Armée. Faute de certificat de bonne conduite, des légionnaires sont expulsables du territoire dès la fin de leur contrat avec l’armée française.
ls sont algériens, chinois ou encore russes. Engagés dans la prestigieuse légion étrangère, ces képis blancs se sont vu décerner à la fin de leur contrat le titre de reconnaissance de la nation. Mais pour des raisons disciplinaires, l’armée ne leur a pas délivré le certificat de bonne conduite, indispensable pour obtenir un titre de séjour de dix ans.
L’autre sésame est la carte du combattant, mais la publication au « Bulletin officiel » des unités combattante peut prendre de longues années… De retour à la vie civile, ces ex-légionnaires, quelques centaines, issus de pays hors Union européenne, deviennent donc des clandestins expulsables à tout moment.
Même s’ils n’ont pas été parfaits, ces soldats ont servi notre pays. Leur situation est inacceptable.
MARYLISE LEBRANCHU, MEMBRE DE LA COMMISSION DE LA DEFENSE NATIONALE
Dans un récent rapport sur la légion étrangère, la députée socialiste Marylise Lebranchu s’est penchée sur le sort douloureux de ces ex-soldats du corps d’élite. « L’Etat français ne peut tolérer qu’en son sein une institution, dont la valeur et l’utilité sont reconnues de tous, se transforme en machine à fabriquer du non-droit et des sans-papiers », écrit l’ancienne garde des Sceaux, aujourd’hui membre de la commission de la Défense nationale. Elle qualifie de « discrétionnaires » les modalités d’attribution du certificat de bonne conduite et préconise de le déconnecter de l’attribution d’un titre de séjour. « Même s’ils n’ont pas été les plus parfaits des légionnaires, ces soldats ont servi notre pays. Leur situation est inacceptable », estime l’élue au sujet des ex-képis blancs devenus des sans-papiers. Elle va plus loin en proposant de donner un permis de séjour temporaire à tout légionnaire dès la signature de son contrat.
Marylise Lebranchu préconise par ailleurs l’abandon de l’identité déclarée, qui impose aux candidats de s’engager sous un faux nom, rectifiable au bout d’un an seulement. « C’est contestable en droit, affirme-t-elle. Un état civil d’emprunt prive le légionnaire de nombreux droits, comme ouvrir un compte bancaire, souscrire un crédit, acheter une voiture ou un logement. Il faut réserver l’identité déclarée aux engagés qui la demandent ou aux besoins temporaires d’une enquête pour vérifier l’identité d’un candidat. »
Son rapport n’a pas encore été inscrit à l’ordre du jour par le président de la commission.
G.T.
Source : le Parisien n°20371 du Mardi 9 mars 2010.
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CLES
- 35000 légionnaires sont tombés au champ d’honneur depuis 1831, année de création de la légion étrangère par Louis-Philippe.
- 7600 soldats sont actuellement légionnaires, dont 400 officiers et 1700 sous-officiers, répartis dans 11 régiments, dont 8 dits de combat.
- 1950 légionnaires sont sous identité déclarée (faux nom), dont 1450 ont moins d’un an de service.
- 1200 €. C’était le salaire net (hors primes) d’un légionnaire de 1ère classe, en juin 2009
- 250 sont déserteurs par an selon le général commandant la légion.
- 5 ans. C’est la durée du contrat d’engagement des légionnaires.
Source : le Parisien n°20371 du Mardi 9 mars 2010.
« J’ai servi loyalement et on me jette comme un cochon… »
ANDRY. 29 ans, Malgache, ancien légionnaire
Cette sacoche, Andry ne s’en sépare jamais. « A l’intérieur, il y a tous les papiers qui prouvent que j’ai été militaire à la légion. C’est vital », explique ce Malgache de 29 ans. S’il conserve précieusement ces documents – dont son titre de reconnaissance de la nation -, c’est qu’Andry ne possède rien d’autre, excepté une photocopie de son permis de conduire égaré. Dans les faits, cet ancien caporal du 1er régiment étranger de cavalerie est un clandestin. Il fait partie de ces ex-légionnaires originaires de pays hors Union européenne qui se retrouvent dans la vie civile sans titre de séjour, en situation irrégulière, risquant à tout moment une reconduite à la frontière.
« Quand t’es à la légion, tu te la joues un peu, tu es fier, témoigne Andry. Aujourd’hui, je le suis beaucoup moins, je me fais discret… Les gens ne comprennent pas que je n’ai pas de papiers après cinq ans dans l’armée. Heureusement, les policiers sont plutôt tolérants lors des contrôles d’identité. » Etudiant en droit à Madagascar, il s’est engagé « par fascination » en 2001. Il a servi en Côte d’Ivoire, à Djibouti. Plusieurs fois décorés, Andry a aussi cumulé soixante-sept jours d’arrêt, puni « pour des fautes les moins graves dans l’échelle des sanctions ». Il s’est vu refuser le certificat de bonne conduite à la fin de son contrat. Et sans ce sésame, pas de titre de séjour de dix ans. « J’ai servi loyalement pendant cinq ans et puis on me jette comme un cochon, c’est un peu injuste », dit Andry avec amertume. Bientôt père d’un troisième enfant, il se « débrouille » pour faire vivre sa famille en travaillant au noir dans le transport.
On peut être expulsé du jour au lendemain
QIBIN, 38 ans.
« Il nous semble indigne de la part de la France de traiter d’anciens militaires qui ont servi dignement comme des SDF et des sans-papiers », dénonce Michel Bavoil, président de l’Association de défense des droits des militaires (Adefdromil). Cet ancien capitaine gère les dossiers de ces « gars laissés pour compte » et demande au ministre de l’immigration d’examiner leur cas. Andry a ainsi découvert qu’il n’était pas seul. A 38 ans, Qibin survit grâce « au système D » et à la « générosité » de la communauté chinoise. Cet ex-légionnaire, privé du fameux certificat « à cause d’une bagarre », est condamné à l’oisiveté forcée. «Depuis un an, je ne travaille pas, relate-t-l. Impossible, même dans le milieu de la restauration asiatique, à cause des contrôles renforcés. » Shisheng, 35 ans, dont cinq de légion, trouve aussi le temps long. « J’habite chez un ami où je passe mes journées à ne rien faire », soupire ce Chinois qui a participé à l’opération Licorne en Côte d’Ivoire. Retourner en Chine ? « Je ne connais plus personne », élude Shisheng qui évite de sortir trop souvent. « On peut être expulsé du jour au lendemain », résume Qibin. Dans la même situation, Gandzorig, Mongol de 24 ans, raconte qu’il est arrivé en France en 2004 avec un bac en poche. « J’ai passé près de cinq mois en Afghanistan », précise cet ancien caporal aux cinq ans de légion. Gandzorig espère en vivant sur ses économies de soldat. Il ajoute : « j’ai passé la moitié de ma jeunesse en France, ma vie est ici. » D’autres, comme le Biélorusse Sergueï, sont plus chanceux. Grâce à une lettre motivée de l’Adefdromil, il a obtenu un récépissé lui accordant le droit provisoire de travailler.
GEOFFROY TOMASOVITCH
Source : le Parisien n°20371 du Mardi 9 mars 2010.
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