Réprimer le « sexting »

Question orale sans débat n° 0745S de Mme Anne-Marie Escoffier (Aveyron – RDSE)

publiée dans le JO Sénat du 17/12/2009 – page 2909

Mme Anne-Marie Escoffier attire l’attention de Mme la ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur les dérives du « sexting ».

En effet, cette pratique de diffusion, consentie ou non, de photos et d’images intimes, érotiques voire pornographiques, s’introduit dangereusement comme modèle dans les relations des jeunes générations. C’est pourquoi, sans condamner l’usage des technologies nouvelles, mais afin de garantir une utilisation contrôlée, éduquée et responsable des nouveaux moyens de communication, elle lui demande de dire en quelle mesure les dispositions pénales relatives à la protection de la vie privée suffisent à la protection des adolescents vulnérables et probablement victimes de telles manipulations.

Réponse du Ministère de la justice publiée dans le JO Sénat du 03/02/2010 – page 756

Mme Anne-Marie Escoffier. Madame la garde des sceaux, chacun sait que nous vivons une nouvelle révolution de notre société et – c’est le sujet qui me préoccupe aujourd’hui – une révolution sexuelle. Les sociétés, les technologies, en particulier le téléphone portable et internet, les mentalités et les mœurs évoluent très rapidement actuellement.

La sexualité, tout comme l’utilisation des outils modernes de communication, suppose une première expérience, une éducation et surtout une pratique responsable. Aussi, sans diaboliser le phénomène d’échange de photos et d’images à caractère sexuel par téléphone portable, plus connu sous le nom de sexting, appréhendé à l’origine comme un jeu coquin entre adultes consentants, nous nous devons de prévenir les dangers et les dérives de cette pratique, déjà relevés et étalés dans la presse, et d’établir des règles de bonne conduite.

Il s’agit non pas de confondre apprentissage de la sexualité, même virtuelle, et diffusion pornographique, mais bien de protéger les jeunes adultes dans l’éducation du jeu amoureux. Certes, les études montrent que, si un jeune sur cinq fait l’objet d’avances sur le net, 90 % de celles-ci se font entre adolescents consentants du même âge. Mais combien de ces mêmes jeunes acceptent de telles avances sous la contrainte, craignant des représailles ou une vengeance ? N’existe-t-il pas déjà des sites spécialement conçus pour « se venger de son ex » ? Combien faudra-t-il de victimes dépressives ou suicidaires ? Combien faudra-t-il de Jessica Logan pour nous faire prendre conscience de nos responsabilités de parents, d’élus et surtout d’éducateurs expérimentés ?

Certains argueront que la loi Grenelle II apporte un élément de réponse en interdisant les téléphones portables dans les écoles et les collèges. Certes ! Mais qu’en est-il des lycéens, bien souvent plus vulnérables ? D’autres se fonderont sur les articles du code pénal, particulièrement sur l’article 226-1 et sur l’article 226-2, qui punissent la diffusion, la conservation et l’enregistrement de l’image et des paroles d’une personne sans son consentement. Mais dans la mesure où le consentement et la volonté de nuire sont des éléments constitutifs de l’infraction, seront-ils réellement suffisants et efficaces pour sanctionner les dérives du sexting ? L’article 227-23, quant à lui, ne vise qu’à réprimer la pornographie. N’est-il pas restrictif à l’égard de nos jeunes de réduire leurs jeux amoureux à la seule pornographie ?

Au regard de ces éléments, madame le ministre d’État, je voudrais que vous puissiez nous dire si les articles du code pénal permettent à eux seuls la répression du sexting. J’aimerais également que soient définis des moyens légaux suffisamment performants pour préserver l’équilibre indispensable entre éducation sexuelle et préservation de la vie privée et intime. Enfin, voyez-vous d’autres moyens d’améliorer la prévention et la répression dans ces domaines ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre d’État.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Madame Escoffier, je partage votre analyse et votre préoccupation.

Si les nouvelles technologies, notamment internet, ouvrent de formidables espaces de liberté, elles constituent aussi des dangers potentiels, en particulier pour ceux qui maîtrisent le moins les conséquences importantes d’actes apparemment légers et de divertissement.

À ce titre, le sexting, phénomène nouveau consistant, pour des adolescents, à transmettre des images érotiques personnelles par le biais de téléphones portables, présente un certain nombre de risques de dérives.

Les textes actuels nous donnent déjà des moyens de lutter contre ce phénomène. Il nous faut néanmoins voir si ces textes recouvrent toutes les hypothèses, non seulement pour qu’il puisse y avoir sanction, mais également – j’insiste sur ce point, car telle doit aussi être notre préoccupation – pour que la perspective de sanction joue un rôle dissuasif, et donc préventif.

Le sexting peut tout d’abord faire l’objet de poursuites sous l’angle de l’atteinte à l’intimité de la vie privée, réprimée par l’article 226-1 du code pénal. Est ainsi incriminé le fait de fixer, d’enregistrer ou de transmettre, sans son consentement, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé.

Cette infraction est caractérisée dès lors que la personne qui est objet de l’image n’a pas consenti à la réalisation ou à la transmission par la suite de cette dernière.

Le caractère pornographique ou érotique de l’image n’est pas un élément constitutif de l’infraction mais renforce la preuve de l’atteinte à l’intimité de la vie privée. Il suggère que l’intimité a effectivement été violée. Ce fait peut aussi être pris en compte sur le plan civil et donner lieu à des demandes de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la victime.

Par ailleurs, la poursuite des personnes qui transmettent une image sans en être les auteurs – ainsi, une personne peut s’être photographiée elle-même, sans intention de diffusion, et l’image peut être transmise par quelqu’un en ayant eu connaissance, et c’est ce que vous évoquiez en parlant des « ex » et des ruptures – est permise par l’article 226-2 du code pénal, qui réprime la conservation, la divulgation ou l’utilisation de l’image qui a été obtenue de manière illicite.

Une plainte préalable de la victime est nécessaire pour que les poursuites puissent être engagées, et, à cet égard, madame Escoffier, vous évoquiez tout à l’heure le fait que la victime puisse craindre d’engager des poursuites. Mais des dispositifs de la loi pénale permettent de faire peser la crainte sur l’auteur. En effet, compte tenu du caractère occulte de l’action, la Cour de cassation a estimé que la prescription de ces infractions ne pouvait commencer à courir avant que ces dernières aient pu être pleinement constatées en tous leurs éléments par la victime. C’est donc un élément qui repousse le début de la prescription, et cela peut permettre des poursuites bien après la transmission des images. Ainsi, celui qui pense aujourd’hui pouvoir menacer la victime devrait songer à ce qu’il risque par la suite.

Ces dispositions permettent de protéger efficacement les victimes puisque des poursuites peuvent être engagées contre la personne à l’origine de la diffusion d’une image, mais également contre des personnes qui ne font que transmettre, voire détenir cette dernière.

Enfin, la protection des victimes peut se trouver assurée par des poursuites engagées sous l’angle de l’enregistrement ou de la transmission de l’image ou de la représentation d’un mineur lorsqu’elle revêt un caractère pornographique. Lorsque j’exerçais les fonctions de ministre de l’intérieur, j’ai eu l’occasion d’agir beaucoup contre la pédopornographie sur internet. C’était d’ailleurs l’une de mes préoccupations. Nous nous trouvons là dans un cas un peu similaire. L’article 227-23 du code pénal permet d’agir à ce niveau. Cette qualification est d’ailleurs d’autant plus pertinente que certaines des images qui font l’objet de sexting sont mises en ligne sur des sites à caractère pédopornographique.

À quelles conditions l’infraction peut-elle être reconnue ?

Elle suppose d’abord la présence d’une image à caractère pornographique. De ce point de vue, la jurisprudence a estimé que la simple photographie d’un mineur nu n’était pas suffisante. Il faut autre chose, c’est-à-dire une ou des attitudes particulières du mineur, un rôle de celui-ci auprès d’autres sujets. Le caractère pornographique peut d’ailleurs être conféré par le cadre général de l’image.

En revanche, l’âge de l’auteur de l’enregistrement de l’image n’a pas d’incidence, ce qui signifie – c’est un point important – que ce délit peut être reproché à une personne mineure. C’est exactement l’une des situations que vous visiez tout à l’heure, madame le sénateur. Le seul élément nécessaire, c’est que l’intention délictueuse de la personne mineure puisse être caractérisée. C’est le cas notamment lorsque l’auteur a conscience de la minorité du sujet présent à l’image, c’est-à-dire – disons-le puisqu’il s’agit bien de cela – du fait qu’il s’agit d’un gamin.

Cependant, les situations dans lesquelles un mineur visionne ou enregistre des photographies d’un autre mineur d’un âge proche doivent être évidemment appréciées au cas par cas, surtout du fait de la facilité d’utilisation des téléphones portables dont vous parliez tout à l’heure, madame le sénateur. Compte tenu de l’âge des enfants qui ont des téléphones portables, la part de jeu est importante. C’est la raison pour laquelle le principe de l’opportunité des poursuites peut conduire le procureur de la République, dans un certain nombre de cas, à ne pas engager de poursuites.

J’ai donc le sentiment que la loi pénale, à la fois dans sa généralité et dans son application possible à des cas particuliers, recouvre à peu près la totalité des situations.

Bien entendu, madame le sénateur, tout cela n’empêche pas la prévention, qui passe notamment par l’éducation, et je suis entièrement d’accord avec vous sur ce point. Vous comprendrez néanmoins que cet aspect éducatif ne relève pas du ministère de la justice. Si ce dernier peut jouer un rôle en donnant une certaine publicité à des condamnations, ce qui peut permettre de faire réfléchir, il a aussi besoin d’un relais : celui des parents et des familles – c’est important -, ainsi que celui de l’éducation nationale et des associations, qui peuvent également jouer un grand rôle en la matière.

M. le président. Merci pour votre fidélité aux séances de questions orales, madame le ministre d’État.

La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Madame la ministre, merci pour cette réponse très étayée qui permet effectivement de nous rassurer sur le dispositif existant. Je craignais qu’on ne puisse pas toujours l’appliquer, compte tenu de l’âge de la victime et de l’âge de l’auteur de ces actes.

 Ma conclusion rejoint pleinement la vôtre : c’est toute notre société qui doit être en mouvement pour faire en sorte que chacun soit très vigilant sur ces problèmes. La présence de votre collègue secrétaire d’État chargée de la famille et de la solidarité est là aussi pour rappeler que nous devons tous être attentifs à ces dérives de plus en plus évidentes.

 

 

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