Le 12 mars dernier, le chef d’escadron de gendarmerie Jean-Hugues Matelly subissait la plus extrême sanction qui puisse être infligée à un officier : la radiation des cadres, avec suppression de la solde et, pour que l’humiliation soit complète, l’éviction quasi immédiate de son logement. Infligée par le chef des armées, Nicolas Sarkozy, sous la forme expéditive d’un décret, cette sanction vient d’être infirmée en référé par le Conseil d’État. La décision du juge Jacques Arrighi de Casanova permet à Jean-Hugues Matelly de récupérer sa solde et son logement de fonction, mais le problème n’est pas réglé sur le fond, et le Conseil d’État doit encore dire le droit s’agissant de la légalité du décret. À ce stade, Jean-Hugues Matelly n’est plus gendarme, tout en étant payé comme un gendarme. Il n’a donc plus à être logé « par nécessité absolue de service », tout en retrouvant un logement de fonction. Où ? Le Conseil d’État ne le dit pas…
Dans cette affaire, modeste au départ, la machine politico-administrative s’est emballée. La gendarmerie nationale est aux prises avec une crise d’identité profonde. La fusion police/gendarmerie a provoqué un séisme, dont les effets ne se sont pas encore faits complètement sentir, et la crainte de la perte d’identité est patente. Non seulement de nombreux gendarmes s’expriment à visage à peine découvert sur plusieurs sites Web, dont Gendarmes et citoyens , mais le fait qu’un officier aussi brillant, et juriste averti, que Jean-Hugues Matelly, se soit jeté dans cette bataille identitaire constitue en soi un indice de la profondeur du malaise.
Matelly ne veut pas se cacher
Jean-Hugues Matelly n’est pas un boutefeu. C’est un homme posé, réfléchi, qui a choisi de travailler sur les questions de sécurité, avec suffisamment de sérieux et de conviction pour en faire le thème d’un doctorat : « Gendarmerie et police judiciaire criminelle : l’enquêteur face à l’organisation », qu’il a soutenu au Centre d’études et de recherches sur la police (CERP) à l’Institut d’études politiques de Toulouse. Il a poursuivi ses travaux au Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) , laboratoire du CNRS. Rien de tout cela, il va sans dire, n’a été fait clandestinement .
Dans la gendarmerie nationale, on aime les gens formatés. Qui obéissent sans discuter, et qui, s’il leur prend l’envie étrange de réfléchir, le font discrètement. Matelly ne veut pas se cacher. En janvier 2009, il publie dans la revue Pouvoir locaux, un article titré Feu la gendarmerie nationale . Le titre est sans doute provocateur, mais cet article cosigné avec deux chercheurs du CESDIP, Laurent Mucchielli et Christian Mouhanna, est solide et argumenté, et donc insupportable pour la direction de la gendarmerie. Car les auteurs n’ouvrent pas le robinet d’eau tiède. Notamment quand ils écrivent : « À vrai dire, la gendarmerie elle-même a, volontairement ou non, accepté, voire favorisé ce mouvement de retrait du service public, en ne sachant pas reconnaître et valoriser le modèle traditionnel du gendarme polyvalent, adaptable, à l’écoute, au profit d’unités spécialisées privilégiant la technicité et la technologie et délaissant le contact privilégié avec le public. La hiérarchie gendarmique n’a su répondre aux désirs de renouvellement – et aux critiques à son égard – exprimés par ses troupes qu’en singeant un modèle policier qui privilégie la productivité chiffrée à la résolution concrète des problèmes et qui débouche sur un repli sur soi de l’institution. »
La liberté de parole retrouvée
Cet article est-il choquant ? Non. C’est un texte de chercheurs en sociologie, dont la fonction est justement de secouer les institutions et, tout en les respectant, d’appuyer là où cela fait mal. Bien sûr, la gendarmerie a dû convaincre l’Élysée que le scandale était suffisamment énorme qu’il fallait faire subir à Matelly la plus infamante des sanctions. En choisissant la radiation pour raison disciplinaire, Nicolas Sarkozy s’est trompé. D’autant plus qu’il existe au sein des armées des lieux adaptés, comme l’Institut de recherches stratégiques de l’école militaire (IRSEM), abritant des chercheurs aux avis parfois iconoclastes, émis pour le plus grand bien de l’institution. Sous les képis, sauf sous ceux des gendarmes, on a compris depuis longtemps qu’en créant des martyrs on se tire un obus dans le pied. Et que ce n’est pas en cassant le thermomètre qu’on fait tomber la fièvre. Jamais les idées du gendarme puni n’ont eu un tel écho qu’aujourd’hui.
La sanction frappant….
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