SERVICE DE SANTE DES ARMEES : un député à l’attaque, un autre à la rescousse

L’ADEFDROMIL avait relaté les motifs invoqués par Dominique PAILLE, député UMP des Deux Sèvres, à l’appui de sa demande d’enquête parlementaire [cliquer ici pour lire la demande d’enquête] sur: « les pratiques frauduleuses dans l’attribution des pensions d’invalidité et les dysfonctionnements du Service de Santé des Armées ». Ce talentueux parlementaire est d’ailleurs le co-rédacteur d’un ouvrage réquisitoire sur le SSA [1] , livre qui dérange à l’évidence, mais sans avoir provoqué la moindre riposte de l’institution aussi violemment mise en cause. Ce qui peut quand même paraître surprenant.
Il est donc naturel de s’intéresser aux arguments développés par le docteur Christian MENARD, autre député UMP, mais du Finistère, pour rejeter ladite enquête. Ce parlementaire breton, fin orateur si l’on en juge par sa récente prestation au congrès UMP de Plougastel, est l’auteur d’un rapport [2] d’information sur le SSA à destination de la commission de la défense nationale à l’assemblée [cliquer ici pour lire le rapport], dans le cadre de la dernière loi de programmation militaire.

Disons-le d’emblée, l’émergence d’une proposition d’enquête, dans le cahot actuel que traverse le SSA, semblait aussi singulière que démocratiquement rassurante. L’ADEFDROMIL est même assez sensible à l’argumentation principale du Dr MENARD sur l’irrecevabilité d’une telle requête, incompatible avec les procédures judiciaires pendantes contre l’organisme militaire incriminé.
Cependant, l’argument juridique révèle deux choses troublantes.
La première est qu’il existe des faits avérés suffisamment graves pour qu’une plainte soit déposée, qu’une enquête soit diligentée, et qu’on en parle au sein de l’assemblée nationale.
La seconde, tout aussi peu glorieuse, reste que les investigations judiciaires font preuve d’une extrême lenteur si l’on veut bien considérer que ces faits délictueux remontent à l’année 1995. Soit quand même huit années d’impunité des responsables directs et indirects, souvent bénéficiaires d’une carrière plus qu’honorable, et huit années de blocage de l’avancement du seul médecin honnête ayant dénoncé l' »affaire », en refusant d’en profiter.
Malheur à celui par qui le scandale arrive…

L’irrecevabilité de la demande d’enquête s’étayant d’arguments juridiques incontournables, c’est à titre subsidiaire et apparemment gracieux que le Dr MENARD se lance dans un long et vibrant plaidoyer au bénéfice du SSA.
Si le « diagnostic préoccupant », que porte ce médecin parlementaire sur un « malade déjà ausculté »  fait l’objet d’un large consensus, il est possible d’avoir une approche un peu différente quant aux causes profondes évoquées. Sans parler des prescriptions thérapeutiques envisagées, plus palliatives que curative, du genre cautère sur une jambe de bois. Même si l’on comprend bien qu’il s’agit de procrastiner dans l’urgence et la précipitation, tant la situation est devenue critique. Ce parlementaire ne situe-t-il pas la concrétisation des effets des mesures engagées « à l’horizon 2008-2009 »? Soit vers la cinquième guerre du golfe.

Les trois premières causes avancées par le député du Finistère sont insuffisantes à expliquer la pénurie supérieure à 350 praticiens généralistes des forces armées.
Comment ne pas s’étonner que « la diminution du recrutement entre 1982 et 1996, décidée pour réduire un sureffectif conjoncturelle » ait pu perdurer 14 années sans que ses concepteurs n’aient ni anticipé, ni constaté qu’ils allaient dans le mur ?
D’autres « experts » nous ont certes habitué à des faillites retentissantes, mais il est remarquable qu’en 1992, et alors que le SSA avait en main toutes les données de la catastrophe annoncée, sa seule préoccupation restait d’obtenir une quatrième étoile pour son directeur et son inspecteur.
Avancée en cause annexe de la pénurie, « l’allongement des études médicales de deux années » n’expliquerait tout au plus qu’un déficit de deux promotions, c’est à dire d’une centaine de praticiens. Pourtant, si l’on tient compte de l’ancien « sureffectif conjoncturel », c’est un flux négatif de 800 médecins, entre 1992 et 2002, qui nous amène à la situation actuelle.
La rengaine de « la perte de l’apport considérable des appelés pourvu d’une formation médicale », méconnaît la raréfaction antérieure et progressive des aspirants médecins du fait de la féminisation des études médicales, du numerus clausus et de la multiplication des raisons familiales d’exemption du service national. Et il n’est sans doute pas opportun de perdurer à mettre sur le compte de la professionnalisation de 1996 l’essentiel des avatars de circonstances conjoncturelles, d’incompétences cumulées ou d’imprévoyance et d’impérities. Après tout, la décision de professionnaliser les armées a été prise par l’actuel chef des armées.

Exit les trois « responsables » précédents, il convient d’analyser avec beaucoup de circonspection l’alibi de « l’accélération des départs ». En premier lieu parce que la « fidélisation » est le seul levier sur lequel on puisse raisonnablement espérer jouer. Ensuite du fait que la pénurie de militaires « experts » va s’étendre à d’autres domaines stratégiques et pour des raisons identiques. Enfin parce que les solutions de la haute hiérarchie risquent d’être inutilement coercitives.
A cet effet, le Dr MENARD fait reposer sur la seule jouissance d’une retraite au bout de 25 ans, le phénomène de « l’accélération des départs ». Il pousse même le bouchon jusqu’à évoquer la responsabilité de ces « départs anticipés » dans l’augmentation des charges et la dégradation des conditions de travail des praticiens résiduels.
De là à préparer un statut particulier des médecins militaires (comme de tout autre personnel nécessitant une formation longue) d’où cette jouissance immédiate des droits à pension serait exclue, il n’y a même plus un pas.

Ce qu’oublie un peu rapidement le rapporteur, c’est qu’on quitte souvent l’institution, moins pour un destination paradisiaque, que pour fuir l’enfer intra muros.
La Cour des Comptes s’étonne de trouver de plus en plus de « commandeurs » et de moins en moins de thérapeutes chez les médecins militaires, éternelle métaphore de la pirogue africaine, et sans doute origine de bien des maux.
Un médecin principal, quittant le service de santé après 25 années de service, s’est fendu d’un article plus amer qu’incendiaire dans la rubrique « libre expression » du mensuel « Armées d’aujourd’hui ». Sans plus de résultat qu’un « droit de réponse » sentencieux exercé par un directeur régional du haut du sommet vertigineux de sa carrière.
Les auteurs du livre déjà cité révèlent des situations et des actes intolérables en matière de mépris de la dignité humaine de la part de gestionnaires des ressources humaines du SSA, et dont la responsabilité dans l’accélération des départs est écrasante.

C’est bien cette responsabilité dans le dysfonctionnement général qu’entendait dénoncer l’enquête demandée par Dominique PAILLE, à quoi lui répond la présente plaidoirie subsidiaire du Dr MENARD qui persiste à jeter sur les culpabilités concrètes le voile de l’opacité et de l’impunité.
Aussi, qu’importe les prébendes, les avantages, les primes que le SSA ne manquera pas de réclamer aux pouvoirs publics pour fidéliser des praticiens dont il n’a fait aucun cas pendant des années. Qu’importe cette surprenante proposition « d’améliorer l’avancement des généralistes en fin de carrière » quand on les a laisser mariner dans le grade de capitaine pendant plus de 12 ans, et qu’il ont forgé durant ces années de misère la certitude de s’être fait proprement escroquer.
N’en déplaise à Monsieur MENARD, l’appel du large n’est pas opportuniste, il est à la fois réaliste, pragmatique, et vengeur.
La problématique est simple, les démissionnaires pensent qu’il est temps de libérer les « élites qui tirent le service vers le haut » [3] du poids inconfortable des rebus qui imposaient de maintenir un contact avec les réalités terrestres…, et il n’y a que trop peu d’arrivants pour tenter l’aventure aérienne et cacher que le roi est nu.

[1] « Le SSA : la face cachée. Corruption, abus de pouvoir, omerta…avenir ». (LEWDEN, LEMAIRE, PAILLE, chez l’Harmattan)

[2] « Le SSA : une décennie de transition » (rapport n°335)

[3] Voeux d’un directeur central, peintre à ses heures

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