Dans son hyperactivité, l’Elysée est-il devenu une machine à créer des dysfonctionnements ? Peut-on dire à un général, le matin, qu’il prend la tête de l’état-major particulier militaire de la présidence et, le soir, de façon indirecte, qu’un autre général, tout aussi compétent, occupera finalement le poste ? En « Sarkozie », le chef le peut, car il entend montrer qu’il n’est tenu par
rien, ni par personne. En « Sarkozie », l’impossible n’est pas improbable. D’où un certain vague à l’âme chez ceux qui font vivre le « cerveau des armées » : l’état major des armées (EMA). Il y a, chez beaucoup d’officiers généraux, l’idée qu’on leur demande, en quelque sorte, la septième couleur d’un « Rubik’s Cube » à six faces. Le politique a-t-il pris conscience qu’en sapant l’outil de défense, on pouvait miner les hommes ? Le nouveau tandem à la tête de l’EMA sait que sa tâche est herculéenne : redonner du sens au travail de ses subordonnés. D’autant que la prolongation de l’ancienne équipe « Georgelin- Blairon » de six mois n’a fait que davantage creuser le sillon d’une usure globale du pouvoir militaire. Officiellement, l’Elysée avait décrété cette prolongation afin de permettre à son amiral, Edouard Guillaud, de conclure la vente, entre autres, de Rafale… La chose militaire se marie mal au business. Elle est animée par cinq tendances que le politique ne peut pas balayer d’un revers de la main : la technicisation d’un métier refusant la banalisation, la mutation des missions, le primat de la formation et du déroulement de carrière, l’évolution des modes de vie (fin de l’encasernement) et l’assouplissement des relations professionnelles. Le mode opératoire du militaire est élémentaire : le politique lui donne une mission qu’il remplit. A cet égard, le « dégraissage du mammouth » n’est pas un charme posé par l’équipe en place. Les militaires travaillaient depuis longtemps à cette réforme nécessaire et prévue de longue date, bien avant 2007. Ainsi, l’armée de l’air avait-elle planifié de réduire son nombre de bases. La réalité a donc fini par rattraper des militaires. Il convenait maintenant de passer aux actes. Et c’est plus la méthode en forme de « thérapie de choc » qui a déconcerté. «Tout le monde le sait, et ce malgré les écrits laudatifs dans la Lettre de modernisation du ministère de la Défense, les bases de défense sont une erreur qui a été décidée avant toute étude de faisabilité.» Pour le nouveau CEMA, l’amiral Guillaud, il convient de redonner un nouveau souffle à l’EMA. La question est donc simple : pourra-t-il faire comprendre à l’Elysée qu’il existe des choses faisables et d’autres inconcevables ? Dans cette optique, le triangle Guillaud-Villiers-Puga saura-t-il trouver les bons ressorts ?
«Georgelin aura été un bon chef, mais il s’était donné l’image d’un demi-dieu inaccessible au commun des mortels de Brienne. Guillaud devrait être plus proche du personnel», relève un civil inquiet par le moral des troupes. Ce dont témoignent les élections régionales, où beaucoup de militaires se seraient abstenus au second tour. Quant à une possible fuite des cerveaux, il faut attendre les statistiques. On commence à voir des capitaines de vaisseau sortant de commandement, qui acceptent le pécule de 250 000 euros pour quitter l’institution, alors qu’ils étaient promis à un bel avenir. Pour justifier la rudesse de la réforme des armées, un interlocuteur élyséen nous précise qu’il ne s’agit pas de briser une institution contre laquelle le Président n’a aucune animosité (NDR : on se souvient tout de même de son discours de Carcassonne sur un certain amateurisme…). Mais de «parvenir au moindre coût et le plus rapidement possible à se doter d’un outil facilitant la diplomatie coercitive» et les opérations de type « Afghanistan ». Cet interlocuteur citant « Le paradoxe de la stratégie » de Luttwak : «La mauvaise route se trouve être la bonne, précisément parce qu’elle est mauvaise.» Gageons que l’EMA saura décoder ce message sybillin !
Source : TTU 752 du 24 mars 2010 Lettre hebdomadaire d’informations stratégiques. Siège social – 25, rue du Louvre – 75001 Paris. Email : ttu@ttu.fr – www.ttu.fr