Commission de la défense nationale et des forces armées
Présidence de Mme Patricia Adam, présidente
La séance est ouverte à neuf heures trente.
Mme la présidente Patricia Adam. Je remercie d’autant plus sincèrement Mme Amélie Verdier d’avoir répondu à notre invitation que c’est la première fois que la direction du budget est entendue dans cette commission.
En cette fin de législature, au cours de laquelle notre commission a suivi de très près l’application de la loi de programmation militaire (LPM), nous nous intéressons aux enjeux des années à venir, en particulier à la question des 2 % du PIB consacrés au budget de la défense : que recouvrent ces 2 % ? Quelles en seraient les conséquences au niveau européen ? Avec le débat présidentiel en perspective, ces interrogations ont plus d’acuité encore.
La loi de programmation arrivera à son terme dans deux ans. Quelles contraintes pèseront sur son exécution, étant entendu que beaucoup dépendra du choix des électeurs, de la présidence de la République et de la composition du Parlement ?
Mme Amélie Verdier, directrice du budget. Permettez-moi de vous présenter mon collaborateur, M. Vincent Moreau, qui est sous-directeur de la cinquième sous-direction notamment chargée du budget de la défense. J’ai été nommée directrice du budget le 2 janvier dernier. J’ai, bien sûr, en tête tous les éléments relatifs à l’exécution de la loi de programmation militaire, notamment de la programmation 2016 qui a été l’un des objets de votre demande d’audition, mais, le cas échéant, M. Moreau pourra préciser certaines de mes réponses.
Je me propose, en introduction, de rappeler quelques éléments de contexte de finances publiques générales, relatifs à la défense et à la loi de programmation militaire. Je reviendrai ensuite sur les conditions d’exécution de la loi de programmation en 2016, avec un petit focus sur le report de charges, qui fait toujours partie des thèmes importants en matière d’exécution du budget de la défense. Je terminerai sur les enjeux à venir de la loi de programmation de la période qui s’ouvre devant nous, et de l’effort financier à consacrer à la politique de défense.
S’agissant de notre trajectoire de finances publiques, la consolidation budgétaire est à l’œuvre. Le redressement de nos comptes est engagé depuis 2010, après la très forte dégradation consécutive à la crise économique de 2008-2009, aggravation très forte et spectaculaire tant sur nos déficits que sur la dette publique. Cette consolidation est néanmoins un peu plus lente en France que chez nos partenaires européens, et notre pays reste sous le coup de la procédure dite de déficits publics excessifs, comme la Grèce, l’Espagne et le Portugal. La prévision de déficit public pour la France s’établit à 3,3 % en 2016, et nous visons toujours un objectif de retour à l’équilibre structurel à l’horizon de la programmation, c’est-à-dire corrigé des variations du cycle. Ce sont en tout cas, à l’heure où je vous parle, les engagements qui ont été pris par la France.
S’agissant du budget de l’État, les ministres ont récemment communiqué sur les conditions de son exécution en 2016 : les objectifs fixés en matière de limitation de dépense, dite « norme de dépense », ont été respectés au regard du volume global des crédits, tout en finançant les impératifs qui sont apparus en gestion – nouveaux efforts sur l’emploi, soutien aux agriculteurs avec les crises de 2016 et autres aléas de gestion, telles les opérations extérieures (OPEX). Hors charge de la dette et hors pensions, les dépenses du budget général de l’État ont diminué de 2,8 milliards d’euros par rapport à 2015. Je tenais à rappeler ces efforts considérables réalisés sur la dépense publique pour caractériser le niveau des concours apportés à la politique de défense.
J’en viens à un premier bilan, à mi-parcours, de la loi de programmation militaire 2014-2019.
L’exécution des trois premières années de la LPM témoigne d’une mobilisation sans précédent de crédits en faveur de la politique de défense, dans un contexte sécuritaire et stratégique dramatique qui a conduit à renforcer les moyens alloués à cette politique depuis 2015. Pour mémoire, la LPM initiale votée en 2013 prévoyait un objectif de réduction d’effectifs de 34 000 équivalents temps plein (ETP). En crédits, la loi était construite sur une trajectoire, d’abord, de ressources budgétaires stables en valeur sur les deux premières années, puis augmentant de l’inflation sur les années 2016 et 2017, et de 1 % au-dessus de l’inflation sur les années 2018 et 2019. La trajectoire de la LPM, toutes ressources confondues, entre les crédits budgétaires et les ressources exceptionnelles, devait ainsi passer de 31,376 milliards d’euros en 2014 à 32,518 milliards d’euros en 2019.
Vous le savez, la loi de programmation a été actualisée. Dans un premier temps, l’objectif de réduction des effectifs a été allégé de 18 500 et les ressources ont été accrues de 600 millions en 2016, puis 700 millions en 2017, 1 milliard en 2018 et 1,5 milliard en 2019. Votre commission ayant participé à tous ces travaux, vous connaissez bien ces chiffres.
Fait important, cette actualisation a été l’occasion de substituer des crédits budgétaires aux ressources extrabudgétaires, pour un montant de 6,4 milliards sur toute la période. Cette substitution de crédits aux recettes liées aux attributions de fréquences hertziennes représente un effort substantiel ayant pour but de sécuriser la trajectoire. De fait, les ressources exceptionnelles sont exposées à deux aléas : le premier, consubstantiel à ce caractère exceptionnel, est le niveau effectif des ressources constatées ; le second tient au calendrier d’encaissement de ces recettes. En l’espèce, les recettes liées aux fréquences hertziennes se sont avérées plutôt supérieures qu’attendu, mais elles sont arrivées un peu plus tard que prévu. Désormais, le budget de l’État a bien vocation à porter l’ensemble des ressources allouées à la politique de défense, et garantit ainsi au ministère de la Défense de ne pas être tributaire de ces aléas.
En outre, le conseil de défense du mois d’avril 2016 a décidé un allégement supplémentaire du schéma d’emploi du ministère de 10 000 effectifs, entraînant en pratique l’arrêt complet des réductions d’effectifs, et traduisant les annonces faites par le président de la République le 16 novembre 2015, après les dramatiques attentats de Paris. Ce même conseil de défense, qui avait décidé d’un plan d’amélioration de la condition des militaires, a également validé de nouveaux besoins capacitaires, en supplément de ceux qui avaient été d’ores et déjà identifiés dans le cadre de l’actualisation de 2015.
Tout cela a été traduit dans les lois de finances. Un abondement de 417 millions d’euros, supérieur à ce qui avait été décidé dans l’actualisation de la LPM, fait notable, a été inscrit dans la loi de finances initiales (LFI) de 2017. Le montant de la LPM s’en est ainsi trouvé augmenté de 1,117 milliard par rapport à la loi initiale.
S’agissant des années 2018 et 2019, le conseil de défense a décidé de renvoyer leur financement aux travaux de budgétisation ultérieurs. C’est assez classique, surtout du fait du contexte électoral de l’année 2017.
Il y a une expression de besoins qui est claire, et une traduction, à ce stade de la budgétisation, qui n’est pas encore faite. Nous sommes en tout début d’année et nous n’avons pas encore eu d’échanges techniques avec le ministère de la Défense pour actualiser sa demande de crédits. Celle-ci sera appréciée au regard de l’ensemble des besoins de la politique de défense, le ministère du Budget ayant pour rôle d’inscrire cette demande dans une trajectoire globale, dans un équilibre d’ensemble propre à soutenir l’objectif qui sera assigné aux finances publiques. À ce stade, il est encore trop tôt pour réaliser cet exercice.
Des économies sont susceptibles d’être dégagées. Un travail consensuel a été engagé sur les économies dites « de désinflation » qui ont pu être intégrées à la programmation actualisée, ainsi que sur la réduction du plan d’accompagnement des restructurations, des aides au départ et autres.
Le taux de réalisation financière plus spécifique de la loi de programmation militaire s’est vraiment significativement amélioré par rapport à la loi de programmation précédente, et même par rapport aux lois précédentes. J’imagine que votre commission se penche régulièrement sur la question du respect ou du non-respect des lois de programmation. De façon tout à fait remarquable, la tendance est là très substantiellement différente, avec une exécution « en ligne » par rapport aux programmations actualisées – donc une exécution supérieure à la loi de programmation initiale –, et même des règles différentes pour le financement des surcoûts liés aux opérations extérieures, plus favorables au ministère.
En termes de chiffres, en 2016, l’annuité 2016 de la loi de programmation actualisée est quasiment exécutée, avec une priorité complète accordée à l’atteinte des objectifs assignés par la loi de programmation. On est même au-delà en termes de crédits budgétaires, puisqu’il restait encore un peu de ressources exceptionnelles en 2016. Il me semble également important de mettre en regard la progression de la dépense exécutée en 2016 de l’ensemble des ministères, d’un peu plus de 2 milliards, et la progression des crédits alloués à la défense, de 1,1 milliard. Plus de la moitié de la dynamique dégagée au sein du budget de l’État pour les crédits des ministères a ainsi été allouée au budget de la défense, ce qui est inédit dans la période récente, et même un peu plus ancienne.
En outre, si l’on tient compte du fait que les ressources allouées pour couvrir les surcoûts des OPEX et des missions intérieures (MISSINT), dont Sentinelle, ont été financées par taxation interministérielle, l’exécution globale est supérieure de 831 millions d’euros par rapport à l’annuité de la loi programmation – 686 millions pour les OPEX, 145 millions pour les MISSINT, montants globalement stables par rapport à 2015.
Le report de charges, sur lequel je vous ai annoncé un petit focus, fait toujours l’objet d’échanges « intenses » avec le ministère de la Défense. Le sujet nécessite que je prenne quelques minutes pour revenir sur certains concepts. Car si nous sommes au clair avec le ministère de la Défense sur les chiffres, reste à l’être aussi sur ce que l’on mesure. À cet égard, le concept de report de charges au plan comptable n’est pas toujours celui qu’on utilise dans les ministères.
Le concept de report de charges renvoie à celui des dépenses obligatoires, entendues au sens large – celles qu’il faudrait payer en fin d’année. Le premier périmètre, le plus évident, concerne les dépenses dont le paiement est reporté à l’exercice suivant, du simple fait de l’indisponibilité des crédits. C’est le report de charges intuitif, celui que chacun identifie spontanément. Mais lorsque le ministère de la Défense communique sur le report de charges, il retient un concept est beaucoup plus large.
Aux montants non payés du fait de l’indisponibilité des crédits, il faut ajouter des charges à payer automatiques, des dettes fournisseurs rattachées comptablement à l’exercice n, mais qui ne sont exigibles qu’en janvier de n+1, en raison tout simplement de l’application normale des délais de liquidation et des délais réglementaires de paiement. Ce qui importe, c’est de regarder la dynamique de ces dépenses. Qu’il y ait des « reports de charges » à ce titre est tout à fait normal, puisque quand bien même les crédits auraient été disponibles, ces dépenses n’auraient pas pu être couvertes en fin d’année.
Il y a aussi certaines charges, dites complémentaires et supplémentaires, qui sont également rattachées comptablement à l’exercice n mais ne sont identifiées qu’à l’occasion des travaux de fin de gestion. En fait, elles ne sont même pas connues à la fin décembre et ne pourraient donc matériellement pas être payées. Ainsi, à la date du 25 janvier, on n’a pas encore les montants de ces charges complémentaires et supplémentaires.
Enfin, le ministère de la Défense intègre parfois des montants d’avance. Ce sont des montants qui peuvent être dus mais non versés au 31 décembre, du fait des contrats qui peuvent le lier à certains fournisseurs. Ces dépenses ne peuvent pas être assimilées à du report de charges au sens de paiements en retard ; au contraire, il s’agit de paiements que l’on a prévu de faire d’avance. Et quand bien même ils interviennent en janvier, ils peuvent être toujours en avance par rapport à la livraison du matériel.
Ces précisions faites, j’en reviens aux chiffres.
Nous avons constaté, avec le ministère de la Défense, une réduction du report de charges en 2015. C’est à la fois heureux et bien logique au vu des efforts qui ont pu être faits en gestion. Fin 2015, les dépenses obligatoires entendues au sens le plus large – même si, vous l’avez compris, pour le ministère des Finances, ce n’est pas forcément le bon concept – étaient en réduction de 500 millions d’euros par rapport à fin 2014, passant d’environ 3,5 milliards à environ 3 milliards d’euros. En entrée de gestion en 2017, nous ne connaissons pas le report de charges « au sens large » qui pourrait se comparer à ces 3 milliards. Ce que nous pouvons vous dire, c’est que le report de charges « au sens étroit », que j’ai décrit tout à l’heure, s’établit à environ 1 milliard d’euros. Nous allons, bien sûr, continuer à travailler, étant entendu que l’effort viendra d’abord des services du ministère de la Défense, qui doit mener ce travail de fiabilisation des comptes et de rattachement des opérations pour bien identifier les dépenses à rattacher à l’exercice 2016.
Pour illustrer les chiffres, si l’on prend l’hypothèse d’un report de l’ordre de trois milliards d’euros « au sens large », correspondant donc à environ un milliard d’euros de « paiements en retard », correspond environ à deux semaines de retard de paiements, si on le rapporte à la totalité des sommes, hors titre 2, qui sont dépensées par le ministère de la Défense sur une année complète, et qui tournent autour de 22 milliards d’euros.
En conclusion, nous sommes d’accord avec le ministère pour dire que le report de charges est un élément très important pour apprécier la qualité de la gestion. C’est pourquoi il faut bien en vérifier la soutenabilité. Nous avons constaté en 2015 une réduction de ce report de charges, et nous serons attentifs à ce que ce dernier ne soit pas une « variable de bouclage » à l’avenir, car il faut faire en sorte que les programmations, tant en crédits qu’en réalisations physiques, soient bien effectuées de manière plus sincère.
J’en viens aux perspectives de l’effort de défense à moyen terme et au raisonnement ciblant un pourcentage du PIB – les fameux 2 %.
Permettez-moi, d’abord, un commentaire sur le périmètre des dépenses à prendre en compte lorsque l’on se réfère à cette cible au sens de l’OTAN. Nous sommes rentrés dans le détail des sommes comptabilisées. Du fait qu’il s’agit d’un régime déclaratif et que chaque pays dispose d’une marge de manœuvre lorsqu’il fait état de ses dépenses, les statistiques OTAN manquent d’homogénéité. Ainsi, depuis 2007, la France ne comptabilise plus la gendarmerie dans ses dépenses militaires, mais d’autres pays continuent à y intégrer des forces militaires qui exercent des missions de sécurité intérieure. Côté français, l’exclusion des dépenses de recherche et développement duales, qui sont portées par un programme de la mission « Recherche », peut amener à s’interroger dans la mesure où d’autres pays peuvent comptabiliser ces dépenses. Dès lors, si l’on s’oriente vers un raisonnement plus systématique se référant à ce périmètre OTAN, il faudrait établir très clairement ce qui est compté ou pas, et tout le monde doit compter la même chose. Les derniers chiffres publiés auxquels nous nous sommes référés n’intégraient pas les données d’exécution concernant la France. Il faut évidemment prendre en compte ces données d’exécution, d’autant que nous avons respecté – et même dépassé – les trajectoires.
Le ministère des Finances n’est pas en mesure de se prononcer sur les niveaux atteints par les autres pays. En tout cas, nous ne pouvons que constater que nous ne maîtrisons pas totalement ce mode de calcul à ce jour. C’est un élément à prendre en compte dans ce débat.
Vous ne reconnaîtriez pas en moi la directrice du budget si je ne vous disais pas, par ailleurs, qu’il est important de repartir sur une analyse de pertinence de la dépense. Bien sûr, le juste niveau de financement de l’effort de défense doit d’abord découler d’une analyse des objectifs stratégiques et des capacités militaires à mettre en face, qui ne s’expriment pas nécessairement, ou pas forcément durablement, en part de la richesse nationale. Celle-ci est d’ailleurs variable et soumise à des aléas de conjoncture.
Il nous semble également important de raisonner, au-delà d’un objectif purement quantitatif, sur la manière d’améliorer l’efficacité, l’efficience de la dépense militaire. Au sein des quelque 32 milliards de la politique de défense, il y a des dépenses plus ou moins efficaces, qui répondent plus ou moins à l’objectif de capacité opérationnelle ; il y a aussi des marges de manœuvre qui peuvent être dégagées, pas forcément pour baisser les crédits, mais pour retrouver un effort capacitaire.
Les dépenses militaires ont une dynamique intrinsèque. J’ai fait tout à l’heure allusion aux travaux que nous menons conjointement avec le ministère de la Défense pour bien mesurer les effets prix. En tant que telles, certaines dynamiques ne sont pas alignées sur celle de la croissance ou de ce que l’on appelle le « prix du PIB », qui n’est pas seulement l’inflation des prix à la consommation, mais la manière dont se fabrique le PIB en valeur, au-delà du PIB en volume.
Enfin, je précise qu’il existe d’autres référentiels au sein de l’OTAN. Outre l’effort global en faveur de la défense, qui n’intègre pas toutes les dépenses de recherche ou les efforts en faveur du monde combattant, peut également être pris en compte l’objectif de dépenses militaires d’investissement, que nous dépassons aujourd’hui : l’objectif OTAN est à 0,4 % du PIB, et nous sommes autour de 0,5 %.
En conclusion, la trajectoire des dépenses militaires a connu une inflexion très significative avec l’actualisation de la loi de programmation militaire, qui a conduit à augmenter les crédits de 3,8 milliards d’euros. Cette programmation est respectée, et même plus que respectée, sur 2016. Nous sommes dans une phase d’analyse de la dynamique future des dépenses, compte tenu de l’impact pluriannuel que peuvent avoir les engagements pris et de l’intérêt de préserver les programmes d’équipements majeurs d’une exécution heurtée. Cette dynamique est intégrée à nos échanges avec le ministère de la Défense et va contraindre la trajectoire des finances publiques. Toutefois, à ce moment de l’année, nous n’avons pas encore de cible sur l’objectif global de dépenses pour les années ultérieures.
Dans tous les cas, un budget est un choix. Si l’on souhaite augmenter les crédits en faveur de la défense, il faudra demander des efforts supplémentaires sur d’autres dépenses, sachant que l’on peut aussi en faire dans les dépenses militaires pour dégager des ressources. Cela incite plutôt à une discussion sur le besoin et la cohérence physico-financière qu’à un raisonnement exprimé en pourcentage.
Mme la présidente Patricia Adam. Merci pour ces précisions. La cible des 2 % revient régulièrement dans le débat, et il était important d’éclairer certaines notions telles que les appréhendent nos voisins européens, dont la plupart sont membres de l’OTAN.
M. Jean-Jacques Candelier. À en croire le chef de l’État et l’opposition, lors de la prochaine législature, la France sera prise en tenaille entre le budget de la défense qui devrait passer à 2 % du PIB – voire 3 % pour certains – et la contrainte des 3 % de déficit public dictée par l’Union européenne. Quelle sera la marge de manœuvre des parlementaires pour éviter que des budgets ne soient sacrifiés ? Vous pourriez me répondre que ce sont les parlementaires qui décident, mais je vous rappelle que lors de l’examen du budget, la discussion permet une variation des crédits inférieure à 1 %.
Pouvez-vous m’indiquer quelle sera la part du prochain budget nucléaire ?
Enfin, selon certaines rumeurs, les budgets de défense ne seraient plus pris en compte dans les budgets des États, mais par l’Union européenne. Avez-vous des précisions à apporter sur ce sujet ?
Mme Amélie Verdier. Je ne suis pas sûre de pouvoir répondre à toutes vos questions.
S’agissant de la part des dépenses relatives à la dissuasion, je vous renverrai au ministère de la Défense. Bien sûr, nous avons des échanges avec le ministère, et l’analyse conduit à démontrer une forte intrication des dépenses entre elles. Je ne peux pas vous dire mieux. Je ne dispose pas d’une information de ce type, ni même d’une estimation. La nomenclature budgétaire n’est pas construite pour cela : nous n’identifions pas, en tant que telles, ces dépenses.
Il ne m’appartient pas de commenter les rumeurs. Ce que je peux vous dire, c’est que ce n’est pas, aujourd’hui, l’état de nos engagements européens. S’il y a eu par le passé des échanges de ce type, très rapidement, d’autres pays membres ont mis en avant d’autres spécificités. Dans le contexte le plus récent de crise migratoire, certains États du Sud ont fait valoir qu’ils supportaient une vraie charge européenne spécifique d’accueil des populations. On voit bien que, dès que l’on discute pour faire sortir certaines dépenses de la discipline commune, d’autres dépenses sont invoquées. Ces discussions aboutiront-elles à quelque chose ? Il ne m’appartient pas d’en juger. Simplement, à ce stade, les règles n’ont pas changé.
Votre première question sur un budget pris en tenaille était plus politique. Je ne peux que répéter ce que j’ai dit tout à l’heure : notre rôle est de faire un travail précis d’analyse de nos engagements d’ores et déjà constatés, y compris en termes financiers ; nous le faisons de manière approfondie et dans un bon état d’esprit avec le ministère de la Défense. Ensuite, d’autres types de choix interviendront. Mais à ce stade de l’année, je ne peux pas en préjuger.
Enfin, vous avez fait un commentaire sur la capacité des parlementaires à déplacer des masses budgétaires. Tout de même, il n’est pas anodin de déplacer 1 % de crédits, surtout sur des assiettes qui se comptent en dizaines de milliards d’euros ! Il ne faut pas oublier que les dynamiques qui sont à l’œuvre portent sur le très long terme. Au moment où le Gouvernement présente son projet de loi de finances, il y a déjà eu de longs travaux préparatoires pour déterminer, d’abord, les choix qui président à la traduction en crédits, ensuite, la manière dont le budget de l’État peut financer ces engagements. Il n’est peut-être pas anormal qu’au stade de la discussion parlementaire, qui plus est s’agissant d’un domaine couvert par une loi de programmation, les ajustements possibles soient limités par rapport aux grands choix stratégiques qui ont été faits antérieurement.
M. Vincent Moreau, sous-directeur de la cinquième sous-direction du budget. Je me propose de compléter la réponse que Mme la directrice a faite sur la dissuasion.
Il y a, dans la programmation, un agrégat « dissuasion » que nous suivons, et dont le montant est déterminé par les décisions qui sont prises par le président de la République en Conseil des armements nucléaires. Nous ne discutons pas de ces montants, nous reprenons ceux qui nous sont donnés. Nous avons effectivement connaissance du fait que le montant des crédits consacrés à la dissuasion pourrait être augmenté très fortement, pour les raisons que les membres de cette commission connaissent bien et sur lesquels il est inutile de s’étendre plus en détail. Nous intégrerons ces éléments, et je ne doute pas, si ces choix sont confirmés, que le ministère de la Défense intégrera cette demande dans sa demande globale. C’est une contrainte de construction, comme il y en a d’autres dans la construction d’une trajectoire.
M. Daniel Boisserie. Madame la directrice, vous avez rappelé que dans un contexte de déficit public à 3,3 %, la France avait consenti un effort sans précédent en matière de défense. Nous sommes aujourd’hui à peu près à 1,45 % – hors pensions, me souffle Yves Fromion – et tout le monde s’accorde pour que nous allions vers les 2 %.
Comment faire, tout en limitant nos déficits publics à 3 % ? Faut-il avoir davantage recours à l’emprunt ? Réduire encore les dépenses de fonctionnement de l’État ? Trouver de nouvelles recettes – certains pensent à la TVA ? Selon vous, quels seraient les choix les plus réalistes ?
À propos de la dissuasion, quels sont les montants qui vous ont été indiqués ?
Mme Amélie Verdier. Sur le dernier élément, je ne peux pas vous répondre. Nous en sommes vraiment au début du processus au sens budgétaire, même s’il y a eu d’autres exercices par ailleurs. À ce stade de la procédure, nous n’avons pas eu de réunions avec les ministères, et je n’ai donc, tout simplement, pas de montants à vous communiquer.
S’agissant de la part des dépenses aujourd’hui réalisées par la France, au sens de l’OTAN, selon le périmètre retenu, on pourrait avoir une estimation différente du chiffre que vous avancez autour de 1,8 %. Il nous semble, en effet, que pour certaines dépenses déclaratives, les données d’exécution n’ont pas été prises en compte. En dehors de toute polémique, je peux vous dire que lorsque nous essayons de reconstituer ces chiffres, nous arrivons à un pourcentage supérieur à 1,47 %. Sur ce point, la discussion que nous aurons avec le ministère de la Défense dans la prochaine période ne présentera pas de difficulté mais doit être conduite. En tout état de cause, je n’ai pas de chiffre officiel qui confirme celui que vous avez avancé. Quoi qu’il en soit, l’important, lorsque l’on souhaite s’engager sur un objectif de ce type, c’est de savoir exactement de quoi l’on parle.
Vous m’avez, par ailleurs, interrogée sur la façon dont pourrait être financé un effort accru en faveur de la politique de défense : en cherchant de nouvelles recettes ou en créant de la dette supplémentaire ?
Une part de votre question renvoie à une stratégie globale de finances publiques. J’ai dit, au début de mon propos, ce qu’elle était. Mais nous sommes à la veille d’une période électorale dont les résultats seront déterminants au regard du maintien des objectifs ou d’un changement, ou encore de l’ouverture de discussions avec la Commission européenne. En tant que directrice d’administration centrale, il ne m’appartient pas de dire si ces objectifs doivent être changés. En revanche, je puis indiquer qu’au niveau d’engagement qui est le nôtre aujourd’hui, on ne peut pas prétendre financer en dehors des règles européennes des dépenses, fussent-elles stratégiques. Certes, l’Union européenne ne va pas jusqu’à prescrire le détail de nos budgets ; elle prend en compte nos objectifs d’amélioration du solde structurel et notre niveau de dette. Un champ des possibles théoriques assez large s’ouvre ainsi à nous ; il existe bien des façons différentes de dépenser le budget de l’État que celles existant aujourd’hui.
Vous m’avez encore questionnée au sujet du réalisme des solutions existantes. Il y a une rigidité réelle des dépenses d’une année sur l’autre. Je ne vous ferai pas l’affront de revenir sur la réalité de l’inertie de la masse salariale « à date » des fonctionnaires, dont la rémunération représente un certain niveau d’engagement pour l’État.
Certes, des économies peuvent encore être réalisées, sur tous les budgets – la directrice du budget que je suis ne peut dire autre chose. Il faut bien voir que, dans le budget de l’État, la part de la défense est considérable : 32 milliards d’euros sur les quelque 300 milliards de dépenses totales, incluant les concours aux collectivités locales et à l’Union européenne (hors dette et pensions). Aussi, lorsque l’on souhaite augmenter substantiellement des dépenses reposant sur une assiette de ce type, il ne suffit pas d’imaginer faire des économies sur les achats des ministères – pour reprendre à dessein une vision schématique des choses.
Des choix politiques sont à faire pour réallouer des budgets, ce qui, d’un point de vue technique, ne peut être réalisé que dans la durée. De telles opérations appellent des programmations pluriannuelles globales. Ainsi, au mois de septembre prochain, sera présentée une loi de programmation des finances publiques, qui viendra en appui du projet de loi de finances. Il s’agit d’une obligation organique. C’est à ce moment précis que le prochain gouvernement pourra caractériser des choix qui seront nécessairement pluriannuels. Et, d’après ce que je comprends du débat en cours portant sur la question de la défense, les choses sont bien conçues ainsi : ce n’est pas d’un claquement de doigts, d’un mois sur l’autre, que l’on peut envisager des modifications aussi substantielles sur les moyens alloués à une politique.
Il s’agit effectivement d’une programmation devant être conçue dans la durée, et qui permettra de préciser la répartition de cette augmentation, si elle venait à être décidée. Car ce ne sont pas les mêmes choses que des programmes d’équipements majeurs, la masse salariale, les dépenses de mise en condition opérationnelle ou encore le carburant, bref tout ce que vous savez être les composantes du budget de la défense.
M. Jacques Lamblin. Vous avez longuement évoqué les reports de charges en considérant que la situation s’améliorait ; nous voulons bien le croire. Il existe plusieurs façons d’améliorer la situation, l’une étant de diminuer certaines dépenses dont le règlement peut être reporté, comme le maintien en condition opérationnelle des matériels. C’est ainsi que l’on a pu observer que, dans beaucoup de domaines et dans une proportion notable, des matériels, hors service, n’ont pas pu être engagés. Ce facteur intervient-il dans l’amélioration de la situation ? Le cas échéant, l’avez-vous évalué ?
Avec mon collègue Jean-Jacques Bridey, j’ai conduit les travaux d’une mission d’information sur les enjeux industriels et technologiques du renouvellement des deux composantes de la dissuasion, dont le rapport a été rendu au mois de décembre dernier. Il apparaît que la décision de créer une force de frappe prise par la France il y a cinquante ans s’est trouvée à l’origine du développement de plusieurs fleurons de notre industrie, dans l’aéronautique, le spatial et le nucléaire. Comment intégrer ces enjeux de long terme dans les réflexions et décisions portant sur le financement de la défense, qui sont avant tout politiques, alors que le choix d’engager ou non la dépense relève du court terme ?
Comment orienter la réflexion de la meilleure manière dans l’intérêt du pays ?
Mme Amélie Verdier. S’agissant des dépenses liées au maintien en condition opérationnelle des matériels, nous mesurons effectivement des dépenses engagées et non payées. Mais le choix de reporter l’entretien du matériel n’apparaît pas dans le budget, car nos instruments de suivi ne le permettent pas. Ce n’est pour autant que nous nous en désintéressons, car, même sur le plan financier, il y a un intérêt à entretenir le patrimoine et les investissements qu’il représente. Ces reports peuvent être visibles dans les projets de performance, à travers les indicateurs physiques de l’entretien du matériel, mais cela ne se traduit pas en report de charges, qui constitue un instrument financier. Je ne suis donc pas en mesure de vous répondre sur la part de report de charges décidée à ce titre, seulement sur le niveau des crédits consacrés à cet entretien.
J’ai récemment eu l’occasion d’échanger avec des militaires sur l’impact des dépenses d’armement. Le ministère des Finances ne s’intéresse pas qu’au budget, et je rencontre régulièrement des responsables de la politique économique, de l’emploi notamment. Nous avons une appréciation globale des sujets. Il est indéniable que les choix effectués il y a plusieurs décennies dans le domaine de la dissuasion ont produit des effets sur la croissance, l’emploi et l’activité économique dans nos territoires. Ce sont des considérations qui entrent en ligne de compte, dans les décisions d’allocation de crédits, au moment de l’élaboration des lois de programmation militaire.
S’agissant de leur traduction budgétaire en crédits, la loi organique relative aux lois de finances est ainsi structurée que, dans un premier temps, et cela depuis de nombreuses années, les gouvernements se fixent des objectifs globaux de dépense. Puis des choix sont faits en matière de répartition entre les politiques publiques (par mission), ainsi qu’à l’intérieur des politiques (par programme), entre les dépenses, appréciées au regard de leur efficacité : dans le domaine de la délivrance du service public, il est vérifié si la France est bien protégée ou si les enfants apprennent bien à lire et écrire à l’école, par exemple. Il est aussi recherché si la même efficience peut être obtenue avec de moindres crédits ou s’il faut les maintenir à un niveau constant. L’effet « emploi » des décisions prises en matière budgétaire est toujours mesuré, à la hausse comme à la baisse. Lorsque des économies susceptibles d’avoir un effet dépréciatif sur l’économie sont proposées, les conséquences sont appréciées par le ministère des Finances sur le court terme comme sur le long terme.
Bien entendu, ce raisonnement est constamment présent dans nos échanges. En tant que directrice du budget, je ne peux pas proposer au ministre d’allouer tels ou tels crédits en fonction d’un objectif économique qu’il ne m’appartient pas d’apprécier. Je me réfère à un objectif global de finances publiques, de solde structurel et de dette, qui se décline en objectifs de dépenses, ceux-ci constituant l’outil de discipline collective permettant de ne pas additionner les priorités qui conduisent, in fine, à aggraver les déficits publics – que nous connaissons de manière continue depuis 1974.
Il s’agit donc d’un processus de maturation progressif ; certains pans du budget ont un effet favorable sur l’économie, d’autres en ont un peu moins, mais ils ne poursuivent pas les mêmes buts.
M. Yves Fromion. Cette audition est très intéressante, et il serait bon qu’elle puisse se reproduire régulièrement, notamment à l’occasion de la discussion de la loi de programmation militaire. Il est très utile que nous puissions enfin avoir un échange direct avec notre « tortionnaire » de la direction du budget… (Sourires.)
Le sérieux voudrait que nous nous entendions sur la définition du pourcentage de PIB que nous avons atteint, car selon qu’on y inclut ou non les pensions, il y a une différence de 8 milliards d’euros. Lorsque nous adoptons le budget en loi de finances initiale, il s’agit du budget « substantiel », celui dont les armées bénéficient pour leur action. Nous devons pouvoir évacuer cette question de la prise en compte ou non des pensions de nos discussions, car elle crée une sorte de brouillard et donne une impression de bricolage des chiffres, ce qui est malsain pour le Parlement notamment.
Vous avez également indiqué que d’autres dépenses n’étaient pas prises en considération lorsque l’on parle de 1,47 % ; il serait souhaitable que, lors de la présentation de la prochaine loi de finances, ces sommes soient connues, afin que nous sachions de quoi il retourne. Il n’est pas concevable de dire à des parlementaires ayant la responsabilité de l’adoption du budget que des éléments ne leur sont pas donnés, et que tout ne peut pas leur être communiqué.
Vous avez encore évoqué les arbitrages et les choix opérés entre le budget de la défense et d’autres budgets : nous ne sommes plus aujourd’hui à l’heure du choix, il faut augmenter ce budget ! Nous connaissons la réalité de nos forces armées et les lacunes considérables dont elles souffrent, qui sont compensées par la valeur des hommes servant sous le drapeau. Ces lacunes ne peuvent plus être masquées, et les décisions visant à les combler ne peuvent plus être reportées. Chacun devra affronter cette question de l’augmentation des crédits de la défense, ce que montrent à l’envi les discours électoraux actuels.
Vous avez évoqué l’effort réalisé avec l’actualisation de la LPM, et les 3,8 milliards d’euros supplémentaires. Si, sur cette somme, 1 milliard d’euros est bien allé à l’entretien et la commande de matériels, les 2,8 milliards d’euros restants sont consacrés à la mise en œuvre du plan Sentinelle et autres mesures de protection des populations, qui ont conduit à renoncer à la suppression de 24 000 postes prévue par la loi de programmation militaire. La marge de manœuvre est extrêmement faible – c’est peu dire –, et nous ne pouvons pas nous contenter de considérer que le budget de la défense a crû, même si le ministre a pris des décisions courageuses. La réalité est que nous ne sommes pas du tout à la hauteur des problèmes posés à nos forces armées. Je souhaite que Bercy en prenne conscience.
Il est faux d’affirmer que le montant de 2 % du PIB est celui réclamé par l’OTAN, car ce montant correspond aux réalités de notre défense, qui inclut des forces nucléaires ainsi que des forces conventionnelles d’un niveau suffisamment important. Ces 2 % sont nécessaires au seul entretien de notre modèle de défense, et nous n’avons pas besoin d’une injonction de l’OTAN pour le savoir. Les responsables budgétaires de ce pays – dont je n’ignore pas qu’ils sont aux ordres et doivent réaliser des économies – doivent être conscients, quelles que soient les majorités aux affaires, que nous ne passerons pas à côté de ces 2 %, car ils constituent le plancher pour que notre dispositif de défense se maintienne en condition opérationnelle. C’est cette réalité qui s’impose à nous, et il est de notre devoir d’élus de la Nation de le dire.
Mme Amélie Verdier. Il convient de distinguer deux éléments.
En premier lieu, existe-t-il un besoin d’augmenter les moyens mis au service de la politique de défense ? À ce sujet, j’ai indiqué que nous avions des discussions techniques qui empêchent que je vous livre des données quantifiées ; mais nous avons pleinement conscience que cette dynamique est en marche.
En second lieu, le niveau de la cible doit-il être exprimé en pourcentage de la richesse nationale ? Les nuances que j’ai pu formuler au sujet de l’objectif déterminé par l’OTAN ne consistaient pas à dire qu’il ne faut pas augmenter le budget de la défense, ce qui n’est pas mon rôle.
Vous appelez de vos vœux une clarification de la présentation des chiffres ; je vous ai indiqué que des discussions étaient en cours. Au demeurant, les montants de crédits présentés en loi de finances sont incontestables. Ils sont effectivement ouverts, et la question de la prise en compte des pensions ne se pose pas. Des engagements sont pris par la France sur un certain périmètre de dépenses, ils seront honorés, et il n’y aura pas de remise en question des montants décidés.
M. Yves Fromion. Je vous en donne acte, Madame.
M. Olivier Audibert Troin. Quel est le rôle de la direction du budget, en comparaison de la gestion financière des collectivités territoriales, qui s’exerce dans le cadre d’une prospective financière, dans la durée d’une mandature de cinq ou six années ?
Il me semble que la nouvelle gouvernance présidant aux destins des démocraties éclairées prohibe qu’une administration soit gardienne du temple, et qu’ici ou là, des politiques fassent des propositions. J’imagine qu’il n’existe plus de muraille de Chine entre les ministères et votre administration, et que votre rôle est de conseil. Comment s’organisent les discussions entre les ministères et votre direction ? Jouez-vous pleinement votre rôle de conseil ?
Vous êtes aux premières loges pour connaître les décisions prises par le politique et les dépenses engagées pour l’année en cours ainsi que celles qui sont reportées sur d’autres exercices. Dans ce contexte, et en cette fin de mandature, on entend parler des 2 % du PIB –certains militaires évoquant même 3 % –, diverses propositions ont été formulées concernant le service national universel ou un service civique universel.
Quel conseil donnez-vous, notamment au ministère de la Défense, au sujet de la soutenabilité ? Pensez-vous que la cible de 2 % soit soutenable, et à quel horizon ? Celle de 3 % vous semble-t-elle utopique ou possible ?
M. Alain Marty. Le débat sur l’objectif de 2 % du PIB n’est pas très parlant pour nos concitoyens. La question est bien plus celle de la défense que nous souhaitons ainsi que du contrat opérationnel que nous déterminons.
Par ailleurs, tous les pays membres de l’OTAN ne peuvent pas prétendre au même niveau d’investissement. La France a des spécificités, notamment la force de dissuasion dont les autres pays européens, Royaume-Uni mis à part, ne disposent pas, ainsi que son engagement dans des théâtres d’opérations extérieures ce qui n’est pas le cas des autres pays membres de l’Union européenne. Aussi convient-il de raisonner en termes d’objectifs de financement plutôt que d’en appeler à ces 2 %.
Par ailleurs, vous avez évoqué des possibilités d’économies. À cet égard, je souhaiterais savoir comment est comptabilisé ce que l’on appelle le coût des facteurs, réputé rapporter 1 milliard d’euros dans la LPM en cours d’exécution. Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ?
M. Philippe Nauche. Chaque année revient, à la commission de la Défense, le marronnier du financement des OPEX, l’opposition reprochant régulièrement à la majorité en place de sous-estimer le budget initial de ces opérations, ce qui conduit à un rattrapage par un budget interministériel. Dans ce contexte, quelle est la part effective apportée par le ministère de la Défense à ce financement interministériel ?
Mme Amélie Verdier. Cette participation a été de zéro en 2016.
Pour ce qui est de notre rôle de conseil, nous sommes dans une phase d’échanges techniques assez substantiels avec les administrations, qui durera jusqu’à l’élection présidentielle. Dans tous les domaines, nous comparons nos hypothèses et travaillons le plus précisément possible sur les crédits qui devront nécessairement être dégagés au regard des engagements pris. Nous formulons des projections, par exemple sur l’évolution des effectifs, et estimons les montants de dépenses à prévoir en tenant compte d’éléments tels que la progression des primes. Nous évaluons aussi les financements restant à prévoir pour les programmes d’infrastructures en cours.
Cet exercice est conduit tous les ans au printemps, avec un soin particulier en année électorale, car le calendrier d’élaboration du budget se trouve quelque peu décalé. Je suis arrivée à la direction du budget le 2 janvier dernier, et ce travail est devant nous. Certains de nos dossiers sont bien avancés, mais nous n’avons pas encore rencontré les ministères. Il est important que nous puissions confronter avec eux nos propres évaluations.
Au terme de cette analyse technique, nous rencontrons le ministre du Budget – qui, cette année, appartiendra à un nouveau gouvernement –, et présentons la dynamique de la dépense en tâchant, dans la mesure du possible, de conduire une réflexion pluriannuelle avec les ministères. Depuis une décennie, nous raisonnons sur des périodes triennales. Il me paraît d’ailleurs important que nous puissions envisager d’aller au-delà, ce qui est plus ou moins facile en fonction des politiques considérées, car les décisions prises lors d’une année donnée ont des répercussions sur les années ultérieures.
Ensuite, au mois de mai – peut-être un peu plus tard cette année –, nous faisons le point sur ce qui nous semble inéluctable ainsi que sur les mesures résultant de décisions nouvelles et les projets défendus par les ministres, afin d’évaluer leur coût. Nous présentons un objectif total final – une cible d’atterrissage –, évaluons ce qui est possible et ce qui ne l’est pas, et proposons de nouvelles mesures d’économies.
Je ne peux pas vous dire aujourd’hui quelle sera la bonne cible, car j’ignore quel sera l’objectif de dépenses souhaité par le prochain gouvernement et ne dispose pas de l’analyse technique de l’évolution tendancielle des autres dépenses. Il s’agit de choix dont j’imagine mal qu’ils puissent uniquement se traduire par des augmentations de la dépense totale de l’État, mais si une telle décision devait être prise, nous la mettrons, bien entendu, en œuvre. J’ai simplement relevé qu’au regard de nos engagements pris par ailleurs, et dans le référentiel qui est actuellement le nôtre, cela ne manquerait pas de nécessiter la réalisation d’économies très substantielles sur d’autres budgets.
En tout cas, pour ce qui est du conseil, il me semble impérieux de conduire un raisonnement pluriannuel, et de ne pas se fonder sur une seule année, ce qui vaut pour la logique de financement des politiques en général, et de celle de la défense en particulier. Il faut prévoir une soutenabilité durable des décisions prises, et c’est dans cet objectif que le ministère des Finances a défendu le principe de la transformation des ressources extrabudgétaires en ressources budgétaires réelles que j’évoquais tout à l’heure. Il s’agit, à mes yeux, d’éléments importants à apporter à la réflexion dans la durée des ministères ainsi qu’à la capacité effective à mobiliser des ressources. C’est là une façon plus claire, plus intègre et plus directe de présenter les choses.
D’autres questions se posent par ailleurs, afin de savoir ce que l’on peut faire avec cet argent. Je rappelle que nous n’inscrivons pas, dans les lois de finances, des crédits estimés en points de PIB, mais des crédits de masse salariale, de fonctionnement, d’entretien et d’équipement. Et tous n’ont pas la même conséquence pluriannuelle. C’est pourquoi il est important que la discussion prenne cette forme, car le budget comporte des dépenses s’exécutant avec des autorisations d’engagement qui, pour certaines d’entre elles, ne donnent pas lieu à crédits de paiement immédiat. C’est ainsi qu’il convient d’apprécier l’effort global demandé.
À cet égard, je salue les remarques que certains d’entre vous ont faites sur le raisonnement consistant à définir des objectifs capacitaires trouvant ensuite leur traduction en crédits, car il est plus fidèle aux besoins. Cette démarche, selon les cas, peut conduire à des chiffres inférieurs ou supérieurs aux prévisions – il ne me revient pas de porter de jugement sur cette question.
À M. Marty, qui m’a interrogée sur le coût des facteurs, je peux répondre de façon très précise, car des travaux conjoints ont été menés par les inspections des deux ministères, le Contrôle général des armées (CGA) pour le ministère de la Défense, et l’Inspection générale des finances (IGF) pour le ministère des Finances. Il n’y a donc pas de débat entre nous sur les chiffres : l’impact a été estimé à 947 millions d’euros d’économies en 2017, qui ont été déduits du besoin brut tel qu’il avait été estimé, pour aboutir à l’ajustement de crédits en loi de finances.
À M. Nauche, je répète qu’aucune contribution n’a été demandée au ministère de la Défense pour le financement des OPEX en 2016, qui a résulté de taxations opérées sur les autres ministères.
M. Philippe Nauche. Ma question était plus précise : quelle est la part de crédits devant initialement être alloués au ministère de la Défense qui est utilisée dans l’équation budgétaire permettant que lui soient reversés les crédits nécessaires au financement des OPEX ? Ces crédits n’ont donc rien à voir avec ceux de la défense ?
Mme Amélie Verdier. En 2016, le surcoût des OPEX a été intégralement financé par les autres ministères.
M. Alain Marty. Vous dites, Madame, qu’en 2017, 947 millions d’euros ont été déduits des besoins bruts, or j’avais cru comprendre que l’économie réalisée sur la base du coût des facteurs permettait de dégager 1 milliard d’euros devant bénéficier au budget. Mais vous considérez qu’il s’agit d’une déduction, alors que je pensais que nous parlions d’un abondement d’1 milliard d’euros prélevé sur le coût des facteurs, et apporté au budget.
Mme Amélie Verdier. J’évoque bien une augmentation du budget. Une fois que l’augmentation de la capacité et l’augmentation budgétaire associée ont été décidées, l’estimation du coût a été faite à partir du coût précédent, que j’ai appelé « brut ». Le montant a ensuite été actualisé en prenant en compte le milliard d’euros d’économies réalisé sur le coût. En tout état de cause, il s’agit bien de moyens supplémentaires.
M. Vincent Moreau. Les crédits du ministère de la Défense n’ont pas été diminués de 947 millions d’euros ; ils ont été maintenus au niveau de la LPM actualisée, et augmentés de 417 millions d’euros en 2017. Cette somme, qui constitue une économie réelle et documentée pour le ministère de la Défense, a été laissée à son bénéfice.
Mme la présidente Patricia Adam. Merci pour ces propos et ces clarifications qui seront très utiles pour les débats à venir.
La séance est levée à dix-heures quarante-cinq.
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Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Patricia Adam, M. Olivier Audibert Troin, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Candelier, M. Jean-David Ciot, M. Bernard Deflesselles, M. Lucien Degauchy, Mme Carole Delga, Mme Marianne Dubois, M. Yves Foulon, M. Yves Fromion, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, M. Christophe Guilloteau, M. Laurent Kalinowski, M. Jacques Lamblin, M. Jean-François Lamour, M. Frédéric Lefebvre, M. Maurice Leroy, M. Jean-Pierre Maggi, M. Alain Marleix, M. Alain Marty, M. Philippe Meunier, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, Mme Sylvia Pinel, Mme Marie Récalde, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Alain Rousset, M. Stéphane Saint-André, M. Thierry Solère, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin
Excusés. – Mme Danielle Auroi, M. Claude Bartolone, M. Malek Boutih, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Bridey, M. David Comet, M. Guy Delcourt, M. Nicolas Dhuicq, Mme Geneviève Fioraso, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Serge Grouard, Mme Edith Gueugneau, M. Francis Hillmeyer, M. Éric Jalton, M. Charles de La Verpillière, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Christophe Léonard, Mme Lucette Lousteau, Mme Luce Pane, M. François de Rugy