Délibération de la HALDE n° 2010-21 du 1er février 2010 portant sur les conditions d’ouverture du droit à la pension de réversion telles qu’elles résultent de l’article L. 353-1 du code de la sécurité sociale.

Le collège,
Vu la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, et notamment l’article 11 ;
Vu le décret n° 2005-215 du 4 mars 2005 relatif à la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, et notamment l’article 9 ;
Vu la délibération n° 2008-107 du 19 mai 2008, adoptée par le collège de la haute autorité ;
Sur proposition du président, 
Décide :

Article 1 

Le collège de la haute autorité adopte le rapport spécial annexé ci-après portant sur les conditions d’ouverture du droit à la pension de réversion telles qu’elles résultent de l’article L. 353-1 du code de la sécurité sociale.

Article 2 

En application de l’article 11 de la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004, la présente délibération ainsi que le rapport spécial qui y est annexé seront publiés au Journal officiel de la République française.

  • Annexe

     

    A N N E X E
    RAPPORT SPÉCIAL

    Depuis 2008, la haute autorité a été saisie de plusieurs réclamations de personnes relevant le caractère discriminatoire de l’article L. 353-1 du code de la sécurité sociale en ce qu’il réserve aux seuls conjoints survivants le bénéfice des pensions de réversion, à l’exclusion des partenaires liés par un PACS.
    Par la délibération n° 2008-107 du 19 mai 2008, le collège a estimé que cette condition exclusive de mariage constituait une discrimination directe fondée sur l’orientation sexuelle, dans la mesure où, d’une part, le mariage en France n’est pas accessible aux couples de même sexe et, d’autre part, le statut juridique des conjoints et celui des partenaires sont comparables au regard de l’objet de la pension.
    Dans la mesure où les salariés du privé sont soumis à un régime légal de retraite, le collège n’a pas fondé son raisonnement sur les dispositions de la directive n° 2000/78, laquelle exclut de son champ d’application ce type de régime.
    La condition de mariage fixée pour le versement des pensions de réversion relevant du code de la sécurité sociale est néanmoins contraire à un autre dispositif antidiscriminatoire, l’article 14 de la Cour européenne des droits de l’homme.
    Si le critère de l’orientation sexuelle n’est pas explicitement mentionné à l’article 14, celui-ci est un critère prohibé par ce texte, et ce conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui a rappelé que « la liste que renferme cette disposition revêt un caractère indicatif, et non limitatif, dont témoigne l’adverbe « notamment” » (CEDH, 21 décembre 1999, Salgueiro Da Silva Mouta c. Portugal). Elle a eu l’occasion de l’affirmer explicitement en ce qui concerne le critère de l’orientation sexuelle dans un arrêt récent constatant la violation de la convention par la France (CEDH, 22 janvier 2008, Emmanuelle B. c/France).
    Le champ de l’interdiction posée à l’article 14, lequel n’a pas d’existence indépendante, est limité aux droits garantis par la convention et doit être combiné avec les stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à cette convention qui stipule que « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ».
    Le Conseil d’Etat a jugé que les pensions de retraite constituaient une créance devant être regardée comme un bien au sens de cette stipulation (Conseil d’Etat, 30 novembre 2001, Diop). Il a précisé, sur cette base, qu’une différence de traitement liée à la jouissance de l’un des droits garantis par la convention entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens de l’article 14 de la CEDH, si elle n’est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d’utilité publique ou si elle n’est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi.
    Il convient donc de vérifier si un partenaire lié par un pacte civil de solidarité se trouve placé dans une situation comparable à celle d’un époux bénéficiaire de la pension de réversion afin d’apprécier si la différence de traitement instaurée est ou non justifiée.
    Les arguments avancés par le directeur de la sécurité sociale, amené à formuler ses observations dans le cadre de l’instruction menée par les services de la haute autorité, se rapportent tous à l’obligation de solidarité financière qui pèse sur les couples mariés. Son point de vue est étayé par l’arrêt M. Villemain du Conseil d’Etat, en date du 25 juin 2002, selon lequel les liens juridiques unissant les personnes ayant conclu un PACS n’ont pas été organisés de manière identique à ceux qui existent entre conjoints et qu’ils ne peuvent, du seul fait de l’intervention de la loi du 15 novembre 1999, être regardés comme conjoints pour l’application de textes qui réservent des droits ou des avantages au profit de ceux qui ont cette dernière qualité. Pour le Conseil d’Etat, ces deux catégories de personnes étant placées dans des situations juridiques différentes, le principe d’égalité n’impose pas qu’elles soient traitées de manière identique.
    Ces arguments reposent toutefois sur un arrêt antérieur à l’évolution du PACS par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités qui, sans unifier totalement les deux régimes, rapproche très sensiblement les couples mariés et les couples pacsés en soumettant les partenaires à un régime patrimonial des biens et des dettes et en établissant des devoirs réciproques.
    Le nouvel article 515-4 du code civil consacre en effet les devoirs réciproques entre partenaires. Ainsi, les partenaires liés par un pacte civil de solidarité s’engagent, d’une part, à une « assistance réciproque » qui donne au PACS une véritable dimension extrapatrimoniale. Par référence au devoir d’assistance entre époux, les partenaires se doivent soutien et aide devant les difficultés de la vie. Ils sont, d’autre part, contraints à une « vie commune », obligation de laquelle découle des droits accordés aux conjoints survivants, notamment celui de la jouissance du domicile pendant l’année qui suit le décès de son partenaire. Par ailleurs l’obligation d’une « aide mutuelle et matérielle proportionnelle à leurs facultés respectives » rappelle les dispositions de l’article 214 du code civil relatives à la contribution aux charges du mariage « à proportion de leurs facultés respectives ». Enfin une « obligation solidaire à l’égard des dettes concernant les besoins de la vie courante » s’inspire largement des dispositions de l’article 220, deuxième alinéa, du code civil.
    Ces obligations, et notamment ces trois dernières mesures, empruntées au régime applicable aux époux, attestent que le PACS est doté d’un véritable statut patrimonial. Or, les partenaires ne peuvent déroger par leur convention à toutes ces obligations qui sont, selon le Conseil constitutionnel, d’ordre public.
    Il en résulte que, même si le législateur français n’a pas explicitement assimilé les conjoints et les partenaires en ce qui concerne les pensions de réversion, contrairement à ce qui est prévu dans la loi allemande, les obligations pesant sur les conjoints et les partenaires sont suffisamment comparables, au regard de l’objet poursuivi par la pension, pour rendre injustifiée toute différence de traitement en la matière.
    Or, en l’état actuel du droit interne, les couples homosexuels n’ayant pas le droit de se marier, cette différence de traitement repose sur un critère prohibé par la Convention européenne des droits de l’homme : l’orientation sexuelle.
    Le collège en a ainsi conclu que les dispositions législatives issues du code de la sécurité sociale constituent une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle en excluant du droit à pension de réversion les partenaires survivants.
    La demande de modification de la législation litigieuse adressée au ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville le 26 mai 2008, ainsi que le courrier de relance du 15 décembre 2008 sont restés sans réponse.
    Un dernier courrier, en date du 17 novembre 2009, a été à nouveau adressé au ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, lui rappelant, que dans l’hypothèse où les recommandations du collège n’étaient pas suivies d’effet, la haute autorité avait la possibilité de publier un rapport spécial au Journal officiel. Ce courrier est également resté sans réponse.
    En conséquence, par la publication de ce rapport spécial, la haute autorité réitère une nouvelle fois ses recommandations tendant à la modification de l’article L. 353-1 du code de la sécurité sociale.

Fait à Paris, le 1er février 2010.

Le président,

L. Schweitzer

 

 

 

 

 

 

Source: JORF n°0079 du 3 avril 2010 texte n° 114 

 

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