Comment léser les militaires ( Par Jacques Bessy, président de l’Adefdromil-Aide aux victimes)

Pourquoi avez-vous de grandes dents, mère-grand ? C’est pour mieux te manger, mon enfant !

(Le petit chaperon rouge)

« Il appartient au chef à tous les échelons de veiller aux intérêts de ses subordonnés ». (Article L4121-4 du code de la défense).

« Le praticien des armées doit à celui ou celle qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Sauf urgence ou impossibilité, il doit rechercher son consentement et respecter sa volonté en cas de refus, après l’avoir averti des conséquences prévisibles de sa décision ». (Article 6 du Décret n° 2008-967 du 16 septembre 2008 fixant les règles de déontologie propres aux praticiens des armées).

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On sait que le métier militaire est difficile, que les contraintes de disponibilité impliquent de lourds sacrifices, que les exigences de la discipline imposent de se maîtriser, y compris face à des chefs caractériels ou à des ordres absurdes.

C’est sans doute une des raisons qui justifient que les militaires sont, en principe, assez bien protégés lorsqu’ils sont blessés physiquement et surtout psychiquement.

Congés de maladie (article L4138-3). Réforme (article L4139-14-4°).

Tout militaire a le droit à 180 jours de congés-maladie. En « arrêt maladie », le militaire est soldé normalement et reste en position d’activité.

Pendant cette durée de six mois, il peut être envoyé sur sa demande ou celle de l’autorité militaire, devant une commission de réforme, qui statue sur son inaptitude définitive. En pratique, il est rare que cette procédure soit mise en œuvre, sauf pour les militaires du rang.

Un militaire réformé a droit à une pension de retraite à jouissance immédiate, au prorata de la durée de services effectués, incluant les bonifications (Articles L6-2 et L24-II du code des pensions civiles et militaires de retraite).

Congé du blessé (article L4138-3-1)

Au-delà de 180 jours de congés-maladie, le militaire sous contrat ou de carrière peut être placé :

En congé du blessé, un congé de la position d’activité, si le militaire a été blessé ou a contracté une maladie, en opération de guerre, au cours d’une opération qualifiée d’opération extérieure ou d’une opération de sécurité intérieure et qu’il se trouve dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions.

En outre, il doit présenter une « probabilité objective de réinsertion ou de reconversion au sein du ministère de la défense ou, pour les militaires de la gendarmerie nationale, au sein du ministère de l’intérieur ».

Ce congé a une durée maximum de dix huit mois. Dès à présent, on peut craindre qu’il ne soit utilisé pour préparer les militaires à la réforme, les médecins pouvant toujours revenir sur leur appréciation de la « probabilité objective de réinsertion ».

L’avenir dira ce qu’il en est..

Congés de longue durée pour maladie et congés de longue maladie (articles L4138-12 et -13)

Dans les autres cas, le militaire est placé en congé de longue durée pour maladie, s’il souffre de cancer, d’immunodéficience acquise et enfin de « troubles mentaux et du comportement présentant une évolution prolongée et dont le retentissement professionnel ainsi que le traitement sont incompatibles avec le service » (article R 4138-47 du code de la défense). Entrent dans cette catégorie tous les troubles psychiques résultant de dépressions, de « burn out », de syndrome de stress postraumatique, etc.

Pour toutes les autres maladies ou blessures, le militaire est placé en position de congé de longue maladie.

La durée de ces congés et la rémunération sont variables.

Selon le statut du militaire blessé ou malade, sa durée de services, selon le lien éventuel de la maladie au service. le militaire est plus ou moins bien protégé : 8 ans de congés de longue durée pour maladie survenue du fait ou à l’occasion de l’exercice des fonctions. Dans le cas contraire, la durée du CLDM est de 5 ans maximum pour les militaires de carrière et de trois ans pour les militaires sous contrat ayant plus de trois ans de services.

La durée du CLM est quant à elle fixée à 3 ans maximum.

Ces congés médico-statutaires de non-activité sont constitutifs de droit. C’est-à-dire que tant que l’état de santé du militaire ne permet pas son retour au service, on ne peut le contraindre à les interrompre ou l’envoyer devant une commission de réforme.

Les réformes de militaires et les congés médico-statutaires ont un coût.

C’est une évidence qui mérite d’être soulignée, car elle semble être le mobile d’agissements dolosifs de nombreux gestionnaires.

La réforme conduit à la délivrance de titres de pensions de retraite à jouissance immédiate (sans condition de durée de services) au prorata de la durée de services effectués.

Quant aux congés médico-statutaires, leur coût est imputé sur la masse salariale des armées concernées.

De plus, la durée des contrats des militaires placés dans ces positions est automatiquement prolongée.

Que l’Etat et ceux qui agissent en son nom tentent de limiter les dépenses afférentes aux congés médico-statutaires et aux pensions de retraite, c’est ce que tout citoyen est en droit d’espérer. Mais cet objectif de meilleure gestion ne doit pas se faire en violation des droits individuels des militaires. C’est pourtant ce que constate régulièrement l’Adefdromil-Aide aux victimes. Des gestionnaires, des chefs, au nom de l’intérêt général et du bien commun n’hésitent pas à priver de leurs droits les militaires blessés, malades, réformés ou quittant l’institution.

Florilège de ces pratiques honteuses :

Perte prétendue ou destruction des certificats médicaux.

Bien souvent, les militaires du rang se contentent d’envoyer les certificats médicaux obtenus auprès d’un médecin civil en courrier simple. Leurs justificatifs sont alors perdus par des secrétariats négligents… Et les militaires sont considérés comme déserteurs. Le contrat est effectivement rompu, mais sans droits à indemnités de perte d’emploi. Des poursuites pénales sont parfois engagées, à charge pour le militaire poursuivi de démontrer sa bonne foi..

Rapport circonstancié ou DAPIAS non établis ou falsifiés.

En cas de blessure en service, un rapport circonstancié doit être établi, ainsi qu’une déclaration d’affection présumée imputable au service (DAPIAS). Ces documents sont purement descriptifs et visent à préserver aussi bien les droits de l’Etat que ceux de l’intéressé. Une instruction n°1702 modifiée, émanant de l’Etat-major des armées et datant du 9 octobre 1992, toujours en vigueur est parfaitement explicite.

Mais des commandants d’unité, des chefs de service s’arrogeant le droit de dénier un lien au service à la blessure reçue ou à une maladie contractée, refusent, en violation des droits du militaire, d’établir ces documents.

Offre de démission aux militaires en CLDM ou blessés.

A plusieurs reprises, des militaires notamment de l’armée de terre et de la marine, nous ont rapporté que pour éviter de les réformer, le gestionnaire de l’administration centrale leur avait proposé de démissionner. Il s’agit le plus souvent de militaires souffrant de troubles psychiques survenus à la suite des refus d’acceptation de leur offre de démission. Dans la Marine, l’acceptation de l’offre de démission a même été proposée à un militaire qui venait de passer devant une commission de réforme.

En cas de démission, faut-il rappeler que le militaire n’a aucun droit à indemnités pour perte d’emploi et a fortiori aucun droit à une retraite même modeste.

C’est ce qui s’appelle « veiller aux intérêts de ses subordonnés » !

Eviter de statuer sur le lien au service des troubles psychiques.

L’article R 4138-49 du code de la défense stipule que la décision de placement en CLDM doit « préciser « si l’affection ouvrant droit à CLDM est survenue ou non du fait ou à l’occasion de l’exercice des fonctions » ou à la suite de l’une des causes exceptionnelles prévues à l’article L27 du code des pensions civiles et militaires de retraite (actes de dévouement, par exemple).

L’Adefdromil-Aide aux victimes a constaté, par exemple, que la direction des personnels militaires de la gendarmerie s’abstenait de se prononcer sur le lien au service. Pour éviter tout recours ou questionnement des militaires, elle a même retiré l’article R4138-49 du code de la défense de l’ensemble des articles du code communiqués au militaire lors de son placement en CLDM.

Faire pression sur le militaire pour abandonner sa position de CLDM.

Plusieurs militaires, notamment dans la Marine, nous ont rapporté les pressions reçues ou plutôt les conseils mal avisés des psychiatres pour leur faire abandonner leur position de CLDM. En théorie, l’idée est de les aider à se réinsérer. Dans les faits, le replacement en activité dans un poste prétendument adapté, conduit à la perte de droits non négligeables : radiation des contrôles en fin de contrat et non plus en fin de congés, perte du droit à retraite à jouissance immédiate en cas de réforme.

Dans d’autres cas concernant surtout des militaires du rang plus facilement manipulables et ignorants de leurs droits, le replacement en position d’activité vise simplement à leur faire quitter l’institution en fin de contrat pour éviter la réforme automatique en fin de CLDM.

Là encore, le chef veille…

Placer un militaire sans motifs en CLDM, en raison de sa grossesse.

Une militaire enceinte qui travaillait dans un centre d’appel, et dont la grossesse avait été déclarée à risques, nous a rapporté avoir été placée 6 mois en congés-maladie, puis en position de CLDM, alors qu’elle ne souffrait d’aucuns troubles psychiques ou de l’une des deux autres affections ouvrant droit à ce congé.

C’était simplement une manière de lui indiquer la porte de sortie…pour éviter de gérer une mère de famille.

Remettre un militaire ayant accouché en CLDM, en activité de service pour lui accorder un congé parental.

L’Adefdromil-Aide aux victimes a eu à connaître du cas d’une militaire de carrière placée à juste titre en CLDM ; et qui, ayant accouché pendant ce congé rémunéré, a subi la pression du psychiatre militaire pour être replacée en activité et ainsi la contraindre à demander un congé parental non rémunéré. Le médecin ne s’est nullement préoccupé de savoir si l’état psychique du militaire justifiait ou non son maintien en CLDM. Il s’agissait, semble t’il, de ne pas permettre à une militaire élevant son enfant en bas âge d’être rémunérée.

Autres manœuvres minables.

Comment ne pas payer d’IDPNO.

L’indemnité de départ des personnels non officiers a été créée par un décret de 1991. Elle est attribuée aux sous-officiers, officiers mariniers, caporaux-chefs et quartiers-maîtres de 1re classe engagés, totalisant entre 9 et 11 ans de services, en position d’activité et rayés des cadres au terme de leur contrat à la condition que l’autorité militaire ne leur ait pas proposé un nouveau contrat.

L’indemnité est égale à quatorze mois de solde brute, versée lors de la cessation des services. Le montant moyen de l’IDPNO est d’environ 20 000 euros qui servent souvent à abonder la cotisation de retraite complémentaire des agents contractuels de la fonction publique : l’IRCANTEC.

En théorie, cette indemnité devrait donc bénéficier à tous ceux qui n’ont pas vocation à poursuivre une carrière longue, soit parce qu’ils n’ont pas atteint un niveau de qualification suffisant, soit parce qu’ils ont des restrictions d’emploi à la suite de blessures, soit parce que leur manière de servir n’est pas totalement satisfaisante.

On ne devrait donc proposer des renouvellements de contrat qu’aux militaires, dont la hiérarchie souhaite qu’ils poursuivent leur carrière. Dans les faits, pour faire perdre le droit à l’IDPNO aux militaires réunissant les conditions de grade et de durée de service, et ayant exprimé leur souhait de quitter l’institution, il suffit de leur proposer un renouvellement de contrat, systématiquement refusé..

C’est ce qu’on appelle en droit administratif un détournement de pouvoir. L’autorité use d’un pouvoir réglementaire, non pas pour pourvoir à des emplois dans l’institution, mais uniquement pour faire perdre un droit financier important.

La Marine, toujours en pointe, a pratiqué et pratique ce qu’il convient de qualifier de forfaiture, puisqu’elle devrait veiller aux intérêts de ses subordonnés, alors que, bien au contraire, elle met tout en œuvre pour leur faire perdre leurs droits.

L’armée de terre a pris exemple et plusieurs cas « terre » nous ont été rapportés.

Pas d’ICM pour les légionnaires mariés.

A la Légion, tout est possible. La Légion n’engage que des célibataires, sauf que certains des engagés sont mariés, et/ou pères de famille. En toute logique, leur situation matrimoniale devrait être prise en compte et ouvrir droit à l’indemnité pour charges militaires au taux marié. Mais la Légion ignore volontairement cette situation. Ce n’est qu’après cinq ans de services que celle-ci peut être prise en considération et que les légionnaires mariés avant leur engagement peuvent retrouver leurs droits légitimes.

Pas de dossier de pension de retraite pour un militaire réformé.

Comme il l’a déjà été exposé, la réforme ouvre droit à pension de retraite à jouissance immédiate quelle que soit la durée passée sous l’uniforme.

En 2016, un ancien militaire du rang réformé après 9 ans de services nous a contactés. Il était encore en souffrance du harcèlement subi et de ses conditions de départ. Stupeur, quand il nous a expliqué que sa gestionnaire du personnel lui avait indiqué qu’il n’avait droit à rien. En bon militaire, il avait fait confiance à l’officier…Il ne savait pas que « la confiance n’exclut pas le contrôle », selon le mot prêté à Lénine.

Effectivement, il ne bénéficiait d’aucun titre de pension 7 ans après son départ en 2009.

En quelques mois, sur nos conseils, il a obtenu son titre et les arrérages de la pension portant sur 4 années.

Le préjudice n’en demeure pas moins très lourd. Tout d’abord, il a perdu trois années de paiement de retraite. Quelques centaines d’euros supplémentaires par mois lorsqu’on gagne le SMIC ou à peine plus, ce n’est pas négligeable. Mais surtout, comme sa pension a été liquidée selon les dispositions postérieures à 2010, il perd 200 euros par mois sur le montant, dont il aurait dû bénéficier si sa pension avait été liquidée avant la réforme des retraites.

La capitaine à l’origine de son préjudice a poursuivi sa carrière. Elle est commandante. Dans son cas, elle ne peut même pas invoquer, comme excuse, la volonté de nuire. Tout simplement, elle ignorait ! « La plus grande infamie est de faire un métier qu’on ne sait pas » comme disait Napoléon Ier.

Cette publication a un commentaire

  1. Anonyme

    Hélas, trois fois hélas, comment peut-on encore croire à la valeur de la parole donnée par la hiérarchie à ses subordonnés ? La « Grande Muette » est plus arrangeante avec son Bolchoï d’officiers généraux !

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