Nous en avons appris de belles lors de l’audience du 2 février 2016 de la 10ème chambre du TGI de Paris, chambre spécialisée en affaires pénales militaires. La presse n’a pu rendre compte de tous les détails et de toutes les infamies de cette lamentable affaire.
Revenons sur quelques points qui montrent bien les dérives possibles dans de tels dossiers.
L’empathie du commandant de la Section de recherches de Dijon (retraité depuis) pour la victime.
Initialement, c’est la section de recherches de la gendarmerie de Dijon qui avait été saisie par le Procureur de la République de Sens.
La première audition de la victime se déroule en région parisienne où elle séjourne alors qu’elle est en arrêt maladie.
Le commandant de la section de recherches, lui-même, lui demande à ce qu’elle vienne le chercher chez sa fille habitant en région parisienne et à laquelle il est venu rendre visite.
Mais l’officier a peu de temps à consacrer à la plaignante, car il doit reprendre le train. Alors qu’elle précise certains propos, ce brillant OPJ refuse de les intégrer à la procédure au motif que « ça ne tiendrait pas devant un tribunal » ! Qu’en sait-il ? Il doit repartir assez rapidement sans avoir pu finaliser l’audition initiale et c’est la plaignante elle-même qui lui donne un ticket de métro pour rejoindre la gare.
Rendez vous est pris quelques jours après. Elle doit se rendre à Dijon. Manque de chance, alors qu’elle a précisé au commandant de la SR qu’elle doit assister une amie hospitalisée, c’est justement ce jour là que l’officier choisit pour l’audition.
Peut-on aller la chercher à la gare ? Après tout, elle est bien allée récupérer le commandant de section chez sa fille. Et bien, non, ce n’est pas possible. C’est à ce genre de détail qu’on reconnaît le sens de l’empathie à exercer envers une gendarme victime.
Alors, elle se fait conduire à Dijon par un ami. Le brillant OPJ lui propose alors de ne pas prendre une deuxième audition, mais de fondre sa première audition dans la seconde. Refus prudent et avisé de la plaignante.
Secret de l’enquête ou secret de polichinelle ?
A l’audience, la Présidente Isabelle Pulver, a cité le procès-verbal de synthèse de l’enquête préliminaire de la SR avant la saisine du Bureau d’enquêtes judiciaires de l’IGGN. Il s’agit de la procédure diligentée avant la plainte complémentaire de la victime par l’intermédiaire de son avocat début 2014 et la saisine du Procureur de la République de Paris au titre de sa compétence en matière d’affaires militaires.
Et que dit ce rapport de synthèse :
« (…) Stratégie et déroulement d’enquête, évènements perturbateurs :
Les investigations ont été initiées avec un double objectif :
A/ observer la plus grande discrétion quant à l’existence de l’enquête judiciaire (l’enquête administrative ayant donné lieu à toutes sortes d’interrogations) afin d’éviter les éventuelles pressions et préserver au maximum l’ambiance déjà fortement dégradée de l’unité, et par suite la capacité opérationnelle.
B/ vérifier la pertinence des déclarations de la victime.
Pour ce faire, il a été procédé aux auditions du commandant d’unité et de son adjoint puis des personnels qui semblaient avoir subi le même sort que la gendarme ….. ou qui étaient susceptibles de confirmer ses dire.
Toutefois, avant que les auditions des mis en cause aient pu être effectuées et malgré les recommandations faites, il semble que le capitaine et son adjoint aient informé les personnels de l’enquête judiciaire.
Cela a fortement desservi la progression normale des investigations, les gradés concernés ayant alors effectivement exercé des pressions sur au moins un personnel (…)
Bref, et ainsi que l’a indiqué la Présidente, sans être contredite par les prévenus ou leurs avocats, par inconscience, négligence ou complaisance, les futurs prévenus ont été informés de l’enquête en cours par le commandant de brigade (retraité depuis).
Tout cela n’est pas neutre, car dans le cours de l’affaire, le tuteur de la victime désigné à son arrivée a été muté et il a fallu lui en désigner un autre. Manque de chances, c’était l’adjudant présumé harceleur qui avait été chargé de cette mission.
Comme un seul homme, tous les militaires de la brigade ont affirmé dans l’enquête de la SR que c’était la victime qui avait demandé à être « tutorée » par ce gradé présenté comme un excellent enquêteur.
D’ailleurs le procès-verbal de synthèse relève :
« (…) les personnels entendus récemment, susceptibles de faire partie du groupe [de l’Adjudant] ont tous voulu clôturer leur audition en précisant que c’est à la demande de la gendarme …. Que l’Adjudant … a été désigné comme tuteur à son profit. Cette précision qui n’apporte pas grand-chose à l’enquête en cours, jette une suspicion légitime quant à la spontanéité des témoignages. »
Selon cette thèse, c’était donc la victime elle-même qui avait demandé à s’installer dans le bureau des deux prévenus. Ainsi, cela accréditait l’hypothèse de la défense selon laquelle la soi-disant victime avait préparé son coup en vue d’être affectée en région parisienne près de son compagnon.
Les dires de la victime pouvaient être alors sujets à caution et ses accusations ressembler à une manipulation.
Selon la victime, le changement de tuteur avait été décidé par le commandant de brigade sans lui demander son avis et avait été annoncé au cours d’une réunion du personnel. Au fond, il est difficile de croire que la victime, se disant objet de harcèlements de la part des deux gradés, antérieurement à cette désignation, se serait volontairement jetée « dans la gueule du loup »
Alors, qui croire : les témoignages particulièrement concordants des militaires de l’unité informés de l’enquête judiciaire ou bien les affirmations répétées fermement à la barre par la victime interrogée sans complaisance par le Tribunal ?
On ne le saura bien sûr que lorsque la décision sera rendue.
Il n’en reste pas moins que cet épisode pointe du doigt le problème de la partialité éventuelle des enquêtes de gendarmerie effectuées par des unités proches de l’unité en cause et le risque de collusion.