M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur les opérations extérieures de la France, suivi d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution.
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées, monsieur le ministre de la défense, monsieur le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales, mesdames, messieurs les députés, dans un monde marqué par l’instabilité, les menaces, la France, parce qu’elle est une grande puissance, assume ses responsabilités, notamment militaires, en engageant ses forces armées.
Alors que je prends la parole devant vous, je veux d’abord exprimer en notre nom à tous la gratitude et le respect que nous devons à nos soldats. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.) Sur tous les théâtres d’opérations, au Levant, dans la bande sahélo-saharienne, en Centrafrique, des militaires français sont morts pour le France ces trois dernières années ; d’autres ont été blessés ; certains sont encore sur leur lit de douleur car quand la France répond présent militairement, ce sont nos soldats qui en assument les risques.
Avec le Président de la République, avec Jean-Yves Le Drian, nous mesurons la gravité de ce que nous demandons aux jeunes Français qui s’engagent. Quand la France se bat pour les valeurs démocratiques et universelles, ce sont eux qui sont en première ligne.
En Jordanie, au Niger, au Tchad, au Mali, au Sénégal, j’ai pu, en compagnie du ministre de la défense, leur dire, comme il le fait régulièrement, combien la Nation comptait sur eux, combien elle était fière d’eux et des différentes opérations extérieures qu’ils mènent.
À trois reprises au cours des trois dernières années, votre assemblée a approuvé le déploiement des forces françaises. En avril 2013, par votre vote, vous avez confirmé la décision du chef de l’État de déployer la force Serval au Mali. Après les attaques terroristes de janvier 2015, vous avez également autorisé nos armées à poursuivre leur intervention en Irak contre l’État islamique – une intervention décidée en septembre 2014 par le Président de la République, à la demande du gouvernement irakien, je veux le rappeler. Enfin, en novembre dernier, au lendemain des attentats de Saint-Denis et de Paris, vous avez approuvé l’extension de nos opérations aériennes à la Syrie.
Avec, mesdames et messieurs les députés, à chaque fois le même objectif, à chaque fois la même détermination : combattre les groupes djihadistes qui depuis leurs sanctuaires nous ont déclaré la guerre, une guerre rampante, lâche, sournoise, qui frappe de manière aveugle, là-bas et sur notre sol. La France – elle n’est bien sûr pas la seule – est visée parce qu’elle est la France ! Parce qu’elle incarne aux yeux de monde cette part d’universel !
L’ennemi que nous devons affronter, nous ne le découvrons pas. C’est un ennemi redoutable. Il frappe depuis plusieurs décennies dans le monde arabo-musulman et en Afrique. Il s’est organisé au Levant sous la forme d’un proto-État, capable de mobiliser des ressources financières, de lever une armée de terroristes, d’étendre son emprise barbare.
Il recrute y compris jusqu’au cœur de notre société. Il ne connaît pas de frontières, et encore moins dans le cyberespace, devenu un vaste terrain d’embrigadement, de recrutement et de préparation des attaques.
Nous avons changé d’époque. Notre monde n’a plus le même visage. Depuis le 11 septembre 2001, depuis ce jour terrible que personne n’avait vu venir, la terreur djihadiste s’est diffusée partout, depuis l’Europe jusqu’en Asie. Elle est aujourd’hui, sans aucun doute, le plus grand péril pour nos démocraties.
L’inaction n’est pas une option. Et donc, la France agit. Contre les groupes djihadistes, elle marque des points, elle agit efficacement, et d’abord au Mali.
Au Mali, coude à coude avec l’armée malienne, à la demande des autorités maliennes, à la demande du président intérimaire Traoré, avec le soutien de l’Union africaine et des Nations unies, nous avons empêché le basculement dans le chaos de ce pays avec lequel nous entretenons des liens si privilégiés. La décision audacieuse et courageuse du Président de la République a évité la création d’un bastion djihadiste.
Nous savons que le chemin de la stabilité du pays est encore long. La sécurisation du Nord est lente à intervenir. Le processus de réconciliation nationale tarde à se concrétiser même si des progrès sont intervenus récemment – et nous connaissons l’engagement du président Ibrahim Boubacar Keïta. Nous savons cependant que les groupes terroristes continuent de déstabiliser la région du Sahel et portent leurs menaces au-delà. Tous ces groupes qui se financent grâce à des trafics divers et aux filières clandestines de migrants peuvent encore frapper violemment.
La France restera engagée tant que la menace djihadiste continuera de peser sur le destin de ce pays et de cette région car quel message enverrions-nous si nous envisagions un départ ou même une réduction de notre effort ? Nous n’avons pas le droit d’abandonner nos frères africains au moment où précisément ils ont le plus besoin de nous pour consolider des équilibres encore fragiles. Le Président de la République aura l’occasion à Bamako, en janvier prochain, lors du sommet Afrique-France, de redire notre solidarité à l’Afrique.
Mesdames et messieurs les députés, avec l’opération Barkhane – 4 000 hommes déployés au Sahel sur un territoire aussi vaste que le continent européen –, nous voulons empêcher les groupes terroristes de reconstituer un sanctuaire. Nous aidons les forces régionales, celles des pays du G5 Sahel, à remonter en puissance. Tous les jours, nos soldats patrouillent avec leurs camarades africains, au Mali et au Niger en particulier. Nous accompagnons également nos partenaires internationaux – je pense à la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies, la MINUSMA, comme à celle de l’Union européenne, l’European Training Mission, l’EUTM Mali.
Au Cameroun, au Nigeria, au Tchad, les crimes de Boko Haram font planer un risque de déstabilisation qui appelle notre très grande vigilance.
En République Centrafricaine, l’engagement de la France a permis de mettre un terme à des violences qui menaçaient de dégénérer en une guerre civile confessionnelle, avec son cortège d’atrocités. Trois ans après le lancement de l’opération Sangaris dont nous savons qu’elle fut difficile et éprouvante pour nos soldats, et à quelques jours de sa clôture officielle, nous passons le témoin aux Nations unies et à l’Union européenne. Mais nous resterons engagés à leurs côtés pour œuvrer dans la durée à la stabilité de la RCA.
N’oublions pas l’action de notre marine nationale dans le Golfe de Guinée pour lutter contre la piraterie maritime, cet autre fléau contre lequel la France s’engage.
Je veux le dire avec force ici : sans l’action de la France, une partie du continent africain aurait complètement basculé,…
M. François Loncle. Exact !
M. Manuel Valls, Premier ministre. …comme plusieurs chefs d’État africains l’ont rappelé avec gratitude à Jean-Yves Le Drian, à Lomé, au Togo, en début de semaine.
Nous aurions assisté à des massacres de masse. Nous aurions aujourd’hui un califat au cœur de l’Afrique, de cette Afrique où nous avons tant de nos ressortissants, de cette Afrique où se joue une part du destin de l’Europe, de cette Afrique avec qui nous devons, nous Européens, nous Français, construire un partenariat ambitieux pour la sécurité, pour des migrations contrôlées, pour le développement.
Autre région où nous intervenons : l’Irak et la Syrie. Là-bas, même s’il ne faut pas être naïf, même s’il faut être lucide, Daech recule.
La France est un partenaire majeur de la coalition en Irak, le deuxième en termes de frappes, même si nous savons quelles sont les proportions. Depuis le début de nos opérations, plus de 900 frappes ont été opérées par nos chasseurs, pour l’essentiel en Irak. Nous agissons toujours en conservant notre autonomie d’appréciation sur le choix des cibles.
La bataille de Mossoul, qui vient de s’engager, est un enjeu symbolique bien sûr, mais aussi stratégique. Il faut tout faire pour épargner des souffrances aux populations civiles. Il faut donc organiser l’aide et la France y prendra toute sa part. Il faut aussi réfléchir aux conditions de l’administration de la ville et de sa région après sa libération. C’est l’objet de la réunion ministérielle que la France accueillera demain à Paris, à l’initiative de Jean-Marc Ayrault, et que le Président de la République ouvrira.
Cette bataille sera longue, difficile, certainement très meurtrière, car libérer une ville de deux millions d’habitants, aux mains des djihadistes depuis juin 2014, ne sera pas – passez-moi l’expression – une mince affaire. Les Irakiens sont prêts. Ils ont montré leur détermination et sont engagés depuis de longs mois dans une dynamique de reconquête : Sinjar, Ramadi, Baïji, Falloujah, Qayyarah, toutes ces villes qui étaient aux mains des djihadistes ont été depuis reconquises.
C’était le rôle de la France de répondre, en 2014, à l’appel des Irakiens et de prendre part à une coalition de plus de soixante pays, avec notamment nos alliés du Proche-Orient.
Nous pouvons compter sur le courage de nos militaires de l’opération Chammal. Tous les jours, ils sont engagés dans des opérations aériennes à haut risque, engagés tous les jours pour former et conseiller les forces irakiennes et les Peshmergas. Je veux saluer le courage de ces combattants, femmes et hommes, qui sont pour nous tous les visages du combat pour la liberté.
Au moment où débute la bataille de Mossoul, la France continue d’assumer ses responsabilités, en renforçant notre dispositif en appui des forces irakiennes.
Il y a d’abord le groupe aéronaval déployé en Méditerranée orientale. Il y a également une batterie d’artillerie et 150 hommes déployés au sud de Mossoul avec nos alliés américains. Jean-Yves Le Drian en avait d’ailleurs informé vos commissions le 26 juillet dernier et je veux, devant vous, une nouvelle fois, lui rendre hommage, rendre hommage à son action, à sa détermination, à sa compétence unanimement reconnue par nos armées et par ses pairs. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)
Mossoul est une première étape, très difficile. Et la tâche ne sera pas achevée. Il faudra ensuite, en Syrie, appuyer les forces insurgées – celles qui combattent à la fois le régime de Bachar el-Assad et Daech ; je pense en particulier aux Kurdes. Il faudra aussi, à condition qu’il y ait une volonté, tenter de reconquérir Raqqa, cette pseudo-capitale de l’État islamique, d’où partent aussi les ordres visant à frapper l’Europe et la France.
Le 25 octobre prochain, à Paris, se tiendra une réunion des treize pays militairement les plus impliqués, sous la présidence conjointe de Jean-Yves Le Drian et de son homologue américain, Ashton Carter.
Vous le voyez, le 25 octobre ou demain, la France est là : elle prend l’initiative et est présente pour essayer de déterminer le destin de cette région qui compte tant pour nous et pour l’Europe.
Combattre Daech, c’est aussi pour la France, nous y reviendrons, agir en Libye. L’État islamique a été évincé de son fief de Syrte. Mais nous savons le danger que représente la dissémination des djihadistes dans le reste du territoire libyen et dans les pays voisins, en particulier en Tunisie. C’est pourquoi, même si la France ne mène pas en Libye une opération extérieure, elle y conduit une action de soutien et d’observation.
La difficulté, c’est que tout reste à reconstruire dans ce pays, car disons-le, nous n’avons pas su anticiper les conséquences de la chute du régime de Khadafi lorsque nous sommes intervenus – sans doute à juste titre – en 2011. Nous devons donc redoubler d’efforts pour que le gouvernement d’entente nationale puisse véritablement rassembler toutes les forces politiques libyennes. Et nous savons l’importance de la Libye en Méditerranée, s’agissant en particulier de la question des flux migratoires.
Mesdames, messieurs les députés, nos soldats sont mobilisés à l’extérieur, mais je ne voudrais pas que le débat d’aujourd’hui passe sous silence les autres engagements de nos armées sur le territoire national, avec les 7 000 femmes et hommes de l’opération Sentinelle. Il y a un continuum géographique de la menace. Il y a donc un continuum géographique d’action pour nos forces militaires. Elles contribuent, avec les forces de sécurité intérieure, avec nos services de renseignement, avec notre justice, à protéger nos concitoyens. C’est notre priorité.
Ce sont des missions inhabituelles pour ces militaires, aujourd’hui appelés à patrouiller dans nos rues, à surveiller nos bâtiments publics, nos axes de transports, mais ce sont des missions essentielles que demandent nos concitoyens.
Le combat contre le djihadisme sera long. Il ne sera pas seulement militaire, mais jamais nous ne transigerons avec la sécurité de la Nation, en France comme sur les théâtres extérieurs. Jamais nous ne priverons nos forces intérieures – police et gendarmerie – des moyens humains et matériels nécessaires. Et l’effort engagé depuis 2012 devra se poursuivre. Jamais nous ne priverons nos armées des moyens indispensables pour assumer leurs missions sur notre sol et le coût de leurs engagements hors de nos frontières. En 2016, le surcoût des opérations extérieures dépassera le milliard d’euros pour le budget de la défense et il sera compensé conformément au mécanisme prévu, madame la présidente de la commission, par la loi de programmation militaire.
C’est aussi la raison pour laquelle le Gouvernement réalise autant d’efforts pour la défense. Et parce que les menaces vont persister, parce que le contexte géopolitique demeurera lourd d’incertitudes, nous devrons, je l’ai déjà dit, poursuivre l’accroissement du budget de la défense avec l’objectif de le porter à 2 % du produit intérieur brut.
Cet effort budgétaire doit être aussi celui des pays européens. Dès le lendemain des attentats de janvier 2015, la France a fait appel à la solidarité de ses partenaires, par l’invocation de la clause de solidarité prévue par le traité de l’Union européenne, l’article 42-7. La plupart d’entre eux ont répondu à notre appel et nous les avons remerciés de cet engagement à nos côtés.
Aujourd’hui, face aux menaces qui pèsent sur elle, l’Europe est au pied du mur. Elle doit mettre les enjeux de sécurité et de défense au cœur de ses priorités.
Parce qu’aucun membre de l’Union européenne ne peut s’estimer à l’abri, parce qu’aucun ne peut s’exonérer de la responsabilité que nous tous, collectivement, avons à l’échelle du monde, nous devons renforcer l’effort de défense européen.
Nous devons enfin donner sa consistance à une véritable Europe de la défense. Bien sûr, la souveraineté nationale doit être profondément respectée, mais je le dis tout net : face aux menaces au sud de la Méditerranée, la France ne peut être la seule à assumer ses responsabilités et à assumer, comme l’a dit Jean-Claude Juncker, « pour les autres » la défense de l’Europe. Afin de construire son autonomie stratégique, l’Europe doit être capable d’intervenir à l’extérieur de ses frontières, de projeter des forces européennes. Le Fonds européen dévolu à la défense et à la sécurité, demandé par la France et annoncé par la Commission, sera l’un des instruments pour que l’Europe se dote de toutes les capacités militaires et des ressources industrielles nécessaires.
L’Europe doit aussi être capable de renforcer son efficacité opérationnelle en apportant son appui au déploiement rapide des missions et opérations militaires de l’Union européenne. Nous assumons une responsabilité, nous avons notre autonomie, la France continuera bien sûr à conduire ses propres opérations, mais l’Europe doit s’engager et doit assumer ses responsabilités.
Mesdames et messieurs les députés, pour faire reculer Daech, nous avons fortement engagé nos moyens militaires ; je viens de les évoquer : plus de 4 000 hommes au Sahel, plus de 4 000 hommes au Levant, issus de toutes nos armées, de terre, de l’air, de la marine.
Cette guerre contre Daech, nous allons la gagner : il faut la gagner. Mais soyons lucides : ces victoires ne signifieront pas que nous en aurons terminé avec le terrorisme djihadiste.
Les racines du fondamentalisme demeureront. Les bouleversements stratégiques au Sahel, au Levant, sur le pourtour de la Méditerranée, en Orient, continueront de mettre à l’épreuve les États, de contester les frontières, de provoquer les ingérences extérieures, d’aiguiser les appétits de puissance, de pousser vers les routes d’Europe des cohortes de réfugiés, de mettre en danger les minorités religieuses d’Orient installées là depuis des siècles et aujourd’hui martyrisées : je pense aux chrétiens d’Orient et aux yézidis, qui méritent notre solidarité. Il faut que nous puissions les accueillir, quand ils le demandent, dans les meilleures conditions.
La Syrie, comme d’ailleurs le Yémen, est le précipité de toutes ces fractures qui déchirent l’Orient : la rivalité multiséculaire entre chiites et sunnites qui se réveille, si elle s’est jamais assoupie ; la résurgence de l’aspiration nationale kurde ; les luttes d’influence entre puissances régionales sunnites pour asseoir une domination sur le monde musulman sunnite. Et le jeu russe, bien entendu, qui tire profit de l’abstention ou du retrait américains pour retrouver sa puissance et son influence au Moyen-Orient, en renouant – quel qu’en soit le prix – avec une politique de brutalité et en soutenant à bout de bras le régime de Bachar el-Assad.
Au Levant, la France avec sa diplomatie s’engage pleinement car elle parle à tout le monde ; je dis bien « à tout le monde », car c’est peut-être elle qui connaît le mieux cette partie du monde et sa complexité.
Parler à tout le monde, c’est avoir une diplomatie active avec les grands pays sunnites de la région : Turquie, Arabie saoudite, Égypte, États du Golfe. Sans ce dialogue direct avec les pays sunnites, nous savons que les fractures peuvent s’aggraver en Orient.
Nous avons bâti avec plusieurs d’entre eux des partenariats stratégiques. Et nous devrons encore les approfondir car l’avenir du Moyen-Orient ne peut se construire sans une relation forte de la France avec ces pays. C’est cette relation forte qui nous permettra de lutter plus efficacement contre le financement direct ou indirect de la propagande salafiste…
M. Claude Goasguen. Indirect !
M. Manuel Valls, Premier ministre. …qui est le ferment de la radicalisation et du basculement dans le terrorisme.
Parler à tout le monde, c’est aussi, comme nous l’avons fait, renouer avec l’Iran car il est une grande puissance de la région ; la France veut avec l’Iran un dialogue politique franc et une relation bilatérale à nouveau dynamique.
Parler à tout le monde, c’est agir au Conseil de sécurité pour sauver Alep, pour arracher une trêve, pour garantir l’accès de l’aide humanitaire, comme le fait avec tant de détermination le ministre des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault – et je veux aussi saluer devant vous son action.
Parler à tout le monde, c’est aussi parler à la Russie…
M. Philippe Vigier. Très bien !
M. Manuel Valls, Premier ministre. …comme le fera ce soir le Président de la République à Berlin, comme nous le faisons sur l’Ukraine depuis deux ans, dans le cadre du format de Normandie.
Je l’ai dit devant vous il y a quelques jours : la Russie est une grande nation ; nous avons avec elle une longue histoire, tant d’affinités, tant d’intérêts communs. La France sera toujours prête à travailler avec la Russie dès lors qu’il s’agira de faire avancer la paix, de lutter contre le terrorisme, d’œuvrer ensemble à une véritable transition politique en Syrie. Parce que nous nous connaissons, parce que nous nous respectons, il faut avancer ensemble.
Parler à tout le monde, ce sera engager tout de suite le dialogue avec la nouvelle administration américaine dès sa prise de fonction. Les États-Unis n’ont pas suivi la France à la fin de l’été 2013, lorsque le président Barack Obama a finalement décidé de ne pas intervenir, alors que le Président de la République le lui proposait, pour tirer les conséquences de l’utilisation par le régime syrien des armes chimiques contre sa propre population.
Nous attendons de notre partenaire américain qu’il soit pleinement engagé et déterminé à peser de tout son poids pour relancer enfin une solution politique à la tragédie que vit la Syrie.
Mesdames, messieurs les députés, dans un monde incertain, face à la menace terroriste, la France assume ses responsabilités. Elle engage – et ce sont les décisions du Président de la République – fortement ses armées. Et elle continuera de le faire à chaque fois que sa sécurité, que ses intérêts seront en cause ; chaque fois que la sécurité du monde est en jeu.
Nous avons cru, peut-être, que la guerre était derrière nous. La fin des deux blocs avait laissé penser à un équilibre durable.
La vérité est tout autre. Des grandes nations expriment à nouveau leur volonté d’influence. La fin de l’histoire, annoncée il y a vingt ans, n’est pas advenue. Au contraire, la part tragique de l’histoire est de retour – d’une histoire qui s’accélère.
M. Pierre Lellouche. C’est juste.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Et parce que nous sommes une grande nation, nous devons être là : agir, peser, faire entendre notre voix. Nos armées ont besoin de sentir que la Nation est rassemblée derrière elles.
M. Claude Goasguen. La police aussi !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Je ne doute pas que le débat qui va suivre en donnera la preuve.
Mesdames et messieurs les députés, soyons plus que jamais unis, rassemblés derrière nos forces. Car cette unité, ce rassemblement, c’est cette force indivisible qui fera que nous, la France, le pays de la liberté, le pays de l’universel, aux côtés de nos alliés, contre les ennemis de la liberté, nous vaincrons. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. Philippe Folliot. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.
M. Pierre Lellouche. Monsieur président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, madame et messieurs les secrétaires d’État, mesdames les présidentes des commissions des affaires étrangères et de la défense, en prenant la décision de déployer plusieurs centaines de soldats français au sol en Irak, avec notamment une batterie d’artillerie équipée de canons CAESAR qui doit servir à la prise de Mossoul, non seulement vous avez mis le doigt dans un engrenage dangereux, dans une guerre de religion entre sunnites et chiites et dans une guerre par procuration entre Turcs, Iraniens et Saoudiens que vous ne contrôlez pas, mais vous avez aussi violé la Constitution. La transformation de l’opération Chammal, intervention désormais terrestre autant qu’aérienne, aurait dû vous amener à appliquer l’article 35 de la Constitution : obligation d’information du Parlement et obligation, dans les quatre mois qui suivent, de demander l’autorisation du Parlement par un vote. Or si l’on peut considérer que l’information a effectivement été donnée en juillet dernier, le vote, lui, n’aura pas lieu, puisque vous avez choisi de recourir à l’article 50-1 de la Constitution, qui vous en exonère. Ce débat essentiel – à savoir : que fait la France en Irak ? quelle est notre politique pour l’après-Mossoul ? quels sont les risques d’engrenage ? – ne sera pas sanctionné par un vote de la représentation nationale.
Pourtant, un tel débat aurait pu être l’occasion de nous interroger sur les buts que vous poursuivez, y compris s’agissant de nos relations avec la Russie – dont vient de parler le Premier ministre. Le président russe, Vladimir Poutine, a été menacé par son homologue français, il y a quelques jours à peine, de poursuites devant la Cour pénale internationale pour les bombardements à Alep, où résident 300 000 civils.
M. Claude Goasguen. C’est invraisemblable !
M. Pierre Lellouche. Mais alors, que dire des bombardements de Mossoul, où résident près de 2 millions de personnes, bombardements auxquels nous participons dans les airs et désormais au sol ; et que dire des bombardements de Sanaa par nos amis saoudiens ?
Ce débat aurait pu aussi être l’occasion de nous interroger sur les moyens financiers mis à la disposition de nos armées. Jamais, en tout cas, l’armée française n’aura été autant employée par ceux qui ne l’auront jamais autant désarmée. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
L’occasion, encore, de nous interroger sur notre politique au Sahel et au Moyen-Orient, à laquelle plus personne ne comprend rien : nous nous contentons de suivre chaque zig et chaque zag de la politique américaine.
M. Claude Goasguen. Très bien !
M. Pierre Lellouche. Mais pendant que nous faisons semblant d’en débattre ici, à raison de dix minutes par groupe, je note que le Président de la République, lui, soigne les journalistes, …
Mme Marie Récalde. Cela n’a rien à voir !
M. Pierre Lellouche. …au point de leur confier, des dizaines d’heures durant, les détails les plus secrets de nos actions diplomatiques et militaires. Tout cela se retrouve aujourd’hui sur la place publique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Meunier. Bravo !
M. Claude Goasguen. Très bien !
M. Pierre Lellouche. Comment peut-on imaginer, monsieur le Premier ministre, que le Président de la République, chef des armées, s’installe dans le rôle d’un commentateur, en temps réel, de ses décisions les plus secrètes en matière d’emploi de la force, décisions qu’il confie à des journalistes, comme il leur communique par le menu le contenu de ses conversations avec les présidents Obama et Poutine, son analyse détaillée de leur psychologie, ses propres « tourments intérieurs » ? Qu’il les fasse même assister, en direct, à un échange téléphonique avec le Premier ministre grec ? Comment imaginer que le Président leur confie le ciblage des bombardements français sur des objectifs en Syrie et que ces documents ultra-confidentiels soient fuités aux journalistes, puis publiés dans leur journal ? Comment imaginer que le Président leur détaille les conditions de libération des otages par nos forces spéciales, qu’il leur précise que la France paie des preneurs d’otage, directement ou indirectement ? Qu’il leur confie qu’il a lui-même ordonné l’assassinat de plusieurs terroristes identifiés, dans le cadre des fameuses opérations « homo » – je cite : « J’en ai décidé quatre au moins » ?
M. Claude Goasguen. Et ça, ça ne relève pas de la Cour pénale internationale ?
M. Pierre Lellouche. La liste des personnes ciblées est même passée aux journalistes. Mes chers collègues, les bras m’en tombent !
« La France est en guerre », a dit lui-même le Président de la République, le 16 novembre 2015, devant le Congrès, à Versailles. Nous sommes en état d’urgence, état que nous avons prorogé ici même, à quatre reprises. Nous avons eu 250 morts et 800 blessés. Près de 20 000 de nos soldats sont engagés, tant sur le sol national que sur plusieurs théâtres d’opération à l’étranger, qui, tous, peuvent avoir des conséquences graves pour la sécurité de la France. Dans de telles conditions, il est insupportable que le Président de la République, dans l’exercice de ses fonctions, viole ainsi ouvertement l’obligation de secret qui pèse sur les décisions les plus sensibles qu’il doit prendre en tant que chef des armées.
Comment ne pas voir, dans ces confidences, bien plus qu’un effondrement de la fonction présidentielle, un manquement caractérisé aux devoirs du Président de la République, chef des armées, « manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », selon les termes de l’article 68 de la Constitution ?
M. Claude Goasguen. Absolument !
M. Pierre Lellouche. Autant de telles révélations seraient compréhensibles dans des mémoires rédigées dix ou vingt ans après les faits par un Président qui aurait quitté depuis longtemps le pouvoir, autant elles sont proprement intolérables, et même dangereuses, alors que la France est en guerre et que le Président est le chef des armées ! On sait que Mme Clinton est aujourd’hui critiquée, et même menacée de poursuites, pour avoir utilisé son adresse électronique alors qu’elle était à la tête du département d’État. Pour moi, je vous le dis avec beaucoup de gravité, monsieur le Premier ministre, la question de l’application de l’article 68 de la Constitution est désormais posée. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. Claude Goasguen. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot.
M. Philippe Folliot. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de la défense, messieurs les secrétaires d’État, madame la présidente de la commission de la défense, mes chers collègues, depuis le début du quinquennat, les députés du groupe de l’Union des démocrates et indépendants ont soutenu sans réserve le Président de la République et le Gouvernement chaque fois que l’intérêt de la France était en jeu, dans un esprit de responsabilité et d’union nationale – je voudrais à ce propos saluer, monsieur le Premier ministre, la tonalité de votre discours, discours d’unité, de rassemblement et de responsabilité, dans un contexte qui, comme l’a rappelé notre collègue Pierre Lellouche, nous interpelle de plusieurs façons. Ce soutien, nous l’avons manifesté pour les interventions au Mali et en Centrafrique ; ce fut encore le cas pour le lancement de l’opération Chammal en Irak, ainsi que pour les frappes aériennes en Syrie.
Nous tenons à saluer le professionnalisme de nos hommes, leur courage et leur abnégation. Nous rendons hommage à ceux sont tombés au champ d’honneur, et nous soutenons nos hommes blessés, ainsi que leurs familles, dont le sacrifice est immense.
Cet engagement de nos troupes, c’est avant tout l’engagement de la France, sous mandat des Nations unies, pour la défense de la démocratie et de la liberté, et pour combattre le terrorisme et la barbarie qui menacent nos valeurs et la sécurité de nos concitoyens.
Nous devons cependant être conscients que, malgré l’atout que représente la troisième dimension, un conflit se règle toujours, in fine, au sol, comme en témoigne la bataille qui se livre actuellement pour reprendre Mossoul à Daech, et dans laquelle les forces irakiennes sont en première ligne, en partie formées, entraînées et accompagnées par des forces françaises, que nous saluons pour leur courage et leur efficacité.
Monsieur le Premier ministre, une question se pose : au regard de l’article 35 de la Constitution, cette présence, de par sa nature, ne justifierait-elle pas un débat, puis un vote spécifique, quatre mois après, au Parlement ?
En outre, dans la guerre globale que nous devons mener, il est essentiel que nous puissions nous adapter rapidement à l’évolution des menaces. Face aux dangers – par nature volatiles, de par leur fulgurance et leur radicalité –, il est indispensable d’anticiper davantage notre action grâce au renseignement, tant en opérations extérieures que sur notre sol. En effet, le continuum défense-sécurité est de plus en plus prégnant ; mes différents déplacements sur les théâtres d’opérations extérieures, notamment auprès de l’élite des troupes de marine qu’est le huitième régiment de parachutistes d’infanterie de marine, basé dans ma chère ville de Castres, m’ont permis de mieux cerner que c’est en Afghanistan, au Mali, au Niger, au Tchad, au Liban ou encore en République centrafricaine que se joue aussi, et surtout, notre sécurité. Plus il y aura de zones « grises », de non-droit, bases actives du terrorisme et de la criminalité internationale, plus le risque sera élevé en France. Nous devons donc combattre notre ennemi tant à l’étranger que sur notre propre sol.
L’opération Sentinelle est à ce titre un élément important de cette lutte, et nous l’avons naturellement soutenue dès son lancement. Il est à nos yeux logique que les forces armées puissent intervenir ponctuellement sur le territoire national, afin de protéger la population face à une menace terroriste qui n’a jamais été aussi élevée. Toutefois, nos militaires assurent dans ce cadre un rôle qui n’est pas la mission première de la défense ; ils se substituent de fait à des missions de police et de gendarmerie, voire à des sociétés privées. C’est pourquoi l’installation dans la durée de ce dispositif nous interpelle. Comme le souligne le rapport du Gouvernement sur l’emploi des forces sur le territoire national, extraordinaire dans son principe, cet emploi sur le territoire national doit demeurer extraordinaire dans le temps. En effet, nos armées sont au maximum de leurs possibilités : 34 000 soldats sont actuellement engagés, en France et dans vingt-cinq opérations extérieures. C’est un niveau jamais atteint depuis la fin de la guerre d’Algérie !
Dès 2013, le groupe de l’Union des démocrates et indépendants avait fait part de ses inquiétudes concernant le manque de moyens et les conséquences dramatiques des baisses d’effectifs prévues : 23 500 postes devaient être supprimés, auxquels devaient s’ajouter les 54 000 déjà supprimés dans la précédente loi de programmation militaire. Si cette trajectoire avait été maintenue, les effectifs de la défense auraient diminué d’un quart en dix ans, entre 2009 et 2019 ; on aurait réussi à faire rentrer toute l’armée de terre dans le stade de France : quel symbole !
En 2014, le ministère de la défense, à lui seul, a assumé près de 60 % des suppressions d’emplois d’État. Pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants, il était irresponsable de demander à la défense de réaliser tant d’efforts – plus que les autres ministères –, dans un contexte où la menace n’a jamais été aussi élevée. Nous avons donc salué la prise de conscience du Gouvernement, si tardive fut-elle, de la nécessité de mettre un terme aux suppressions de postes dans le domaine de la défense.
Toutefois, les récents recrutements ne seront pas en mesure de soulager rapidement les tensions dans nos armées, puisque les nouveaux militaires doivent être formés. Cette situation joue malheureusement sur les temps de repos, mais aussi sur la capacité de préparation opérationnelle de nos militaires, dont nous saluons une nouvelle fois le professionnalisme et le dévouement. C’est pourquoi nous soutenons la volonté du Gouvernement de renforcer la réserve, dans l’objectif de passer des 28 000 réservistes actuels à 40 000 d’ici à 2019 et, à terme, de déployer en permanence un millier de réservistes pour des missions de protection sur le territoire national, contre 400 à 450 aujourd’hui. Cette initiative est essentielle, mais nous devons aujourd’hui aller plus loin, afin de mettre sur pied une force nombreuse, répartie sur tout le territoire, très facilement mobilisable et disposant d’une formation élémentaire.
Il est d’abord indispensable d’adopter les mesures sociales et administratives préalables à l’emploi des réserves, dont bénéficient par exemple les réservistes américains, anglais ou encore canadiens, afin de mobiliser massivement des réservistes opérationnels, en leur assurant une couverture spécifique et des garanties particulières concernant leur emploi civil. Il s’agit d’une première étape nécessaire avant que notre pays se dote d’une véritable garde nationale, ayant pour pivot la réserve de la gendarmerie, et qui prenne le plus rapidement possible le relais des effectifs classiques engagés dans les opérations intérieures Vigipirate et Sentinelle, afin de réduire les fortes tensions pesant sur nos armées.
Si nous saluons l’augmentation, attendue de longue date, des moyens de la défense, nous appelons le Gouvernement à intensifier cet effort, afin que le budget de la défense atteigne rapidement les 2 % du PIB, contre 1,7 % aujourd’hui. Certes, cet objectif peut paraître très ambitieux ; il est cependant la condition sine qua non du maintien de notre capacité de défense, alors que la France est en Europe la seule puissance à disposer d’un outil d’une telle qualité, qu’il s’agisse de nos hommes ou de notre cadre institutionnel particulièrement favorable – ce qui n’est malheureusement pas le cas de l’Allemagne, par exemple.
À ce titre, je tiens à rappeler que lorsque la France s’engage en opération extérieure, elle ne le fait pas pour elle-même, mais pour la sécurité de l’ensemble de l’Europe. C’est pourquoi il nous semblerait juste qu’une solidarité financière effective soit enfin mise en place – ce que l’UDI préconise depuis 2013.
L’augmentation de notre budget de la défense est indispensable pour respecter le contrat opérationnel des armées fixé par le dernier Livre blanc – contrat inatteignable avec le budget actuel –, mais également pour donner à nos soldats les moyens de mener le combat contre le terrorisme, alors que notre matériel est parfois servi par des hommes plus jeunes qu’eux puisque 85 % des équipements en service dans l’armée de terre ont été conçus et acquis il y a trente-cinq ans. Pouvons-nous imaginer les troupes anglaises et américaines débarquant en Normandie, en 1944, avec du matériel du début de la Guerre de 14-18 ? En outre, moins de 40 % des hélicoptères de l’armée de terre sont en mesure de voler, et moins de 65 % des véhicules sont en état de rouler. Cette situation n’est plus tenable.
Mes chers collègues, alors que le monde dans lequel nous vivons est chaque jour plus instable et dangereux, nous devons non seulement donner des moyens supplémentaires à notre défense, mais également susciter une prise de conscience collective. Une approche globale passera aussi par le développement et l’éducation dans toutes les zones fragilisées par le terrorisme et par la menace islamiste radicale. De plus, la sortie de crise et l’après conflit doivent être au cœur de nos préoccupations, que ce soit par la mobilisation des moyens de l’action civilo-militaire ou par l’octroi de crédits à l’aide au développement via, entre autres, l’AFD, l’Agence française de développement.
L’engagement de dizaines de milliers de nos concitoyens civils au service de la France et de la sécurité constituera une réponse déterminante face au terrorisme, car c’est par la résilience de chacun et de tous que nous pourrons faire face à la barbarie et aux menaces qui pèsent sur notre pays. C’est pourquoi il nous paraît important de retrouver des éléments d’union : c’est à quoi nous appelons, non seulement sur les bancs de l’UDI, mais aussi, je pense, sur la majorité des bancs de notre assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)
M. Claude Goasguen et M. Pierre Lellouche. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Maggi.
M. Jean-Pierre Maggi. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, messieurs les secrétaire d’État, madame la présidente de la commission de la défense, mes chers collègues, la France connaît depuis 2013 un niveau d’engagement militaire inédit, en termes de durée et d’intensité, dans des opérations majeures menées simultanément sur plusieurs fronts extérieurs : je veux parler de l’opération Barkhane dans la bande sahélo-saharienne, de l’opération Sangaris en Centrafrique et de l’opération Chammal au Levant. Elle est en outre présente au Liban au sein de la force des Nations unies, et sa marine continue à mener des opérations dans le golfe de Guinée et dans l’océan indien. Elle participe par ailleurs aux opérations navales européennes au large de la Somalie ou en Méditerranée, fournit des éléments à certaines missions des Nations unies et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, et assure des missions de défense aérienne au profit des pays baltes.
Le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste soutient cet engagement car il repose sur une responsabilité particulière de notre pays au nom de ses valeurs, d’une part en tant que membre du Conseil de sécurité des Nations unies, et d’autre part au nom de son histoire, du maintien de son influence et des impératifs de sa sécurité.
Ainsi, la France intervient pour des motifs humanitaires, afin de protéger des populations civiles menacées. C’est le cas de l’opération Sangaris en Centrafrique, engagée en décembre 2014 pour faire cesser exactions et affrontements entre groupes armés, violences qui auraient pu conduire à une situation de génocide. Ce motif humanitaire fut aussi un élément déclencheur de l’intervention en Irak, contre Daech, pour éviter les massacres de populations civiles.
Notre pays intervient par ailleurs pour apporter conseil et formation à des forces armées ou de sécurité de pays fragilisés. C’est le cas de la mission de la force Daman au Liban, ou dans le cadre de missions de l’Union européenne telles que l’EUTM Mali ou en République Centrafricaine.
La France agit aussi, à la demande des autorités d’un pays ou du Conseil de sécurité des Nations unies, pour mettre un terme à des conflits. Elle le fait alors dans le cadre de missions de stabilisation, afin d’installer la sécurité nécessaire à un processus de transition démocratique et au rétablissement des institutions, et pour engager le désarmement des groupes armés. C’est le sens de l’opération Sangaris en Centrafrique depuis 2013 et, pour partie, de l’opération Serval au Mali, également engagée en 2013 et suivie, depuis 2014, de l’opération Barkhane.
La France intervient enfin et surtout en opérations extérieures pour lutter contre les groupes armés terroristes qui menacent la stabilité de certains États et celle du monde. C’est le cas au Mali depuis 2013, intervention suivie, un an plus tard, d’une autre dans l’ensemble des cinq pays de la bande sahélo-saharienne, ainsi qu’en Irak depuis 2014 et en Syrie depuis 2015, afin de soutenir la lutte contre Daech aux côtés de la coalition internationale. Cette lutte s’est, à juste titre, renforcée depuis 2015 et les trois attentats menés sur notre territoire. La menace reste forte, la France étant l’un des pays les plus visés au monde par Daech, mais aussi par Al-Qaïda au Maghreb islamique – AQMI – et dans la péninsule arabique – AQPA.
Ces interventions sur des théâtres d’opérations extérieures ont permis des avancées significatives, en particulier dans la lutte contre les groupes armés terroristes. En effet, l’État islamique recule sur le terrain, en Irak et en Syrie. Depuis le début de l’opération Chammal en septembre 2014, l’armée française a effectué d’importantes sorties aériennes et mené 10 % des frappes au total, en appui des forces irakiennes. Plus d’un millier de combattants de l’EI ont été neutralisés et des centres de commandement et d’entraînement détruits, notamment autour de Raqqa ; Ramadi est tombée. Les forces spéciales ont formé 1 500 commandos irakiens et appuyé les peshmergas kurdes, à qui la France livre des armes. Le bilan est donc positif, à l’heure où la reprise de Mossoul et de Raqqa se dessine.
Au Sahel, la pression sur les groupes armés terroristes porte ses fruits, puisque le dispositif militaire réduit leurs sanctuaires, perturbe leurs trafics et neutralise leur arsenal. Plus de 200 djihadistes ont été neutralisés depuis le début de l’opération, essuyant des pertes logistiques importantes. La menace d’un « Sahelistan » est donc aujourd’hui écartée car l’ennemi, traqué en permanence, n’a plus de zone refuge.
Pourtant, les conditions sont souvent très difficiles, en premier lieu, pour les 7 000 militaires engagés sur les théâtres d’opérations. Ceux-ci, notamment au Sahel et au Levant, sont situés dans des zones climatiques et géographiques particulièrement rudes en raison de leurs caractéristiques, qu’il s’agisse des fortes chaleurs, des vents de sable ou de la dureté du terrain. Face à de telles conditions climatiques et géologiques, les forces doivent être particulièrement endurantes, entraînées et aguerries. Nous saluons leur courage, et pensons aussi à ceux qui ont perdu la vie sur ces théâtres d’opérations. En ce sens, le monument aux soldats morts en opérations extérieures, qui verra le jour l’an prochain à Paris, est une initiative salutaire, car il signifie, pour les combattants de ces OPEX, que la nation n’oublie pas ceux dont le sacrifice ultime a témoigné de la valeur de leur engagement militaire.
Les conditions naturelles éprouvent aussi les matériels déployés, qui sont conséquents. Rappelons que l’opération Barkhane nécessite une quinzaine d’hélicoptères, 400 véhicules blindés et logistiques, une dizaine d’avions tactiques et de chasse et cinq drones.
À ce titre nous soutenons les engagements budgétaires pris pour 2017 en faveur de nos soldats et de leurs équipements. En effet, dans un budget global de la défense en hausse pour cette nouvelle annuité de loi de programmation militaire réactualisée, des mesures d’amélioration de la condition du personnel ont été posées. Elles sont à la hauteur du niveau d’engagement en opérations extérieures comme intérieures. Ainsi, le plan d’amélioration de la condition du personnel permettra de compenser les fortes sujétions qui pèsent sur lui. Ce plan comporte un volet « rémunérations » et des mesures d’amélioration des conditions de travail et de soutien aux familles pendant l’absence, pour une enveloppe de 287 millions d’euros en 2017.
Le rééquipement des armées se poursuivra également. L’engagement de plus de 17 milliards d’euros de crédits permettra l’acquisition de nouveaux matériels : quinze hélicoptères de combat, trois Rafales, trois avions de transport et des navires de protection, pour ne citer que ces quelques exemples. Par ailleurs, les stocks de munitions – fortement entamés par l’opération Chammal en Irak – seront regonflés, puisque 80 millions d’euros supplémentaires ont été budgétés pour ce poste.
Cependant, si nous soutenons ces opérations extérieures et leur coût budgétaire très élevé, nous voulons rappeler avec force que les interventions menées en Centrafrique, dans le Sahel, en Syrie et en Irak sont aussi dans l’intérêt de l’Union européenne. Elles profitent à tout le continent. Par conséquent, la France serait en droit de demander de déduire de son déficit le coût de ses opérations militaires extérieures, au regard des critères du pacte de stabilité et de croissance, ou, le cas échéant, d’obtenir une participation financière de l’Union européenne aux opérations militaires qu’elle mène, puisque celles-ci sécurisent l’ensemble du continent.
Par ailleurs, rappelons-le encore, il est impératif de mettre en place une Europe de la défense ; à ce titre nous saluons, monsieur le ministre, la feuille de route signée le mois dernier avec votre homologue allemand pour relancer cette idée. Cela facilitera la mise en place d’opérations dans le cadre de la Politique de sécurité et de défense commune, avec l’appui d’États membres volontaires. La France a un rôle moteur à jouer en ce domaine, d’autant que, dans le contexte du Brexit, elle sera demain la première puissance militaire de l’Union européenne. Nous espérons ainsi que l’année 2017, au cours de laquelle sera célébré le soixantième anniversaire du traité de Rome, marquera des avancées sur le terrain laborieux de la défense européenne.
Je terminerai en citant un propos du chef d’état-major des armées, le général de Villiers, qui disait que « gagner la guerre ne suffit pas à gagner la paix ». Les armées doivent en effet pouvoir compter sur les puissants effets de levier que sont l’action politique et l’action diplomatique. À ce titre, nous saluons l’initiative du ministre des affaires étrangères de réunir demain, à Paris, une vingtaine de pays afin de préparer l’avenir politique de Mossoul après la bataille militaire.
M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission de la défense, mes chers collègues, la France est en guerre sur de multiples théâtres d’opérations en Afrique et au Moyen-Orient ; des guerres certes particulières car de nature asymétrique, mais des guerres dans lesquelles la vie de nos soldats est en jeu ; des guerres susceptibles, aussi, d’avoir des conséquences et de provoquer des réactions sur notre propre territoire.
Dès lors, il serait particulièrement logique que la représentation nationale soit pleinement impliquée dans le déclenchement et le suivi de ces opérations militaires. Or il n’en est rien. Dans la Ve République, le domaine de la guerre demeure un angle mort démocratique.
M. Pierre Lellouche. Absolument !
M. André Chassaigne. Ainsi le Parlement, en vertu de la lettre de notre Constitution, a été mis à l’écart des décisions qui lançaient ces opérations tous azimuts. Si le Gouvernement nous a invités à nous prononcer sur l’opportunité de les poursuivre, ce geste tardif relève d’une logique plus formaliste et symbolique que foncièrement démocratique.
Nous avons, malgré tout, participé à ces débats et assumé notre part de responsabilité, sans arrière-pensées ni procès d’intention. Et c’est au nom du souci partagé de combattre sans merci le terrorisme que nous avons, sans résignation, alerté l’exécutif sur les conséquences de ces interventions.
Le changement de majorité, en 2012, offrait l’espoir d’un changement dans la conduite des affaires internationales. Il était temps, en effet, de rompre avec la politique menée sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, politique dont nous payons encore aujourd’hui les dérives et les échecs. Le plus significatif étant sans conteste le fiasco de l’expédition militaire en Libye.
M. Yves Fromion. Mais non ! Comment pouvez-vous dire cela ?
M. André Chassaigne. Le pays, qui a sombré dans le chaos, est toujours sans gouvernement national et en quête de sécurité et de stabilité politique, en proie à la division et aux tensions claniques et tribales.
Il y a près d’un mois, un rapport parlementaire britannique a pointé la responsabilité franco-britannique dans le chaos provoqué par une intervention qui, faut-il le rappeler, a été soutenue au Parlement français par la droite et les socialistes.
Après l’épisode libyen et l’alternance de 2012, la rupture avec l’atlantisme décomplexé de Nicolas Sarkozy n’a pas eu lieu et François Hollande a marché dans les pas de la politique étrangère amorcée par son prédécesseur. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. Yves Fromion. Même pas, justement !
M. André Chassaigne. Quatorze mois à peine après la fin de la guerre en Libye, le Gouvernement français envoyait notre armée au Mali pour combattre les mêmes armées islamistes, dont l’intervention de la coalition avait permis l’émergence en Libye. Aujourd’hui, malheureusement, l’accord d’Alger pour la paix et la réconciliation au Mali du 20 juin 2015 n’a pas encore permis le retour de la paix dans le pays. Pire, l’expansion du terrorisme au centre du pays et la naissance de nouveaux groupes armés semblent rendre le processus de paix inextricable.
L’Histoire nous enseigne des leçons, qu’il convient de garder à l’esprit. Les guerres peuvent avoir des conséquences imprévisibles et trop souvent porter en elles les germes de nouveaux conflits. Si elles sont menées sans penser le jour d’après, sans envisager la construction de la paix, elles sont vouées à l’échec. Est-il besoin de se remémorer le bilan des interventions qui se sont multipliées depuis le 11 septembre 2001 : Afghanistan, Irak, Libye, Mali… ? Dans chacun de ces cas, dans chacun de ces pays, au-delà de la particularité de chacune de ces situations, le constat est cinglant : affaissement du rôle de l’État, négation de l’État de droit, exacerbation des antagonismes communautaires, règne des milices, extension internationale du djihad armé et populations exsangues.
Pour être efficace dans la lutte contre le terrorisme et ne pas répéter les erreurs du passé qui amplifient le chaos, les décisions militaires doivent procéder d’objectifs politiques clairement pensés et déterminés, en vue de relever le défi de la lutte contre le djihadisme.
Nous sommes les premiers à penser que face aux avancées des forces islamistes radicales, le silence et l’inaction ne peuvent être de mise. Face aux crimes et au sentiment d’impunité des djihadistes, la responsabilité de la communauté internationale est de protéger les civils quels qu’ils soient. Mais pas n’importe comment, pas sous commandement américain ni sous la tutelle de l’OTAN.
Ainsi, l’offensive menée à Mossoul depuis lundi ne pourra-t-elle prendre tout son sens que si elle est conçue comme une étape décisive dans les réponses apportées aux défis que représentent Daech et la construction d’un Irak uni. Or, hélas, il semblerait qu’entre les forces nombreuses – aux intérêts divergents voire contraires – qui mènent cette offensive, il n’y ait pas de plan politique préalable et nécessaire pour relever ces défis intimement liés. Dans ce cas, et malgré une victoire militaire, le terreau du djihadisme continuera de fleurir.
M. Claude Goasguen. Absolument.
M. André Chassaigne. La question du contrôle de la province de Ninive à l’issue de la bataille n’a toujours pas été tranchée. Qu’adviendra-t-il des différentes composantes de cette province qui est l’une des régions les plus multiculturelles d’Irak ? La France doit agir pour faire respecter la citoyenneté de chacune d’entre elles sans exception : musulmans chiites et sunnites, chrétiens, kurdes, yézidis, turkmènes, shabaks. C’est l’avenir de l’Irak comme État-Nation qui est en jeu, dans le respect de toutes ses composantes.
La France doit également mettre toute son énergie à préparer le devenir des civils qui fuiront les zones de combats. Ils pourraient être plus d’un million selon Amnesty international. Dans l’immédiat, elle doit être à l’initiative de l’organisation de l’aide apportée aux civils fuyant les zones de combat.
En Syrie, à Alep, une tragédie similaire se déroule. Elle ne doit pas être négligée. La France ne saurait abandonner les civils à leur propre sort et assister passivement à la destruction complète de la ville. Il n’est pas trop tard pour que la France assume sa responsabilité et son sens de l’audace sur la scène internationale, et qu’elle renoue avec la tradition et la culture française dans un esprit de solidarité, contre toute forme de domination. Pour cela elle doit abandonner la diplomatie de l’émotion et des intérêts commerciaux qui a pris le pas sur la diplomatie de la raison.
M. Pierre Lellouche. Très juste.
M. André Chassaigne. Nous ne pouvons, en effet, mener des guerres au seul prétexte que nous, « grande civilisation occidentale », serions dépositaires des vrais principes moraux – une lecture morale des relations internationales qui conduit le plus souvent à défendre une ligne belliciste sur tous les dossiers. Les leçons de morale démocratique assenées au monde entier alimentent, en effet, les pires aventures militaires, comme en Irak ou en Libye. Les va-t’en guerre ne sont jamais vertueux, encore une leçon de l’histoire !
Le ministre des affaires étrangères en 2012 justifiait une offensive militaire en Syrie parce qu’« il fallait punir Bachar » et « qu’il ne méritait pas d’être sur la terre ». Ces mots, enfantins, ont décrédibilisé notre diplomatie qui était prête à s’affranchir de l’aval des Nations unies ; prête à conduire, seule sur la scène internationale, une guerre improvisée et illégale. Une façon de renouer avec la « mission civilisatrice » de l’Occident qui nous plaçait du mauvais côté de l’Histoire.
M. Claude Goasguen. Très bien !
M. André Chassaigne. Les guerres ne peuvent non plus être menées au nom de nos intérêts économiques. Preuve, s’il en était besoin, que la morale peut être à géométrie variable. Une géométrie qui varie en fonction des marchés en jeu. Les liens avec les pétromonarchies, qui sont le fourrier du terrorisme fanatique, doivent être reconsidérés sur d’autres critères que ceux de la vente d’armes. Jamais la vente de quelques Rafales, de palaces ou d’autres contrats hypothétiques mirobolants ne devraient réduire au silence une démocratie.
Ce sont de telles erreurs dans la conduite des affaires internationales qui peuvent nous mener au pire. Un pire aujourd’hui bien réel et qui a pris la forme d’une créature monstrueuse répondant au nom de Daech, de Front al-Nosra, d’Al-Qaïda ou de Boko Haram. De Paris à Nice, cette créature monstrueuse sévit aujourd’hui sur notre territoire et partout dans le monde.
Il appartient désormais à la France d’en finir avec ses hésitations et tergiversations, et de prendre toute sa part dans le combat long et crucial contre Daech. À défaut, elle risque de rester cantonnée à un rôle de figurant sur la scène internationale. Notre diplomatie doit être questionnée pour ne pas reproduire les erreurs du passé. Elle pourra alors proposer des réponses audacieuses dans le double objectif de vaincre le terrorisme et de gagner la paix.
Ainsi, pour la résolution du conflit en Syrie, devrait-elle prendre au sérieux l’alerte de M. de Mistura, envoyé spécial des Nations unies : « L’histoire nous jugera si nous ratons un certain type d’opportunité pour arriver à un changement ».
Aucune option ne doit être écartée pour mettre fin au martyr du peuple syrien, y compris l’option non militaire.
M. Nicolas Sansu. Bravo !
M. Claude Goasguen et M. Pierre Lellouche. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Philippe Nauche.
M. Philippe Nauche. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, chers collègues, reconnue et admirée par ses alliées et partenaires, crainte par ses adversaires, l’armée française concourt, de par ses opérations intérieures et extérieures, au poids de la France sur la scène internationale. Elle permet ainsi à notre pays, membre fondateur de l’ONU et de l’OTAN, pays des droits de l’Homme, membre permanent du Conseil de sécurité, de prendre ses responsabilités en matière de sécurité nationale et collective et ainsi de continuer à faire entendre sa voix dans un monde multipolaire, aussi complexe qu’interconnecté.
Il est important à ce stade de saluer l’engagement de nos militaires, les risques pris et les sacrifices consentis et de rappeler que nombre d’entre eux y ont laissé la vie ou portent les suites des blessures physiques ou psychiques qu’ils ont subies.
Les OPEX s’inscrivent aujourd’hui dans un continuum OPEX-OPINT – opérations extérieures et intérieures –, lié à la menace djihadiste.
Si cette menace domine aujourd’hui nos préoccupations, elle n’est pas exclusive et nos armées ont à assurer de nombreuses missions. Nous nous devons, me semble-t-il, d’évoquer aussi dans ce débat, au nom de ce continuum, les opérations intérieures, pleinement dans les missions de nos armées.
Les armées contribuent quotidiennement à la protection de la population, ainsi qu’à la défense des intérêts de sécurité de la Nation contre les menaces et les risques susceptibles de la mettre en péril. J’évoquerai la posture permanente de sûreté aérienne, qui mobilise 1 000 personnes au quotidien, la posture permanente de sauvegarde maritime, pour laquelle 1 400 marins sont engagés et assurent la sûreté des approches maritimes de notre territoire par le renseignement, la surveillance et l’intervention dans les approches, le contre-terrorisme maritime, la lutte contre les engins explosifs, et bien évidemment, la posture de protection terrestre, où 10 000 soldats sont déployés depuis le 12 janvier 2015 au sein de l’opération Sentinelle et agissent aux côtés des forces de sécurité intérieure dans le cadre de réquisitions préfectorales sur les sept zones de défense de la métropole ainsi qu’outre-mer.
Venons-en aux opérations extérieures proprement dites. L’opération Barkhane, créée le 1er août 2014 par la fusion des opérations Serval et Épervier, s’inscrit dans une logique de régionalisation et de coopération avec cinq pays de la bande sahélo-saharienne – Mauritanie, Mali, Burkina-Faso, Niger et Tchad, dits « G5 Sahel » – et s’étend ainsi sur un vaste théâtre.
Avec près de 3 500 militaires engagés, il s’agit de la plus importante des opérations extérieures menées par les forces armées françaises, qui en exercent le commandement. Les militaires français sont aussi engagés au sein des opérations multinationales MINUSMA et EUTM.
L’opération Barkhane vise deux objectifs : appuyer les forces armées des pays partenaires dans leurs actions de lutte contre les groupes armés terroristes – c’est très important de le rappeler après ce que nous venons d’entendre –, et contribuer à empêcher la reconstitution de sanctuaires terroristes dans la région afin que cette lutte puisse être prise en compte par les forces locales et que les États concernés puissent retrouver tous leurs droits.
L’évolution de notre action repose sur trois piliers : la mobilité, la modernisation de moyens et l’efficacité des appuis.
Par ailleurs, même si Barkhane ne lutte pas directement contre Boko Haram, la France soutient ses partenaires dans le cadre de leur lutte contre la secte terroriste.
L’opération Chammal, lancée le 19 septembre 2014, est conduite par les armées françaises en coordination avec leurs alliés présents au Levant agissant au sein de la coalition. Elle est destinée à affaiblir Daech et à mettre l’organisation terroriste islamiste à la portée de forces de sécurité locales.
L’engagement français est initialement réalisé à la demande du gouvernement de l’Irak, puis dans le cadre des décisions du Conseil de sécurité des Nations unies, par la résolution 2170 du 15 août 2015. Nos opérations se sont progressivement étendues au territoire syrien depuis septembre 2015 pour pouvoir frapper l’organisation terroriste dans son sanctuaire – opérations qui se sont intensifiées depuis les attentats de novembre 2015. L’Assemblée nationale en a été saisie.
L’engagement français, qui mobilise en moyenne 1 400 militaires, revêt deux aspects : une véritable campagne aérienne pour renseigner sur l’ennemi et le frapper au plus près des lignes de front jusqu’au cœur des territoires qu’il contrôle, et la participation aux programmes de régénération des forces de sécurité irakiennes conduits par la coalition.
Ainsi, en 2015, les forces locales ont repris l’offensive et obligé l’ennemi à reculer : Daech a perdu environ 13 000 kilomètres carrés sur les 90 000 occupés initialement tandis que les frappes soutenues contre sa production pétrolière ont fragilisé son assise financière.
Depuis septembre 2016, un détachement de l’armée de terre d’environ 150 soldats, la « Task Force Wagram », met en œuvre quatre pièces d’artillerie CAESAR depuis la base de Qayyarah, située au sud de Mossoul, afin d’empêcher Daech de positionner des pièces d’artillerie d’une part, et d’entraver la liberté de manœuvre de l’ennemi en empêchant sa progression d’autre part.
La bataille pour Mossoul qui s’engage sera probablement de longue durée et difficile, mais elle est nécessaire et notre pays doit y participer dans le rôle et le cadre qu’il s’est fixés. Des questions restent néanmoins posées. Les besoins évolueront-ils ? Quel rôle serons-nous amenés à jouer après la bataille de Mossoul entre les différentes forces coalisées – armée irakienne, forces kurdes, tribus sunnites, milices chiites ? Comment tout cela va-t-il s’organiser ? C’est une question cruciale qui se posera ensuite mais dont il faut s’occuper dès aujourd’hui.
La France est aussi engagée en Méditerranée et au Liban.
Le développement des crises au Levant et en Libye s’est traduit par le déploiement de moyens, notamment de renseignement, en Méditerranée centrale et occidentale pour conserver des capacités de réaction rapide et d’appréciation autonome de la situation. En 2015, ces engagements ont représenté près de 100 jours de mission, tous moyens confondus.
Au Liban, la France fournit une force de réserve de 855 militaires au profit du commandant de la Force intérimaire des Nations unies au Liban, déployée dans le cadre de la résolution 1701 du 11 août 2006, et renouvelée chaque année.
La France est aussi engagée en Centrafrique pour empêcher un désastre humanitaire grâce à l’opération Sangaris. En intervenant en République Centrafricaine en décembre 2013, cette dernière a mis fin à un cycle d’exactions et empêché un désastre humanitaire dans un contexte prégénocidaire. Aujourd’hui, les améliorations constatées sur le plan politique, économique et sécuritaire ainsi que l’autonomie acquise par la force onusienne, la MINUSCA, Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations unies en Centrafrique, permettent de poursuivre la réduction progressive du dispositif de Sangaris. De 1 300 militaires déployés en 2015, la force est passée en juin 2016 à 350 militaires avant sa fermeture en fin d’année, conformément aux engagements du Président de la République.
Il y a également les mesures de réassurance à l’est de l’Europe. Depuis le début de la crise, la France déploie un large éventail de capacités dans la zone d’intérêt de l’Ukraine pour réassurer ses partenaires d’Europe centrale et de l’Est. Sont notamment effectuées des missions aériennes régulières pour renforcer la surveillance des espaces aériens de l’Europe de l’Est, aux côtés des autres aéronefs de l’Alliance.
La liste des interventions de l’armée française ne s’arrête pas là. On peut notamment citer sa participation à de multiples opérations de l’ONU, de l’OTAN ou encore de l’Union européenne, mais aussi sa lutte contre le piratage dans le golfe de Guinée, à travers l’opération Corymbe, contre l’orpaillage illégal en Guyane – opération Harpie –, ou contre d’autres sinistres pouvant survenir en métropole.
En conclusion, nos armées sont un instrument essentiel de la politique extérieure de notre pays et nous permettent d’être actifs dans les affaires du monde. L’objectif, chacun le sait bien, n’est pas strictement militaire, c’est le rétablissement d’un bon niveau de sécurité par la réduction du risque djihadiste, ainsi que la paix, et nous pouvons être fiers de l’action de nos armées.
Messieurs les ministres, le Gouvernement est pleinement engagé dans sa mission après des décisions stratégiques et soutient concrètement et de façon cohérente nos armées et nos militaires par un gros effort budgétaire, conforme aux décisions du Président de la République. Aussi le groupe socialiste, écologique et républicain vous apporte sans restriction son soutien, pour vous et pour nos militaires engagés dans cette difficile mais noble tâche. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Meunier.
M. Philippe Meunier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de la défense, mesdames les présidentes de la commission de la défense et de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, alors que s’engage à Mossoul une bataille décisive dans notre lutte contre l’État islamique, permettez-moi de rendre hommage à l’ensemble de nos forces armées.
Nous saluons l’engagement de ces femmes et de ces hommes qui prennent part à cette bataille mais aussi de celles et de ceux qui servent notre pays sur le territoire national ou sur tous les autres théâtres d’opération, avec une exigence et une abnégation dignes de nos traditions militaires, pour nous protéger de notre ennemi, l’islamisme.
Les Français les croisent quotidiennement dans le cadre de l’opération Sentinelle, mais combien de nos concitoyens savent-ils que nos soldats et marins qui sécurisent notre territoire reviennent de mission en Centrafrique, au Liban, au Mali, au Niger, en Irak ? Combien savent-ils que certains d’entre eux ont passé plus de 200 jours hors de leur foyer, au service de la France ?
Depuis 2013, nos forces armées n’ont jamais été autant sollicitées. Elles ont bien entendu une forte tradition de prépositionnement, elles sont intervenues au Liban, en Bosnie, en Afghanistan, mais force est de constater que, depuis l’élection de François Hollande, nos forces sont de plus en plus engagées sur des terrains dangereux pour nos hommes et usants pour nos matériels.
Cet engagement militaire, très au-delà du contrat opérationnel prévu par le Livre blanc et les budgets votés pour nos armées depuis 2013, n’est-il pas devenu un moyen de peser là où votre diplomatie n’est plus entendue du fait de vos hésitations et tergiversations ? Nous pouvons légitimement nous interroger. En effet, Mali, Centrafrique, Syrie, Irak, l’engagement de nos armées a toujours été décidé dans un contexte marqué par les erreurs d’analyse de l’actuel Président de la République.
Voici trois exemples marquants.
Mali : pendant que les islamistes imposaient leur ordre sanguinaire à Tombouctou, François Hollande annonçait la fin des interventions militaires françaises en Afrique. Tout le monde connaît la suite…
Centrafrique : personne n’a oublié les propos ici même de M. Le Drian expliquant les raisons du choix par le Gouvernement du nom de Sangaris – papillon dont l’espérance de vie est très courte – pour illustrer le fait que l’opération ne devait durer que quelques semaines, tout au plus trois mois, selon le ministre de la défense lui-même. Tout le monde connaît également la suite… Pour ne pas avoir stoppé dès le début de leurs exactions les milices Séléka, qui se livraient à des massacres dans le nord de ce pays, nos forces armées se sont retrouvées « scotchées » de longs mois durant sur ce théâtre d’opération.
Syrie : annoncer une intervention, l’annuler, dénoncer des lignes rouges franchies, armer des rebelles pour le moins suspects – pour ne pas dire plus –, pour quel résultat ?
Le groupe Les Républicains a pris ses responsabilités en soutenant ces interventions militaires. Il n’en a pas moins dénoncé les incohérences, voire les errements diplomatiques de votre politique.
Si le Président de la République a pu ainsi solliciter nos forces armées, c’est parce qu’elles étaient prêtes. Les décisions prises durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, dans un contexte de crise économique mondiale sans précédent depuis 1929 (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain), ont permis en effet de préparer et d’assurer le maintien en condition opérationnelle de nos hommes et de nos équipements.
M. Gilbert Le Bris. Toujours nuancé !
M. Philippe Meunier. Les efforts de réorganisation et l’acquisition de nouveaux matériels ont permis, de fait, à l’actuel Président de la République d’engager nos troupes au Mali dès 2013, …
Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Oh non ! Pas ça !
M. Philippe Meunier. …mais qu’en est-il aujourd’hui ? Entre loi de programmation militaire initiale, loi de programmation militaire réactualisée, réponses aux attentats, le Gouvernement s’est lancé dans une politique d’annonces à tout va. Les spécialistes en perdent leur latin même si, ils le savent tous, l’enfumage du ministre de la défense (Protestations sur de nombreux bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain) n’a qu’un seul but : dissimuler l’état d’attrition du matériel de nos armées et le suremploi de nos hommes.
Au cours des quatre années, vous avez non seulement épuisé nos hommes mais également entamé le capital en matériel de nos trois armes.
Selon l’article 4 de la loi de programmation militaire, monsieur le ministre, « Les opérations extérieures en cours font, chaque année, l’objet d’un débat au Parlement. Le Gouvernement communique, préalablement à ce débat, aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat un bilan politique, opérationnel et financier des opérations extérieures en cours ». Si l’on peut considérer que ce débat a lieu aujourd’hui, où est le bilan politique, opérationnel et financier ?
Les enjeux sont pourtant clairs : pour être efficaces, nos armées ont besoin d’hommes et de femmes formés et entraînés mais aussi de matériels rénovés. Or les effectifs ne le permettent plus…
M. Jean-David Ciot. La faute à qui ?
M. Philippe Meunier. …compte tenu du rythme des opérations, et le maintien en condition opérationnelle de nos matériels ne suit plus.
Les témoignages sur la vétusté de nos matériels sont légion, avérés et démontrés. Des ruptures capacitaires à un niveau inégalé sont connues et répertoriées.
M. Philippe Nauche. Comme au temps de Sarkozy !
M. Philippe Meunier. Les budgets des années 2018 à 2022 devront donc redonner à nos armées les moyens de mener à bien leurs missions pour que notre pays soit capable d’intervenir.
Je tiens à rappeler également notre opposition à la participation du ministère de la défense à la réserve de précaution utilisée pour financer le surcoût des OPEX.
Faire la guerre pour protéger nos intérêts et nos concitoyens nécessite des engagements budgétaires réels et sérieux. C’est pourquoi notre groupe propose de bâtir une loi de programmation militaire qui permettra d’atteindre 1,85 % du PIB hors pensions en 2022 et 2 % du PIB, toujours hors pensions, au plus tard en 2025.
Il serait aussi très important, pour engager sereinement nos armées, de voter une loi de programmation militaire pour la période 2018-2022, qui ne sera plus à cheval sur deux quinquennats. Cela évitera la grande opération d’enfumage de l’actuel gouvernement qui reporte les engagements non financés sur le gouvernement suivant. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. Gilbert Le Bris. C’est minable !
M. le président. La parole est à M. Gilbert Collard.
M. Gilbert Collard. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, la guerre est aujourd’hui partout. Il s’agit par moment de guerres classiques et à d’autres moments de guerres tout à fait inattendues.
On se bat en Afrique, on se bat au Moyen-Orient, et les combats que l’on mène là-bas ont des répercussions sanglantes ici.
Au moment où je parle, je ne peux évidemment m’empêcher de penser à nos soldats qui meurent ou sont blessés.
La différence entre eux et nous, c’est que ce que nous écrivons par des minutes de silence, des paroles, des adjectifs consolants, eux l’écrivent dans la poussière avec leur sang.
Quelle que soit l’idée que nous ayons de notre fonction, nous sommes dans les mots, ils sont dans la chair. Cela dit toute la mesure de notre responsabilité à tous. Que nous ayons tort ou que nous ayons raison, c’est à eux que nous devons penser et il faut se dire que, quand on fait les beaux, parfois, eux font les vrais morts.
Ces guerres, on l’a dit, ont des conséquences à la fois directes et indirectes et, quand on pense à ces soldats qui meurent, qui sont blessés, on ne peut s’empêcher de penser aussi au chef des armées, et je ne doute pas que, dans le secret de vos consciences, vous ayez le même sentiment que moi. Comment se peut-il qu’un Président de la République aille se confier à des journalistes en livrant des secrets qui touchent à la défense nationale ? Quel que soit le côté où nous nous trouvions, nous sommes obligés de trouver cela inacceptable, pour ne pas dire plus, surtout si l’on pense à celui qui attend la balle qui va le tuer ou la mine qui va le faire exploser.
Tous, nous sommes d’accord pour mener une lutte sans merci contre le terrorisme, tous. On peut déplorer, cela a été dit et je me fais un devoir de le répéter, que le Parlement ait été mis à l’écart de ces questions de guerre, sur lesquelles, dans une démocratie, il devrait tout de même intervenir prioritairement, mais ce n’est peut-être pas le plus important.
Le plus important est que nous sommes dans l’ère des guerres à ondes de choc multiples, ondes que nous ne sommes peut-être pas encore capables d’analyser sur le sismographe de nos horreurs. Et peut-être n’avons-nous pas suffisamment appréhendé le fait que nous pouvions nous aussi être le jouet de ces forces qui, quelque part, par la manipulation, essaient de nous instrumentaliser et de nous faire agir comme nous ne le voudrions pas.
En Irak, en Libye, au Mali, en Syrie, sous les ordres de qui sommes-nous ? Peut-on jurer que le commandement américain ne nous fait pas faire un peu ce qu’il veut ? Peut-on affirmer que, lorsque l’on parle de la Russie ou de Bachar el-Assad, l’on n’est pas dans la diplomatie des mots destinée à se faire une belle conscience alors qu’elle risque d’être très moche quand le jugement de l’Histoire tombera, parce que nous aurons, à l’évidence, manqué de pragmatisme ?
Depuis quand choisit-on dans l’horreur ? Dresde a été bombardée. Depuis quand peut-on choisir dans l’horreur alors que, nous avons maintenant le moyen de le savoir, il y a une incertitude sur la présence, parmi ceux que l’on appelle les rebelles, de l’État islamique, avec des ramifications cancéreuses que l’on ne contrôle pas ?
Nous, nous faisons le choix de tourner le dos à la Russie parce que nous sommes bien, parce que nous avons des principes, mais, en même temps, nous décorons le prince d’Arabie saoudite.
Entre les bons et les méchants, prenons garde qu’un jour l’Histoire ne dise que, pour faire les bons, nous avons été du côté des vraies brutes masquées.
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires étrangères.
Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission de la défense, mes chers collègues, au début de ce débat dont le Gouvernement a pris l’initiative (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains), je veux saluer le courage, le dévouement et l’efficacité des quelque 10 000 militaires français engagés dans vingt-quatre opérations militaires extérieures.
En Centrafrique, la décision du Président de la République d’engager nos forces a permis d’éviter des massacres de masse, de rétablir un niveau de sécurité satisfaisant et de mettre sur les rails un processus de transition politique.
Au Mali, le pire a été évité grâce à une décision prompte et résolue du chef de l’État. Les terroristes n’ont pu s’emparer de Bamako et ont dû lâcher prise au nord, écartant le risque de constitution d’un État terroriste qui aurait menacé directement la France, l’Europe et toute l’Afrique. La France joue depuis longtemps un rôle essentiel au Liban. Ses opérations contribuent aussi à la lutte contre la piraterie dans l’océan Indien et le golfe de Guinée, et participent au contrôle des flux migratoires en Méditerranée conformément à nos principes d’humanité.
Saluons, chers collègues, la mémoire des trente militaires tués en opérations extérieures depuis 2012, morts pour notre protection, et pensons aux souffrances de leurs familles, et à celles des cent cinquante militaires blessés.
Dans l’utilisation de la force, la France a toujours veillé à épargner le plus possible les populations civiles. Le Parlement a toujours été informé rapidement et en continu. Les opérations ont toujours été accompagnées d’un processus politique efficace, car gagner la paix est aussi important que gagner la guerre. Enfin, en mettant en œuvre le 7. de l’article 42 du traité sur l’Union européenne, le ministre de la défense a su mobiliser et entraîner nos alliés européens qui, chacun en fonction de ses traditions et de ses moyens, ont répondu à cet appel de manière positive et utile. Mais comme le demande le Premier ministre, l’Europe doit s’engager davantage ; le fonds européen pour la sécurité et la défense, proposé par le Président de la République, doit être créé au plus vite.
Notre débat s’inscrit également dans le contexte de la préparation de l’offensive qui doit libérer Mossoul. Depuis plusieurs mois, Daech recule en Irak et en Syrie. Nos forces frappent les ennemis de la France là où ils se trouvent, c’est-à-dire à Mossoul et à Raqqa. C’est en effet à partir de ces villes que les attentats de Paris et de Nice ont été organisés, et c’est sur ces territoires que les djihadistes sont entraînés et préparent leurs actions. Je souligne que le siège d’Alep ne répond en rien à nos intérêts stratégiques. Daech n’est plus à Alep depuis 2013 et les combattants d’al-Nosra y sont quelques centaines tout au plus, et ne sauraient légitimer les bombardements criminels qui frappent cruellement les 325 000 personnes, dont 100 000 enfants, qui vivent encore dans la ville…
Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Très bien !
Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. …et qui meurent tous les jours ou sont blessés par les bombes à fragmentation ou au phosphore, et les bombes « bunker » qui percent les sous-sols, larguées par le régime et – hélas – par l’armée russe.
La bataille de Mossoul s’annonce difficile. Les forces de Daech y sont nombreuses et déterminées. Elles se préparent à un combat urbain qui risque d’être long et coûteux en vies humaines. Car c’est la prise de Mossoul qui a permis à Daech d’acquérir un trésor de guerre important et un prestige immense auprès des terroristes. Frapper Daech à Mossoul, c’est l’attaquer à la tête. Nous devons aussi veiller à ce que cette bataille ménage la possibilité d’un avenir de paix pour l’Irak, ce pays qui a déjà tant souffert et qui est aujourd’hui menacé dans son identité même par l’exacerbation des tensions confessionnelles. Pour cela, nous avons, dès le début de l’intervention, promu une solution politique qui permette de réconcilier les Irakiens. Les forces au sol qui ont engagé le combat sont irakiennes, c’est-à-dire sunnites, chiites ou kurdes ; il en va de la survie de la nation irakienne, et la guerre contre Daech ne sera gagnée que si elle permet d’en réconcilier les trois principales composantes. C’est à ces forces qu’il appartiendra de reconquérir la ville, avec en particulier le soutien des forces françaises engagées dans le cadre de l’opération Chammal : nos pilotes basés en Jordanie ou dans les Émirats – dont j’ai pu admirer la compétence lors des visites que nous y avons effectuées avec le ministre de la défense –, ou encore embarqués sur le Charles de Gaulle, et d’autres éléments déployés en Irak, au Koweït et au Qatar. Nous connaissons leur dévouement, leur professionnalisme et la maîtrise avec laquelle ils accomplissent leurs missions.
Nous devons aussi veiller à ce que cette bataille n’ait pas des conséquences désastreuses pour la population. Nos frappes aériennes ne sont délivrées que sur des cibles militaires clairement identifiées afin de limiter au maximum les pertes civiles. Je sais également que la coalition se prépare à ce que cette bataille provoque d’importants déplacements de population, et je remercie MM. les ministres de bien vouloir nous préciser quels dispositifs sont engagés à cet effet. Voilà toutes les raisons pour lesquelles il est important, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, que notre assemblée vous exprime son soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées.
Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de la défense, madame la présidente de la commission des affaires étrangères – chère Élisabeth –, mes chers collègues, pour la commission que je préside, le débat que nous avons aujourd’hui n’est pas nouveau. Monsieur le ministre, nous vous auditionnons régulièrement à ce sujet : en moyenne une à deux fois par trimestre, et ce n’est pas peu dire ! La dernière fois, vous êtes intervenu sur les opérations en cours le 26 juillet, et vous interviendrez à nouveau devant notre commission le 16 novembre. La qualité de nos échanges tient à la fois à votre disposition et à la responsabilité dont font preuve les parlementaires vis-à-vis du respect du off. En effet, le suivi des opérations est bien la vocation première de nos travaux et l’enjeu ultime de cette période d’examen budgétaire.
Je ne répondrai pas aux provocations de M. Lellouche, ni entrerai dans la polémique qu’il souhaite susciter.
M. Pierre Lellouche. Quand on n’est pas d’accord, on s’explique !
Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Philippe Nauche l’a déjà fait, et je suppose que Jean-Yves Le Drian le fera également. L’effort de guerre a un coût, et je voudrais vous faire partager quelques observations à ce sujet. Première observation : notre effort de guerre est durable. L’accroissement de nos dépenses militaires marque, après leur stabilisation en 2013, la fin d’un long cycle d’ajustement budgétaire au détriment de notre outil de défense. Tous les gouvernements y ont contribué. Il faut se féliciter de cette situation peut-être historique, en espérant que l’infléchissement des dépenses de défense s’inscrive dans le temps long car les menaces, qu’elles soient d’origine étatique ou non conventionnelle, ne diminuent pas et évoluent sans cesse.
Deuxième observation : il n’y a pas d’effort de guerre crédible sans adaptation des contrats opérationnels assignés aux armées. Fort heureusement, l’exercice budgétaire pour l’année 2016 et celui proposé pour 2017 tiennent compte des besoins nés de l’intensification du rythme d’activité des forces. Je le dis ici à l’endroit des comptables de l’État : le dépassement des contrats opérationnels fixés aux armées engendre des dépenses incompressibles. Il me paraît donc inévitable, à l’avenir, de rallier la cible de dépenses militaires à 2 % du PIB, évoquée par le Premier ministre : c’est le seuil minimal si l’on souhaite adapter les contrats opérationnels actuels à l’évolution des menaces et des missions.
M. Jean-David Ciot et M. Philippe Nauche. Tout à fait !
Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. J’observe avec satisfaction que cette cible semble désormais partagée par le plus grand nombre.
Troisième observation – et c’est l’idée principale que je souhaite développer devant vous –, il n’y a pas d’effort de guerre durable sans le soutien de l’arrière. Je veux parler ici des familles et de l’entourage de nos soldats. En effet, la suractivité qui découle de la nouvelle posture opérationnelle sur le territoire national entraîne l’usure des hommes et des femmes – car il y a également des femmes déployées –, mais également de leurs familles, en raison des lourdes contraintes d’absence du foyer familial endurées par les soldats. Il s’agit là d’une question prioritaire, en raison des conséquences qu’elle emporte sur l’attractivité du métier des armes comme sur la fidélisation des nouvelles recrues. J’insiste sur ces deux aspects. Vous y répondez, monsieur le ministre, à travers le nouveau plan d’amélioration de la condition militaire ; c’est une juste compensation des efforts demandés à nos soldats. Permettez-moi cependant d’insister sur ce point : le soutien des familles est une des conditions du succès opérationnel. Il appelle, je crois, une réflexion nouvelle de notre part sur les moyens d’y pourvoir, y compris – mais nous en débattrons encore – en matière de fiscalité applicable aux rémunérations des militaires en mission intérieure. La commission de la défense présentera les conclusions de ses travaux sur la protection sociale des militaires en janvier 2017. Des collègues y travaillent, et bien que nous serons dans une période déjà très proche des élections, …
M. Yves Fromion. La période des primaires socialistes !
Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. …j’espère que leur rapport recevra l’assentiment unanime des membres de la commission de la défense.
M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames les présidentes, mesdames et messieurs les députés, je voudrais revenir sur quelques points majeurs évoqués dans ce débat, sans en faire l’exégèse complète, car les théâtres d’opération sont amenés à évoluer.
Pour commencer, je voudrais m’arrêter sur le cadre légal de notre engagement au Levant. Pour l’intervention militaire en Syrie, le Gouvernement a expressément exclu l’envoi de troupes au sol lors de sa déclaration du 15 septembre 2015 sur l’engagement des forces aériennes. Cette exclusion a été réitérée au moment du vote d’autorisation, le 25 novembre 2015. En revanche, la prolongation de l’intervention des forces françaises en Irak, décidée par le Parlement le 13 janvier 2015, ne fait pas une telle distinction. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) En outre, au moment du débat – je le redis, monsieur Lellouche, et pourrais le redire encore –, le Premier ministre a explicitement indiqué que le dispositif français dans ce pays continuerait d’évoluer. Depuis de nombreux mois, des éléments terrestres chargés de la formation, du soutien et du conseil à l’armée irakienne et aux Peshmergas y sont déployés. (Mêmes mouvements.) À cet égard, le déploiement récent d’une unité d’artillerie de quatre canons CAESAR dans la région de Mossoul représente un simple prolongement de la mission d’appui des forces françaises aux forces irakiennes. Il ne diffère pas, en substance, de l’action que mène notre aviation de combat dans la même zone à partir des bases de l’armée de l’air ou du porte-avions Charles de Gaulle.
M. Pierre Lellouche. Je ne suis pas d’accord !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Il s’agit toujours de soutenir, par nos appuis, l’action et la progression des forces irakiennes et des peshmergas engagés au sol contre Daech. Il n’y a donc aucune raison de recourir à un nouveau vote du Parlement en la matière.
Je voudrais aussi dire à ceux qui estiment qu’il n’y a pas eu de débat sur nos interventions extérieures que depuis vingt-quatre mois, je suis passé vingt fois devant les commissions du Parlement. Je regrette que ceux qui se sont exprimés ici, notamment MM. Chassaigne, Collard ou Meunier, ne soient pas assidus à ces réunions où je rends compte, à huis clos, de l’ensemble de nos opérations. Ils y sont invités. Si vous voulez m’auditionner tous les quinze jours, je viendrai tous les quinze jours ; pour l’instant, les parlementaires semblent très bien se satisfaire du rythme d’une fois par mois.
M. Pierre Lellouche et M. Philippe Meunier. Quand est-ce qu’on vote ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. M. Meunier et partiellement M. Folliot ont évoqué les effectifs, les moyens et la légitimité de notre action. Les principes des actions de projection de nos forces ont été inscrits dans le Livre blanc de 2008 et dans la loi de programmation militaire qui a suivi. Ils ont été repris et approuvés par le Parlement dans le Livre blanc suivant et dans la loi de programmation en cours. Mais vous avez, monsieur Meunier, la mémoire courte. Si l’on regarde les effectifs engagés aujourd’hui dans différentes opérations, on constate que 10 000 militaires participent aux opérations extérieures ; si l’on y ajoute les 4 000 prépositionnés en Afrique et aux Émirats arabes unis, 14 000 hommes en tout se trouvent à l’étranger. À la fin du mois de décembre, lorsque le porte-avions aura fini sa mission et que l’opération Sangaris sera terminée, les effectifs en opérations extérieures descendront à 7 000.
Étant bien conscient de votre compétence sur ces questions, je me suis référé à l’état des opérations extérieures en 2011. À cette date, il y avait 10 860 militaires en OPEX, sur des opérations très variées : la Libye, l’Afghanistan, le Liban – opération toujours en cours –, la Côte d’Ivoire, la RCA, l’opération Atalante, encore le Kosovo…
M. Philippe Meunier. Ces opérations n’avaient pas le même degré d’intensité !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Et voici le plus curieux : au moment même où 10 860 militaires étaient mobilisés pour des opérations qui étaient sans doute en grande partie justifiées à cette époque-là, le Gouvernement diminuait les effectifs de 40 000 postes !
M. Philippe Meunier. C’est vous qui les avez diminués ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Et vous venez nous faire la leçon ! Vous nous reprochez de trop intervenir, alors qu’à l’époque vous interveniez beaucoup plus, et de ne pas avoir assez d’effectifs, alors que c’est vous-mêmes qui avez pris la décision de les réduire.
M. Philippe Meunier. Vous les avez diminués encore plus avec la loi de programmation militaire de 2014 ! (Nouvelles protestations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées et Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Un peu de respect !
M. Philippe Meunier. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les militaires !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Permettez-moi de poursuivre, monsieur Meunier, je ne vous ai pas interrompu, moi ! Je comprends que ces chiffres vous énervent, mais je continuerai à vous énerver en rappelant la dure réalité des chiffres. Peut-être n’étiez-vous pas député à cette époque, mais vous ne pouvez nier la réalité des faits !
M. Philippe Meunier. Je les connais, les chiffres ! Vous avez supprimé 34 000 postes dans l’armée !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je voudrais aussi, monsieur Meunier, compléter vos informations au sujet de l’entretien programmé des matériels. Là aussi, comparons les chiffres. Vous dites que le vieillissement des matériels, leur usure, s’aggrave à cause de l’importance des forces et des moyens engagés. Mais c’était aussi le cas sous la précédente législature ! Vous aviez alors engagé 10 000 hommes en OPEX…
M. Philippe Meunier. 10 000 hommes, mais pour quelle intensité d’opérations ? Ce n’est pas sérieux !
M. le président. Un peu de silence, monsieur Meunier ! C’est le dernier avertissement !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Pour 10 000 hommes en OPEX, dans des théâtres d’opérations où les conditions atmosphériques n’étaient pas meilleures que celles que rencontrent nos soldats actuellement, l’entretien programmé des matériels s’élevait à 2,8 milliards d’euros en 2011. J’ai fait porter ce montant à 3,65 milliards d’euros. Voilà la vérité ! Il est vrai que les matériels subissent une attrition plus forte : nous avons donc décidé de renforcer leur entretien programmé. Ceux qui sont assidus à la commission de la défense savent que cet engagement est tenu.
M. Nauche a évoqué l’opération Sangaris, de même que M. Meunier – sur un ton différent de celui qu’il a employé à propos des chiffres des OPEX. Je suis très heureux de constater que nous pouvons mettre fin à l’opération Sangaris. Nous allons mettre fin à une opération !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Absolument !
M. Pierre Lellouche. Il est temps !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Monsieur Lellouche, nous y mettons fin, car cette opération a été un succès. Non seulement nous avons évité des massacres de masse, mais nous avons permis un processus de réconciliation intercommunautaire ainsi que la reconstruction de l’État centrafricain, avec des élections présidentielles et législatives. Nous avons mis en place un outil de formation de la nouvelle armée centrafricaine, baptisé EUTM RCA. Enfin, nous avons permis le déploiement de la mission des Nations unies, pour garantir sur le moyen terme la sécurité de ce pays.
Cette opération est la preuve du pragmatisme et de l’efficacité des hommes et des femmes qui se sont succédé sur ce théâtre difficile. Je serai heureux de clore officiellement notre intervention sur ce terrain et de passer le relais aux Nations unies le 31 octobre prochain. Nous n’abandonnerons pas pour autant la République Centrafricaine, car nous continuerons à appuyer et à soutenir les forces internationales.
Je tenais à faire cette mise au point, car c’est un événement important. Notre mission terminée, et même si la stabilité n’est pas totalement revenue, il importe à présent que le relais soit pris aussi bien par les forces centrafricaines que par la mission des Nations unies.
Je dirai deux mots, également, du Levant, et de l’opération Barkhane.
Les objectifs de notre stratégie au Levant sont clairs, et tiennent en deux mots : vaincre Daech. Cette organisation est notre ennemie, qui nous attaque sur notre propre territoire. Il faut la vaincre, et pour la vaincre il faut la frapper au cœur. Pour cela, nous avons trois objectifs d’application au Levant : premièrement, infliger à Daech une défaite militaire ; deuxièmement, renforcer les capacités des forces de sécurité irakiennes et kurdes qui combattent Daech au sol, en les aidant à se structurer sur la longue durée ; troisièmement, soutenir un processus de réconciliation irakien, car seules la stabilité et la crédibilité politiques garanties par les institutions irakiennes seraient de nature à empêcher la résurgence de Daech sur le long terme.
Il nous faut donc aider le processus de réconciliation irakien en encourageant la construction d’institutions multiconfessionnelles, inclusives et représentatives. Je dis cela à l’attention de M. Chassaigne, qui a soulevé une vraie question à propos de gouvernorat de Ninive : comment Mossoul sera-t-elle dirigée après sa reconquête ? Il faudra que les différentes communautés présentes dans cet espace – vous les avez rappelées : musulmans chiites et sunnites, kurdes, yézidis et chrétiens – soient bien représentées. C’est aux Irakiens de prendre les initiatives nécessaires pour assurer la stabilité après la reprise de Mossoul. Pour avoir rencontré un certain nombre d’entre eux, je sais qu’ils se préoccupent dès à présent de la manière dont ils prendront le relais.
J’ai déjà évoqué Mossoul lors de la séance de questions d’actualité. La bataille pour la reconquête de cette ville sera longue, pour trois raisons. Premièrement, parce qu’elle est d’une taille importante : on estime que le nombre d’habitants est compris entre 1,5 et 2 millions. Certains d’entre eux ont déjà quitté la ville depuis plusieurs mois. Deuxièmement, parce que c’est la capitale de Daech ; à cause de cela, les membres de cette organisation ont structuré une ligne de défense, creusé des souterrains, miné les entrées de la ville : il faudra du temps pour déjouer ces obstacles. Troisièmement, la coalition se montre très rigoureuse quant aux critères d’intervention. Nous sommes rigoureux quant aux frappes aériennes, quant à l’autonomie qui nous est laissée dans la coalition. Celle-ci doit donner son autorisation pour chaque type de frappe, chaque type de cible, afin d’éviter les dégâts collatéraux.
Tout à l’heure, j’ai cru entendre un orateur comparer la manière dont les Russes interviennent à Alep et la manière dont la coalition intervient à Mossoul. Les conclusions que l’on peut tirer d’une telle comparaison s’imposent d’elles-mêmes : depuis deux ans, la coalition a frappé de nombreuses fois – la France elle-même a mené de nombreuses frappes – : à chaque fois, les conditions d’engagement, les règles d’engagement, ont été scrupuleusement respectées, afin d’éviter les dégâts collatéraux. Je ne suis pas sûr que ce soit le cas à Alep ; ce n’est pas, du moins, ce que donnent à penser les images que l’on voit à la télévision.
En complément d’information sur l’opération à Mossoul, je signale que les dispositifs d’accompagnement humanitaires ont été mis en place préalablement à l’opération. 750 000 places sont prévues dans des lieux d’accueil pour les réfugiés. Nous souhaitons qu’elles n’aient pas à servir, mais il importe qu’elles y soient.
J’ajoute, enfin, qu’après Mossoul il faudra prendre Raqqa. Cette question me préoccupe, ainsi que M. le Premier ministre – qui en a parlé tout à l’heure – et M. le ministre des affaires étrangères. C’est dans ces deux villes, en effet, qu’ont été organisés tous les attentats qui nous ont frappés, ainsi que d’autres pays européens.
Concernant l’opération Barkhane, il faut bien remettre en perspective les deux temps de notre intervention. Tout d’abord, lorsque nous sommes intervenus au mois de janvier 2013, c’était pour empêcher qu’Al-Qaïda, en descendant sur Bamako, ne se constitue un vaste repaire territorial, qui eût représenté une menace insupportable pour la sécurité de notre pays. Nous avons alors anéanti les groupes terroristes qui descendaient sur Bamako. L’opération Serval a ainsi permis d’éviter qu’un État terroriste s’implante au Sahel.
Nous avons considéré, par la suite, qu’il fallait agir selon une nouvelle perspective afin d’éviter la déstabilisation de la région. Pour cela, nous avons constitué un dispositif dénommé Barkhane, reposant sur un partenariat avec cinq pays, pour l’ensemble du Sahel, et visant à éviter la résurgence de groupes terroristes. Pour éviter les actions asymétriques des groupes armés, en effet, il faut exercer une pression permanente.
Le but de cette opération, à terme, est de faire en sorte que les différents pays concernés puissent assurer eux-mêmes, sur la durée, leur propre sécurité : cela prendra du temps. Pour cela, nous assurons des missions de formation, notamment dans le cadre de la mission EUTM Mali. Il est vrai que la mise en œuvre des accords d’Alger a pris plus de temps que prévu. La détermination politique du président Ibrahim Boubacar Keïta pour les mettre en œuvre concrètement dans les semaines qui viennent, avant le sommet France-Afrique de Bamako, me paraît assurée. Les premières initiatives à cet égard ont été prises.
Je tiens également à dire un mot de la Russie, puisque plusieurs d’entre vous y ont fait référence. Je rappelle qu’à la demande du Président de la République, après les attentats du mois de novembre 2015, je me suis rendu à Moscou. À l’époque, la question que j’avais examinée avec le ministre russe de la défense était de savoir comment nous coordonner dans la lutte contre Daech. Or vous avez pu constater comme moi que depuis cette rencontre, les forces russes se sont concentrées sur de tout autres objectifs que les soldats de l’État islamique ! Le combat contre ces soldats en Syrie est plutôt le fait de l’Armée syrienne libre, à Dabiq, et des forces kurdes avec leurs alliés arabes, à Manbij, mais pas des forces russes, qui sont pourtant bien présentes sur le terrain, où elles accompagnent le pilonnage d’Alep par les forces de Bachar el-Assad.
Nous sommes donc prêts à dialoguer avec la Russie. C’est le cas sur des questions majeures d’intérêt commun telles que la lutte contre la prolifération des armes nucléaires, la lutte contre le terrorisme et le maintien de la paix internationale. Concernant la Syrie, il faudrait que les objectifs de telles discussions soient clairs, ce qui ne nous semble pas être le cas aujourd’hui.
Monsieur le président, mesdames les présidentes, voilà les quelques éléments que je souhaitais vous donner pour conclure ce débat. Je constate, comme vous, que l’environnement stratégique de la France et de l’Europe s’est dégradé depuis quelques années ; instabilité au Sahel, chaos en Libye, explosion du Moyen-Orient, crise ukrainienne : autant de défis. Face à ces crises, le repli n’est pas une option ; il n’apporterait qu’un soulagement transitoire, car ceux qui frappent depuis Mossoul proclament clairement qu’ils souhaitent nous détruire. À mon sens, l’action, l’action résolue, est la seule réponse possible.
Pour cela, notre pays peut compter sur une défense forte et respectée : je le constate depuis quatre ans et demi. Je rends hommage à nos forces armées qui remplissent leur mission au service de la France, et que vous avez tous saluées. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. le président. Nous avons achevé le débat sur les opérations extérieures de la France.
Source: Assemblée nationale Compte rendu intégral. Première séance du mercredi 19 octobre 2016