Aux origines du mal…
Lors de l’examen de recevabilité de la requête de l’Adefdromil contre la France, déposée en 2009, la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg (CEDH) avait posé deux questions, dont une est parfaitement claire : « Au vu de ses conséquences pour l’association requérante, l’interdiction totale et absolue des groupements professionnels à caractère syndical au sein de l’armée est-elle « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre l’un des buts énumérés au second paragraphe de l’article 11 de la Convention ? S’agit-il d’une restriction légitime au sens de la dernière phrase de cet article ? »
La réponse de la Cour dans son arrêt du 2 octobre n’en est pas moins limpide : « Toutefois, la Cour estime que la création de telles institutions (les instances de concertation) ne saurait se substituer à la reconnaissance au profit des militaires d’une liberté d’association, laquelle comprend le droit de fonder des syndicats et de s’y affilier.(paragraphe 54)
La Cour est consciente de ce que la spécificité des missions incombant aux forces armées exige une adaptation de l’activité syndicale qui, par son objet, peut révéler l’existence de points de vue critiques sur certaines décisions affectant la situation morale et matérielle des militaires. Elle souligne à ce titre qu’il résulte de l’article 11 de la Convention que des restrictions, mêmes significatives, peuvent être apportées dans ce cadre aux modes d’action et d’expression d’une association professionnelle et des militaires qui y adhèrent. De telles restrictions ne doivent cependant pas priver les militaires et leurs syndicats du droit général d’association pour la défense de leurs intérêts professionnels et moraux (paragraphes 42 à 44 ci-dessus).
Et un peu plus loin :
«La Cour considère qu’en lui interdisant par principe d’agir en justice en raison de la nature syndicale de son objet social, sans déterminer concrètement les seules restrictions qu’imposaient les missions spécifiques de l’institution militaire, les autorités internes ont porté atteinte à l’essence même de la liberté d’association. Il s’ensuit qu’elles ont manqué à leur obligation de ménager un juste équilibre entre les intérêts concurrents qui se trouvaient en cause. Si la liberté d’association des militaires peut faire l’objet de restrictions légitimes, l’interdiction pure et simple pour une association professionnelle d’exercer toute action en lien avec son objet social porte à l’essence même de cette liberté, une atteinte prohibée par la Convention. »
Persiste et signe.
Dans l’avant- projet de loi sur les associations professionnelles de militaires concocté par le conseiller d’Etat Bernard Pécheur, président de la section de l’administration du conseil d’Etat, mais aussi président du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire, l’interdiction des groupements professionnels à caractère syndical avait été maintenue.
La formulation a été reprise dans le projet de loi gouvernemental soumis pour avis au Conseil d’Etat- Section de l’administration, présidée par ..coucou, c’est lui, Bernard Pécheur. Inutile de préciser que l’avis du Conseil d’Etat est particulièrement favorable à cette formulation qui s’assoit délibérément sur les dispositions de l’arrêt de la CEDH.
Arrière-pensées ?
Nous avions trouvé extrêmement curieux que le rapporteur Pécheur désigné par le Président de la République, se précipite pour entendre son malheureux collègue, président de la Section du contentieux qui s’était fait donner un cours de droit par la CEDH, et qu’en revanche, il ne daigne pas recevoir les parties requérantes et notamment l’Adefdromil.
Même s’il n’est entré au Conseil d’Etat qu’au tour extérieur, l’énarque Pécheur connait le droit. Est-ce par défi vis à vis de la CEDH que la formulation de l’interdiction des groupements professionnels à caractère syndical est maintenue ? Qui peut dire ce qu’est un « groupement professionnel à caractère syndical ? Sans doute, personne et pas même M. Pécheur, car ce type de personne morale n’existe pas en droit français et encore moins en droit européen.
Y a-t-il une sorte de réaction de corps de la part du Conseil d’Etat ? Même si nous n’y croyons guère, on est forcément obligé de se poser la question. Lorsqu’on fait partie d’un corps qui inonde l’Etat, les ministères, les établissements publics, les entreprises, les autorités indépendantes et j’en oublie, il est particulièrement vexant et humiliant de se faire rappeler à l’ordre par la Cour de Strasbourg, où le juge français qui siège est issu du corps judiciaire. En reprenant la formulation censurée par la Cour, le Conseil d’Etat ne préparerait-il pas ainsi un futur contentieux dans lequel la CEDH serait coincée et contrainte de préciser en quoi consiste une restriction légitime ?
Le Conseil d’Etat, conseiller juridique du Gouvernement, s’est incontestablement fourvoyé dans l’accomplissement de sa mission, en proposant une rédaction susceptible d’amener de nouveaux contentieux.
La Haute assemblée devrait donc faire moins d’idéologie et un peu plus de droit pour rester crédible.
L’Adefdromil, quant à elle, a proposé une rédaction différente et bien plus respectueuse du droit européen, qu’elle a soumise à la Commission des lois de l’Assemblée nationale.
Texte figurant dans le projet de loi :
Article 6
1° Au chapitre Ier, l’article L. 4121-4 est ainsi modifié :
Le deuxième alinéa est remplacé par les dispositions suivantes : « L’existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical ainsi que, sauf dans les conditions prévues à l’alinéa suivant, l’adhésion des militaires en activité de service à des groupements professionnels sont incompatibles avec les règles de la discipline militaire ».
Amendement proposé :
« Le droit d’association des militaires en vue de préserver et promouvoir leurs intérêts relatifs à la condition militaire telle que définie par l’article L4111-1 ci-dessus s’exerce dans le cadre des associations professionnelles nationales de militaires et dans les conditions précisées au chapitre VI ci-dessous».
EXPOSE SOMMAIRE
L’article L4121-4 du code de la défense stipule notamment que « l’existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical ainsi que l’adhésion des militaires en activité de service à des groupements professionnels sont incompatibles avec les règles de la discipline militaire ».
La France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Dans deux arrêts du 2 octobre 2014 les juges ont estimé que la liberté des militaires pouvait faire l’objet de «restrictions légitimes», mais pas au point d’interdire de manière «pure et simple de constituer un syndicat ou d’y adhérer», comme c’est le cas actuellement.
S’appuyant de manière orientée sur les règles de la discipline militaire, le projet de loi propose une réforme a minima et ne tient pas compte des arrêts de la CEDH. En effet, il continue d’interdire l’existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical. Il ouvrirait ainsi la porte à de nouveaux contentieux. Le principe de l’interdiction de l’adhésion des militaires en activité de service à des groupements professionnels doit être purement et simplement abandonné, car il contredit l’autorisation de constituer des associations et d’y adhérer
Cet amendement propose donc de mettre enfin notre droit national en conformité avec la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
26 mai 2015
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