Le vent semble tourner dans les contentieux consécutifs au dysfonctionnement du calculateur Louvois et à la campagne sauvage de récupérations de trop-versés incertains et parfois hypothétiques.
Une interprétation discutable de la loi.
L’Adefdromil-Aide aux victimes et le cabinet MDMH ont chacun de leur côté pointé du doigt, à diverses reprises, les interprétations douteuses données par des services du ministère aux dispositions de l’article 37-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 qui prévoit que :
« Les créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents peuvent être répétées dans un délai de deux années à compter du premier jour du mois suivant celui de la date de mise en paiement du versement erroné, y compris lorsque ces créances ont pour origine une décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive.
Toutefois, la répétition des sommes versées n’est pas soumise à ce délai dans le cas de paiements indus résultant soit de l’absence d’information de l’administration par un agent de modifications de sa situation personnelle ou familiale susceptibles d’avoir une incidence sur le montant de sa rémunération, soit de la transmission par un agent d’informations inexactes sur sa situation personnelle ou familiale. (…)»
Cet article consacre ainsi une prescription spéciale en matière de rémunération des agents de la fonction publique qui est de deux ans à compter du 1er jour du mois qui suit le règlement litigieux.
La seule exception prévue par ce texte repose sur la faute imputable à l’agent lui-même soit pour avoir omis d’informer son employeur d’un changement de situation pouvant avoir une incidence sur sa solde soit pour avoir donné des informations erronées sur sa situation.
Or, le CERHS de Nancy, qui avait à cœur de remplir avec zèle sa mission de régularisation des dysfonctionnements générés par Le logiciel LOUVOIS a fait une lecture personnelle de ce texte considérant que les avances réglementaires de soldes payées aux militaires dans le cadre d’opérations extérieures (OPEX) ou de séjours à l’étrangersne seraient pas des rémunérations et échapperaient de ce fait aux dispositions de l’article 37-1 précité.
La Cour des comptes avait d’ailleurs consacré un rapport à ce sujet et remettait en cause cette interprétation la jugeant dénuée de fondement légal.
Revirement de position du ministre à la suite de recours CRM.
Malgré les rappels systématiques des dispositions légales relatives à la prescription biennale dans les recours adressés à la CRM, en particulier, sur les avances de solde, les services du ministre restaient sourds à ces arguments.
Or, sans doute touché par une grâce juridique, il semble enfin que le ministre de la défense ait pris position en faveur d’une application stricte de la loi et plus particulièrement des dispositions de l’article 37-1 de la loi du 12 avril 2000.
C’est ainsi que le cabinet MDMH a pu constater depuis le début de ce mois de juillet 2016 des décisions d’agrément des recours devant la commission des recours des militaires ou d’annulation de décisions devant la juridiction administrative qui admettent expressément l’application de la prescription biennale aux avances de solde.
Dans l’une de ces décisions, rendue au début du mois de juin 2016 à propos d’un trop-versé prétendu de plus de 10.000 euros à titre d’avance de solde, l’argumentation ministérielle sanctionne l’action du CERHS :
« (…) considérant toutefois, qu’en demandant le (…) 2014 le remboursement desdites avances de solde, le centre expert des ressources humaines et de la solde de Nancy n’a pas agi dans le délai de la prescription biennale prévue par l’article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 précitée ; que toutes les sommes non reprises avant le 1er décembre 2012 sont prescrites ; que par conséquent, l’entier trop-versé est prescrit et ne peut être réclamé (…) »
Dans une autre affaire, un militaire retraité avait eu la désagréable surprise de se voir prélever sans avis des sommes au titre d’un trop versé supposé. Après de nombreuses réclamations, un titre de perception lui avait été notifié à une mauvaise adresse pour un montant de plus de 16.000 euros à titre d’avance règlementaire de solde budgétaire à l’initiative de la formation administrative. Or, ces sommes réclamées lui auraient été versées plus de deux avant la notification du titre de perception.
Finalement, après un recours préalable auprès de la direction régionale des finances publiques puis devant le tribunal administratif, le ministère de la défense a admis son erreur et procédé à l’annulation de ce trop versé.
Dans un autre dossier, un ancien militaire se voyait réclamer une somme de plus de 50 000 euros qu’il avait reçue au titre d’une régularisation de solde et de ses accessoires, un an après la fin de son contrat. Il avait d’ailleurs été régulièrement imposé.Finalement, l’organe payeur a reconnu que le paiement était définitif en raison de la prescription biennale acquise et que la réclamation qui avait été adressée, résultait d’une erreur.
Le défenseur des droits entre dans la danse.
Conscients cependant, qu’il faut plus qu’une démonstration logique et parfaite pour convaincre le ministre de la défense et ses services, nous pensons également que l’intervention d’une décision du Défenseur des droits, M. Jacques TOUBON (Décision MSP-2016-101 du 26 avril 2016 relative au recouvrement d’une créance prescrite), a largement contribué au revirement de la position ministérielle à propos de l’application de la prescription biennale aux avances de solde.
Citons le communiqué des services du Défenseur des droits en date du 22 juin 2016 qui résume parfaitement l’affaire.
« Le Défenseur des droits a été saisi d’une réclamation relative à la mise en recouvrement en 2014 par l’administration des Finances publiques d’un titre de perception émis en juin 2010 à l’encontre d’un ancien enseignant pour qu’il rembourse une somme de 2 000 € correspondant à sa paie du mois de septembre 2006, qui lui avait été versée malgré sa démission à compter du 1er septembre 2006.
Ne percevant plus que sa retraite depuis janvier 2015, après une longue période de chômage qui avait débuté en 2011 et devant faire face au remboursement des emprunts contractés au moment où il ne percevait plus qu’une allocation de solidarité spécifique de 16,11 € par jour, Monsieur X. a sollicité une remise gracieuse de cette dette, indiquant qu’il aurait pu rembourser cette somme si elle lui avait été réclamée au moment où il travaillait encore, d’autant qu’il avait signalé l’erreur au rectorat dès octobre 2006.
L’administration des Finances publiques a rejeté sa demande, au motif qu’une remise gracieuse ne pouvait être accordée qu’en cas de difficultés financières extrêmement graves.
Cependant, les services du Défenseur des droits ont constaté que la créance était prescrite à la date d’édition du commandement de payer, conformément à l’article 94 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011( article 37-1de la loi du 12 avril 2000), qui enferme dans un délai de deux ans à compter du versement erroné l’action en recouvrement des sommes indument versées aux agents publics par les administrations et ce, nonobstant les dénégations de la direction régionale des Finances publiques, qui s’accorde un délai supplémentaire de cinq ans à compter de la prise en charge d’un titre de perception pour procéder au recouvrement. Or, cette position de l’administration des Finances publiques n’a été validée à ce jour, ni par la loi, ni, a fortiori, par la jurisprudence.
Le Défenseur des droits recommande à la directrice régionale des Finances publiques de cesser toutes poursuites à l’encontre de Monsieur X. »
Il aurait été effectivement difficile de ne pas faire un lien entre cette condamnation morale de l’administration des finances publiques qui avait estimé à tort qu’elle pouvait tenter de recouvrer un paiement supposé indu pendant un délai de cinq ans à l’encontre d’un ancien enseignant et les démarches dolosives du CERHS à l’encontre des militaires. On comprend donc que le ministre de la défense soit revenu à de « meilleurs sentiments ».
13 juillet 2016