Commission de la défense nationale et des forces armées
Présidence de Mme Patricia Adam, présidente
— Audition du général André Lanata, chef d’état-major de l’armée de l’air, sur le projet de loi de finances pour 2017
La séance est ouverte à dix-huit heures trente.
Mme la présidente Patricia Adam. Général, au seuil de cette audition consacrée au projet de loi de finances pour 2017 et, plus largement, à l’activité de l’armée de l’air, je tiens avant tout à exprimer devant vous nos souhaits de bon rétablissement à ceux de vos hommes qui ont été récemment blessés sur un théâtre extérieur.
Général André Lanata, chef d’état-major de l’armée de l’air. Madame la présidente, certains de nos blessés se trouvent à l’hôpital d’instruction des armées de Percy dans un état de santé préoccupant. J’ai rencontré leurs familles, auxquelles je tiens à réaffirmer ici le témoignage de mon soutien et de ma sympathie. C’est toujours un honneur en même temps qu’une très grande fierté de pouvoir témoigner devant vous du sens du service extraordinaire des hommes et des femmes de l’armée de l’air.
Je mesure chaque jour, humblement, la responsabilité immense qui m’a été confiée, tant pour préparer les aviateurs au combat, physiquement et moralement, que pour améliorer leurs conditions de travail et de vie, pour vous garantir ainsi qu’ils réussiront les missions que leur confie la France dans les meilleures conditions possibles, et pour promouvoir les valeurs qui les animent et qui contribuent sans nul doute à leurs succès.
Car je peux vous assurer que les aviateurs que je commande font preuve d’un enthousiasme remarquable, d’une abnégation quotidienne, d’une discipline et d’un loyalisme sans faille, d’une rusticité, d’une débrouillardise, et d’une culture expéditionnaire enviée de nos alliés, d’un désintéressement et d’un sens du service qui forcent l’admiration et qui peut aller – et qui va ‒ jusqu’au sacrifice ultime.
Malheureusement, depuis que je me suis présenté devant vous il y a un an, l’armée de l’air a payé, une fois encore, un tribut important aux combats que mène actuellement notre pays. Je voudrais, au moment de prendre la parole devant votre commission, rendre hommage à nos blessés et nos morts. Ils sont là pour nous rappeler l’exigence inouïe et la noblesse de leur engagement, et la reconnaissance que notre pays leur doit en retour. Comme le chef d’état-major des armées, j’affirme : nos soldats sont des héros !
Je pense aussi aux familles de nos blessés ou de nos disparus avec lesquelles j’ai eu de longues discussions. Elles sont souvent dévastées par le drame, face à la blessure de leur conjoint au combat. Quels sont les mots qu’il faut employer dans ces moments-là ?
Je pense enfin au remarquable personnel de la cellule d’aide aux blessés de l’armée de l’air et du service de santé des armées, à tous ceux qui entourent de près ou de loin ceux qui reviennent de nos opérations mutilés dans leur chair et dans leur esprit, ou qui n’en reviennent pas.
À ce titre, je vous remercie très sincèrement des marques de soutien de la représentation nationale que les aviateurs trouvent dans chacun de vos déplacements sur nos bases aériennes, sur les théâtres d’opérations extérieures ou sur le territoire national. C’est pourquoi je vous assure de leur importance dans les circonstances exceptionnelles que nous vivons. Récemment j’ai présidé la prise de commandement de la base aérienne de Nancy. J’ai été frappé de la magnifique représentation de la cohésion nationale autour du drapeau de la base : préfets, députés, sénateurs, maires, corps de l’État. Cela fait plaisir à voir ! Je peux vous assurer que cela signifie beaucoup pour nos aviateurs.
Je saisis aussi l’occasion qui m’est donnée pour remercier l’action de votre commission au profit de nos armées. Je voudrais enfin vous remercier de chacune de vos déclarations qui mettent en lumière l’œuvre accomplie par nos aviateurs en silence, en ordre et parfois dans l’ombre.
Cette œuvre, c’est la protection des Français où qu’ils se trouvent, c’est la défense de la France sur le territoire national mais aussi loin de nos frontières, là-bas sur les théâtres extérieurs, au nom de valeurs simples et souvent au péril de leur vie. C’est quand même cela la seule vérité qui compte.
Il y a un an, quasiment jour pour jour, à peine quinze jours après ma prise de fonction je m’étais présenté devant vous et j’avais pu appeler alors votre attention sur quelques messages. Après vous avoir décrit les atouts de l’outil de combat aérien mis en œuvre par l’armée de l’air, j’avais constaté l’accroissement de la pression des opérations en 2015, tout en doutant du relâchement de cette pression. J’avais souligné l’importance d’une parfaite exécution de la loi de programmation militaire (LPM) actualisée compte tenu de l’absence de marges de cette programmation et d’une telle situation d’engagement. J’avais également insisté sur le fait que la performance du système de combat de l’armée de l’air reposait aussi sur la volonté des aviateurs, la volonté de réussir toutes leurs missions, mais aussi la volonté de mener à bien l’ambitieux plan de transformation de l’armée de l’air Unis pour « Faire face ». J’avais enfin indiqué l’importance de préserver cette volonté, en faisant des efforts significatifs sur la condition du personnel.
J’estime aujourd’hui que l’ensemble de ces constats restent d’actualité. C’est pourquoi, partant de ces éléments, je vous propose maintenant de commencer par témoigner des engagements opérationnels de l’armée de l’air depuis notre précédente rencontre aussi bien en opérations extérieures que sur le territoire national. Ils vous permettront de mieux comprendre le contexte dans lequel s’inscrit le projet de budget 2017 qui nous réunit aujourd’hui. J’évoquerai ensuite quelles sont les dispositions que nous avons prises en interne pour faire face à l’évolution de la situation telle que je la perçois ; enfin, je partagerai avec vous le regard que je porte sur le projet de budget 2017, lequel me paraît indissociable de l’exécution de celui de 2016. Au fil de mon exposé, je garderai en filigrane plusieurs points d’attention qui constituent pour l’armée de l’air autant d’enjeux à court, moyen ou long terme : il s’agit de la sécurité et de la protection de nos emprises, qui fait partie des axes d’effort en profondeur liés au changement brutal du contexte sécuritaire ; il s’agit aussi, faisant écho à une récente actualité, du soutien aux marchés d’exportation du Rafale qui s’apparente à une mission opérationnelle à part entière. Il s’agit enfin de la condition du personnel, que je considère essentielle à la performance globale de l’armée de l’air ; les aviateurs sont au centre de mes préoccupations, au centre des succès opérationnels, et au centre des tensions. C’est pourquoi la valorisation de leur travail et la promotion de leurs valeurs constituent l’un des buts prioritaires que j’accorde à la transformation de l’armée de l’air.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, la transformation n’est pas une option. Ou bien nous nous adaptons ou bien nous subissons. C’est tout le sens du plan stratégique Unis pour « Faire face ». Depuis un an, nous en avons tiré les enseignements suivants : la dynamique fonctionne et elle est indispensable, mais certains projets nécessitent des réorientations, soit parce qu’ils approchent de leur terme, soit parce que la situation sécuritaire impose des ajustements. Les aviateurs se reconnaissent dans ce plan, et il faut probablement les y associer davantage.
J’ai donc lancé un acte II du plan Unis pour « Faire face » afin de « garder le personnel à bord » dans cette conjoncture particulièrement tendue pour l’armée de l’air. Je ne change pas les repères, j’adapte certains efforts, comme la sécurité et la protection de nos emprises, et plus que jamais, je considère que les aviateurs sont les acteurs et la raison d’être de la transformation. Ce plan permet aux aviateurs de continuer à regarder l’avenir avec confiance et responsabilité ‒ j’insiste sur ces deux termes. Il mobilise l’armée de l’air autour d’objectifs partagés et cohérents.
Que s’est-il passé depuis la fin 2015 ? Depuis notre dernière rencontre, il y a eu le 13 novembre. Pour l’armée de l’air, cette attaque brutale sur notre territoire s’est traduite sur le plan opérationnel, immédiatement. Dans la nuit même de l’attentat, elle s’est traduite par la projection par voie aérienne des forces de l’opération Sentinelle à Paris, mettant en lumière les besoins de mobilité sur le territoire national et dans la nuit qui a suivi celle de l’attentat, par les frappes de rétorsion en Syrie ordonnées par le président de la République, puis par l’intensification des frappes menées par la France en Syrie et en Irak. Autant d’éléments qui soulignent la réactivité de nos forces aériennes, ces frappes étant intervenues moins de 24 heures après la décision.
Depuis, au Levant, nos aéronefs continuent de pilonner les positions de Daech en Irak et en Syrie. Je voudrais insister ici sur un point. Une campagne aérienne ne réussit et ne produit ses effets qu’au prix d’un effort, patient, systématique, méthodique, qui s’inscrit dans le temps. Depuis plus de deux ans, il a permis, au sein de la coalition, de faire reculer Daech, ce qui prive cette organisation d’une partie importante de son territoire, de ses ressources, et permet à la coalition d’être aujourd’hui aux portes de Mossoul. Car si Mossoul est au centre des attentions ces jours-ci, sachez que 80 % des missions des chasseurs de l’armée de l’air ont porté l’effort dans cette zone. C’est bien cet effort dans le temps aux côtés de nos alliés, depuis deux ans, qui permet, aujourd’hui, d’être en mesure d’engager la reconquête de cette ville clef pour la libération de l’Irak.
Ainsi, ce sont plus de 1 600 bombes et missiles qui ont été tirés jour et nuit par l’armée de l’air depuis deux ans. Il s’agit là d’un rythme et d’une intensité de frappe inédits. Pour notre seule base en Jordanie et le seul détachement des Mirage 2000 ‒ qui a été relevé comme vous le savez par des Rafale cet été ‒, ce sont plus de 10 000 heures de vol en 2 300 sorties, plus de 6 400 ravitaillements en vol, et plus de 1 000 munitions délivrées, sans oublier les 200 000 heures de maintenance pour permettre à nos avions de décoller tous les jours. Considérons aussi que cette intensité et cette régularité sont rendues possibles par l’utilisation d’une base aérienne déployée et judicieusement placée dans la zone, qui héberge un détachement relativement modeste de six à huit avions et moins de 300 personnes. J’ajoute que, comme dans toute campagne militaire, rien n’aurait été possible sans une manœuvre de soutien depuis l’arrière extrêmement exigeante.
Nous rencontrons des défis analogues en termes de distances et de durée au Sahel avec un engagement des aviateurs, depuis plus de trois ans, pour traquer au sein des opérations Barkhane et Sabre, les groupes armés terroristes, dans des conditions climatiques et environnementales particulièrement sévères. Depuis principalement les bases aériennes déployées de Niamey et de N’Djaména, nous réalisons toute la palette des missions aériennes. Elles nous permettent de quadriller un territoire grand comme l’Europe en nous appuyant sur des moyens de reconnaissance comme les Rafale équipés de la nacelle RECO-NG, sur des moyens de surveillance (avec les drones Reaper, le Transall Gabriel, ou des moyens légers d’ISR), sur des moyens de ravitaillement en vol, sur des moyens de transport tactique, sur des forces spéciales (commandos parachutistes de l’air et hélicoptères EC725), ainsi que sur les moyens de frappe dans la profondeur ou en appui des forces terrestres, les Mirage 2000 et les Rafale.
Afin de coordonner avec efficacité l’emploi de l’ensemble de ces moyens, je termine évidemment par les capacités de commandement et de contrôle. Pour l’armée de l’air, ces moyens de commandement et de contrôle sont stationnés en France. Ils conduisent à distance et sous l’autorité du chef d’état-major des armées l’ensemble des opérations aériennes en Afrique. Comme j’ai déjà eu certainement l’occasion de vous l’expliquer, cette organisation nous permet d’optimiser l’emploi de moyens comptés en permettant la bascule, dans la même mission, du même avion, d’une opération à une autre, de Barkhane à Sangaris, en passant par Sabre.
Depuis notre rencontre l’an dernier, nos missions se sont étendues à la Libye. Nous y poursuivons notre action de « documentation du théâtre » aussi bien à partir du Sud que de nos bases métropolitaines. Comme vous le savez, l’ensemble du bassin méditerranéen, et au-delà, est à leur portée. Nous l’avions démontré lors des opérations en Libye en 2011.
Pour toutes ces opérations, je souligne l’appui déterminant des États-Unis en matière d’ISR, de ravitaillement en vol et de mobilité, appui également fourni dans le transport par certains de nos alliés européens.
Nos aviateurs interviennent aussi dans l’opération Sangaris en Centrafrique. Les hélicoptères Fennec apportent l’appui-renseignement mais aussi l’appui-feu nécessaires, l’escadron ayant développé une expertise de tireurs air-sol embarqués à partir de leur compétence de tireur d’élite pour la police du ciel en métropole. Les groupements chasse et transport de N’Djaména participent ponctuellement à Sangaris, lorsque les besoins l’exigent.
Pour terminer sur le terrain des opérations extérieures, vous savez que nous avons actuellement déployé en Lituanie quatre Mirage 2000, dans le cadre des mesures de réassurance de l’OTAN face à la Russie. Ils participent à la mission de police du ciel des États baltes. Il ne s’agit pas que d’un simple affichage. Nos Mirage, en état d’alerte maximum, ont ainsi décollé six fois en 24 heures ce week-end pour intercepter une dizaine d’avions russes, dont des avions de chasse. Je note une augmentation des tensions dans ce secteur, perceptibles dans le contexte politique que vous connaissez.
Nos équipages déployés en Lituanie mettent en œuvre les mêmes qualités d’extrême réactivité que lorsqu’ils assurent, en permanence, la posture de sûreté aérienne dans le ciel de France. À ce titre, ils ont effectué 73 décollages de chasseur en France sur alerte en 2015, et nous en sommes déjà à 79 pour 2016. Car les missions de plus en plus intenses menées à l’extérieur de nos frontières s’ajoutent à celles, tout aussi importantes et de plus en plus intenses elles aussi, conduites sur le territoire national en permanence et, il faut bien le reconnaître, « dans l’ombre ». Ces missions permanentes garantissent depuis plus de cinquante ans la protection aérienne des Français et de leurs intérêts vitaux. C’est ainsi que quatre de nos six Rafale placés en alerte permanente en sept minutes ont intercepté des bombardiers stratégiques russes il y a un peu plus de quinze jours, et les ont escortés pendant près d’une heure en face de nos côtes Atlantiques. Je rappelle que chacun des Tupolev interceptés peut embarquer plusieurs missiles de croisières dont la portée est estimée à plus de 1 000 kilomètres. Une interception analogue avait déjà été menée au-dessus de la Manche le 17 février, les bombardiers russes faisant demi-tour à quelques kilomètres de notre espace aérien. C’était d’ailleurs une opération remarquable mettant en œuvre des chasseurs anglais et français, les centres britannique et français de commandement des défenses aériennes, ainsi qu’un avion de ravitaillement en vol britannique qui a ravitaillé nos Rafale. Cette opération a démontré la parfaite intégration des forces aériennes européennes.
Je note au passage la recrudescence de ces démonstrations militaires dans nos approches aériennes, qui soulignent le retour des « menaces de la puissance ». Je me dois de vous signaler à cet égard la grande préoccupation de l’aviateur que je suis face aux stratégies de déni d’accès dans la « troisième dimension » mises en œuvre par certaines puissances sur des théâtres d’opérations (comme en Syrie), directement ou par le biais de puissances régionales. Or, la liberté d’action dans la troisième dimension est un préalable à toutes nos opérations militaires ; il ne faut jamais l’oublier. Il s’agit là d’un enjeu majeur selon moi, qui doit alimenter les réflexions de l’avenir de notre système de combat aérien.
Pour cette raison ‒ mais pas seulement ‒, le maintien sans concession de la posture de dissuasion aéroportée revêt toujours la même importance primordiale. Elle est garantie sans discontinuer depuis le 1er octobre 1964. Je crois utile d’indiquer ici que la transition de notre composante aéroportée de la dissuasion vers le « tout Rafale » est désormais engagée de façon irréversible. Cette manœuvre, extrêmement exigeante et exécutée sans aucune concession, se déroule parfaitement, entre l’ouverture dans moins d’un an du second escadron de Rafale à vocation nucléaire sur la base aérienne de Saint-Dizier et le retrait de service du Mirage 2000N en septembre 2018. Il est certain toutefois qu’elle induit une charge de transformation qui s’ajoute aux nombreuses autres sollicitations dont l’armée de l’air est l’objet.
Depuis notre dernière rencontre, l’armée de l’air prend aussi en compte des menaces atypiques comme les mini-drones. J’estime qu’en un an nous avons beaucoup progressé au point d’être capable de mettre en œuvre des dispositifs de protection opérationnels et efficaces autour d’événements particuliers. Nous l’avons fait pour COP21, le match d’ouverture et la finale de l’Eurofoot ou le 14 juillet. Nous pourrons y revenir dans les questions si vous le souhaitez.
Ces différentes manifestations me permettent de souligner l’intensification de l’effort conduit par l’armée de l’air pour mettre en œuvre de plus en plus fréquemment des « dispositifs particuliers de sûreté aérienne » afin d’assurer une protection dans la troisième dimension autour de ces rassemblements. Nous sommes passés de quatre de ces dispositifs en 2014 à douze en 2016. Il faudra là aussi tirer les conséquences de ce surcroît d’activité.
Nos missions en soutien aux services publics contribuent également à nourrir notre activité. À titre d’exemple, je citerai l’appui que l’armée de l’air fournit à la lutte contre les feux de forêts de la région marseillaise : dans la nuit du 11 août 2016, un C160 Transall de la base aérienne d’Evreux a ainsi transporté 70 pompiers avec leur équipement entre Nantes et Istres. Autre exemple : la contribution de l’armée de l’air à l’acheminement des dons d’organes, nos bases aériennes étant les seules plateformes aéronautiques à disposer de capacités d’accueil d’aéronef 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. On pourrait aussi citer nos missions de recherche et de sauvetage, d’assistance aux aéronefs accidentés, mais aussi de sauvegarde des personnes, comme l’hélitreuillage de cette femme enceinte à bord d’un ferry au large de la Corse le 22 août dernier.
Je serais incomplet dans cette description de l’engagement de l’armée de l’air sur le territoire national, au service de la protection des Français, si je ne mentionnais pas l’effort sans précédent conduit pour renforcer la protection de nos emprises militaires. Un vaste plan prenant en compte toutes les dimensions de cette question est mis en œuvre. Pour faire face à une situation de menaces inédite, ma plus grande préoccupation concerne les ressources humaines, notamment la faiblesse des effectifs de commandos de l’air que nous recrutons néanmoins « à marche forcée », en exploitant les marges de manœuvres résultant de l’arrêt des déflations d’effectifs et en faisant effort sur l’emploi de réservistes (+ 35 % en trois ans) dont plus du tiers pour la protection des emprises. En attendant que le recrutement de commandos de l’air supplémentaires permette de retrouver une situation équilibrée, nous sommes conduits à mobiliser une partie du personnel militaire des bases aériennes ‒ secrétaires, mécaniciens, contrôleurs aériens, etc. ‒ pour venir renforcer la protection de nos sites militaires.
Je serais incomplet également si je ne mentionnais pas la participation de l’armée de l’air à la mission Sentinelle. Rappelons notamment l’engagement d’aviateurs sur la Promenade des Anglais le 14 juillet 2016 au soir ; en mission à l’aéroport de Nice, ils ont été appelés dans les minutes qui ont suivi l’attentat pour la sécurisation de la zone. Je suis allé à leur rencontre le surlendemain de l’attentat, et ils ont été sensibles à cette visite. Ils avaient besoin de parler, d’être écoutés, d’être soutenus compte tenu de ce qu’ils avaient vécu. Je signale la présence parmi le détachement de deux jeunes réservistes dont une jeune femme de 18 ans qui, quand je leur ai demandé la raison de son engagement, m’a répondu : « J’avais envie de servir et d’aider ! ».
À ces très nombreux engagements opérationnels, s’ajoutent d’importantes sollicitations dans le cadre du soutien à nos marchés d’exportation du Rafale. Il faut se féliciter de ces succès à l’export : c’est une bonne nouvelle pour notre industrie, pour l’armée de l’air, pour le respect de la loi de programmation militaire, et pour la France. Le soutien que nous y apportons consiste principalement en actions de formation. Ceci me permet de souligner l’intérêt central des clients étrangers pour l’expertise opérationnelle de l’armée de l’air. Il faut y voir, d’ailleurs, une des raisons de ces succès à l’export. Notre action de soutien aux exportations passe par des efforts de promotion de nos matériels (participation à des salons aéronautiques, exercices, etc.), par des prêts d’équipements, ou par la mise à disposition de moyens et de personnel pour les besoins de développements des standards demandés par les clients étrangers. Tout ceci n’est évidemment pas neutre pour la gestion de l’armée de l’air. Bien sûr, nos prestations contribuent à soutenir notre industrie de défense et les partenariats stratégiques de long terme que l’armée de l’air, et la France, va pouvoir nouer avec les pays acquéreurs. Il est donc nécessaire de donner à l’armée de l’air les ressources lui permettant de le faire. Le point d’attention que j’évoque ici concerne davantage les ressources humaines et « l’épaisseur organique » de la flotte que ses ressources financières, puisque l’essentiel de nos prestations est compensé financièrement.
Ce panorama des activités opérationnelles réalisées par l’armée de l’air dans l’année écoulée me conduit à formuler plusieurs remarques. Premièrement, un constat : cette année encore, nos missions se sont étendues et diversifiées par leurs natures, les zones d’action concernées et leur intensité. Ce sont désormais vingt avions de combat déployés ‒ au lieu des douze prévus dans les contrats opérationnels issus du Livre blanc ‒, quatre bases aériennes projetées au lieu d’une, trois à quatre théâtres d’engagement en permanence au lieu d’un qui constituent la norme de nos engagements dans la durée.
C’est pour cette raison qu’avec le chef d’état-major des armées nous réclamons une augmentation de l’effort de défense pour atteindre 2 % du PIB. Les données opérationnelles que je viens de vous communiquer doivent constituer la base des travaux à venir.
Mon deuxième point est un satisfecit : l’armée de l’air est au rendez-vous de ses missions. Pour faire face à cette situation exceptionnelle, nous nous sommes bien sûr appuyés sur les mesures prises dans le cadre de l’actualisation de la LPM et sur les mesures prises lors du conseil de défense d’avril dernier. Mais nous avons pris aussi de très nombreuses dispositions en interne. Je m’apprête à vous en décrire l’essentiel.
Je commencerai par la mesure la plus visible car il s’agit d’une manœuvre d’optimisation qui s’est déroulée cet été sur trois continents. Nous avons effectivement réorganisé le dispositif de l’aviation de chasse entre le Levant et la bande sahélo-saharienne. Les Mirage 2000D ont ainsi quitté la Jordanie, remplacés par des Rafale. Réciproquement, les Rafale ont quitté l’Afrique, remplacés par un tandem de Mirage 2000D et C à Niamey. Ce rééquilibrage important, est désormais terminé. Il permet d’augmenter la puissance de feu sur le théâtre syro-irakien, grâce aux capacités d’emport du Rafale, de faire souffler les machines et les équipes et équipages de Nancy, qui opèrent avec des Mirage 2000D et qui sont soumis à un rythme opérationnel intense depuis maintenant deux ans (plus de 50 % de leur activité était réalisée en opérations extérieures ; nous étions en train d’épuiser la flotte et les équipages) et de mieux garantir la sécurité des missions au-dessus des zones hostiles du Levant, les deux réacteurs du Rafale apportant un gage de sérénité aux équipages qui survolent des heures durant les zones contrôlées par Daech.
La régénération de nos équipements est un autre domaine, bien moins visible, vers lequel nous avons porté nos efforts, en interne. Je ne vais pas décrire l’ensemble des mesures que nous avons prises. Il s’agit par exemple de l’adaptation des plans de maintenance des Mirage 2000 et des C-130, de l’acquisition de rechanges supplémentaires pour le Rafale, du transfert d’activité vers l’industrie pour absorber la surcharge, du rééquipement d’avions en attente de pièces, de l’augmentation des cadences de visites au service industriel de l’aéronautique (SIAé) – nous avons multiplié par deux les visites de Mirage 2000, mais aussi sur les moteurs de C130 – ou encore de l’amélioration des flux logistiques, du plan d’action M88, etc.
À ce stade de mon exposé, je voudrais faire un focus sur la question du maintien en conditions opérationnelles (MCO) aéronautique, dont la gouvernance a été confiée au chef d’état-major de l’armée de l’air depuis 2015. Ce point me paraît central pour la maîtrise de nos budgets et parce qu’il conditionne l’activité opérationnelle. Aussi, comme le ministre de la Défense et le chef d’état-major des armées, je ne peux me satisfaire de la situation sur certaines flottes critiques que sont l’aviation de transport, les hélicoptères, et les Atlantique 2 (ATL2) en particulier.
Cette situation résulte d’un ensemble de facteurs, parmi lesquels des faits techniques, avec les moteurs d’A400M, dont nous pourrons reparler ; la sévérité des conditions d’emploi en opérations (les hélicoptères Tigre et Caracal pâtissent de l’abrasivité du sable ainsi que des dommages subis au combat) ; la maturité insuffisante de la flotte, notamment des A400M et des NH90 ; des difficultés relevant des ressources humaines, avec des effectifs de mécaniciens taillés au plus juste alors qu’il faut plusieurs années entre le recrutement et la qualification opérationnelle du personnel et que nous observons un écart sensible entre les coûts de maintenance attendus et ceux qui sont constatés sur les équipements neufs ; des délais d’immobilisation excessifs au niveau du soutien industriel ; des stocks de rechanges insuffisamment provisionnés et bien sûr, enfin, l’âge des parcs qui impose des traitements industriels de plus en plus longs.
Je voudrais plus particulièrement insister sur deux points, s’agissant du MCO aéronautique. D’abord, les cycles sont longs et nous n’observerons pas les effets des actions entreprises avant deux ou trois ans. Ainsi, l’évolution du plan recommandé d’entretien du Tigre ne produira ses effets qu’à compter de mi-2017 ; celui du C-130 permettra d’avoir un avion supplémentaire en ligne mais pas avant mi-2017 également. Ensuite, le domaine du MCO aéronautique se caractérise par une très grande hétérogénéité – des flottes, des contrats, des industriels, etc. – et un nombre d’acteurs sans équivalent. C’est la raison pour laquelle l’effort de convergence décidé par le ministre en 2015 est déterminant.
C’est ainsi que, en parallèle du constat sur les flottes « hélicoptère » et « transport », j’observe de bons résultats, en particulier sur les flottes « chasse », malgré les sollicitations très importantes rencontrées par ces flottes, ce qui démontre que nous sommes en bonne voie. Par exemple, la prévision d’activité Rafale a été augmentée de 7 % en 2016 par rapport à la prévision initiale. La disponibilité en opération est désormais au-delà de 90 %, celle en métropole est en augmentation, à près de 60 %. Face à cette situation, j’ai demandé à progresser sur les cinq axes suivants. Premièrement – et c’est le plus important –, faire de la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la Défense (SIMMAD) l’acteur fort et le seul responsable de la performance du MCO aéronautique. Deuxièmement : décloisonner le travail des différents acteurs. Je suis en effet convaincu qu’une des difficultés du MCO aéronautique résulte des « pertes » au passage de relais d’un acteur à l’autre. Pour cette raison, nous avons, par exemple, systématisé, sur les flottes les plus critiques, comme les hélicoptères ou les C-130, un travail en plateau. Troisièmement, j’ai demandé à raisonner « de bout en bout » : depuis le théâtre d’opération jusqu’à l’atelier industriel. Nous faisons, par exemple, un effort en matière de reverse logistics – ou logistique des retours – pour les équipements les plus critiques, ce qui nous a permis de contrôler la crise des moteurs des hélicoptères en BSS (Bande Sahélo-Saharienne). Quatrièmement, avec le directeur de la SIMMAD et l’aide de la direction générale de l’armement (DGA), nous allons doter ce milieu d’un système d’information unique, selon un mode d’acquisition de type programme d’armement : sa mise en place est la condition indispensable à l’obtention à la fois de l’efficacité et de l’unification du domaine. Cinquième et dernier point : j’ai demandé à la SIMMAD, en totale osmose avec la DGA, de renforcer au sein de son organisation, la vision stratégique portée sur chaque flotte afin, en particulier, de distinguer les dimensions « direction stratégique » et « conduite ». Tout ceci est actuellement en place ou en cours de mise en place. La remontée d’activité des flottes aéronautiques s’étale sur l’ensemble des annuités de la LPM. Et c’est en ce sens que la problématique du MCO aéronautique doit continuer de faire partie des enjeux du projet de loi de finances (PLF) pour 2017 que je vais aborder maintenant.
Avant de vous parler des besoins de l’armée de l’air dans le cadre du PLF 2017, je veux évoquer avec vous les réalisations et naturellement la fin de gestion de l’exercice 2016. Nous le savons bien, le budget de l’année prochaine dépend des conditions budgétaires de sortie de l’année en cours. Je note d’abord plusieurs avancées majeures depuis le mois de janvier 2016 et en premier lieu, la signature du contrat d’acquisition de deux avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR). Ces appareils compléteront les capacités offertes par les drones Reaper, par leur réactivité d’emploi et leur souplesse de déploiement. Il s’agit là d’un domaine d’effort capacitaire indispensable au déroulement de nos opérations. Leur livraison est prévue à compter de 2018. Pour la capacité « mobilité des forces », la modernisation des quatorze C-130H a été commandée à l’été 2016 pour rendre, en particulier, les capacités de huit d’entre eux compatibles avec les besoins des forces spéciales. Les livraisons interviendront entre 2019 et 2025. La commande de quatre C-130J neufs, décidée par le ministre de la Défense à la suite de l’actualisation de la LPM vient compléter ces mesures. Pour l’aviation de chasse, la rénovation de cinquante-cinq Mirage 2000D a été décidée pour des livraisons à compter de 2020 – je considère qu’il s’agit d’un minimum pour maintenir le format de l’aviation de chasse au niveau requis par la LPM. Des bombes de 250 kg et des kits de guidage de précision ont été commandés, compte tenu du niveau d’engagement constaté en opérations. Comme je vous l’indiquais, je demeure vigilant sur la fin de gestion 2016 qui nécessite absolument la levée rapide de la réserve de précaution ainsi qu’une parution plus anticipée qu’en 2015 du décret d’avance prenant en charge les surcoûts des opérations extérieures, la rupture de trésorerie devant intervenir, selon nos estimations, au cours de la deuxième quinzaine du mois d’octobre 2016. En fin d’année, sur le plan capacitaire, nous attendons la livraison d’un deuxième système Reaper, composé de trois appareils, avec un vecteur et deux stations au sol à Cognac et deux vecteurs à Niamey. Le troisième système a également été commandé cette année. Je reste attentif à la commande du quatrième d’ici la fin de l’année si nous voulons tenir les objectifs de la LPM. Les livraisons associées sont prévues en 2019. En parallèle, une capacité de simulation doit être livrée mi-2017, à Cognac. Elle permettra de disposer de l’autonomie de formation nécessaire à la montée en puissance de cette capacité indispensable aux opérations.
Les livraisons d’A400M se poursuivent : deux appareils ont déjà été réceptionnés cette année, un troisième est prévu en fin d’année. Ces livraisons porteront à onze la flotte de l’armée de l’air. Sur ce programme, je suis attentif à ce que six appareils au premier standard tactique soient mis à notre disposition d’ici à la fin de l’année, conformément aux engagements de l’industriel. Toutefois, la crise sur les moteurs demeure un point d’attention central.
Enfin, je constate que les statistiques relatives à l’activité sont globalement en hausse par rapport à 2015, d’1 %, soit environ 1 000 heures pour l’armée de l’air. Cette progression masque toutefois une situation contrastée, en raison de la faible disponibilité de la flotte de transport. Si nos équipages de chasse réalisent l’essentiel de cette augmentation (168 heures par pilote et par an, dépassant ainsi les 159 heures inscrites dans la loi de finances), il faut garder à l’esprit que la grande partie de cette activité se déroule en opérations extérieures. C’est dire l’importance pour l’armée de l’air du projet de formation modernisée et entraînement différencié des équipages de chasse (FOMEDEC), auparavant appelé « Cognac 2016 », un projet indispensable sur lequel repose le maintien de nos capacités opérationnelles. Une décision doit être prise avant la fin de l’année.
Sur le plan des ressources humaines, la contribution de l’armée de l’air aux déflations d’effectifs depuis le début de la LPM était de 2 800 personnes fin 2016. Les décisions du conseil de défense d’avril 2016 ont ramené à 2500 suppressions d’effectifs l’objectif de l’armée de l’air sur la durée de la LPM (contre 3 200 prévus en LPM actualisée et 4 515 en LPM initiale), soit 55 % de l’objectif initial. Pour 2017, l’atténuation de la réduction des effectifs bénéficie principalement à la protection de nos emprises (environ 100 fusiliers), aux escadres de combat/MCO (plus de 80 mécaniciens), ainsi qu’au renseignement (25 postes à l’escadron drones : équipages, officiers renseignement et techniciens). Pour ces raisons, et celles que je vous ai décrites à propos de l’importance de nos engagements, les ressources humaines constituent l’une de mes principales préoccupations.
S’agissant maintenant du projet de loi de finances pour 2017, je commence par noter que, dans la LPM actualisée, l’acquisition de nouveaux équipements a été en partie financée par des ressources internes au ministère, dégagées grâce aux marges résultant de l’évolution des indices économiques identifiées à l’issue de leur enquête par l’Inspection générale des finances et le Contrôle général des armées. Par ailleurs, l’effet « coût des facteurs », en particulier lié aux évolutions des prix du carburant, est intégré dans la construction budgétaire. Ceci étant posé, nous poursuivrons nos objectifs de remontée d’activité en 2017, conformément à la LPM actualisée, en prenant en compte la réalité de nos engagements opérationnels. Nous maintenons la trajectoire permettant de retrouver les normes d’activité prévues en fin de LPM. Ainsi, pour 2017, nous prévoyons respectivement 164 heures de vol par pilote de chasse et par an, 191 heures pour les pilotes d’hélicoptères et 267 heures pour les équipages de transport, une prévision d’augmentation liée en partie à nos efforts dans le MCO.
Concernant l’équipement des forces de l’armée de l’air, le PLF 2017 doit permettre de consolider la feuille de route de l’aviation de combat en lançant les commandes des premiers Mirage 2000D rénovés (avec quarante-cinq commandes sur les cinquante-cinq décidées, les dix derniers étant dans une tranche conditionnelle supplémentaire) ; d’améliorer les capacités d’intervention de nos forces avec la commande de quinze nacelles de désignation Talios supplémentaires ; de renforcer la capacité de protection avec la commande du troisième centre ACCS (Air Command and Control System) à Mont-de-Marsan, après ceux de Lyon et de Cinq-Mars-la-Pile. À ce sujet, l’ACCS, système de commandement et de contrôle aérien partagé avec nos alliés de l’Otan, constitue une de mes préoccupations majeures. Je juge que ce système n’est ni encore suffisamment mature ni suffisamment robuste pour satisfaire les exigences de la posture permanente de sûreté aérienne. Compte tenu des difficultés de sa mise au point, il sera nécessaire de prolonger le fonctionnement et le soutien du système actuel STRIDA jusqu’à l’horizon 2021, au lieu de 2018, pour garantir la continuité de la protection de l’espace aérien national. Je suis confiant car l’industriel estime être en mesure de tenir cette échéance, compte tenu des ressources qu’il a affectées au programme et de l’analyse des faits techniques restant à corriger. L’armée de l’air apporte tout son soutien au développement, notamment pour les tests en environnement réel, afin d’assurer le succès du programme malgré ces difficultés. Je signale tout de même la contrainte de maintenir une activité sur le site de Drachenbronn bien au-delà des prévisions. Il en résulte notamment des conséquences en matière de ressources humaines qui aggravent une situation difficile.
En matière de recueil de renseignement électromagnétique, l’intégration d’une charge d’écoute électromagnétique ROEM est prévue d’être commandée en 2016, pour une capacité opérationnelle attendue en 2018.
En ce qui concerne la mobilité, le premier des quatre C-130J neufs sera livré fin 2017 (puis un en 2018 et deux avions disposant d’une capacité de ravitaillement en vol d’hélicoptères en 2019). Pour l’A400M : trois autres appareils doivent être livrés en 2017 et le quinzième en 2018. La LPM actualisée prévoit ensuite une suspension des livraisons jusqu’en 2021.
Pour conclure, et compte tenu de la situation que j’ai décrite, vous comprendrez que j’ai absolument besoin d’une exécution à la lettre de la programmation militaire, amendée par l’actualisation intervenue en 2015, auxquelles sont venues s’ajouter les décisions prises en conseil de défense cette année. À défaut, l’armée de l’air ne pourra pas faire face à l’ensemble des missions qui lui sont demandées. Mais il y a une réalité qui dépasse l’analyse capacitaire derrière les mesures chiffrées du PLF, une réalité que j’aime à qualifier d’« épaisseur », opérationnelle et humaine. L’armée de l’air est tout sauf une abstraction budgétaire ou conceptuelle. Elle n’a de sens qu’intégrée dans les opérations interarmées, au service des ambitions de la France et pour la protection des Français. Par-dessus tout, elle n’a de sens que par celui de l’engagement des femmes et des hommes qui, en son sein, servent la France. C’est sur eux que reposent nos succès en opérations, c’est d’eux que dépend la réussite de notre transformation. J’ai confiance en eux, et je tenais à vous le redire publiquement. En ces circonstances, leurs conditions de travail et de vie font l’objet de toutes mes attentions et sont au cœur de mes priorités. C’est aussi une forme de reconnaissance que nous devons à leur engagement. Et je voudrais terminer sur ce point : la condition du personnel, les familles de nos aviateurs, sont une part intégrante de nos capacités de combat. Je sais que la commission, Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, est de tout cœur avec eux et sera attentive à cette préoccupation. Vous pouvez avoir confiance en eux.
Mme la présidente. Qu’ils soient assurés à leur tour de notre totale confiance. Je laisse maintenant la parole à mes collègues.
M. Christophe Guilloteau. Je voudrais revenir sur plusieurs points. En premier lieu, je vous remercie d’avoir abordé le problème du MCO. Je découvre la complexité de cette problématique, qui laisse entrevoir quelques baronnies… Ensuite, le projet de formation Cognac 2016 importait beaucoup à votre prédécesseur. Avez-vous bon espoir de mener ce projet à bien avec la DGA ? Par ailleurs, nous avons entendu des représentants d’Airbus hier. Je suis perplexe sur l’utilisation complète de l’A400M telle qu’elle avait été prévue il y a très longtemps. Ne rencontrez-vous pas de problèmes d’utilisation ? Enfin, alors que l’armée de terre et la marine déploient une communication intense sur leurs activités, il me semble que l’armée de l’air est plus discrète – trop discrète ? Après avoir vu le travail exceptionnel de nos pilotes en Jordanie, je m’interroge sur cette relative modestie. Est-ce un choix délibéré – faut-il l’imputer aux traditions de l’arme ? – ou s’agit-il d’une recommandation qui vous a été faite ?
M. Jean-Jacques Candelier. Mon général, j’ai deux questions. Alors que le carnet de commandes du Rafale s’étoffe, a-t-on envisagé de renégocier les prix avec le fournisseur, c’est-à-dire l’entreprise Dassault ? Ensuite, en Libye, en 2011, on a utilisé la bombe française MK82 fabriquée dans le nord de la France, par la Société des ateliers mécaniques de Pont-sur-Sambre (SAMP). La SAMP n’a plus reçu de commandes depuis. Pouvez-vous en indiquer les raisons ? Va-t-on obliger cette entreprise, qui compte encore douze à treize salariés, à licencier et à fermer ses portes ?
Mme la présidente. Cette dernière question aurait peut-être dû être posée au délégué général pour l’armement.
M. Philippe Vittel. A-t-on les capacités et les moyens de participer aux opérations d’entraînement internationales, de type Red Flag, cette année ? Qu’en est-il de la participation de la France à la surveillance de l’espace aérien des pays baltes ?
M. Philippe Meunier. Vous avez prévu de procéder à l’achat de nouvelles bombes dans le cadre du projet de loi de finances pour 2017, pour faire face à la diminution de nos stocks. La ligne budgétaire permet-elle le renouvellement intégral des stocks utilisés ces derniers mois ? Pouvez-vous nous rappeler les chiffres que vous avez mentionnés tout à l’heure concernant les effectifs dans la loi de programmation militaire actualisée ? Enfin, pouvez-vous nous donner quelques indications sur l’usure de nos avions, alors que vous avez dépassé le contrat opérationnel ?
Général André Lanata. Concernant la communication de l’armée de l’air, nous n’en sommes pas les seuls acteurs. Par ailleurs, comme vous le savez, en opérations extérieures la communication est parfois restreinte à la demande des pays d’accueil de nos appareils. FOMEDEC reste un dossier extrêmement important pour moi. Je rappelle que l’idée de départ reposait sur la nécessité d’une modernisation de la formation de nos pilotes de chasse. Il s’agit en effet de familiariser les jeunes pilotes à la manipulation de systèmes d’armes modernes, ce que l’Alphajet, que nous exploitons sur la base aérienne de Tours, ne permet plus de garantir. FOMEDEC articule aussi la transformation et de multiples dimensions de la LPM pour l’armée de l’air. Il est notamment source de gains de MCO. Il comprend également une dimension ressources humaines importante puisque l’arrêt de l’activité des Alphajet à Tours et la fermeture de cette plateforme aéronautique constitueront un gain d’environ 300 personnes. Enfin, il porte le principe d’un deuxième cercle de pilotes permettant une économie importante d’heures de vol puisque ces 50 pilotes réaliseront 140 heures de vol par an sur les 180 de leur enveloppe annuelle sur ce nouveau type d’appareil au lieu de les réaliser sur avion de chasse. Grâce aux capacités de simulation embarquée, cette disposition permettra d’économiser 7 000 heures de vol d’avions de combat, et d’atteindre un niveau d’activité indispensable au maintien des capacités et savoir-faire opérationnels. Ce projet a donc de multiples dimensions ce qui justifie son entrée en service dans les meilleurs délais.
Aujourd’hui, le projet a pris du retard. Au départ, nous étions partis pour un partenariat public-privé (PPP) pour le financer. Le ministère a finalement renoncé, privilégiant un leasing court ; le délai d’instruction ayant conduit à cette nouvelle solution explique le décalage de la contractualisation. Une décision avant la fin de l’année est d’autant plus nécessaire que le projet sous-tend de nombreux équilibres du système de combat et des lignes budgétaires de l’armée de l’air. La balle est actuellement dans le camp de la DGA dans l’attente de la désignation du prestataire.
Concernant l’A400M, la situation n’est pas bonne. L’an dernier, les préoccupations se concentraient sur la transformation de cet appareil en un avion de combat disposant de véritables capacités tactiques. Il y a eu une discussion entre le ministère et l’industriel, lequel s’est engagé à nous livrer avant fin 2016 six appareils au premier standard tactique. J’attends donc le 31 décembre pour dresser un bilan et j’ai bon espoir que l’industriel tiendra cet objectif.
Mais aujourd’hui, la principale préoccupation s’agissant de ce dossier est celle de la crise des moteurs, qui induit de mauvais taux de disponibilité de nos flottes, avec des répercussions sur l’entraînement de nos équipages et sur nos capacités opérationnelles. L’industriel s’est engagé à mettre en place une solution intermédiaire d’ici au printemps 2017. Dans cette attente nous sommes contraints de faire des visites régulières et exténuantes pour le personnel mécanicien, du fait du délai de revisites imposé par les instances de certification. En effet, les moteurs doivent d’abord être révisés au bout de 60 heures et, ensuite, toutes les 20 heures, ce qui représente seulement l’équivalent d’un aller-retour au Moyen-Orient.
M. Candelier, concernant la renégociation des prix du Rafale et la fabrication des corps de bombes, ces deux questions relèvent davantage du délégué général pour l’armement que du CEMAA. Nous avons commandé aujourd’hui 180 avions dans le cadre des contrats Rafale. 28 n’ont pas encore été livrés et la reprise des livraisons doit intervenir dès 2021, après les quatre années blanches prévues par la LPM.
Au sujet des corps de bombe, nous n’avons effectivement plus de capacité industrielle dans notre pays. Peut-être qu’aujourd’hui, au moment où notre consommation augmente, il serait intéressant de se reposer la question d’une capacité de production nationale. S’agissant des kits de guidage, ils sont acquis soit aux États-Unis pour les GBU, soit en France pour les armements air sol modulaires (AASM), réalisés par Safran.
Au sujet de la mission de police du ciel en Lituanie, quatre de nos avions Mirage y sont affectés. Ils réalisent en ce moment de nombreuses interceptions d’avions russes, volant en limite de l’espace aérien des pays baltes. Cette mission est prévue jusqu’au 31 décembre 2016, date à laquelle nous serons relevés par les Pays-Bas, puisqu’il s’agit d’une mesure de réassurance prise dans le cadre de l’OTAN.
Général Jean Rondel, sous-chef activités. Les exercices internationaux sont essentiels car si nos équipages acquièrent une expérience opérationnelle extraordinaire en OPEX, il nous faut maintenir des capacités spécifiques, par exemple de force d’entrée en premier, auxquelles ils ne s’exercent pas quotidiennement. C’est pour cette raison que notre participation à des exercices internationaux doit être maintenue. Nous menons par ailleurs des entraînements avec nos alliés aux Émirats arabes unis, où nombre de nations occidentales sont présentes. Nous participons ainsi par exemple aux exercices ATLC (Advanced Tactical Leadership Course), avec nos équipages déployés sur place et d’autres déployés depuis la France pour des périodes très courtes. Par ailleurs, nous organisons des exercices avec nos alliés américains et britanniques dans le cadre d’exercices trilatéraux.
Toutefois, il faut le reconnaître, le rythme des opérations nous conduit parfois à annuler certains exercices, qui offrent pourtant la garantie de maintenir notre armée de l’air au meilleur niveau.
Général André Lanata, chef d’état-major de l’armée de l’air. S’agissant des commandes de munitions aéronautiques, le remplacement des munitions tirées en opérations est couvert au titre du décret d’avance OPEX (96 millions en 2016). De plus, tenant compte de l’intensité de nos engagements actuels, des efforts supplémentaires ont été consentis en LFI 2016 (102 millions d’euros), puis lors du conseil de défense d’avril 2016 (256 millions d’euros supplémentaires de commandes sur la période 2016-2017). Les dispositions correspondantes ont été inscrites dans le budget 2017. Il faudra s’assurer qu’elles le soient de la même manière les années suivantes dans la mesure où elles n’ont pas été traduites dans une loi de programmation.
Concernant les exercices, j’ajouterai qu’il est évident que compte tenu du niveau d’activité que j’ai évoqué, nous sommes plus sélectifs et nous nous concentrons sur les exercices du plus haut niveau, centrés sur le maintien des savoir-faire que nous n’utilisons pas en opérations quotidiennement.
Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie pour votre présentation très complète.
La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.
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Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Patricia Adam, Mme Sylvie Andrieux, M. Olivier Audibert Troin, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-Jacques Candelier, M. Jean-David Ciot, M. David Comet, M. Christophe Guilloteau, M. Jean-François Lamour, M. Philippe Meunier, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin
Excusés. – Mme Danielle Auroi, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Laurent Cathala, Mme Catherine Coutelle, M. Guy Delcourt, Mme Carole Delga, M. Nicolas Dhuicq, Mme Geneviève Fioraso, M. Yves Foulon, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Serge Grouard, M. Francis Hillmeyer, M. Éric Jalton, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Frédéric Lefebvre, M. Bruno Le Roux, Mme Lucette Lousteau, M. Damien Meslot, M. Jean-Claude Perez, M. Eduardo Rihan Cypel, M. François de Rugy
Source: Assemblée nationale