Assemblée nationale: État d’urgence.

État d’urgence et contrôle parlementaire

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac, pour le groupe écologiste.

M. Paul Molac. Monsieur le Premier ministre, notre assemblée a voté il y a quinze jours, ici même et à la quasi-unanimité, la prolongation et la modification des règles applicables à l’état d’urgence.

Les attentats, comme la menace permanente qui pèse sur notre pays, le justifient pleinement afin d’arrêter les terroristes qui se trouvent encore en liberté et de démanteler les filières. Parmi les dispositions adoptées figurent des mesures destinées à protéger et à garantir les libertés publiques : suppression des dispositions qui touchaient à la liberté de la presse ainsi que de celles relatives à la justice militaire, mais également instauration du principe d’un contrôle parlementaire régulier.

L’état d’urgence n’est, en aucun cas, l’absence de l’État de droit. Cependant, des informations font état d’une application trop large de certaines mesures. Le ministre de l’intérieur a d’ailleurs éprouvé le besoin d’envoyer une circulaire à tous les préfets afin de préciser les conditions d’application des perquisitions administratives et des assignations à résidence.

Nous nous interrogeons fortement sur certains cas précis qui touchent notamment des militants, sans aucun lien a priori avec le djihadisme,…

M. Bernard Accoyer. A priori !

M. Paul Molac. …qui, en Dordogne comme à Rennes, ont été perquisitionnés ou assignés à résidence.

Par ailleurs, comment comprendre le refus du tribunal administratif de Rennes de juger en référé des mesures d’assignation à résidence prises à l’encontre de militants anarchistes ?

Il nous semble donc important d’aller plus loin et de concrétiser le principe du contrôle parlementaire adopté sur l’initiative du président de la commission des lois de notre assemblée.

Monsieur le Premier ministre, comment envisagez-vous ce contrôle parlementaire, au niveau national – il pourrait éventuellement s’opérer au moyen d’une commission spéciale – mais également au niveau local ? Les préfets accepteraient-ils de réunir régulièrement les parlementaires de leur département afin de les informer des mesures qu’ils ont été amenés à prononcer ?

Ce contrôle est nécessaire pour préserver aussi bien l’efficacité des forces de sécurité que la confiance des Français dans le maintien des libertés individuelles et collectives. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, je vous remercie beaucoup de cette question. Y répondre me permettra de donner des éléments extrêmement précis sur la manière dont l’état d’urgence est mis en œuvre et contrôlé.

Tout d’abord, nous nous trouvons face à un niveau de menace très élevé, qui appelle, sur tous les bancs de cet hémicycle, une responsabilité collective. Il implique également que les forces de sécurité qui sont placées sous ma responsabilité soient, en cas de manifestation, mobilisées exclusivement par la lutte antiterroriste.

Je ne veux ni ne peux accepter que ces forces puissent aujourd’hui prendre en charge, dans l’espace public, des casseurs, parce que ceux-ci ont décidé, dans l’irrespect complet – y compris de la mémoire de ceux qui sont tombés –, de leur jeter des projectiles et de s’en prendre à l’État ainsi qu’à ceux qui l’incarnent en raison de l’uniforme qu’ils portent. Je ne l’accepterai jamais.

M. Jean-Paul Bacquet. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Et tous ceux qui l’acceptent sur ces bancs, dont M. Mamère qui s’agite,…

M. Noël Mamère. Je n’ai rien dit de tel !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …sont dans l’irresponsabilité totale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur certains bancs du groupe écologiste, ainsi que sur quelques bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.) Je tiens à le dire très clairement ici.

Je tiens également à préciser que toutes les dispositions ont été prises par mes soins pour que l’état d’urgence soit respecté dans ses principes. J’ai effectivement adressé des circulaires aux préfets, et les personnes qui font l’objet de ces mesures peuvent saisir le juge administratif en référé. Chaque fois que celui-ci l’a été, qu’il s’agisse de mesures concernant l’interdiction des manifestations, les assignations à résidence ou les perquisitions, il s’est prononcé en indiquant que l’État avait respecté le droit de la façon la plus absolue.

M. Sylvain Berrios. Arrêtez votre bla-bla !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Par conséquent, quiconque prétend autre chose est dans la contre-vérité. Il y aura un contrôle parlementaire : j’ai indiqué au président Urvoas que nous donnerions tous les éléments nécessaires pour que ce contrôle puisse aller à son terme.

Concernant les militants écologistes, aucun n’a fait l’objet d’une assignation à résidence : les mesures d’assignation à résidence qui ont été prononcées l’ont été à l’égard d’individus violents. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur certains bancs du groupe écologiste, ainsi que sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

État d’urgence

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Monsieur le ministre de l’intérieur, quand un État de droit est confronté à des menaces mettant en cause directement la vie de ses populations et les activités du pays, que ces menaces visent le modèle de société que les citoyens se sont librement donné, cet État ne peut pas ne pas se défendre, et il doit se défendre !

Nous nous félicitons tous de la capacité des services de l’État à assumer, en pleine responsabilité, cette exigence, tout en ayant, à l’occasion de l’ouverture de la COP21, organisé et sécurisé remarquablement l’accueil de 150 chefs d’État : ils doivent en être chaleureusement félicités.

Monsieur le ministre de l’intérieur, pour un État de droit, faire face aux menaces qui veulent le détruire est un défi extrêmement complexe. Les Français approuvent massivement les mesures que rend possible l’état d’urgence. Ils savent que le Président de la République, le Gouvernement comme toutes les institutions de notre République – dont notre Parlement ! – sont garants et protecteurs de cet État de droit.

Mais nous savons que ces mesures sont, par nature, exorbitantes du droit commun. Comment prenez-vous en compte cette difficulté, monsieur le ministre ? De quelle manière le Gouvernement entend-il disposer des moyens que lui donne, exceptionnellement et pour un temps déterminé, la loi prolongeant l’état d’urgence, sans compromettre les fondements mêmes de notre démocratie ?

Pourriez-vous nous éclairer sur les objectifs que vous fixez à l’utilisation des procédures administratives, notamment l’assignation à résidence et les perquisitions, sur les circonstances et les éléments susceptibles de les justifier, ainsi que sur leurs conséquences ?

Nous partageons avec le Gouvernement la volonté – et nous affirmons cette volonté ! – que, pour défendre notre pays et notre peuple, les armes de la République n’entament ni l’État de droit ni la démocratie. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, vous avez tout à fait raison d’indiquer que c’est pour défendre l’État de droit que l’état d’urgence, prévu par le dispositif juridique français, a été mobilisé. Cet état d’urgence permet ainsi de prendre des mesures de police administrative, lesquelles permettent de démanteler des réseaux et de mettre hors d’état de nuire des individus.

Il s’agit essentiellement de deux types de mesures : les perquisitions administratives et les assignations à résidence. Ces mesures ont été prises sous le contrôle du juge administratif, lequel est, dans le temps long de l’histoire de la République, le juge des libertés publiques, comme en témoignent de grands arrêts de la jurisprudence administrative tel l’arrêt Benjamin ou l’arrêt Canal, qui ont montré la capacité du juge administratif à contrôler le respect des libertés publiques dans des contextes où celles-ci pouvaient être remises en cause.

C’est ainsi que l’ensemble des citoyens peut saisir en référé le juge administratif pour contrôler les conditions dans lesquelles les mesures de police administrative sont mises en œuvre. Le juge administratif a été saisi à plusieurs reprises en référé et, à chaque fois qu’il l’a été, il a considéré que les conditions dans lesquelles les mesures avaient été mobilisées par le Gouvernement étaient tout à fait conformes au droit.

Par ailleurs, j’ai indiqué aux préfets que je n’accepterai pas que les conditions dans lesquelles les perquisitions et les assignations à résidence sont mobilisées contreviennent à l’esprit de l’état d’urgence, au respect des règles de droit – j’y veille personnellement.

Enfin, il y a un contrôle parlementaire puissant, souhaité comme tel par le président de la commission des lois et accepté par le Gouvernement qui s’est engagé et s’est organisé pour fournir en continu au président Urvoas et aux parlementaires qui exercent ce contrôle l’ensemble des éléments témoignant de la motivation des décisions prises. Ainsi, nous serons garantis que nous protégeons les Français dans le respect rigoureux des grands principes généraux du droit. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Source: Assemblée nationale – séance du mardi 01 décembre 2015

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