Commission de la défense nationale et des forces armées
Présidence de Mme Patricia Adam, présidente
— Audition du général Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre, sur le projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense (n° 2779)
La séance est ouverte à vingt-et-une heures.
Mme la présidente Patricia Adam. Général, la commission de la défense et des forces armées a souhaité vous entendre avant qu’elle n’examine, demain soir, le projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense. Nous vous remercions d’avoir accédé à notre demande.
Général Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de votre nouvelle invitation. J’évoquerai d’abord la manière dont je perçois le projet de loi actualisant la programmation militaire (LPM) pour les années 2015 à 2019 et ses conséquences pour l’armée de terre ; j’aborderai ensuite la manière dont nous nous préparons pour la mettre en œuvre ; enfin j’examinerai les conditions de son application. Je conclurai en évoquant trois points : la prise en compte de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui a conduit à la définition des associations professionnelles nationales de militaires (APNM), puis la question des réserves et, pour finir, le service militaire volontaire (SMV).
Le 1er septembre 2014, quand le ministre de la défense m’a demandé de concevoir un nouveau modèle, je n’imaginais pas que, huit mois plus tard, celui-ci serait adopté et intégré à la LPM. Ce travail, réalisé à marche forcée, va se concrétiser dans des délais très courts, et je m’en félicite.
Ce modèle comprend quatre caractéristiques. La première concerne les menaces. Tout en tenant à l’œil celles connues depuis une trentaine d’années, et qui touchent à la stabilité des frontières en Europe centrale, il a fallu prendre en compte de nouvelles menaces, beaucoup plus asymétriques, comme le terrorisme et les attaques cybernétiques. Face à celles-ci, comment organiser nos forces de façon à garantir à notre action plasticité et réactivité, nos missions relevant dès lors davantage de la combinaison de modes d’action très souples que de l’engagement traditionnel d’unités telles que brigades, divisions ou corps d’armée ?
À l’évolution des menaces et à la nécessaire adaptation de notre organisation à celles-ci s’ajoutent deux autres critères. Le premier concerne le maintien en condition opérationnelle (MCO) du matériel. En effet, nos matériels sont de plus en plus performants et nos véhicules réclament une main-d’œuvre plus industrielle que mécanique. Il nous faut par conséquent revoir à la hausse, pour tous les matériels existants – char Leclerc, camion équipé d’un système d’artillerie (CAESAR), véhicule blindé de combat de l’infanterie (VBCI) – et ceux prévus par le programme Scorpion, la part de la maintenance industrielle, tout en conservant une maintenance opérationnelle au plus près de nos forces engagées sur des terrains difficiles avec des élongations importantes. Dernier critère, l’homme constituant le cœur de l’armée de terre, il s’agit de savoir comment gérer les ressources humaines dès lors que nous avons affaire à une nouvelle génération de jeunes, engagés à 70 % sous contrat, et qui n’a pas forcément l’intention de faire carrière. Qu’en est-il de leur sélection, de leur parcours professionnel et de la préparation à leur reconversion ?
Depuis quelques années, un « déséquilibre avant » caractérise les armées – le chef d’état-major des armées (CEMA) l’a très bien évoqué – : les missions ne cessent d’augmenter alors que les moyens diminuent, les ressources n’étant pas au rendez-vous. Les déploiements opérationnels sont bien plus importants que ceux envisagés par le dernier Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Je pense notamment à l’opération qui a permis, la semaine dernière, dans le nord de la bande sahélo-saharienne (BSS), de neutraliser deux très importants chefs djihadistes. Le nombre d’hélicoptères alors engagés était très nettement supérieur à la normale, puisque nous sommes passés de quarante à plus de cinquante appareils déployés simultanément en opérations. Les hélicoptères, les forces spéciales, le renseignement, les drones tactiques sont autant d’éléments de cette combinaison de savoir-faire qui nous sont devenus indispensables et que la LPM met en évidence.
Au plan Vigipirate s’ajoute aujourd’hui l’opération Sentinelle. Le contrat de protection désormais dévolu à l’armée de terre sur le territoire national devient « dimensionnant » pour elle – quelque 7 000 hommes sont déployés en permanence avec la capacité d’aller jusqu’à 10 000 pour une durée d’un mois – et a des conséquences en matière de préparation opérationnelle et de remise en condition. Il était donc indispensable que nous disposions de 11 000 hommes supplémentaires pour pouvoir nous entraîner, pour intervenir dans des opérations extérieures de type Serval, mais aussi sur le territoire national avec une armée de terre au même niveau de préparation opérationnelle qu’au lancement de l’opération Serval. La LPM garantit les conditions de remontée en puissance qui permettront à l’armée de terre de répondre aux différentes sollicitations.
Où en sommes-nous dans la préparation de l’application de la LPM actualisée ? Nous ne pouvions pas attendre le vote du texte pour lancer les opérations de recrutement. Le premier enjeu est donc de savoir comment recruter à marche forcée les 11 000 hommes qui nous permettront, à la fin 2016 et au début 2017, de nous rétablir en matière de préparation opérationnelle. Nous avons envisagé cette manœuvre il y a quatre mois, en direction des jeunes que nous espérons recruter. J’engage ma crédibilité en affirmant que je serai capable de recruter 11 000 hommes supplémentaires en un an et demi. Je ne peux, à l’heure présente, répondre à la question de savoir si, d’ici à la fin de l’année, nous parviendrons à recruter les 5 000 premiers hommes, mais j’aurai créé toutes les conditions pour y parvenir.
En ce qui concerne l’offre stratégique de l’armée de terre, nos soldats ont bien compris que leur avenir sera probablement davantage équilibré entre actions sur le territoire national, avec des missions de protection, et opérations extérieures (OPEX), avec des missions d’intervention. J’aborde régulièrement la question au sein des régiments, que je visite toutes les semaines, ou avec les jeunes déployés dans le cadre du plan Vigipirate, que je rencontre souvent ; je l’ai également évoquée avec les 500 capitaines que j’ai réunis il y a une semaine. Tous savent qu’ils font partie de cette génération de soldats qui seront alternativement engagés à l’extérieur et à l’intérieur, par exemple en janvier à Paris, en septembre à Gao ou ailleurs. Ils ne le vivent pas mal, les militaires du rang sont même très fiers de participer à la mission Sentinelle. Il reste qu’il faudra réfléchir aux modalités de notre engagement sur le territoire national et aux travaux à mener pour installer cette mission dans la durée.
Nous avons bien expliqué à nos hommes que le nouveau modèle, pour l’armée de terre, s’ajoutait aux transformations initialement prévues. Il nous appartient par conséquent de faire bon usage de ces effectifs qui ne sont pas destinés à reconstruire le passé, mais à construire l’avenir en fonction des différents types de menaces, des facteurs opérationnels nouveaux. Il s’agit, grâce à la LPM, de retrouver une certaine cohérence, un équilibre, notre capacité à assurer la sécurité de nos hommes quand ils sont engagés, même si, bien sûr, ce texte ne va pas résoudre tous nos problèmes.
La LPM prévoit une hausse des effectifs et des équipements individuels et collectifs de la force opérationnelle terrestre (FOT) à due proportion ; elle prévoit aussi le maintien de l’effort en matière de régénération des matériels à hauteur de 500 millions d’euros, dont 50 millions par an pour l’armée de terre. Cet effort a déjà été engagé en 2015, puisque nous avons déjà obtenu une augmentation de 4 % des crédits alloués à l’entretien programmé du matériel (EPM). Le texte prévoit en outre des ajustements capacitaires qui se traduisent, pour l’armée de terre, par la commande de sept hélicoptères Tigre, de six hélicoptères NH90 et de jumelles de vision nocturne pour les forces spéciales. Les efforts consentis en matière d’équipement correspondent bien à nos besoins, sachant qu’ils viennent s’ajouter à l’existant comme le programme Griffon-Jaguar, notifié fin 2014 et la revalorisation du char Leclerc au standard 1, signée en début d’année. Nous attendons en outre que le système de drone tactique intérimaire (SDTI) soit remplacé par un système de drone tactique (SDT) et que soit choisi le nouveau fusil d’assaut, en remplacement du FAMAS.
J’en viens à mes trois derniers points et commencerai par l’arrêt de la CEDH qui a, je l’ai dit en septembre dernier devant vous, surpris l’armée de terre : personne ne s’attendait à ce que cette question soit posée aux armées. À l’issue de notre première rencontre, j’ai demandé aux membres du conseil de la fonction militaire de l’armée de terre (CFMT) d’y réfléchir. Au cours de la session suivante, je n’ai pas remarqué une appétence particulière pour le sujet. La crainte de voir se constituer des syndicats dans l’armée a été assez rapidement balayée par le ministre de la défense, qui a assuré qu’il ne s’agissait pas de la voie vers laquelle nous nous dirigions. L’APNM constituera donc un juste milieu entre le syndicat et l’interdiction d’adhérer à une association. Les conseils de la fonction militaire (CFM) ont du reste émis un avis assez favorable aux APNM, même si les réticences demeurent quant à l’intégration de ce dispositif au sein des instances de concertation. Un débat s’est engagé sur la question de savoir à quel niveau opéreraient les APNM. Le CFMT a émis un avis défavorable au fait de voir les APNM intégrer les CFM d’armée, qui permettent à nos garçons et à nos filles, qui sont volontaires pour exercer ce métier, de rencontrer le chef d’état-major pendant une demi-journée et deux à trois fois par an. Or ce temps, qu’ils considèrent comme précieux, ils ne veulent pas le partager avec des associations dont ils considèrent qu’elles vivent un peu en dehors de leur temps.
En ce qui concerne les réserves, nous en avons un réel besoin sur le territoire national qui doit être envisagé dans ses trois dimensions : maritime, aérienne et terrestre – cette dernière ne se réduisant pas à l’opération Sentinelle, mais concernant également les frontières, les villes et, sans doute aussi, les campagnes. Pour pouvoir couvrir le vaste espace qui constitue le pays, nous ne pouvons pas agir sans les réserves, non seulement parce que nous ne sommes pas assez nombreux, mais aussi parce que les réserves disposent d’une véritable légitimité à agir sur le territoire national – elles connaissent leur région, ceux qui y vivent. L’armée de terre, dans le cadre de la préparation de la LPM, a souhaité que l’on densifie et que l’on améliore l’emploi des réserves. Il semble que l’on suive cette voie puisque le texte prévoit d’augmenter les réserves de 28 000 à 40 000 personnes et d’en faciliter l’emploi – l’opération Sentinelle a montré qu’un préavis de trente jours pour convoquer des réserves dans une situation de crise n’était pas du tout adapté à la situation que nous avons vécue en janvier. Aussi la LPM paraît-elle aller dans le bon sens. Notre travail consiste à dépasser l’emploi des réserves à titre individuel pour imaginer un système nouveau. Et, tout comme la gendarmerie, nous avons sans doute à mieux organiser notre réserve « captive », ces jeunes qui quittent le service et nous sont rattachés pendant deux à cinq ans. La gestion administrative des réserves est bonne, ce qui n’est pas forcément le cas de leur gestion opérationnelle.
Pour ce qui est du SMV, l’armée de terre pouvait-elle ne pas chercher des solutions concourant à renforcer la cohésion du pays ? Je pense que non. J’ai du reste intégré cette question dans mon modèle dès le mois de septembre 2014. Dans une armée comme la nôtre, où nous travaillons au quotidien avec 70 000 jeunes, nous pouvons imaginer, expérimenter des centres à même d’offrir à nos jeunes la possibilité de rebondir après leurs échecs, comme c’est le cas pour le service militaire adapté (SMA) qui donne d’excellents résultats dans les DOM-COM. C’est d’ailleurs exactement ce qu’a souhaité le ministre de la défense : que les militaires prêtent leur concours à la nation par le biais d’un savoir-faire. Cette ambition n’en reste pas moins, somme toute, assez modeste, puisque l’objectif est de créer trois centres avec, au départ, mille volontaires. Nous sommes en train de définir les programmes.
Je conclurai en évoquant le moral des armées. Nous disposons de nombreux thermomètres pour le mesurer. Il ressort de la consultation de plus de 5 300 « terriens » en décembre 2014 un moral moyen avec une légère amélioration. Il s’est toutefois passé beaucoup de choses depuis décembre 2014, à commencer par les attentats de janvier et le déploiement de l’opération Sentinelle. Un nouveau modèle de l’armée de terre a été défini, qui peut donner la visibilité qu’attendaient nos soldats ; certaines décisions ont été prises en conseil de défense… L’état moral de l’armée de terre n’est donc sans doute plus totalement le même qu’en décembre.
Mme la présidente Patricia Adam. Pensez-vous, général, que nous serons en mesure d’atteindre les objectifs fixés concernant les réserves ?
D’autre part, la Commission reste vigilante sur la question de l’entraînement et de la préparation opérationnelle, que vous n’avez pas évoquée. Pouvez-vous y revenir ?
M. Alain Chrétien. Onze mille hommes supplémentaires, pour vous, c’est une bouffée d’oxygène. Nous nous demandons néanmoins si le rôle des soldats de l’armée de terre est d’être au contact de la population dans les gares, les aéroports et devant les mosquées, les églises et les synagogues, ou s’il n’est pas plutôt d’aller sur les théâtres extérieurs et de défendre notre souveraineté.
Par ailleurs, envisagez-vous, à l’occasion de la LPM révisée, de remettre en cause la fermeture de différents sites et infrastructures que votre prédécesseur avait évoquée il y a quelques mois ?
M. Jean-Michel Villaumé. Avez-vous d’ores et déjà lancé des campagnes, notamment avec les centres d’information et de recrutement des forces armées (CIRFA), pour recruter les quelque 5 000 jeunes prévus d’ici à la fin de l’année et qui n’envisageaient pas forcément de s’engager dans l’armée ?
Qu’en est-il également de la formation technique aux nouveaux métiers – l’armée de terre compte environ 300 métiers différents, si je ne me trompe ?
J’ai par ailleurs lu que vous aviez évoqué la baisse du taux de féminisation dans l’armée de terre. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce point ?
M. Michel Voisin. Aux termes de la LPM révisée, le nombre de réservistes pour les trois armées ne varie pas, fixé à 40 000. Aussi nous interrogeons-nous sur l’emploi des 75 millions d’euros supplémentaires prévus. Car ils signifient soit que les réservistes n’étaient pas assez payés – je suis ici quelque peu ironique, bien sûr –, soit que les postes n’étaient pas fournis – ce qui est vraisemblable. Pourquoi cette augmentation ?
Général Jean-Pierre Bosser. Je parle très peu de la féminisation, car, chaque fois que je visite un régiment, les filles demandent à ne pas être stigmatisées et déclarent être des soldats comme les autres. Je rappellerai d’ailleurs que les deux derniers soldats de l’armée de terre morts en opération sont un garçon et une fille de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP). J’ai signé la liste des lauréats au concours de l’école de guerre pour une promotion de capitaines un peu anciens et de jeunes commandants que j’ai eus comme élèves quand j’étais directeur des formations à Saint-Cyr, et je n’ai pas retrouvé la présence féminine à laquelle je m’attendais. J’ai également constaté que la dernière promotion de Saint-Cyr comportait quatre élèves officiers féminins, ce qui correspond, bon an mal an, à la situation qui prévalait avant qu’Alain Richard ne supprime les quotas. Il y a une dizaine d’année, alors que j’étais à St-Cyr, il y avait 5 à 10 fois plus de filles dans les promotions. Pourquoi ce chiffre a-t-il tendance à diminuer depuis ? À trop parler de féminisation, peut-être effraie-t-on un certain nombre de jeunes femmes qui hésitent à venir chez nous.
En matière de recrutement, nous nous sommes mis en ordre de bataille pour recruter 5 000 hommes avant la fin de l’année. Nous disposons également de deux leviers supplémentaires. Le premier consiste à essayer de garder au sein de l’institution tous ceux dont nous nous serions séparés si les conditions physico-financières s’étaient révélées plus sévères. Le second vise à aller chercher ceux qui ont quitté l’institution il y a deux ans dans le contexte de déflation d’effectifs d’alors et à leur proposer, en fonction de leur situation, de revenir pour des contrats courts. L’idée est donc de fidéliser et de récupérer un certain nombre de jeunes, tout en recrutant par le biais d’une nouvelle campagne de communication.
En 1996, quand il s’est agi de créer l’armée de terre professionnelle, nous avions imaginé une manœuvre novatrice, consistant à solliciter les régiments pour les autoriser à recruter localement. Dans cette perspective, j’ai signé, en quelque sorte, un chèque en blanc aux chefs de corps, les autorisant à recruter entre trente et quarante-cinq postes. Ces 11 000 garçons et filles sont destinés à alimenter la force opérationnelle terrestre, les régiments, et non les fonctions concourantes. Les soucis que nous avions à les former sont dissipés, les centres de formation initiale des militaires du rang (CFIM) nous ayant permis de répartir la charge. Aussi la qualité de la formation initiale et celle du recrutement ne baisseront-elles pas.
J’en viens aux conditions d’entraînement. Vous avez pu constater, madame la présidente, au cours de votre visite au centre d’entraînement aux actions en zone urbaine (CENZUB) de Sissonne, que les centres d’entraînement ont vu leur activité très réduite. Nous avons dû « encaisser » ce que nous appelons des renoncements. Dans l’inconscient collectif, le soldat, c’est un homme et une arme. Dans la réalité, c’est bien plus : c’est un soldat, un trinôme, un groupe, une compagnie, laquelle évolue avec d’autres armes – sapeurs, artilleurs… –, le régiment évolue, lui, avec l’interarmées, parfois l’interallié. C’est cet ensemble de maillons qui nous permet, par exemple, d’engager des actions comme celle récemment menée dans la bande sahélo-saharienne. L’entraînement au sein des centres d’entraînement collectifs fait aujourd’hui les frais de l’opération Sentinelle, le temps que nous remontions en puissance. J’ai l’œil sur deux courbes : celle de la mission Sentinelle qui nous tire vers le bas en matière de préparation opérationnelle et celle des recrutements qui va progressivement monter. Les deux devraient se rejoindre en janvier ou février 2016. Nous devrions atteindre l’équilibre à la fin de 2016, ou au début de 2017, sans compter les six mois d’instruction nécessaires avant qu’un soldat puisse être engagé sur le territoire national.
Quand j’ai conçu le nouveau modèle de l’armée de terre au cours du dernier trimestre 2014, je n’avais pas prévu de fermeture de sites. Je souhaitais en effet garder un certain maillage territorial, quitte à diminuer le volume des régiments. Le ministre de la défense avait d’ailleurs validé ce schéma. Le modèle prévoyait le retour de l’armée sur le territoire national, incluant les réserves et une forme de service militaire adaptée, et je n’avais donc pas imaginé de fermer des sites ni de supprimer des régiments – la suppression d’un régiment entraîne une perte irréversible de savoir-faire ; ainsi, si l’on devait fermer le 1er régiment du train parachutiste à Toulouse, le savoir-faire qui nous permet de ravitailler les forces spéciales dans le nord du Mali, de larguer des vivres pour aider des populations dans des situations critiques, nous ne le retrouverions jamais.
Toutefois, cela ne signifie pas que nous allons conserver tous les sites. La manœuvre de la maintenance, par exemple, se termine. Quand il n’y aura plus que vingt ou trente personnes sur un site, nous aurons atteint un seuil critique et il faudra bien le fermer. Toutefois, quand je rends visite aux régiments, je rappelle aux élus qui me font l’honneur d’un entretien qu’il n’y a pas de crainte à avoir avec ce modèle sur la pérennité des emprises. Je sens, en province, un véritable attachement des Français à la défense – ainsi du régiment de Clermont-Ferrand, avec ses cent quarante-six ans d’histoire, de celui de Brive… Certains me demandent pourquoi ne sont plus organisées de manœuvres en terrain libre, pourquoi nos visites se font rares…
Le nouveau modèle que j’ai évoqué ne résout pas pour autant la question du rôle qui sera demain celui de l’armée de terre sur le territoire national. En effet, nous n’avons pas mené de réflexion à ce sujet depuis la chute du mur de Berlin, et nous nous en sommes tenus à la défense opérationnelle terrestre telle qu’elle avait été imaginée dans les années 1990. Nous avons certes mené un certain nombre d’opérations depuis : aide à la population après les tempêtes Klaus puis Xynthia, après les inondations de Draguignan, opérations délicates en Nouvelle-Calédonie… Ces actions n’ont toutefois pas été formalisées et il est vrai qu’on nous demande si nous ne sommes pas des supplétifs des forces de sécurité, si c’est bien le rôle d’un soldat professionnel de monter la garde dans une gare. Le Premier ministre a commandé une étude sur la question.
J’insiste sur le fait que le soldat que vous allez croiser demain à la gare de l’Est sera le même que celui qui se trouvera après-demain en Guyane avant qu’il n’aille en Guinée créer un centre d’aide aux services de santé locaux. Ce n’est pas une construction intellectuelle, mais bel et bien une réalité. J’étais jeudi dernier au 2e régiment de dragons, le régiment de l’armée de terre organisé pour faire face aux menaces nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC). C’est un escadron de ce régiment que j’ai rencontré à Noël en Guyane dans le cadre de l’opération Harpie ; c’est ce même régiment qui a encadré le premier centre que nous avons créé en Guinée dans le cadre de la lutte contre le virus Ebola et c’est toujours ce régiment qui, la semaine dernière, participait à l’opération Sentinelle. L’horizon du soldat ne se réduit par conséquent pas aux seules opérations sur le territoire national ; il faut y ajouter les opérations classiques et les opérations spéciales ou spécialisées. En soi, donc, un soldat français recèle de multiples capacités.
En ce qui concerne les réserves, j’observe qu’existe un problème relationnel entre l’employeur et l’employé, puisque de nombreux réservistes m’informent qu’ils sont souvent surnommés, dans leur entreprise, « les chômeurs en puissance ». Pour venir six semaines participer à la mission Sentinelle, à part des autoentrepreneurs, nous avons du mal à trouver des jeunes. Nous devons donc procéder à des améliorations. Pour ce qui est du volume, nous avions, il n’y a pas si longtemps, 22 000 réservistes de plus qu’aujourd’hui. En effet, à cause de la baisse du budget et par manque de visibilité horizontale, de nombreux réservistes ont délaissé l’armée de terre ; nous avons ainsi perdu une ressource de qualité qui, j’espère, fera bientôt son retour, notamment grâce à la vingtaine de millions d’euros supplémentaires prévue qui devrait nous permettre d’atteindre la cible qui nous est fixée.
M. Yves Fromion. Dans la LPM de 2013, l’éventualité d’une action telle que Sentinelle était prévue : en cas de crise grave, était-il précisé, il serait possible de mobiliser jusqu’à 10 000 hommes pour parer à une éventuelle dégradation de la situation intérieure et il n’était pas écrit que cette opération devait être exclusive d’autres opérations. Or, dans la mesure où nous n’en sommes qu’au début de la phase de déflation des personnels prévue à l’issue de celle qui avait été initiée en 2008, comment se fait-il que nous soyons dans une situation de grande difficulté en matière d’effectifs et que nous devions recruter ? Il convient au passage de bien s’entendre sur le mot de « recrutement » : on ne va pas augmenter les effectifs – ce que laisse accroire le discours officiel –, mais limiter leur déflation. J’aimerais que vous nous aidiez, mon général, à comprendre la présentation qui est faite de cette opération, présentation qui me rend perplexe.
M. Alain Moyne-Bressand. Je félicite vos hommes, mon général, qui ont mené des actions, notamment au Mali, dont nous pouvons tous tirer fierté. On sait que de telles opérations nécessitent une importante activité de renseignement. Or vous n’avez pas évoqué le renseignement au sein de l’armée de terre. Avez-vous, en la matière, des moyens suffisants ? Par ailleurs, nous sommes allés au Mali et dans certains pays d’Afrique pour une période limitée qui semble s’allonger. Cet enracinement n’est-il pas un problème pour notre armée et ses hommes ?
M. Christophe Léonard. Je dirai, en forme de boutade, que je suis à la fois inquiet et rassuré : Yves Fromion, qui, à mes yeux, est quelqu’un de très expérimenté, ne paraît pas comprendre tout ce qui se passe, alors qu’en même pas un mandat, il me semble, moi, avoir saisi.
M. Yves Fromion. Au moins ai-je l’honnêteté de le reconnaître ! Vous feriez bien d’en faire autant !
M. Christophe Léonard. Mais il s’agit d’une boutade, mon cher collègue, je l’ai dit.
Plus sérieusement, concernant l’opération Sentinelle, vous indiquiez, mon général, que l’actualisation de la LPM répondait à la fois au contexte national et au contexte international. Dans votre modèle prospectif, une fois que la loi sera votée, quels seront la durée et le format de la mission Sentinelle ?
Pour ce qui est du SMV, il est prévu, au 1er septembre 2015, l’entrée de 300 jeunes dans le dispositif. De la même manière, comment vous y prendrez-vous pour les recruter alors que la loi ne sera pas votée avant fin juin ?
Enfin, vous nous avez informés de l’avis défavorable du CFMT à l’intégration en son sein des APNM. Pourriez-vous développer ce point ? En effet, le texte prévoit que les APNM ont vocation à représenter tous les militaires indépendamment de leur grade. Je ne saisis par conséquent pas bien en quoi la présence des APNM au sein des CFM amputerait le temps d’échange entre les militaires et leur hiérarchie.
Mme la présidente Patricia Adam. Nous auditionnerons le général Bruno Clément-Bollée après le vote de la LPM et avant l’été.
M. Philippe Folliot. Il me semble, mon général, que l’opération Sentinelle se distingue des trois missions de la défense que vous avez présentées en cela que d’autres forces – gendarmerie, police, voire, dans certaines circonstances, sociétés privées – sont capables de la remplir, alors que seule l’armée, et en particulier l’armée de terre, est à même d’assurer les deux autres missions.
La marge de manœuvre que vont vous offrir les 11 000 hommes – non pas supplémentaires, mais résultant d’une moindre déflation, dont nous nous félicitions – vous donnera-t-elle la possibilité de recréer des unités dissoutes ?
Une expérimentation est en cours dans deux régiments, le 1er régiment de tirailleurs et le 8e régiment de parachutistes et d’infanterie de marine (RPIMa) cher à votre cœur, concernant la suppression des compagnies d’éclairage et d’appui (CEA). Pouvez-vous nous faire part de votre analyse du retour d’expérience ? Cette expérimentation sera-t-elle généralisée ou, au contraire, fort de la marge de manœuvre que j’évoquais il y a un instant, allez-vous l’abandonner ?
La création de nouvelles compagnies de combat se fera-t-elle dans chaque régiment ?
Je souhaite également vous interroger sur les nouveautés du futur modèle de l’armée de terre, avec la création d’un commandement du territoire national et d’un commandement de la formation et de l’entraînement interarmes, et avec l’organisation de brigades. Cette évolution sera-t-elle compatible avec l’objectif, fixé par le CEMA, de diminuer le taux d’encadrement des forces ?
Nous sommes tous favorables à l’expérimentation envisagée concernant le SMV, mais le CEMA compte que les 30 à 40 millions d’euros qu’elle nécessitera seront financés par un mécanisme interministériel et non par le seul ministère de la défense. Si tel ne devait pas être le cas, comment feriez-vous pour financer l’opération ?
Général Jean-Pierre Bosser. Monsieur Fromion, chaque armée connaît un état de tension propre en matière d’effectifs. En dressant l’état des lieux des effectifs, quand j’ai pris mes fonctions, je me suis rendu compte que les deux poumons de l’armée de terre étaient, pour l’un, les OPEX – à hauteur de 12 000 hommes de façon quasi permanente –, et, pour l’autre, la préparation opérationnelle et la remise en condition. Du fait de l’ajout d’une mission mobilisant 10 000 hommes, dont 7 000 dans la durée, ce système ne fonctionnait plus. On a donc rogné sur la préparation opérationnelle et sur la remise en condition de nos personnels qui, aujourd’hui, souffrent d’un taux d’absence en garnison très important et pour lesquels nous nous sommes montrés assez chiches en permissions de février et en permissions de Pâques.
Comment redonner de l’oxygène à ces poumons ? Comment faire en sorte que, d’un côté, soient opérationnels près de 20 000 hommes en OPEX et en opérations intérieures (OPINT), et que, de l’autre, on conserve une capacité de préparation opérationnelle et de remise en condition ? Dès que la mission Sentinelle a été lancée et dès que nous avons compris qu’elle allait durer, nous avons estimé qu’une norme opérationnelle correcte serait atteinte avec 11 000 hommes supplémentaires. Par le passé, la tension était donc très forte et, à mission nouvelle, nous avons besoin d’effectifs nouveaux. Ces 11 000 hommes supplémentaires nous permettent tout juste d’atteindre l’équilibre : ils constituent une nécessité existentielle.
M. Yves Fromion. Pourtant, une action comme l’opération Sentinelle était déjà prévue dans le Livre blanc et la LPM.
Général Jean-Pierre Bosser. En effet, mais cette possibilité n’était pas assortie de l’idée selon laquelle elle pourrait durer, et l’on ne l’avait encore jamais mise en pratique.
Mme la présidente Patricia Adam. Et nous sommes partis pour dix ans.
Général Jean-Pierre Bosser. De plus, j’en reviens à mes considérations sur les renoncements, l’armée de terre peut désormais démontrer, par défaut – il suffit d’énumérer tout ce que nous ne faisons pas –, que la baisse des effectifs porte atteinte à ses capacités opérationnelles.
Dans le modèle que j’ai défini, j’ai créé un commandement du renseignement. Le renseignement reste une des têtes de l’armée avec les forces spéciales, l’aérocombat et les systèmes de commandement, auxquels j’intègre le cyber. Je reste très soucieux du renouvellement du SDTI – je surveille l’affaire de très près : souvenez-vous qu’après l’embuscade d’Uzbin, nous souhaitions disposer de drones tactiques à même d’éclairer au niveau d’une unité élémentaire. Certes, le drone utilisé aujourd’hui dans la bande sahélo-saharienne, le drone moyenne altitude longue endurance (MALE), rend d’excellents services, mais il n’est que l’un des éléments de la chaîne qui comprend le drone de reconnaissance au contact (DRAC) et le SDT.
Le SMV, quant à lui, est séquencé en fonction d’un vote de la LPM avant l’été. Si le texte n’est pas voté d’ici là, je ne sais pas si nous pourrons lancer officiellement les trois centres prévus pour la rentrée. Nous n’en continuons pas moins de travailler, comme pour le recrutement, par anticipation : nous créons des adresses internet pour solliciter les jeunes, les prévenir que, entre le 1er septembre et le 31 décembre, il va se passer quelque chose.
M. Christophe Léonard. Comment les sélectionnerez-vous s’il y a plus de candidats que de places disponibles ?
Général Jean-Pierre Bosser. Il faudra poser la question au général Clément-Bollée. Si nous avions plus de demandes que de places à offrir, ce serait une bonne nouvelle.
L’armée de terre n’a pas l’intention de modifier la chaîne de commandement du territoire national qui est aux mains du CEMA. Avec la création du pilier « Territoire national », mon souci est d’avoir un interlocuteur unique pour l’état-major des armées pour tout ce qui touche aux aspects juridiques, éthiques, comportementaux, aux règles d’emploi et aux retours d’expérience (RETEX).
M. Folliot m’a demandé si nous allons recréer des unités dissoutes. Si nous le voulions, nous serions confrontés à un problème d’infrastructures. Nous avons en effet rendu de très nombreux sites et la recréation d’unités nécessiterait un investissement considérable. J’ai par ailleurs suspendu les mesures de réorganisation des régiments d’infanterie pour livrer des propositions en la matière dès cet été. J’imagine d’ores et déjà trois types de régiments d’infanterie : un dans les brigades blindées, un dans les brigades médianes et un dans les brigades légères, avec pour chacun une organisation propre, et non plus type unique, normé, de régiment d’infanterie. J’ai en outre prévu de renforcer plus particulièrement trois fonctions, qui sont aujourd’hui des fonctions de contact : l’infanterie, l’arme blindée et le génie. Ce sont les trois points d’effort en matière d’approvisionnement en effectifs, même si j’autorise tous les chefs de corps à recruter.
Pour ce qui est de l’intégration des APNM au sein des CFM, je ne vous ai pas dit ce que je pensais à titre personnel, mais ce que les membres du CFMT ont émis comme avis. Répondre favorablement à l’arrêt de la CEDH s’imposait. Fallait-il ensuite établir un lien entre cet arrêt et l’aménagement du dispositif de concertation ? C’était la volonté du ministre de la Défense. C’est donc la piste sur laquelle nous nous sommes engagés. Faut-il ensuite étendre cet aménagement à l’ensemble du dispositif de concertation ? J’ai ressenti que l’armée de terre n’était pas encore prête pour cette manœuvre. Il ne s’agit donc pas d’un rejet, mais d’une forme d’inquiétude face à une inconnue. Aussi le CSFM nous a-t-il paru, dans un premier temps, comme le niveau idoine d’intégration des APNM au dispositif de concertation.
M. Philippe Folliot. Et qu’en est-il du financement du SMV ?
Général Jean-Pierre Bosser. Nous l’avons évalué à une trentaine de millions d’euros. La volonté du CEMA est que ce coût ne soit pas imputé à la seule Défense.
M. Philippe Folliot. C’est également notre souhait.
M. Jean-Jacques Candelier. Les APNM vont être créées à la suite de la décision de la CEDH. Le syndicalisme est interdit au sein de l’armée française alors que, dans les armées de Suède, de Belgique, des Pays-Bas, d’Allemagne, il est autorisé. Pensez-vous que l’autorisation du syndicalisme en France perturberait fortement le fonctionnement de nos armées, même avec des garde-fous ?
Avec la réduction de la déflation, pensez-vous pouvoir sauver des sites militaires condamnés à la fermeture ?
Quel sera l’effort en direction des forces spéciales ?
M. Nicolas Dhuicq. En attendant la prochaine LPM, les armées françaises compteront 15 000 personnels de moins. Combien, parmi eux, relèvent de l’armée de terre ?
Nous avons une quatrième force armée, la gendarmerie nationale, qui maille le territoire rural. Pourquoi ne pas augmenter ses effectifs, puisque, d’ordinaire, la mission que vous décrivez est en partie dévolue à la gendarmerie nationale ?
Pensez-vous que, psychologiquement, le pays, la jeunesse d’aujourd’hui soient prêts à accepter d’être en état de guerre larvée sur le territoire national et en particulier dans les zones urbaines, avec des quartiers qui, à terme, seront des zones de non-droit ? Cette évolution avait-elle été envisagée ? Elle constitue une révolution au moment où la baisse de vos moyens humains et matériels vous a contraints à une pause stratégique pour éviter que l’outil ne se casse.
M. Olivier Audibert Troin. Vous avez mentionné, mon général, l’action menée par l’armée après les inondations dramatiques, de sinistre mémoire, survenues près de Draguignan, il y a cinq ans. On ne le dira jamais assez : alors que plus rien ne fonctionnait, seule l’armée était capable d’être auprès de nos populations.
Si vous le permettez, mon général, je vous poserai trois questions rapides. Le texte prévoit que les espaces d’entraînement s’appuieront désormais sur des modalités nouvelles de soutien. Pouvez-vous préciser lesquelles ?
Vous avez évoqué le moral des hommes ; pouvez-vous nous dire en toute franchise ce qu’ils ressentent en ce qui concerne la mission Sentinelle qui va être pérennisée ? Vous n’ignorez pas qu’un débat existe sur le fait de savoir s’il ne revient pas plutôt à nos forces de sécurité nationale d’intervenir qu’aux armées.
Enfin, les 500 millions d’euros qui seront consacrés à l’entretien seront-ils suffisants si l’on songe au degré d’usure des matériels utilisés, notamment, dans la bande sahélo-saharienne ?
M. Christophe Guilloteau. Je reviens sur le SMV. Vous avez rappelé que deux sites avaient été choisis sous l’égide de l’armée de terre, l’un à Montigny-lès-Metz et l’autre à Brétigny-sur-Orge. Comment ces sites ont-ils été sélectionnés ? Est-ce en fonction de critères touchant à l’espace militaire, à l’aménagement du territoire ou – ce que je n’ose croire – en fonction de considérations politiques ? Un troisième centre devrait être choisi en 2016, dans le Sud. Notre collègue Audibert-Troin a-t-il quelque espoir qu’il s’installe chez lui, dans le Var ?
M. Jean-François Lamour. La remontée en puissance de la force opérationnelle terrestre devrait être rapide puisque, en deux exercices, 2015-2016, vous devez atteindre le chiffre de 77 000 personnels, qui est censé vous permettre d’absorber les OPEX et les OPINT dans des conditions de préparation que vous estimez tendues, mais correctes. Dans le même temps, on nous propose un modèle de remontée en puissance budgétaire radicalement différent. Sur les 3,8 milliards d’euros de mesures nouvelles, dont 2,8 destinés essentiellement à financer cette remontée en puissance opérationnelle, 600 millions d’euros sont prévus pour l’exercice 2016 et 700 millions d’euros pour l’exercice 2017, mais rien de plus pour l’exercice 2015, alors que vous allez devoir supporter une moindre déflation de 7 500 personnels. Quelle sera dès lors la pression sur le titre 2 des crédits budgétaires de l’État ? L’avez-vous anticipée ? Et comment faites-vous pour absorber à la fois la remontée des effectifs et une moindre participation budgétaire ?
Enfin, mon général, allez-vous assurer le financement du SMV, soit environ 40 millions d’euros, au moins dans sa partie expérimentation, ou allez-vous essayer de le financer hors budget défense ?
Général Jean-Pierre Bosser. Les APNM traiteront essentiellement de la condition militaire et ne sont donc en rien assimilables aux syndicats tels qu’on peut les connaître en Allemagne ou ailleurs. Les normes applicables à ces associations restent à préciser, sachant que le ministre de la défense les veut interarmées et intercatégorielles. Je ne suis donc pas du tout inquiet quant aux risques que vous évoquez, monsieur Candelier.
J’ai trois préoccupations concernant les forces spéciales : le renouvellement du parc de véhicules – il est en cours et nous avons incité les industriels à nous faire rapidement des propositions – ; la fourniture de jumelles de vision nocturne, prévue par le texte à hauteur de 3 900 unités destinées au commandement des opérations spéciales (COS) ; enfin, dans le pilier « Forces spéciales », est prévu un groupement d’appui aux opérations spéciales (GAOS). Je n’ai pas l’intention d’affecter des unités à temps plein à ce pilier, mais de fidéliser des unités spécifiques qui servent en dehors des forces spéciales. Ainsi, une unité du 2e régiment de dragons NRBC sera fidélisée aux forces spéciales pour que, le jour où elles auront besoin d’une compétence NRBC, elles sachent que c’est cette unité qui sera mobilisée. Le GAOS est donc un noyau dur auquel viennent s’agréger, dès les phases d’entraînement, de nombreuses petites unités avec des savoir-faire très différents.
En matière de déflation des effectifs, monsieur Dhuicq, il nous restera 3 000 postes à supprimer dans l’armée de terre.
L’emploi de l’armée de terre sur le territoire national est une question de fond. La réponse ne m’appartient pas. J’ai seulement tâché de vous montrer qu’un soldat était capable de remplir trois types de missions différentes : il peut agir aujourd’hui sur le territoire national, participer demain à une opération d’aide aux populations, avant de réaliser de nombreuses autres missions plus classiques. L’efficacité des 11 000 soldats supplémentaires est donc à multiplier par trois types de missions.
J’ai le sentiment que notre relation avec les Français a beaucoup évolué et qu’elle est plutôt bonne. Ils se sont accoutumés à voir près de chez eux des soldats en armes alors que j’avais quelques inquiétudes, au départ, sur notre mission de protection – faut-il qu’ils soient habillés, armés comme à Gao ? Je mettrai donc plutôt en avant l’aspect protecteur sur le territoire national et garderai le côté agressif, dont on a besoin, pour l’extérieur.
Dans le nouveau modèle, j’ai voulu rapprocher les écoles de l’entraînement, donc le formateur de l’employeur. Nous allons rénover entièrement notre conception de la formation et de l’entraînement, c’est-à-dire imaginer de nouvelles normes de soutien, de nouveaux parcs en cohérence.
Pour ce qui est du moral, mon souci est de maintenir l’adhésion des soldats à la mission Sentinelle. À l’heure actuelle, je n’ai aucune crainte à ce sujet : tous les soldats que je rencontre sont heureux d’y participer, notamment ceux qui n’ont pas l’occasion de partir en OPEX. Pour ne rien vous cacher, ils n’en ont pas moins exprimé un certain nombre d’attentes en matière de primes, de décorations. Des décisions en la matière seront annoncées le moment venu.
J’en viens à l’usure du matériel. Nos véhicules de l’avant blindés (VAB) effectuaient 1 000 kilomètres par an en métropole et 1 000 par mois en Afghanistan. Ils en effectuent1 000 par semaine au Mali. Nous n’avions pas fini de régénérer les véhicules rentrés d’Afghanistan que déjà les premiers véhicules du Mali arrivaient sur les chaînes. Le chiffre de 500 millions d’euros prévus pour l’EPM, dont 50 millions par an pour l’armée de terre, correspond bien à la régénération des véhicules engagés à l’extérieur.
Enfin, je pense que le choix des sites pour le SMV ne suscitera aucune polémique. Le général Clément-Bollée a établi un tableau à double entrée, choisissant un certain nombre de facteurs – capacité à retrouver un emploi localement, infrastructures du site, possibilité de passer le permis de conduire… Il vous expliquera pour quelles raisons nous avons retenu les deux sites qui nous paraissaient répondre au plus grand nombre de critères, Montigny-lès-Metz et un site en région parisienne. Nous sommes à la recherche du troisième.
Colonel Patrice Quevilly, état-major de l’armée de terre. Le surcroît de ressources prévu par le texte est de 3,8 milliards d’euros. Le « paquet protection » est directement lié à la diminution de la déflation et représente 2,8 milliards d’euros, auxquels s’ajoutent 1 milliard d’euros pour les équipements, sans compter un autre milliard qui devrait résulter de l’évolution favorable du coût des facteurs. Sur les 2,8 milliards d’euros, 2,3 représentent la masse salariale et, dans le profil donné aux 3,8 milliards pour la période 2016-2019, on commence par 0,6 milliard, puis 0,7 milliard, relevant du titre 2 des crédits budgétaires de l’État, sommes auxquelles s’ajoutent les dépenses hors titre 2 et directement liées aux individus – habillement, hébergement, alimentation… Les montants de 0,6 puis 0,7 milliard d’euros correspondent à la montée en puissance opérationnelle et aux 11 000 personnels supplémentaires. Compris dans ces mêmes sommes, les besoins relevant du titre 2 sont évalués, pour l’armée de terre, à 300 millions d’euros en 2016 et à 400 millions à partir de 2017.
Pour l’année 2015, nous évaluons à 55 millions d’euros nos besoins supplémentaires relevant du titre 2. Ils seront examinés en gestion, c’est-à-dire dans le cadre de toutes les évolutions du budget de la défense – et elles sont nombreuses cette année –, qu’il s’agisse du surcoût lié à la mission Sentinelle et aux indemnités que vient d’évoquer le chef d’état-major, des surcoûts récurrents liés aux OPEX ou des surcoûts dus à l’évolution de la trajectoire de déflation. Ces trois catégories de surcoûts seront présentées assez rapidement, du fait d’une tension sur les besoins.
M. Yves Fromion. Seront-ils présentés dans le cadre de la LPM ou d’un collectif budgétaire ?
Colonel Patrice Quevilly. A priori dans le cadre d’un décret d’avance et d’une loi de finances rectificative.
Mme la présidente Patricia Adam. Le ministre de la défense et le chef d’état-major des armées ont donné la même réponse.
M. Jean-François Lamour. Le financement du SMV sera-t-il assuré par le budget de la défense pour 2016 ?
Général Jean-Pierre Bosser. Dans l’immédiat, oui.
M. Jean-François Lamour. Il faudra donc trouver 40 millions d’euros uniquement sur la ligne « Armée de terre » !
Général Jean-Pierre Bosser. Non, nous espérons que ce financement sera étudié dans l’enveloppe globale de la défense.
Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie.
La séance est levée à vingt-deux heures trente.
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Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Patricia Adam, M. Olivier Audibert Troin, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-Jacques Candelier, Mme Nathalie Chabanne, M. Guy Chambefort, M. Alain Chrétien, M. Nicolas Dhuicq, M. Yves Fromion, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, Mme Edith Gueugneau, M. Christophe Guilloteau, M. Laurent Kalinowski, M. Charles de La Verpillière, M. Christophe Léonard, M. Philippe Meunier, M. Alain Moyne-Bressand, Mme Marie Récalde, M. Gwendal Rouillard, M. Jean-Michel Villaumé, M. Michel Voisin
Excusés. – Mme Danielle Auroi, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Jean-David Ciot, Mme Geneviève Fioraso, M. Yves Foulon, M. Éric Jalton, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Frédéric Lefebvre, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Damien Meslot, M. Alain Rousset, M. François de Rugy, M. Stéphane Saint-André
Assistait également à la réunion. – M. Jean-François Lamour
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Source: Assemblée nationale