Exécution de la loi de programmation militaire
M. le président. La parole est à M. Yves Fromion, pour le groupe Les Républicains.
M. Yves Fromion. Monsieur le président, le groupe Les Républicains dans sa totalité s’associe, tout particulièrement et avec beaucoup d’émotion, à l’hommage que vous venez de rendre à nos amis tunisiens.
Monsieur le ministre de la défense, dans son discours prononcé devant le Congrès réuni à Versailles le 16 novembre, le Président de la République a annoncé, au détour d’une phrase, que la déflation d’effectifs prévue dans la deuxième mouture de votre loi de programmation militaire, la LPM, tout juste votée en juin dernier, ne serait pas mise en œuvre.
Cette LPM devient donc caduque. L’opposition, tout en soulignant cette singulière façon de traiter le travail parlementaire, ne versera pas une larme sur cette défunte loi à laquelle elle s’est opposée, comme elle s’était d’ailleurs opposée, en décembre 2013, à sa mouture initiale.
Convenons tout de même que pour vous, qui vous faisiez fort d’exécuter la programmation militaire avec une rigueur jamais égalée par vos prédécesseurs, le coup est rude.
Il l’est d’autant plus, qu’en renonçant à la quasi-totalité de son projet de déflation des effectifs de la défense, François Hollande revient – mes chers collègues, j’appelle votre attention sur ce point – au format de notre armée décidé en 2009 par Nicolas Sarkozy.
Le Président de la République pouvait-il rendre un hommage plus éclatant à son prédécesseur, à la justesse de son jugement et à sa lucidité sur les exigences de sécurité ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants – Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Excellent !
M. Jean-Luc Laurent. Vous êtes gonflé !
M. Yves Fromion. Monsieur le ministre, une nouvelle LPM s’avère indispensable. Nous en aurons donc eu trois pour le prix d’une : espérons qu’il ne s’agit pas de solder notre défense. En disant cela, je fais référence à l’information qui circule dans les états-majors selon laquelle les reports de charges, c’est-à-dire les impayés, s’élèveraient à 4 milliards d’euros en fin de LPM : il s’agit d’un dérapage inédit.
Monsieur le ministre, je vous demande donc de faire le point sur le devenir de la programmation militaire qui est remise en cause, pour la deuxième fois, par le Président de la République.(Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le député, je vous remercie de votre question. Vous rappelez avec justesse que le Parlement vient tout juste de terminer l’examen et d’adopter l’actualisation de la loi de programmation militaire. Ce vote a été acquis à une large majorité, qui dépasse les contours de la majorité actuelle : je voulais vous le rappeler au cas où cela vous aurait échappé.
M. Jean-Luc Laurent. Eh oui !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. On peut le comprendre, puisque, pour la première fois, cette actualisation permet un abondement financier très significatif des crédits affectés au budget de la défense. Une telle augmentation ne s’était pas produite depuis de très nombreuses années.
Pour la première fois également, en cours d’exécution de la loi de programmation, nous voyons les effectifs augmenter singulièrement puisque cette actualisation prévoit 11 000 postes supplémentaires, affectés notamment à la force opérationnelle terrestre, à la cybersécurité et au renseignement.
M. Yves Fromion. Merci Sarkozy !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Mais depuis, le Président de la République a annoncé le renoncement à toute déflation au-delà de 2016, puisque le budget de 2016 prévoit déjà une augmentation significative des effectifs de la défense, qui se traduira par 10 000 postes supplémentaires en 2017, 2018 et 2019.
Par ailleurs, une réflexion a été engagée à la fois sur la réserve et sur la garde nationale. Tout ceci peut faire l’objet d’amendements, d’observations et d’inflexions dans le cadre de la loi de programmation militaire.
Mais il faut aller au-delà : sous l’autorité du Président de la République, le Premier ministre va être amené, dans les semaines qui viennent, à proposer une réflexion globale sur l’ensemble des questions de sécurité, tant intérieure qu’extérieure. Elle traitera notamment du terrorisme, de nos relations avec nos partenaires ainsi que des questions européennes.
M. Yves Fromion. Vous ne répondez pas à la question !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Votre question va donc au-delà de votre simple interrogation. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Lutte contre le terrorisme
M. le président. La parole est à M. Philippe Doucet, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Philippe Doucet. Avant toute chose, j’aimerais adresser au peuple tunisien, frappé hier par la barbarie terroriste, un salut amical et fraternel des députés de notre assemblée.(Applaudissements.) La Tunisie, pays en plein essor démocratique, a plus que jamais besoin de notre soutien et de notre attention.
Monsieur le Premier ministre, à la suite des attentats du 13 novembre, l’ensemble de l’appareil d’État et de nos forces de sécurité est concentré sur le démantèlement des réseaux qui ont frappé notre peuple.
Des perquisitions ont été réalisées. L’enquête conduite par la justice et nos forces de sécurité progresse, grâce, notamment, aux dispositions adoptées dans le cadre de l’état d’urgence.
Les explications apportées hier par le procureur Molins mettent en évidence les ramifications et les complicités des terroristes pour réaliser leurs terribles forfaits. La traque de ces assassins et de leurs réseaux va se poursuivre sans relâche.
Chers collègues, votée massivement par notre assemblée, la loi prorogeant l’état d’urgence est entrée en vigueur samedi. L’état d’urgence permet à la République de riposter très rapidement à la menace et de s’organiser face à ceux qui veulent nous déstabiliser.
L’État de droit n’est pas un état de faiblesse, et l’état d’urgence n’est pas un état de non droit. C’est tout l’inverse. Dans cette guerre obscure qui est menée contre la liberté, nous ne pouvons pas faillir.
Monsieur le Premier ministre, notre majorité est fière de la mobilisation exceptionnelle qui a lieu pour démanteler les filières terroristes. Elle est à la hauteur des enjeux et des difficultés placées sur le chemin de la France.
La responsabilité de la majorité est de faire en sorte que le Parlement exerce un contrôle démocratique légitime de l’état d’urgence. Ma question est simple : pouvez-vous nous rappeler la feuille de route du Gouvernement pour les prochaines semaines ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, la feuille de route du Gouvernement pour les prochaines semaines est très claire, c’est de lutter sans trêve ni pause contre le terrorisme, à l’extérieur – le Premier ministre, le Président de la République, Laurent Fabius et Jean-Yves Le Drian ont eu l’occasion à plusieurs reprises de préciser les modalités de ce combat – et à l’intérieur.
À l’intérieur, que faisons-nous ?
D’abord, nous mettons en œuvre, dans des conditions de célérité exceptionnelles, l’état d’urgence. Cela s’est traduit par près de 1 400 perquisitions. Ces perquisitions ont permis de procéder à des gardes à vue de personnes que nous avions intérêt à faire suivre attentivement par nos services. Ce sont près de 140 personnes qui ont été mises en garde à vue, près de 250 armes ont été saisies, la moitié d’entre elles étant des armes longues et des armes de guerre. Encore hier, des perquisitions importantes ont eu lieu. Elles se poursuivront sans trêve ni pause pour que nous récupérions les arsenaux, les armes, les éléments dont nous avons besoin pour lutter résolument contre le terrorisme.
Par ailleurs, comme vous le savez, nous avons mis en place un dispositif de contrôle aux frontières qui mobilise près de 15 000 policiers et gendarmes sur la plupart des lieux de passage et sur les axes routiers en profondeur. Ces contrôles aux frontières ont permis d’empêcher près de 840 personnes, qui représentaient un danger ou étaient en situation d’irrégularité, d’entrer sur le territoire. Comme je l’ai dit au Conseil européen, nous poursuivrons ce contrôle aux frontières aussi longtemps que la menace terroriste existera.
Enfin, nous agissons fortement au plan européen pour qu’il y ait un PNR – passenger name record – européen permettant d’établir la traçabilité des terroristes au moment de leur retour. Nous luttons au plan européen contre le trafic d’armes et pour une modification du code frontières Schengen, permettant un véritable contrôle aux frontières extérieures de l’Union et une interrogation systématique du système d’information Schengen. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste.)
Action militaire en Syrie
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Jean-Yves Le Déaut. Ma question s’adresse au ministre de la défense.
Monsieur le ministre, depuis plusieurs mois, la France est engagée dans la lutte contre le terrorisme dans le monde.
En janvier 2013, nos troupes sont parties au Mali, pour empêcher des groupes terroristes de s’emparer de Bamako : c’était l’opération Serval. Puis, en août 2014, l’opération Barkhane a empêché les terroristes de s’implanter dans les pays de la bande sahélo-saharienne. Enfin, depuis septembre 2014, via l’opération Chammal, nos forces présentes en Irak et en Syrie luttent contre Daech.
Les attentats qui ont meurtri la France le 13 novembre dernier n’ont fait que renforcer notre conviction : le Président de la République l’a dit, il faut éradiquer Daech, qui nous a déclaré la guerre. Les opérations militaires ont été planifiées depuis la Syrie, où une partie de la population vit sous le joug terrible des terroristes, les autres fuyant leur pays pour préserver leur vie.
Depuis le 13 novembre, nous bombardons les positions de Daech. Les forces aériennes françaises ont détruit plusieurs centres d’entraînement et des camps de commandement à Raqqa, capitale officieuse des terroristes. Appuyés par des forces internationales, nos avions se déploient contre le camp ennemi pour détruire les centres stratégiques et couper les voies d’approvisionnement. Nos forces s’attaquent aussi à leurs sources de financement, notamment aux puits de pétrole.
Vous avez mobilisé le porte-avions Charles-de-Gaulle, qui triple nos capacités d’intervention aériennes. Le Premier ministre a déclaré qu’il fallait augmenter nos capacités technologiques, notamment dans le domaine de la surveillance et de la cybersécurité. Nous ne devons rien céder et continuer nos frappes.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire comment la France, avec ses alliés, développe ces actions militaires contre Daech ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Oui, monsieur le député, il faut frapper Daech au cœur ; il faut frapper l’armée terroriste là où elle s’organise. C’est ce que fait la France en Syrie et en Irak depuis maintenant plus d’un an, avec une intensification et une accélération des actions un peu avant les attentats et beaucoup depuis.
Vous avez rappelé certains faits, notamment la mobilisation des avions de notre armée de l’air depuis les bases d’al-Dhafra et d’al-Safawi aux Émirats arabes unis et en Jordanie. Depuis dimanche dernier, le porte-avions Charles-de-Gaulle est sur zone, en Méditerranée orientale, avec vingt-six chasseurs de l’aéronavale, Rafale ou Super-Étendard, sans compter les avions de guerre électroniques. En conséquence, les actions se sont intensifiées ; elles ont frappé à la fois des lieux de commandement, des lieux d’hébergement, des nœuds de transport névralgiques, des lieux d’approvisionnement pétrolier ; un nombre significatif de bombes ont été délivrées, qui ont pu donner des résultats.
Ces actions vont continuer, avec beaucoup de détermination. Le porte-avions n’est pas seul : il fait partie du groupe aéronaval ; à ses côtés, il y a, outre des frégates françaises, une frégate britannique et une frégate belge. On ne le dit pas assez, et je tenais à l’indiquer à la représentation nationale ; ces bâtiments sont d’ores et déjà engagés dans le combat.
Au cours de nos échanges hier à Washington, nous avons obtenu aussi un renforcement de la collaboration avec les États-Unis, qui ont sérieusement assoupli leurs règles en matière de transparence de l’information et d’engagement, afin de pouvoir être encore plus offensifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Source: Assemblée nationale : Compte rendu intégral Première séance du mercredi 25 novembre 2015