale sécuritaire consistant, notre collègue Lachaud y a fait allusion, à donner une forme de victoire à nos adversaires.

En outre, nous créerions des outils potentiellement très dangereux puisque les fichiers en question doivent être partagés au niveau européen et qu’ils sont donc susceptibles de tomber on ne sait entre quelles mains ; or, il convient d’éviter toute remise en cause possible des libertés fondamentales.

Je vous propose donc de supprimer cet article, j’y insiste, inopportun, inefficace, problématique sur le fond.

M. le rapporteur pour avis. Avis défavorable pour les mêmes raisons que celles invoquées pour rejeter l’amendement DN6.

M. Fabien Gouttefarde. Je reviens sur le procès en inefficacité fait au PNR. Je rappelle l’existence d’un rapport d’information du 16 novembre 2011, remis par notre ancien collègue Guy Geoffroy, qui concluait, à propos du PNR, que l’Union européenne et les États-Unis s’accordent « sur le grand intérêt de ces données dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité grave ». Les données PNR ont en effet fait la preuve de leur efficacité dans cette lutte. Aussi, je vous invite à lire une partie du rapport en particulier, celle portant sur « l’intérêt des données PNR d’après les expériences menées dans les autres États membres ».

Je prends au hasard l’exemple du programme britannique « e-borders » qui comprend des données PNR. Au moment de la remise du rapport Geoffroy, 330 millions de mouvements de passagers avaient été analysés et il avait été procédé à 89 000 arrestations dont celles de terroristes et de trafiquants. C’est pourquoi, dès lors que l’on tient compte de l’avis des services du renseignement et de celui des professionnels de la sécurité, il n’y a pas lieu, dans cette enceinte, de douter de l’efficacité du dispositif proposé.

M. Stéphane Trompille. Comment M. Corbière peut-il affirmer qu’aucune des personnes impliquées dans les actes terroristes qui ont frappé la France n’a pris l’avion ?

M. Patrice Verchère. On imagine ce qu’aurait permis le PNR s’il avait existé bien plus tôt, quand on se rappelle que Mehdi Nemmouche a atterri le 18 mars 2014 à Francfort, de retour de Syrie, deux mois avant l’attaque – dont il est l’auteur présumé – du Musée juif de Belgique, à Bruxelles, qui a provoqué la mort de quatre personnes. Hayat Boumeddiene, quant à elle, a pu s’envoler vers la Turquie, depuis Madrid, une semaine avant que son compagnon, M. Coulibaly, ne tue neuf personnes au cours de la prise d’otages de l’Hyper-Cacher de la Porte de Vincennes.

S’il est vrai que le PNR n’est sans doute pas un dispositif suffisant – malgré tout son intérêt –, il nous apparaît toutefois nécessaire. Aussi soutenons-nous cet article et sommes-nous défavorables au présent amendement de suppression.

M. Alexis Corbière. Le PNR ne permettra pas aux autorités de savoir si un individu qui aura pris l’avion une fois est dangereux.

Vous évoquiez le rapport de M. Geoffroy, mon cher collègue, mais je vous rappelle que le G29, le Groupe européen des autorités de protection des données, a constaté en 2010, dans le cadre du PNR nord-américain, « qu’il n’a jamais été prouvé de façon concluante que la quantité considérable de données passagers collectée est véritablement nécessaire à la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité ». N’essayez-vous pas plutôt, dès lors, de compenser, par le biais du PNR, le manque de moyens dont disposent nos services de renseignement ?

Le recueil et l’exploitation des métadonnées ne résoudront pas le problème : c’est le renseignement humain qui permettra de lutter efficacement contre le terrorisme. C’est une des difficultés que nous sommes en train de mettre en évidence.

Je maintiens donc mon amendement de suppression.

M. Jean-Christophe Lagarde. Il faut en revenir à certaines réalités. Il est évident que quand on collecte des informations sur des centaines de millions de déplacements, aucun service de renseignement ne les analysera individuellement. Le seul intérêt, en réalité, pour les services de renseignement et les services de police, est de pouvoir retracer les parcours de personnes soupçonnées d’être dangereuses ou bien jugées telles. Il s’agit donc d’établir quelles peuvent être les correspondances entre ces parcours.

Affirmer que le PNR est en mesure d’empêcher les attentats est tout aussi péremptoire qu’affirmer qu’il ne servirait à rien dans le combat contre le terrorisme est hasardeux – pour rester gentil.

On a évoqué précédemment les circuits de financement – et je suis d’accord pour considérer qu’il devrait s’agir d’une priorité – ; eh bien, ces derniers impliquent des déplacements qu’on peut recroiser avec les déplacements de ceux qui ont commis des attentats. C’est exactement la même chose que lorsqu’il s’agit de surveillance électronique. C’est d’ailleurs ainsi que l’on constate, quitte à surprendre, peut-être, le commun des mortels, qu’après la commission d’un acte ou sa tentative, après une interpellation, après une opération de police fortuite – je pense ici aux découvertes récentes à Villejuif –, en recoupant les données électroniques, les informations sur les déplacements, on finit par reconstituer des réseaux. Voilà à quoi sert le PNR.

En revanche – et j’explique ici mon vote de tout à l’heure –, si le PNR est une contrepartie nécessaire à la guerre menée contre nous ainsi qu’à la facilitation, ces dernières années, de la liberté de circulation, nous devrions veiller à ce que le débat sur ce dispositif ne soit pas clos. En effet, malgré tout, le recueil et l’exploitation de ces métadonnées sont susceptibles, à un moment ou à un autre, de porter atteinte à certaines libertés fondamentales. C’est pourquoi l’article 5 devrait prévoir une limite dans le temps, au terme de laquelle nous serions amenés à nous prononcer sur l’éventuelle prorogation du dispositif. Or ne pas fixer cette limite, interdire tout débat parlementaire, toute discussion avec les experts, me paraît une erreur : ces fichiers sont nécessaires parce que nous vivons une situation particulière : la lutte contre le terrorisme dont nous savons qu’elle va durer plusieurs années mais dont nous pouvons espérer un jour la fin.

Mme Sereine Mauborgne. Dans ce cas, Monsieur Lagarde – question de béotienne –, pourquoi n’avez-vous pas déposé d’amendement à cet effet ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Madame le député, chère collègue, je ne suis pas sûr que vous ayez à juger mon travail – et je ne me permettrais pas de juger le vôtre. Mais on verra.

M. le président. Restons-en là pour le moment.

M. le rapporteur pour avis. Il est toujours possible de débattre en séance publique.

Je précise qu’il y a un fichier PNR pour chaque État – il n’y a pas, aujourd’hui, de fichier européen. Aussi l’une des grandes tâches à mener dans les années à venir est-elle l’amélioration de la coordination de nos différents systèmes.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 6 sans modification.

Article 7 (art. L. 232-4, L. 232-7 et L. 232-7-1 [nouveau] du code de la sécurité intérieure) : Création d’un fichier « PNR maritime »

La commission examine l’amendement DN8 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud. Je réserve mon argumentation sur le fond pour le débat en séance publique. Je me borne en attendant à indiquer qu’elle est la même, pour cet amendement de suppression de l’article, que pour les précédents.

M. le rapporteur pour avis. Je l’ai rappelé tout à l’heure, le secteur maritime présente des vulnérabilités alors qu’il représente des flux considérables. Je considère qu’on ne peut pas faire comme si la menace s’arrêtait aux quais de nos ports. Il est normal qu’un contrôle préalable à l’embarquement puisse être effectué. Mais, là encore, nous en débattrons en séance publique.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 7 sans modification.

Après l’article 7

La commission examine l’amendement DN3 de Mme Frédérique Lardet.

Mme Frédérique Lardet. Le présent amendement concerne le renforcement des moyens mis à disposition des forces de polices et des forces armées dans le cadre de leurs missions de surveillance des périmètres de protection. Mais, après discussion avec le rapporteur pour avis, il semble préférable d’en faire un amendement portant article additionnel après l’article 1er qui sera examiné en commission des Lois. C’est pourquoi je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

Chapitre II

Techniques de renseignement

Article 8 (art. L. 822-2, L. 852-2 [nouveau], L. 853-2, L. 854-9-1 à L. 854-9-3 [nouveaux] et L. 871-1 du code de la sécurité intérieure) : Encadrement de la faculté de procéder à des écoutes hertziennes

La commission examine l’amendement DN9 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Franchement, je n’ai pas compris en quoi le texte levait les réserves faites par le Conseil constitutionnel en 2016. Nous créerions ici un gigantesque aspirateur de données hertziennes dont certaines touchant à la vie privée. Cela concernera aussi bien le wifi que le bluetooth ou encore la téléphonie 3G… J’insiste : les réserves formulées par le Conseil constitutionnel ne sont pas du tout obsolètes. Cet article nous paraissant liberticide en ce qu’il ne garantit pas le respect des correspondances privées notamment, il serait sage de le supprimer.

M. le rapporteur pour avis. Notre point de vue, ici aussi, diverge.

Tout d’abord, le Conseil constitutionnel n’a pas censuré le principe même de la surveillance de l’hertzien privatif, comme vous semblez l’indiquer dans l’exposé sommaire de votre amendement. Il a censuré les conditions dans lesquelles elle s’opérait jusqu’alors. Le projet de loi répond aux exigences du Conseil constitutionnel en créant le système de double entrée que j’évoquais tout à l’heure et en prévoyant des garanties inédites dans le domaine hertzien.

Vous dites également qu’il s’agit d’une nouvelle collecte de données. Or, je le répète : c’est faux. Les services ne surveilleront pas davantage qu’avant : ils surveilleront autant, mais dans un cadre plus protecteur des droits et des libertés, conformément à la décision du Conseil constitutionnel.

Je le redis : le présent projet de loi fait entrer le hertzien privé – dont le seul mode de communication visé est le talkie-walkie numérique – dans le droit commun, avec toutes les garanties légales y afférant.

Vous notez que sont notamment cités des exemples hors de France. C’est parce qu’une action menée depuis le territoire national peut aussi permettre d’intercepter des communications à l’étranger, compte tenu des fréquences et des longueurs d’onde utilisées – dans le cadre, en particulier, de nos opérations de défense.

L’article 8 répondant aux objections du Conseil constitutionnel, je suis défavorable à cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine les amendements DN5 et DN16 de Mme Frédérique Lardet.

Mme Frédérique Lardet. À la suite des explications apportées par le rapporteur pour avis, je retire ces deux amendements.

Les amendements DN5 et DN16 sont retirés.

La commission examine ensuite, en discussion commune, les amendements DN17, de M. le rapporteur pour avis, et DN4 de Mme Frédérique Lardet.

M. le rapporteur pour avis. L’amendement DN17, d’ordre technique, vise à préciser le point de départ des délais de conservation des données en prévoyant qu’ils courent à compter de leur recueil pour les renseignements non chiffrés – soit six ans –, et à compter de leur déchiffrement pour les renseignements chiffrés – à savoir huit ans.

Mme Frédérique Lardet. Je retire l’amendement DN4 au profit de celui du rapporteur pour avis.

L’amendement DN4 est retiré.

M. Jean-Christophe Lagarde. Le rapporteur pour avis a qualifié son amendement de technique. Il l’est relativement… Pourquoi le délai de conservation des données chiffrées est-il deux ans plus long que le délai de conservation des données non chiffrées ? C’est, me semble-t-il, supposer que, pendant les deux premières années, on peut, le cas échéant, déchiffrer les renseignements et qu’ensuite on ne les déchiffrera pas et qu’on ira les rechercher la septième et la huitième année, au cas où… Bref, je comprends votre intention mais moins le mécanisme consistant à prévoir deux délais différents alors que seul le déchiffrement compte.

M. le rapporteur pour avis. C’est le droit commun applicable aux communications électroniques internationales. En outre, les données chiffrées sont par définition plus complexes à traiter, ce qui explique que les délais soient un peu plus longs que pour les données non chiffrées, souvent traitées immédiatement par nos services.

M. Thibault Bazin. Qu’en est-il de la coopération des services de sécurité et de justice des États européens ? Nous collectons des données mais les différents pays les partagent-ils ? Le texte ne l’évoque pas du tout. On sait que des progrès ont été accomplis depuis vingt ans mais le niveau de partage des données via le hub d’information Europol semble a priori encore insuffisant malgré la recrudescence d’attentats depuis deux ans et demi. Qu’avez-vous à nous dire sur la question, monsieur le rapporteur pour avis ?

M. le rapporteur pour avis. Je l’ai précisé moi-même tout à l’heure : ce sera l’une de nos tâches, dans les années à venir, que d’améliorer la coopération entre nos services de renseignement au niveau européen, mais qui ne me semble pas l’objet du présent texte – à dimension nationale.

M. Thibault Bazin. Il n’y a donc rien de prévu à l’échelle internationale…

M. le rapporteur pour avis. Les discussions ont lieu au cas par cas, en fonction des affaires. Reste que les États ont conscience de la nécessité d’améliorer notre système de coopération. Nous reviendrons par conséquent régulièrement sur ces questions dans les mois et les années qui viennent puisque, hélas, elles se posent à chaque fois qu’un attentat est commis. On doit néanmoins noter des améliorations, comme on a pu le constater lors du terrible attentat de Barcelone, à la suite duquel les services français et espagnols ont très rapidement coopéré.

M. Thibault Bazin. De même qu’après l’attentat de Berlin.

M. le rapporteur pour avis. En effet.

La commission adopte l’amendement DN17.

Puis elle en vient à l’amendement DN18 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. Le présent amendement concerne le champ des renseignements auxquels la CNCTR aura accès. Parmi les données que collectent nos forces de renseignement, il y a des données brutes qu’elles détruisent immédiatement, d’autres qu’elles conservent sans pour autant les traiter, enfin les données qu’elles conservent et traitent. Il s’agit par conséquent de préciser que le contrôle de la CNCTR portera non pas sur toutes les données interceptées mais sur les données collectées conservées et les données collectées conservées et traitées.

Cette précision vise là encore à ne pas mettre nos services en difficulté. Il est entendu que, dans la majeure partie des cas, nous évoquons des contrôles faits lors d’une opération de défense et non dans le cadre d’une opération de lutte contre le terrorisme sur le territoire national. Si, dès lors, les données ayant vocation à être immédiatement détruites devaient être conservées, il conviendrait de procéder à de nouveaux investissements pour améliorer nos dispositifs de stockage.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je vais voter contre l’amendement du rapporteur. S’il était prévu que les données collectées et immédiatement jetées ne pourraient plus faire l’objet du contrôle de la CNCTR, j’aurais déjà un doute. Or, l’amendement précise que ladite commission ne peut plus contrôler ce qui a été collecté et jeté entre le moment de la collecte et celui du contrôle. Le contrôle, disons les choses clairement, n’est pas réalisé à chaque minute, au jour le jour, mais il est périodique. Cela signifie qu’entre le moment où les services de renseignement ont collecté les données et celui où ils les ont jetées, il peut s’être passé plein de choses. Et il faut être naïf pour penser que les services de renseignement ne peuvent pas extraire un renseignement, le conserver et le traiter ailleurs… On peut même avoir décidé d’une écoute, même relevant du domaine de la défense, écoute sur la légitimité de laquelle la CNCTR devrait pouvoir s’interroger, et ne pas avoir trace de cette collecte à un moment où à un autre.

Dès lors que les données en question sont conservées un ou plusieurs jours, la commission doit savoir qu’une interception a eu lieu. Le traitement d’une donnée peut en effet parfaitement ne pas être déclaré puisqu’on va vous expliquer ensuite qu’on ne l’a jamais interceptée… Je ne suis pas soupçonneux vis-à-vis des services de renseignement mais je pense qu’il faut les protéger d’eux-mêmes. En effet, le besoin opérationnel pousse parfois à utiliser de façon excessive un droit qui serait insuffisamment contrôlé.

Mme Natalia Pouzyreff. En matière de collecte de données de type hertzien effectuée par nos forces de défense, il n’y a pas de déclaration ni de tri a priori puisque l’écoute est réalisée sur une large bande de fréquence.

M. le rapporteur pour avis. Dès lors qu’une donnée est conservée ne serait-ce que quelques jours, il en reste une trace, donc la CNCTR pourra la contrôler. J’ajoute que la CNCTR réalise un travail assez considérable et rend des avis – dont le nombre reste confidentiel. C’est une partie du « brut », le « bruit » qui, en fait, est immédiatement jeté.

M. Jean-Christophe Lagarde. Votre amendement prévoit d’ajouter les mots : « conservés à la date de sa demande » ; autrement dit, si je traduis bien, à la date de la demande effectuée par la CNCTR. Vous estimez par conséquent qu’il ne sert à rien de contrôler des données qui n’ont pas du tout été traitées. Je demande qu’on réfléchisse, d’ici à l’examen du texte en séance, sur la question de savoir ce qui peut se passer entre deux contrôles.

M. le rapporteur pour avis. J’ai du mal à saisir votre propos, Monsieur Lagarde. Les données qui sont conservées peuvent faire l’objet d’un contrôle. Celles qui ne sont que du « bruit » n’ont pas à faire l’objet d’un contrôle.

M. Stéphane Trompille. N’est-il pas possible d’ajouter le terme « surplus » ou celui de « bruit » ?

M. le rapporteur pour avis. Non.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 8 ainsi modifié.

Article 8 bis (art. 6 nonies de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires) : Communication à la délégation parlementaire au renseignement des observations de la CNCTR sur les écoutes hertziennes

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 8 bis sans modification.

Article 9 (art. L. 2371-1 et L. 2371-2 [nouveaux] du code de la défense) : Possibilité pour les forces armées de procéder à des écoutes hertziennes pour le seul exercice de leur mission de défense

La commission examine l’amendement DN10 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud. Je rappelle que les ondes wifi sont des ondes hertziennes et qu’elles ne passent donc pas par un opérateur privé entre la box et un ordinateur. Dès lors, toutes les communications internet ciblées pourraient être enregistrées. Je veux bien qu’on me prouve le contraire et je serais ravi de l’entendre ; en attendant, il paraît sage de ne pas permettre d’interceptions dans ce cas précis.

M. le rapporteur pour avis. Avis défavorable à cet amendement de suppression.

Je tiendrai à votre disposition un tableau avec les différentes techniques de renseignement et les différents dispositifs concernés.

À partir du moment où il y a un opérateur, nous sommes dans le droit commun.

M. Bastien Lachaud. Mais en l’occurrence il n’y a pas d’opérateur !

M. le rapporteur pour avis. Si, car dès lors qu’il y a une box il y a un opérateur ! Vous constaterez en lisant le tableau que je viens d’évoquer que le wifi non connecté n’est pas concerné.

M. Bastien Lachaud. Entre la box et l’ordinateur, je le répète, il n’y a pas d’opérateur.

M. le rapporteur pour avis. Si, et le cas que vous mentionnez est soumis au droit commun, l’autorisation préalable du Premier ministre et l’avis obligatoire de la CNCTR étant requis. Il ne peut en être autrement.

En ce qui concerne le wifi, je mentionnerai, point technique assez obscur, le wifi non connecté qu’on utilise quand on écoute de la musique, par exemple, avec une enceinte d’une marque quelconque. À l’exception de ce dernier cas, d’une manière générale le wifi ne peut pas bénéficier de l’exception hertzienne et, en cas d’interception, si les autorisations préalables faisaient défaut, des sanctions seraient prononcées.

M. Jean-François Eliaou. Votre démonstration m’a semblé claire, Monsieur le rapporteur pour avis. Vous avez exclu tout ce qui était privé résultant d’une déconnexion entre deux appareils. Pour le wifi, il s’agit obligatoirement d’une clef de connexion entre le récepteur et l’émetteur. Il semble donc, à partir de votre démonstration, que nous retombons dans le hertzien privé qui n’est pas dans le champ de la loi.

M. le président. Et en plus, ici, il y a un opérateur.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 8 bis modifié.

Après l’article 9

La commission examine l’amendement DN11 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Le présent amendement prévoit que « l’autorisation préalable d’exportation mentionnée au I [du code de la défense] ne peut concerner un État engagé dans une intervention militaire extérieure sans mandat de l’Organisation des nations unies. » Il prévoit en outre, après l’alinéa 1 de l’article L. 2335-4 dudit code, d’insérer un deuxième alinéa ainsi rédigé : « L’autorité administrative mentionnée à l’alinéa précédent doit suspendre, modifier, abroger ou retirer les licences d’exportation qu’elle a délivrées et qui concernent un État engagé dans une intervention militaire extérieure sans mandat de l’Organisation des nations unies. »

En effet, la France participe à de nombreux conflits directement ou indirectement à travers les licences qu’elle donne et qui permettent la diffusion des armes. On ne peut donc sérieusement lutter contre le terrorisme si on laisse se propager ce type de conflit.

Nous voulons, de plus, être cohérents avec le traité sur le commerce des armes, qui vise à empêcher leur trafic là où leur utilisation risque de favoriser la perpétration de violations graves des droits humains, du droit international humanitaire – en particulier en cas de répression interne. L’article 6, alinéa 3, du traité précise qu’un État signataire « ne doit autoriser aucun transfert d’armes classiques (…) s’il a connaissance, lors de l’autorisation, que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d’autres crimes de guerre tels que définis par des accords internationaux auxquels il est partie. » Je pourrais citer des conflits comme celui qui a lieu au Yémen et où de l’armement français est utilisé.

Il apparaît donc cohérent, dans un texte de loi portant sur la lutte contre le terrorisme, que, pour le dire simplement, la France n’arme pas, fût-ce de manière indirecte, ceux qui pourraient par la suite la frapper.

M. le rapporteur pour avis. Cet amendement semble constituer un cavalier législatif mais il revient sur un sujet politique dont nous continuerons de débattre en séance.

Je rappelle en attendant que la France applique strictement les dispositions de la position commune 2008/944/PESC, qui détermine les critères à l’aune desquels de telles exportations peuvent être réalisées. Or ces critères sont particulièrement rigoureux.

La France applique en outre tous les régimes de sanctions ainsi que les mesures restrictives imposées par l’ONU, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et l’Union européenne. Elle participe aux instruments internationaux relatifs au désarmement, à la maîtrise des armements et à la non-prolifération. Notre pays a d’ailleurs joué un rôle moteur pour l’adoption du traité sur le commerce des armes.

Plus concrètement, comme son nom l’indique, la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) est un organe interministériel. Participent à ses travaux, notamment, des représentants du ministère des Affaires étrangères.

Au total, notre régime de contrôle est l’un des plus complets, des plus robustes, et des plus rigoureux.

Une remarque enfin : nous sommes tous, je le crois, attachés à l’existence d’un système de règlement pacifique des conflits, en particulier via l’ONU ; mais nous sommes tous également conscients des limites du système onusien, comme nous avons encore pu le constater à plusieurs reprises ces derniers mois.

Il peut arriver qu’une intervention militaire soit nécessaire et doive être conduite de manière urgente, par exemple pour protéger des populations civiles et empêcher la commission de massacres. Or, pour des raisons politiques, un ou plusieurs membres permanents du Conseil de sécurité pourraient bloquer toute résolution visant à délivrer un mandat, pourtant nécessaire, de l’ONU. Je rappelle le précédent du Kosovo : les opérations ont été menées pour faire face à ce qui s’annonçait comme une catastrophe humanitaire et elles l’ont été dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), la Russie et la Chine menaçant d’opposer leur veto à une résolution de l’ONU.

Devrions-nous nous lier les mains face au risque, avéré, d’instrumentalisation du fonctionnement de l’ONU ? Je ne le crois pas. C’est pourquoi j’émets un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

M. le président. Je précise que j’avais volontairement appelé l’amendement DN12 avant le DN11 car les amendements sont examinés, en commission comme dans l’hémicycle, en allant du plus général à celui qui l’est le moins.

La commission en vient à l’amendement DN12 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud. J’avoue avoir un peu de mal avec les arguments que le rapporteur pour avis a développés pour s’opposer à l’amendement DN11. Nous débattrons en séance publique de sa conception du rôle de l’ONU.

L’amendement DN12 vise à accroître le rôle du Parlement lors de la délivrance d’autorisations préalables d’exportations d’armes, ainsi qu’en matière de décisions de suspension, modification, abrogation ou retrait de ces autorisations, autant de sujets qui restent aujourd’hui du ressort exclusif de l’exécutif.

La commission permanente de chaque assemblée en charge des affaires de défense pourrait émettre un avis sur ces décisions. Il serait pris de manière transparente et ouverte, et la collégialité du Parlement permettrait de limiter les conflits d’intérêts. Un contrôle parlementaire doit pouvoir exister avant la vente d’armes à des États étrangers. C’est une disposition de bon sens.

M. le rapporteur pour avis. Avis défavorable. Monsieur le député, selon l’exposé sommaire de votre amendement, « le rôle accru du Parlement dans un domaine aussi fondamental pour la République que l’exportation d’armes à des États tiers découle nécessairement de l’article 34 de la Constitution car il dispose, en particulier, que la loi fixe les règles concernant l’organisation générale de la Défense nationale ».

Je ne suis certain ni de la pertinence de cette analyse ni de celle de votre interprétation de l’article 34 de la Constitution sur le rôle du Parlement en matière de défense. Une exportation d’armement est avant tout un acte politique et diplomatique au service des partenariats stratégiques que notre pays noue avec des puissances étrangères. Par nature, il s’agit bien d’un domaine relevant de l’exécutif.

Au-delà de cette question de principe, sur le fond, votre amendement ne pourrait être mis en œuvre compte tenu du nombre de demandes adressées à la CIEEMG. Les commissions parlementaires ne pourraient matériellement pas traiter l’ensemble des dossiers. Elles ne disposeraient pas des ressources matérielles et techniques suffisantes pour mener à bien ce travail. En 2016, 11 218 licences d’exportation et autres autorisations ont été délivrées, ce qui représente en moyenne 935 autorisations par mois, soit plus de 30 par jour, et autant d’avis éventuels à rendre pour les commissions parlementaires !

Vous abordez toutefois un sujet important. Lors de la précédente législature, notre commission avait d’ailleurs consacré un rapport d’information au dispositif de soutien aux exportations d’armement. Nous pouvons débattre de cette question, mais, d’une part, le dispositif proposé ne me paraît ni adapté ni opérant, d’autre part, ce projet de loi ne me semble pas constituer le véhicule idoine pour les mesures que vous proposez. De la même manière, les amendements DN13 et DN14 qui prévoient le dépôt de rapports d’information par le gouvernement me semblent être des cavaliers législatifs.

M. Jean-Christophe Lagarde. Cet amendement pose une question relative à la nature même de VRépublique, marquée, depuis ses débuts, par une quasi-absence de culture parlementaire.

Je fais d’abord remarquer à notre rapporteur pour avis que, dès lors que 900 autorisations sont délivrées tous les mois, elles ne peuvent pas faire l’objet d’un réel contrôle politique par le ministre compétent : l’administration est donc seule aux manettes. Je lui signale ensuite qu’en matière de ventes d’armes à l’étranger, le contrôle parlementaire existe aux États-Unis, pays qui exporte sans doute davantage d’armes que la France. Non seulement nous avons un manque de culture parlementaire, mais nous n’avons jamais appris à faire travailler un petit nombre d’élus astreints au secret. Un commissaire de chaque groupe politique pourrait participer à un tel groupe. Il paraît que nous sommes dans un nouveau monde : nous pouvons espérer que des changements adviennent.

Dans les faits, le commerce des armes vient en complément d’accords de défense dont les parlementaires n’ont pas à connaître. En revanche un contrôle parlementaire devrait s’exercer en opportunité. Dans une démocratie, le Parlement doit être associé aux décisions. Évidemment, il ne s’agit pas que tous les parlementaires soient impliqués : seule une délégation de parlementaires serait concernée. Au plus fort de la Guerre froide, les parlementaires américains disposaient d’une capacité totale de contrôle sur l’activité de l’administration en matière de vente d’armes, y compris lorsqu’il s’agissait des services de renseignements. Un président des États-Unis est obligé de s’interroger avant de prendre une décision en la matière, et de la partager avec sa représentation parlementaire.

Dans la nécessité de résilience qui s’impose à nous pour les dix ou vingt prochaines années, et dans le combat qui nous est imposé, j’estime que mieux intégrer le Parlement sans pour autant paralyser l’exécutif permettra de renforcer ce dernier et de nous donner des armes contre ceux qui veulent abattre notre système. Nous devrions nous poser cette question, même si nous ne le faisons pas aujourd’hui – car notre rapporteur pour avis a raison, ce n’est pas l’objet du projet de loi que nous examinons.

Disons clairement que tout cela dépend aussi du seul président de la République. Si ce dernier ferme la porte et campe sur ses pouvoirs propres et ceux de l’exécutif, nous n’y pourrons rien. Cependant, puisqu’une majorité a été élue à l’Assemblée nationale qui affirme vouloir changer un certain nombre de pratiques anciennes, en voilà une qui mériterait d’évoluer vers ce que font un certain nombre de grandes démocraties. D’autres approches existent, aussi bien dans un régime présidentiel, comme celui des États-Unis, que dans un régime parlementaire, comme au Royaume-Uni.

M. Bastien Lachaud. Je ne reviens pas sur l’impossibilité technique évoquée par le rapporteur pour avis : M. Jean-Christophe Lagarde a parfaitement répondu à cet argument.

Le rapporteur pour avis considère également que ce projet de loi ne constitue pas le bon véhicule pour la disposition que nous proposons. Nous examinons pourtant un projet de loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ». J’ose espérer que votre ambition ne se limite pas à empêcher la commission d’actes terroristes en France, mais qu’elle concerne aussi ceux qui pourraient advenir dans autres pays ! Nous savons bien qu’à l’étranger, en particulier en Afrique et au Moyen-Orient, des actes terroristes sont commis au moyen d’armes potentiellement exportées par la France. Je ne vois en conséquence pas en quoi la question du contrôle parlementaire du commerce des armes ne serait pas directement liée à la lutte contre les actes terroristes, en particulier ceux qui ont lieu à l’étranger.

M. le président. Mon cher collègue, il ne s’agissait que d’une petite pique de la part de notre rapporteur pour avis.

La commission rejette l’amendement.

La commission est saisie de l’amendement DN14 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud. Je l’ai dit précédemment, nous devons avoir la volonté de lutter efficacement contre les actes terroristes en France, mais aussi à l’échelle internationale. Dans cet objectif, nous proposons que le Gouvernement remette au Parlement, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport d’information faisant un état des lieux très précis de l’utilisation des armes qui ont été exportées de France durant les dix dernières années, afin de déterminer si certaines de ces armes ont été détournées de leur utilisation première pour être éventuellement utilisées dans le cadre de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre, ou d’attaques dirigées contre des populations civiles.

En effet, si nous ne remettons pas en question le fait que la France puisse être une grande puissance exportatrice d’armes dont la grande qualité est reconnue, nous estimons que cette spécificité implique un contrôle rigoureux exercé par le Parlement et, à travers lui, par nos concitoyens, sur l’utilisation qui est faite des armes vendues par la France. Tel est l’objet de notre amendement DN14.

M. le rapporteur pour avis. J’ai indiqué les règles, légitimement contraignantes, qui encadrent nos exportations d’armement et, sans y revenir, je veux rappeler un exemple précis qui démontre la rigueur de nos procédures en la matière : en 2014, notre pays a refusé d’exporter les bâtiments de projection et de commandement (BPC) à la Russie, du fait de la politique de déstabilisation menée par ce pays.

Par ailleurs, compte tenu de la structure de l’offre française, les matériels exportés par la France ne sont pas les plus susceptibles de faire l’objet d’un détournement, mais plutôt des matériels « rustiques » – je pense par exemple aux armes automatiques et à leurs munitions, non produites en France.

Quand on suggère la remise d’un rapport, il convient de s’interroger sur le caractère effectivement réalisable de cette démarche, notamment en termes de délais. En l’occurrence, le champ du rapport que vous demandez est tellement vaste – il couvrirait les exportations effectuées au cours des dix dernières années – qu’aucune administration ne serait en mesure de mener ce travail dans un délai de trois mois !

Enfin, il existe déjà un rapport annuel sur les exportations, transmis chaque année au Parlement par le ministère de la défense – la remise de ce document donnant lieu à un débat devant notre Commission et à l’audition du ministre de la défense.

Je suis donc défavorable à l’amendement DN14 – comme je le serai, pour les mêmes raisons, à l’amendement DN13.

M. Bastien Lachaud. Il est un peu inquiétant de s’entendre dire que l’administration est incapable de nous indiquer ce que sont devenues les armes vendues par la France au cours des dix dernières années. Cela tend à démontrer que, lorsqu’on accorde une licence à un pays pour l’utilisation des armes qu’on lui vend, on ne vérifie même pas l’usage qu’il a fait des armes achetées précédemment – car si cette vérification était faite, on en retrouverait facilement les traces dans nos archives.

Les arguments que vous avez exposés ne nous ayant pas convaincus, nous maintenons notre demande de rapport, Monsieur le rapporteur.

Mme Natalia Pouzyreff. S’il est vrai que la lutte contre le terrorisme ne doit pas se limiter au territoire national, force est de constater que les terroristes emploient le plus souvent des produits bas de gamme, à vocation civile, pour effectuer leurs attaques, et non les matériels de guerre relevant de la haute technologie qui font l’objet de cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement DN13 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Lutter efficacement contre les actes terroristes en France et à l’échelle internationale implique que nous portions une attention particulière aux régions du monde qui en sont le foyer, et que nous nous interrogions sur leur situation ainsi que sur le rôle que nous y jouons.

Nous proposons donc que le Gouvernement remette au Parlement un rapport d’information sur l’utilisation des armes exportées par la France vers l’Arabie saoudite et dont l’État français a autorisé l’exportation au titre de l’article L. 2335-3 du code de la défense, afin d’évaluer précisément si ces armes ont été détournées de leur utilisation première prévue par l’autorisation préalable d’exportation pour être utilisées dans des opérations ayant mené ou ayant pu mener à des crimes pouvant être qualifiés de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre, et à des attaques dirigées contre des populations civiles ; l’examen de ce rapport permettra également de vérifier si la France a méconnu ou non ses obligations relatives au Traité sur le commerce des armes, entré en vigueur le 24 décembre 2014.

En mars 2017, un panel d’experts de l’ONU, mais aussi de nombreux acteurs de la société civile et certains États, ont dénoncé l’utilisation faite par l’Arabie saoudite d’armes qui lui avaient été fournies par la France, pour conduire des bombardements aériens contre des cibles civiles au Yémen – notamment des écoles, des fêtes de mariage, des hôpitaux et des marchés –, et ainsi potentiellement commettre des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre ainsi que des attaques dirigées contre des civils.

Selon un rapport de Control Arms paru en février 2016, la France a autorisé 16 milliards d’euros de ventes d’armes à l’Arabie saoudite en 2015, loin devant les États-Unis, dont l’autorisation était limitée à 5,2 milliards d’euros, et le Royaume-Uni – 3,5 milliards d’euros.

Par cette demande de rapport, nous souhaitons que le Parlement puisse disposer d’une information clarifiée quant à la réalité de ces graves accusations concernant un État avec qui la France a, sous les précédents gouvernements, noué des liens diplomatiques, militaires, économiques et commerciaux particulièrement étroits, que l’actuel gouvernement semble vouloir pérenniser.

M. le rapporteur pour avis. Pour les mêmes raisons que celles exposées précédemment, j’émets un avis défavorable à l’amendement DN13. Plus largement, il me semble que, sur les sujets complexes qui sont ici évoqués, il pourrait être utile d’organiser une audition des responsables de la CIEEMG.

La commission rejette l’amendement.

M. le président. Mes chers collègues, nous avons terminé l’examen des amendements portant sur les articles dont notre commission s’était saisie.

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Informations relatives à la commission

La commission a désigné M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur pour avis du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (n° 104).

La commission a procédé à la désignation de rapporteurs et de membres des missions d’information suivantes :

Mission d’information sur le service national universel :

– Mmes Marianne Dubois et Émilie Guerel, co-rapporteurs ;

– MM. Bruno Nestor Azerot, Christophe Blanchet, Alexis Corbière, Jean-Pierre Cubertafon, Olivier Faure, Jean-Christophe Lagarde, Fabien Gouttefarde et Mme Laurence Trastour-Isnart, membres.

Mission d’information sur l’exécution de la loi de programmation militaire 2014-2019 :

– MM. François André et Joaquim Pueyo, co-rapporteurs ;

– MM. Thibault Bazin, Olivier Becht, André Chassaigne, Luc Carvounas, Jean-François Eliaou, Bastien Lachaud, Mme Frédérique Lardet, et M. Philippe Michel-Kleisbauer, membres.

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La séance est levée à vingt heures cinq.

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Membres présents ou excusés

Présents. – M. Damien Abad, M. Louis Aliot, M. François André, M. Jean-Philippe Ardouin, M. Didier Baichère, M. Xavier Batut, M. Thibault Bazin, M. Olivier Becht, M. Christophe Blanchet, M. Ian Boucard, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Anne-France Brunet, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Philippe Chalumeau, M. Alexis Corbière, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Jean-François Eliaou, M. Richard Ferrand, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Marc Fesneau, M. Jean-Marie Fiévet, M. Claude de Ganay, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Fabien Gouttefarde, Mme Émilie Guerel, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, M. Bastien Lachaud, M. Jean-Christophe Lagarde, Mme Frédérique Lardet, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Didier Le Gac, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, Mme Sereine Mauborgne, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Patricia Mirallès, Mme Natalia Pouzyreff, M. Joaquim Pueyo, M. Gwendal Rouillard, Mme Laurence Trastour-Isnart, Mme Nicole Trisse, M. Stéphane Trompille, Mme Alexandra Valetta Ardisson, M. Patrice Verchère, M. Charles de la Verpillière

Excusés. – M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Bruno Nestor Azerot, M. Florian Bachelier, M. Luc Carvounas, M. André Chassaigne, M. M’jid El Guerrab, M. Olivier Faure, M. Yannick Favennec Becot, M. Laurent Furst, M. Christian Jacob, Mme Sabine Thillaye

Source: Assemblée nationale

http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/cr-cdef/16-17/c1617010.pdf

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