Examen, ouvert à la presse, de la proposition de loi de M. Jean-Jacques Candelier relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple de la guerre de 1914-1918 (n° 274).(M. Jean-Jacques Candelier, rapporteur)

Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 17 mai 2016

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 49

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Examen, ouvert à la presse, de la proposition de loi de M. Jean-Jacques Candelier relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple de la guerre de 1914-1918 (n° 274).(M. Jean-Jacques Candelier, rapporteur)

— Information relative à la commission

La séance est ouverte à dix-huit heures.

Mme la présidente Patricia Adam. Mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi de M. Jean-Jacques Candelier relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple de la guerre de 1914-1918. Il nous faut tout d’abord désigner un rapporteur : j’ai reçu la candidature de M. Jean-Jacques Candelier. Je ne constate pas d’opposition, donc notre collègue est désigné rapporteur.

M. Jean-Jacques Candelier, rapporteur. Au terme des quatre années de la Première Guerre mondiale, la France compte 1,3 million de tués ou disparus. Aux soldats français morts au combat s’ajoutent ceux décédés ensuite, en raison de blessures, d’infections ou par gazage. Au total, 16,5 % des 7,8 millions de Français mobilisés sont morts, laissant 700 000 orphelins et 600 000 veuves. La France rurale subit une véritable saignée.

Parmi ces victimes de la Grande Guerre, il y a ceux dont on ne veut pas parler, ceux qui ne méritent pas les honneurs de la Patrie, ceux dont les familles ont dû se cacher pour porter le deuil : les fusillés pour l’exemple. Eux aussi, pourtant, ont été pris dans l’enfer des tranchées, noyés sous le flux parfois incessant des tirs des « marmites » de l’artillerie lourde, meurtris dans leurs chairs, la faim au ventre, le froid agressant leurs corps.

Ils se sont battus au nom de la France, pour la France, se levant de la terre, avec pour seul horizon les barbelés adverses. Et parfois, épuisés par les combats, par l’attente, n’en pouvant plus d’être réduits à de la chair à canon, certains ont renoncé. Était-ce infamant ? Peut-être, parfois, mais la plupart du temps, non !

Était-ce infamant d’avoir été capturé par l’ennemi avec quelques autres, de s’échapper blessé et de regagner les lignes françaises ?

Était-ce infamant de reculer de quelques dizaines de mètres, surpris par une attaque, pour mieux repartir au combat ?

Était-ce infamant de ne pas sortir de sa tranchée, lorsque, devant vos yeux, s’amoncellent les corps de vos camarades tombés par vagues lors d’absurdes attaques ?

Était-ce infamant de ne parler que corse ou breton et de ne pas être en mesure d’expliquer sa blessure ?

Non, cela ne l’était pas.

Combien d’exécutés pour s’être égarés dans la confusion des combats, pour avoir été faussement accusés de s’être automutilés en vue d’y échapper alors même qu’ils y avaient été blessés, pour avoir appliqué un ordre donné par un capitaine mort et incapable de les défendre, pour avoir été tiré au sort, après avoir refusé une énième percée inutile et sanglante ?

Les histoires du soldat Lucien Bersot, exécuté pour ne pas avoir voulu porter le pantalon taché de sang d’un camarade mort au combat, ou du sous-lieutenant Chapelant, fusillé attaché à son brancard, sont les plus connues. Nombre d’ouvrages d’historiens racontent en détail les histoires de ces autres hommes morts, d’une manière ou d’une autre, en ayant défendu la patrie, au cri de « Vive la France ! »

Le Parlement n’a pas pour mission de juger, il convient d’insister.

Aujourd’hui, il est simplement question de s’interroger sur la place que la Nation souhaite réellement accorder à ces soldats au sein de sa mémoire et de se demander encore : comment en est-on arrivé là ?

La mémoire des fusillés n’est pas encore apaisée. Leur sort constitue une zone d’ombre de notre histoire nationale, une flétrissure qu’il convient d’assumer.

En déposant une proposition de loi visant à procéder à une réhabilitation générale et collective des « fusillés pour l’exemple » de la Première Guerre mondiale, les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine poursuivent modestement le combat entamé dès les premiers mois de la Grande Guerre par certains de nos illustres prédécesseurs, comme le député de l’Aube, Paul Meunier, qui s’exclamait à la tribune en 1916 : « Il faut en finir, Messieurs, avec les crimes des conseils de guerre. »

Si l’on s’en tient aux chiffres publiés dans le rapport remis par Antoine Prost au Gouvernement en octobre 2013, on dénombre 56 exécutions pour fait d’espionnage, 53 pour crimes et délits de droit commun, 14 exécutions sommaires connues, et 618 fusillés pour manquements à la discipline militaire. C’est à ces derniers, et ces derniers seulement que la présente proposition de loi s’adresse.

Contrairement aux idées reçues, les mutins de 1917 sont loin de constituer la majorité des fusillés. Au cours des dix-sept premiers mois de la guerre, d’août 1914 à fin décembre 1915, le général André Bach a recensé près de 500 exécutions. Inversement, alors que la plupart des historiens estiment que les mutineries de 1917 ont concerné 40 000 à 80 000 soldats, il y eut « seulement » 27 exécutions.

Les mutineries collectives ont ainsi été moins réprimées que les renoncements individuels.

En 1914, la justice militaire repose presque intégralement sur le code de justice militaire du 9 juin 1857, modifié par la loi du 18 mai 1875. Cette organisation est remise en cause dès le début de la guerre.

Le Gouvernement à Bordeaux, le Parlement ajourné, les autorités politiques, effrayées par la peur de la débâcle, ont encouragé le commandement militaire à se montrer répressif. Adolphe Messimy, ministre de la Guerre, écrit ainsi au généralissime Joffre le 20 août 1914 : « Il vous appartient de prendre des mesures et de faire des exemples. »

Dès août 1914, le Gouvernement donne par décrets carte blanche au commandement militaire, et la faculté de se pourvoir en révision contre les jugements des conseils de guerre aux armées est suspendue. Par ailleurs, les autorités militaires se voient conférer le droit de faire exécuter les sentences de mort sans attendre l’avis du président de la République.

En septembre, sont institués des conseils de guerre spéciaux à trois juges – les cours martiales – qui peuvent juger suivant une procédure simplifiée et sans possibilité de recours. Cette justice expéditive, et parfois aveugle, s’accompagne d’un processus d’humiliation et de dégradation. Enfin, l’exécution est suivie d’une publicité qui vise à jeter l’opprobre sur le condamné et sa famille.

Le Parlement siège de nouveau à compter de décembre 1914 et de nombreux députés retrouvent leur siège après avoir été mobilisés. Certains ont été témoins d’exécutions et s’emparent de ce qu’ils considèrent comme un scandale d’État, ou à tout le moins une injustice. Paul Meunier, membre de la commission de la Réforme judiciaire et de la législation civile et criminelle, se lance en mars 1915 dans un combat en faveur d’une réforme de la justice militaire, qui aboutira à la promulgation de la loi du 27 avril 1916 relative au fonctionnement et à la compétence des tribunaux militaires.

En juin 1917, lors de la répression des mutineries, Philippe Pétain obtient la suspension temporaire du recours pour les condamnés à mort. Pendant cinq semaines, six cents soldats sont condamnés à mort, pour une trentaine d’exécutions. Après cette date, le fonctionnement de la justice militaire ne connaît plus de transformation fondamentale et, face aux erreurs, quelques réhabilitations sont obtenues alors même que le conflit se poursuit.

Au sortir de la guerre, les familles des fusillés doivent supporter la honte qui entoure la mort de leur époux, de leur fils, de leur frère. De multiples récits témoignent des humiliations, des demandes de déménagement, des curés refusant de sonner les cloches, des détournements de tête.

Après une première loi d’amnistie en 1919, une deuxième loi d’amnistie, votée le 29 avril 1921, instaure un recours contre les condamnations prononcées par les conseils de guerre spéciaux.

Le 9 août 1924, une loi tendant à permettre la réhabilitation des soldats exécutés sans jugement est adoptée.

Le 3 janvier 1925, une nouvelle loi d’amnistie instaure une procédure exceptionnelle devant la Cour de cassation, et le code de justice militaire est révisé en 1928.

Surtout, le 9 mars 1932 est adoptée la loi créant la Cour spéciale de justice militaire, compétente pour réexaminer tous les jugements rendus par les conseils de guerre. Elle siégera entre 1933 et 1935. C’est cette Cour qui permettra la réhabilitation des caporaux de Souain et des fusillés de Flirey. Une quarantaine de fusillés seront ainsi réhabilités dans l’entre-deux-guerres.

Alors que la crise économique touche la France de plein fouet dans les années trente et que se profile la Seconde Guerre mondiale, le débat autour de la réhabilitation des fusillés perd de l’importance durant une cinquantaine d’années.

Finalement, en novembre 1998, à l’occasion d’un discours prononcé à Craonne lors des commémorations de l’armistice, le Premier ministre, Lionel Jospin, rend un hommage inédit aux fusillés pour l’exemple.

Dix ans plus tard, le 11 novembre 2008, c’est au tour de Nicolas Sarkozy, président de la République, de saluer la mémoire de tous les soldats de la Grande Guerre, sans exception, y compris les fusillés.

Entre ces deux dates, de nombreux travaux d’historiens ont éclairé d’une lumière nouvelle la question des fusillés pour l’exemple. De nombreuses associations, comme la Libre Pensée, l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC) et la Ligue des droits de l’Homme ont également repris le combat, animées d’un nouvel espoir.

Pourtant, alors même que, sur le terrain, les populations et les élus sont mobilisés côte à côte pour obtenir une réhabilitation collective, le Gouvernement tarde à agir. De nombreux conseils municipaux, départementaux et régionaux ont adopté des résolutions en faveur de la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple. Certaines communes ont pris l’initiative d’inscrire le nom de leurs fusillés au fronton des monuments aux morts.

Aujourd’hui, nombre de cadavres demeurent toutefois « dans le placard de la Grande Guerre » selon les mots de l’historien Jean-Yves Le Naour. À la suite de la remise du rapport d’Antoine Prost, le président de la République, François Hollande, a évoqué le 7 novembre 2013 la mémoire de ceux qui furent passés par les armes.

Il a annoncé à cette occasion la constitution d’un espace consacré aux fusillés au Musée de l’Armée aux Invalides en novembre 2014. Mais comment s’en satisfaire alors même que le Canada, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni ont adopté au cours des années 2000 des lois de pardon ou de réhabilitation ?

Face aux atermoiements du Gouvernement, il est de notre devoir, comme le firent nos prédécesseurs dès décembre 1914, de rendre hommage à ces soldats exécutés.

Je citerai les mots du brancardier-musicien Leleu du 102e régiment d’infanterie, décoré de la croix de guerre : « Je me suis laissé dire qu’après la guerre, des fusillés avaient été considérés comme ‟morts pour la France”, ce qui serait une sorte de réhabilitation. Je ne sais si cela est exact, mais, quant à moi, je crois sincèrement que beaucoup de ces malheureux sont effectivement morts pour le pays, car c’est la France qui les a appelés, et c’est pour elle qu’ils se sont battus, qu’ils ont souffert là où les menait leur tragique destinée, et ce n’est pas un moment de défaillance physique ou morale qui peut effacer leur sacrifice. J’ose m’incliner devant leur mémoire. Jugera qui voudra, à condition qu’il soit passé par là. »

Je conclurai en soulignant qu’en exécutant de la sorte ses soldats, et en refusant d’affronter pleinement la question de leur souvenir, la Nation s’est en quelque sorte infligé la flétrissure qu’elle entendait leur faire porter, et ne parvient toujours pas aujourd’hui à ôter ce kyste mémoriel.

C’est pour cette raison qu’il lui faut aujourd’hui procéder à une réhabilitation collective et générale des fusillés et demander pardon à leurs descendants de les avoir oubliés, stigmatisés, et rejetés, alors même que dans l’ensemble, ceux-ci ont pour la plupart combattu, brandissant leurs baïonnettes face à l’artillerie pour défendre leur patrie.

C’est à ce prix que la nation cessera d’être hantée par Alphonse, Octave, Louis, Eugène, Paul, Émile, Lucien et les autres.

C’est à ce prix que nous pourrons rendre justice à ceux ayant connu l’épreuve tragique de l’épée qui se baisse, du bruit fracassant des douze coups de fusil et du bruit mat des balles qui pénètrent dans les corps, du coup de grâce dans la tempe, de la parade devant le corps.

M. Philippe Nauche. Les faits évoqués par le rapporteur rappellent une période tragique de notre histoire, et la perception que nous en avons aujourd’hui n’est probablement pas la même que celle qui prévalait à l’époque. C’est pour cela, qu’en novembre 1998, quatre-vingts ans après la fin du premier conflit mondial, Lionel Jospin, alors Premier ministre, rendait hommage aux mutins de Craonne sur le Chemin des Dames de 1917, qui, « épuisés par des attaques condamnées à l’avance, glissant dans une boue trempée de sang, plongés dans un désespoir sans fond, refusèrent d’être sacrifiés ». Il avait souhaité que « ces soldats, fusillés pour l’exemple au nom d’une discipline dont la rigueur n’avait d’égale que la dureté des combats réintègrent aujourd’hui pleinement notre mémoire collective nationale ».

Sous la présente législature, Kader Arif, alors ministre délégué chargé des Anciens combattants, avait décidé de faire un premier pas symbolique en décernant, à l’occasion de la commémoration du 11 novembre 2012, la mention « mort pour la France » au lieutenant Jean Chapelant, que notre collègue Candelier vient d’évoquer.

Afin de poursuivre ce travail, un rapport a été commandé à l’historien Antoine Prost, et fut remis le 1er octobre 2013. La principale conclusion, qui est partagée par mon groupe politique, était que, dans le cadre du centenaire de la Première Guerre mondiale, il était important de réintégrer les fusillés pour l’exemple dans la mémoire collective.

Depuis, le président de la République, François Hollande, a décidé d’accorder à l’histoire des fusillés une place au sein du Musée de l’armée, installé aux Invalides. De même, tous les dossiers des conseils de guerre ont été numérisés et sont enfin accessibles à la recherche et au public dans un espace particulièrement consacré du site « Mémoire des hommes ».

Nous considérons qu’il ne s’agit plus aujourd’hui de juger ou de rejuger, mais de se souvenir et de comprendre, ainsi que le préconisait Antoine Prost, car il n’y a pas de reconnaissance plus forte que celle de la connaissance.

Toutefois, même s’il faut noter que la présente proposition de loi se distingue d’autres textes précédemment déposés, toute réhabilitation de portée générale, sans véritable discernement, qu’elle soit juridique ou symbolique, dilue la reconnaissance de ces victimes. La notion de « fusillés pour l’exemple » n’est de plus pas clairement définie aujourd’hui.

Par ailleurs, un certain nombre de communes qui l’ont souhaité ont pu inscrire sur leurs monuments aux morts les noms de leurs fusillés pour l’exemple. Les dossiers doivent être traités individuellement de façon que la réhabilitation, le cas échéant, conserve toute sa force. Pour ces raisons, bien que partageant les préoccupations qui la motivent, considérant que les modalités de la reconnaissance collective de cette réalité historique – qu’il nous revient d’affronter comme les autres – ne sont pas probantes, le groupe Socialiste, républicain et citoyen (SRC) n’est pas favorable à cette proposition de loi.

M. Philippe Folliot. Je souhaite remercier le rapporteur pour cette présentation qui nous conduit à méditer cet épisode douloureux de notre histoire, alors que dans le cadre des commémorations du centenaire, nous sommes engagés dans un travail collectif de mémoire. À cet égard, nous devons prendre en compte l’ensemble des éléments ayant trait à cette période, les fusillés pour l’exemple en font partie et il convient de ne pas les oublier.

Nous devons toutefois réfléchir au rôle qui pourrait revenir au Législateur de fixer un cadre officiel à notre histoire. À plusieurs reprises, la question s’est posée tant au sein de notre commission que de l’Assemblée nationale, de savoir si nous devions écrire une « version officielle » de l’histoire. En légiférant de manière globale, collective et générale, Monsieur le rapporteur, ne risquerions-nous pas de créer un précédent supplémentaire et d’ouvrir la porte à des débats sans fin comme, malheureusement, la France en a le secret ?

Des réhabilitations individuelles légitimes et fondées paraîtraient plus sages qu’une réhabilitation collective.

Vous avez cité un ancien poilu ayant déclaré : « Jugera qui voudra, à condition qu’il soit passé par là. » Aucun d’entre nous, par définition, n’est passé par là. Celui qui, à mes yeux, serait le mieux fondé pour juger, et malheureusement je n’ai pas pu en parler avec lui, est mon grand-père Eugène Folliot, grand blessé laissé pour mort sur le champ de bataille. J’ai une pensée émue pour lui à cet instant, et il eût été singulièrement mieux placé que son petit-fils pour porter un jugement.

Je ne suis pas convaincu que la loi soit le bon vecteur d’expression d’un travail de mémoire collective. Dans l’attente du débat en séance, et tout en partageant le souhait de voir reconnu le sort des fusillés pour l’exemple, je ferai part des réserves du groupe Union des démocrates et indépendants (UDI) à l’encontre de cette proposition de loi.

M. Christophe Guilloteau. Je m’exprimerai à titre personnel, car mon groupe ne s’est pas encore concerté sur ce texte. Il est toujours difficile de revisiter l’histoire cent ans après ; on a trop souvent demandé aux députés d’être des historiens, ce qu’en aucun cas nous ne sommes, car nous sommes législateurs. Il s’agit d’un vieux débat que j’ai déjà connu au sein de mon conseil départemental. S’il avait été si simple, depuis un siècle, il aurait été tranché.

Je peux comprendre que le rapporteur soit attaché à ce souhait de voir reconnaître les fusillés pour l’exemple, mais je suis gêné par le pardon associé à ce texte : comment une Nation peut-elle demander pardon pour ce qu’elle n’a pas commis au moment de cette demande ? Vous avez évoqué des historiens, mais, certains d’entre eux avancent l’inverse de ce que vous avez indiqué, et – que l’on me pardonne –, des gens ont mérité d’être fusillés, alors que d’autres ne le méritaient absolument pas. Comment nous, ici, en 2016, assis à cette table, pourrions-nous juger des événements immondes et ignobles qui se sont déroulés au cours de ce conflit mondial, qui a certainement été la plus barbare des boucheries de l’histoire ? Pour ma part, je m’en sens incapable, et bien incompétent.

Votre préoccupation porte sur un débat ancien. Des associations d’anciens combattants dont vous êtes proche ont beaucoup milité pour cette cause, et certains maires ont fait le choix de graver sur leurs monuments aux morts les noms d’hommes qu’ils considéraient comme fusillés pour l’exemple.

En tout état de cause, en tant que simple législateur, je me refuse à être un historien, et ma compétence n’est pas aussi étendue que vous le souhaiteriez ; je comprends votre volonté de revisiter l’histoire, mais je m’en sens incapable.

M. Michel Voisin. Je comprends l’émoi que peuvent provoquer dans notre pays des décisions prises à certains moments de l’histoire. À l’époque, ces décisions ont été prises par un pouvoir, par des législateurs, qui obéissaient à des règles : la règle applicable aux militaires disposait que, la discipline faisant la force principale des armées, il importait que tous obéissent, et la réclamation n’était permise qu’après avoir obéi.

Être français, c’est accepter les heures glorieuses comme les heures sombres de notre pays ; ce qui a été fait à l’époque, nous le percevons avec nos conceptions actuelles. Dans ma circonscription, une personne dont le grand-père était mort pendant la Grande Guerre et dont le nom ne figurait pas sur le monument aux morts est venue me solliciter. Pour ce seul cas, les recherches auprès du ministère des Anciens combattants ont permis un accord au terme de plus de trois ans. Dès lors, je m’interroge : comment un maire peut-il décider d’inscrire un nom sur un monument aux morts s’il ne dispose pas de l’acte émanant du ministère compétent, et portant la mention « mort pour la France » ?

À mon sens, il est contradictoire de vouloir adopter une mesure collective, quel que soit l’émoi que provoque en moi cette question, et je ne pourrai pas donner mon assentiment à ce texte.

M. Philippe Vitel. En tant qu’élu de la Nation, je conçois mal comment je serais à même de me prononcer sur la réhabilitation générale et collective, sans plus de discernement. Demander pardon aux familles, mais aussi au pays tout entier, ne me paraît pas non plus relever des prérogatives de l’élu du peuple : j’ignore qui peut pardonner, mais je ne vois pas comment je pourrais de la sorte transformer le mandat qui m’a été confié par mes électeurs.

Concernant la mention « mort pour la France » inscrite sur les monuments aux morts, je partage le point de vue de Michel Voisin. Pour toutes ces raisons, je considère qu’il faut rester très prudent, et je ne voterai pas cette proposition de loi.

M. Guy Chambefort. Étant élu d’un département qui a connu un certain nombre d’exécutions pour l’exemple, notamment les martyrs de Vingré, qui ont été réhabilités, je suis attentivement ces questions. Si le texte présenté a le mérite d’exister, il aurait pu revêtir un aspect moins général. Si pendant longtemps certains s’opposaient à la réhabilitation de personnes susceptibles de s’être rendues coupables de crimes ou d’actes d’espionnage, dont on peut penser aujourd’hui au vu des dossiers que certaines condamnations auraient pu être évitées, demeurent 618 soldats sur lesquels ne plane aucun doute.

Plutôt que de proposer une réhabilitation générale, il eut été préférable de se limiter à la réhabilitation collective des 618 concernés, car nous savons le traumatisme qui a été provoqué dans la population et les familles par ces condamnations ; le texte aurait gagné à être plus précis.

Par ailleurs, je ne suis pas non plus favorable au pardon de la Nation, mais plutôt partisan de la réhabilitation simple de ceux qui ont été fusillés du fait du contexte de l’époque ; j’ai par ailleurs conscience que, si nous ne saisissons pas l’occasion du centenaire, cela n’aura jamais lieu. Le travail de recherche et de numérisation des archives, réalisé à la demande du président de la République, permet de disposer d’éléments beaucoup plus précis. À titre personnel, je ne me prononcerai pas en faveur de l’adoption de cette proposition de loi, et me bornerai à m’abstenir.

M. Jacques Lamblin. La question me semble beaucoup plus complexe qu’il ne le paraît, aussi je demande un temps de réflexion supplémentaire. De fait, l’objet n’est pas de réécrire l’histoire, ce qui reviendrait à nier le fait qu’il y a eu des fusillés pour l’exemple, mais d’estimer que des jugements ont probablement été injustes. Nous ignorons combien de jugements sont concernés, ni qui a été fusillé à tort ou à raison. Aussi nous est-il proposé, puisque nous sommes incapables de sortir de l’ambiguïté de certaines situations, de « passer l’éponge » et de réhabiliter tout le monde parce que des malheureux ont été injustement condamnés.

Ce point de vue peut se défendre ; je considère néanmoins qu’il faut poursuivre la réflexion ; telle est, pour le moment, ma position.

M. Gilbert Le Bris. Je suis opposé à l’adoption de ce texte, qui porte sur les deux thèmes de la réhabilitation et de la repentance.

S’agissant de la réhabilitation, il me semble toujours très difficile de revisiter l’histoire, et revisiter celle des guerres l’est encore plus ; chacun sait que l’histoire est tragique, et je pense qu’il revient aux historiens de juger. Que quarante fusillés aient pu être réhabilités, le rapporteur l’a évoqué ; mais pratiquer la réhabilitation collective est toujours très difficile.

Le Législateur n’est pas là dans son rôle. J’ai été gêné, dans le passé, par le cas des généraux après la guerre d’Algérie, comme je le suis lorsqu’il nous est demandé de porter un jugement sur le génocide arménien. Laissons l’histoire aux historiens et la loi au Législateur.

En ce qui concerne la repentance, j’observe que le président Obama, lorsqu’il va au Japon, refuse de demander pardon pour Nagasaki et Hiroshima, et il a raison car, sans l’utilisation d’armes atomiques, il y aurait peut-être eu plus de morts ailleurs. Toute repentance est toujours délicate ; elle constitue surtout un moyen de se dédouaner facilement, et j’estime que notre génération se dédouane trop facilement des générations antérieures. Qui nous dit que les générations futures ne se dédouaneront pas de ce que nous aurons fait ici ou là ?

Pour toutes ces raisons, je me prononcerai contre cette proposition de loi.

M. Christophe Léonard. Je salue la proposition de loi défendue par Jean-Jacques Candelier dont j’ai apprécié l’exposé des motifs, indépendamment de la référence que fait l’article unique à la réhabilitation générale portant sur 618 situations individuelles.

Au cours de mon mandat de conseiller général des Ardennes, j’ai été conduit, en 2012, à défendre un vœu proche de l’intention qui anime le texte que nous examinons aujourd’hui. En 2014, en tant que membre de la commission de la Défense, j’avais fait circuler un projet de texte que j’avais soumis aux ministères compétents, afin de savoir si un accord était possible. Nous sommes à la veille des commémorations du centenaire de la Grande Guerre, et si l’Assemblée nationale ne prend pas une initiative, la fenêtre se refermera, indépendamment des propos successifs du Premier ministre Lionel Jospin en 1998, du président Nicolas Sarkozy et du président François Hollande.

Je ne pense pas que la fonction d’un législateur soit d’être historien, mais il n’en a pas moins la capacité d’amender un texte, et ce sera l’enjeu du débat que nous aurons en séance le 26 mai prochain. Nous devons nous saisir de cette proposition de loi afin de faire connaître la position des représentants du peuple français sur ce sujet, et nous sommes parfaitement légitimes à le faire.

À titre personnel, puisque mon groupe n’a pas pu se réunir pour en débattre, je ne me prononcerai pas contre la proposition de loi de Jean-Jacques Candelier.

M. Philippe Nauche. Je ne faisais qu’exprimer la position constante de mon groupe, la même que celle que nous avons soutenue lors des discussions avec Kader Arif et lorsque des membres du groupe Socialiste, républicain et citoyen faisait circuler des projets de texte sans l’avoir consulté.

M. Michel Voisin. Nos collègues qui étaient à notre place il y a cent ans ont pris des décisions correspondant aux événements de l’époque ; nous n’y étions pas. Ce n’est pas à nous qu’il revient d’écrire l’histoire, mais aux historiens, qui sont très qualifiés pour cela. J’ajouterai que prendre une telle décision risquerait d’ouvrir la porte à la remise en cause de tout ce qui est advenu au cours des autres guerres, singulièrement après la libération de 1945. Nous recevrions inévitablement des demandes de la part de familles qui, parfois, ont été très humiliées alors qu’elles étaient innocentes.

Cela risquerait de nous revenir en pleine figure ; nous avions des collègues élus par le peuple, il faut respecter leurs choix, car il ne devait pas être facile de siéger à l’époque.

M. le rapporteur. Les gestes symboliques du président de la République vont dans le bon sens, mais ne suffisent pas à mes yeux. Je rappelle que l’objet de la proposition de loi est la réhabilitation collective qui permettrait l’inscription de la mention « mort pour la France », même si certaines communes ont pris l’initiative de faire porter une inscription simple.

Le travail au cas par cas serait très difficile, car le tiers des archives ont disparu ; nos prédécesseurs auraient peut-être dû relever leurs manches et régler le problème. En revanche, les 618 fusillés que j’ai évoqués ont été identifiés par les historiens, et nous disposons de la liste.

À M. Folliot, je répondrai qu’il ne s’agit effectivement pas de juger l’histoire, pas plus que l’armée ou la justice militaire, mais de réhabiliter des malheureux exécutés.

Je confirme à M. Guilloteau qu’il ne s’agit pas de réécrire l’histoire, et encore moins de la juger, mais bien d’accomplir un travail de législateur en réhabilitant par la loi, et cela est possible. J’insiste : le texte porte sur les fusillés pour désobéissance, et non sur les auteurs de crime ou les espions ; je parle des 618 qui ont été fusillés pour l’exemple.

À M. Chambefort, je dirai que, cent ans après les faits, une réhabilitation au cas par cas n’est pas envisageable pour les raisons évoquées.

J’indique à monsieur Lamblin que nous sommes bien aujourd’hui en possession de la liste des fusillés.

Je tiens à préciser à M. Le Bris que la réhabilitation n’est pas une réécriture de l’histoire, mais une procédure prévue par le code pénal ; il s’agit pour le Législateur de réhabiliter collectivement, du fait de la difficulté de mener une procédure de réhabilitation au cas par cas.

À l’occasion des commémorations du centenaire de cette guerre monstrueuse, je pense que nous devons aller plus loin, comme l’ont fait le Canada, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni. Il y a quelques décennies, des lois d’amnistie ont été adoptées pour des cas plus complexes et plus tortueux : cherchez bien mes chers collègues, car je ne souhaite pas les citer.

Aujourd’hui, il faut, à mes yeux, réhabiliter ces 618 soldats morts pour la France. Je remercie mes collègues d’avoir participé à la discussion, nous aurons peut-être l’occasion de reprendre ce texte et de le modifier.

Mme la présidente Patricia Adam. Merci à tous d’avoir participé à cet exercice de mémoire collective à l’approche du centenaire de la Guerre de 1914-1918.

M. Christophe Léonard. Il me semble que le libellé de l’article unique ne correspond pas au contenu de l’exposé des motifs, qui est plus subtil. Par ailleurs, j’ai dit que je ne voterai pas contre la proposition de loi, mais je n’ai pas dit que je m’abstiendrai ; au regard des explications fournies par le rapporteur, je la soutiendrai. En effet, il est important qu’un débat ait lieu dans l’hémicycle le 26 mai, trois jours avant l’intervention du président de la République à Verdun, à quelques kilomètres de ma circonscription des Ardennes qui est limitrophe du département de la Meuse.

La commission en vient à l’examen de l’article unique de la proposition de loi.

Article unique

La commission rejette l’article unique.

En conséquence, elle rejette l’ensemble de la proposition de loi.

Mme la présidente Patricia Adam. Dans le cadre de la journée réservée au groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR), le texte originel de la proposition de loi sera examiné en séance publique le jeudi 26 mai prochain.

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Information relative à la commission

La commission a désigné M. Jean-Jacques Candelier rapporteur de de la proposition de loi de M. Jean-Jacques Candelier relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple de la guerre de 1914-1918 (n° 274).

La séance est levée à dix-neuf heures.

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Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Patricia Adam, Mme Sylvie Andrieux, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-Jacques Candelier, M. Guy Chambefort, M. David Comet, Mme Marianne Dubois, M. Yves Fromion, M. Claude de Ganay, M. Christophe Guilloteau, M. Jacques Lamblin, M. Gilbert Le Bris, M. Christophe Léonard, M. Philippe Nauche, M. Jean-Claude Perez, Mme Marie Récalde, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin

Excusés. – M. Olivier Audibert Troin, Mme Danielle Auroi, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, Mme Isabelle Bruneau, M. Jean-David Ciot, M. Guy Delcourt, Mme Geneviève Fioraso, M. Serge Grouard, Mme Edith Gueugneau, M. Éric Jalton, M. François Lamy, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, Mme Lucette Lousteau, M. Damien Meslot, M. François de Rugy

Source: Assemblée nationale

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