Commission de la défense nationale et des forces armées
Présidence de Mme Patricia Adam, présidente
La séance est ouverte à dix-sept heures.
Mme la présidente Patricia Adam. Je suis heureuse d’accueillir le général Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées, pour une audition sur les missions intérieures, dans une actualité marquée par la mise en place de l’opération Sentinelle à la suite des attentats de janvier.
Nous venons d’ailleurs d’apprendre que trois militaires ont été agressés à Nice dans le cadre de cette opération. J’espère que vous allez pouvoir nous rassurer sur leur état de santé et nous donner des premiers éléments à ce sujet.
Pour avoir pu observer à Satory, avec le ministre de la Défense, à Paris ainsi que dans ma collectivité territoriale, la logistique de l’opération Sentinelle, je peux témoigner que la mobilisation de 10 000 hommes en trois jours, au lieu d’une semaine comme prévu dans le Livre blanc, a été réalisée dans des conditions particulièrement remarquables. D’ailleurs, les militaires ont été très chaleureusement accueillis par la population.
Cependant, cette opération démontre l’insuffisance des réserves, qu’elles soient opérationnelles ou citoyennes, alors qu’on réfléchit à la création d’un service civique, dont une partie pourrait relever du ministère de la Défense.
Général Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées. Je voudrais en tout premier lieu vous remercier de me donner l’occasion de m’exprimer une nouvelle fois devant vous. J’attache en effet la plus grande importance à ces échanges directs avec la représentation nationale, en particulier avec votre commission.
Lundi dernier, les armées ont été durement touchées par un terrible accident en Espagne. Au nom du chef d’état-major de l’armée de l’air et en mon nom personnel, je remercie toutes celles et ceux qui se sont manifestés à cette occasion. Ces moments tragiques nous rappellent les exigences du métier militaire : permettez-moi d’avoir une pensée pour ces neuf familles endeuillées et meurtries par ce drame, que j’ai rencontrées ce matin avec le Président de la République à l’occasion d’un émouvant hommage national.
L’agression de Nice, qui a porté sur trois militaires en faction devant une synagogue, semble être le fait d’un délinquant armé d’un couteau, qui a été arrêté par ceux-ci. Deux d’entre eux ont été blessés, l’un au visage et l’autre au bras. Ces blessures ne seraient a priori pas graves.
La dernière fois que j’étais venu devant votre commission, c’était en octobre dernier, pour présenter les enjeux de la loi de finances pour 2015 pour nos armées, au regard de la loi de programmation militaire (LPM). Je vous avais dit que, pour moi, chef militaire, 2015 s’annonçait comme l’année charnière de la LPM, l’année de vérité pour notre modèle complet d’armée, celui dont la France a besoin.
Les terribles attentats qui ont touché notre pays rendent cet enjeu plus grand encore. Ils renforcent notre détermination à lutter contre les groupes armés terroristes, car ils ont été commis contre les valeurs de notre pays – que les armées, émanation de la Nation, portent et défendent partout dans le monde.
Aujourd’hui, vous avez souhaité m’entendre sur le sujet des missions intérieures, celles que nos armées conduisent sur le territoire national. Vous le savez : les armées sont là pour défendre la France et les Français. À l’extérieur, c’est la défense de l’avant. Sur le territoire national, elles assurent depuis de nombreuses années, de façon permanente, récurrente ou occasionnelle, de multiples missions. Le 11 janvier dernier, elles ont encore répondu présentes, lorsque le Président de la République a décidé de mettre en œuvre le contrat protection. C’est aujourd’hui l’opération Sentinelle avec environ 10 000 soldats déployés en trois jours à peine. Le Livre blanc de 2013 avait inscrit ce contrat en cas de crise majeure. Les armées s’y étaient préparées. Nous y sommes.
La menace du terrorisme sur notre sol est une réalité avec laquelle nous devons désormais apprendre à vivre, car rien n’exclut qu’elle ne se manifeste à nouveau.
Ce monde turbulent, celui dans lequel nous allons évoluer dans les années à venir, nous devons apprendre à le décrypter, à en saisir les clés. Nous ne devons négliger aucune des menaces qui pèsent sur notre sécurité et garder une vision d’ensemble des enjeux sécuritaires. C’est dans cet esprit que je voudrais vous montrer la continuité entre la sécurité extérieure et la sécurité intérieure.
Pour le faire, j’articulerai mon discours en trois parties : l’engagement sur le territoire national, où les armées sont au rendez-vous ; la continuité entre la sécurité extérieure et la sécurité intérieure comme enjeu de notre modèle complet d’armée ; les enseignements que je tire de notre engagement actuel sur le territoire national.
Sur le premier point, mon propos portera sur l’ensemble des engagements des armées sur le territoire national, sans se limiter au seul déploiement Vigipirate et à celui, complémentaire, du contrat protection. Ce sont des engagements moins visibles et moins médiatiques que les opérations extérieures et, pourtant, ils sont conséquents et constants.
Pour commencer, quelques éléments, caractéristiques et chiffres, nécessaires pour cadrer le sujet.
Premier élément : les missions intérieures s’inscrivent dans un cadre juridique, doctrinal et réglementaire parfaitement défini.
Les armées assurent la défense militaire du territoire et contribuent à la sécurité nationale. L’emploi des armées sur le territoire national est décidé par les plus hautes autorités civiles de l’État sous le régime de la réquisition ou des demandes de concours – je ne parlerai pas de la dissuasion nucléaire qui garantit la survie de la nation en sanctuarisant ses intérêts vitaux, car ce n’est pas la question.
Les trois armées sont parties prenantes dans de nombreux dispositifs interministériels. Avec une chaîne de responsabilité parfaitement définie, elles agissent dans le cadre de plans gouvernementaux, que le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale a la responsabilité d’élaborer.
Au sol, les armées sont engagées sous l’autorité des représentants de l’État en appui des forces de l’ordre. Le commandement opérationnel reste, quant à lui, toujours du ressort des autorités militaires, qu’il s’agisse des officiers généraux de zones de défense et de sécurité (OGZDS) ou des commandants supérieurs pour l’outre-mer (COMSUP). Bien que les armées ne constituent pas stricto sensu une administration centrale ou un service déconcentré de l’État, la coopération avec les préfectures et les services territoriaux est excellente.
Les armées interviennent dans trois domaines : la sécurité intérieure, la sécurité civile et le soutien au service public.
Notre contribution dans le domaine de la sécurité intérieure, c’est tout d’abord la lutte antiterroriste avec Vigipirate et, en cas de crise majeure – comme actuellement –, Sentinelle. Les armées interviennent alors en appui et en complément de l’action des forces de sécurité intérieure. En Guyane, c’est la lutte contre l’orpaillage clandestin avec l’opération Harpie et la protection du Centre spatial guyanais avec l’opération Titan. C’est encore notre participation à la protection de grands événements, comme les commémorations du 70e anniversaire du D-Day qui ont mobilisé plus de 2 500 hommes en juin dernier. Récemment, c’est notre appui aux forces de sécurité intérieures pour la protection des centrales nucléaires contre le survol de drones.
Pour toutes ces missions, l’usage de la force relève du droit commun, c’est-à-dire qu’il est strictement limité à la légitime défense.
Pour notre participation à la sécurité civile, les armées maintiennent un important dispositif permanent de veille, d’alerte et de secours aux populations. Chaque année, elles répondent à plus de 200 réquisitions. Elles interviennent lors des catastrophes naturelles, comme ce fut le cas lors des inondations dans le Var ou des épisodes neigeux de l’année dernière, et participent annuellement à la lutte contre les feux de forêt, avec la mission Héphaïstos.
Enfin, pour le soutien au service public, les armées maintiennent et mettent à disposition, lorsque c’est nécessaire, des capacités pour pallier les risques sanitaires et pandémiques, des capacités d’hébergement dans le cadre du plan grand froid, des stocks stratégiques de produits pétroliers ou encore des équipements de protection NRBC.
Pour les espaces maritime et aérien, elles sont primo intervenantes. D’abord, à travers la posture permanente de sauvegarde maritime qui s’exerce sous l’autorité directe du Premier ministre et par l’intermédiaire de la chaîne des préfets maritimes. Notre marine assure une surveillance quotidienne, 24 heures sur 24, des approches maritimes et portuaires, avec des bâtiments à la mer et son réseau de sémaphores côtiers. Elle participe à l’action de l’État en mer, au sauvetage et au secours en mer, et surveille notre zone économique exclusive (ZEE), affirmant ainsi notre souveraineté sur la deuxième plus vaste ZEE au monde.
L’armée de l’air, quant à elle, assure la posture permanente de sûreté aérienne qui, là encore sous l’autorité directe du Premier ministre, est mise en œuvre par le commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA).
Elle assure la police du ciel. Des hélicoptères ainsi que des avions de défense aérienne sont à tout moment en mesure de décoller en quelques minutes pour intercepter un aéronef suspect ou porter assistance en cas de détresse.
Deuxième élément : les armées sont engagées sur tout le territoire.
Elles sont présentes en métropole, mais aussi dans nos départements et collectivités d’Outre-mer avec près de 8 500 militaires et civils – dont 7 200 soldats – qui arment les forces de souveraineté. Elles sont en mesure d’assurer des missions de continuité des services publics. Par ailleurs, au travers du service militaire adapté (SMA) relevant du ministère de l’Outre-mer, elles conduisent, avec un succès certain, des actions d’insertion socioprofessionnelle au profit de notre jeunesse ultramarine.
Vous le voyez, les actions des armées dans les missions intérieures sont très diverses, dans leur nature, mais aussi dans leur durée. Certaines missions sont permanentes ; d’autres sont récurrentes ; d’autres enfin sont ponctuelles et, heureusement exceptionnelles, car, le plus souvent, liées à des situations de détresse.
Avant la crise du 7 janvier, le territorial national était, de façon constante, le deuxième théâtre d’engagement opérationnel des armées. Nous comptions en effet 2 500 soldats déployés chaque jour en moyenne sur les dernières années.
Plus largement, au-delà des moyens – c’est-à-dire au-delà des compétences et des effectifs, mais aussi au-delà du matériel et des ressources –, c’est la capacité des armées à les mettre en œuvre sur le territoire national avec fiabilité, professionnalisme et rapidité qui contribue directement à la résilience de la nation.
La mise en œuvre du contrat protection en est la dernière illustration, sur laquelle je ferai plusieurs observations.
Premièrement, ce déploiement n’a pas de précédent dans l’histoire récente de notre pays. Il est d’abord exceptionnel en volume, avec 10 400 soldats au maximum – au plus, nous avions atteint un total de 4 500 hommes lors des commémorations du D-day.
En outre, ce déploiement est aussi exceptionnel par l’absence de préavis que par la rapidité de sa mise en œuvre : quelques heures pour les premiers éléments, moins de trois jours pour le dispositif complet. Alors que nos études prévoyaient ce déploiement en un minimum de sept jours, il a été réalisé deux fois plus rapidement.
J’ajoute que le Livre blanc n’avait pas précisé cet aspect, ni la durée de cette mission si elle se déclenchait. Le Président de la République a désormais fixé à ma demande cette durée maximale à quatre semaines pour la période à venir 2015-2019.
Deuxièmement, par la mise en œuvre de ce contrat protection, les armées sont au rendez-vous de la protection de la France et des Français.
Elles le sont parce qu’elles sont préparées pour l’urgence. La réactivité et la disponibilité font partie de leur ADN ; elles puisent leur source dans l’expérience acquise en opérations et s’entretiennent avec la préparation opérationnelle, c’est-à-dire l’entraînement quotidien. La réactivité est le gage de votre liberté d’action politique. Vous savez combien le facteur temps s’est contracté ces dernières années.
Elles sont aussi au rendez-vous avec leur cœur. Les valeurs que porte notre pays sont celles que les armées défendent. Celles-ci incarnent aux yeux de la société le courage, la maîtrise de la force, la solidité de la Nation. À l’exception de rares cas, elles ont reçu un accueil chaleureux de la population, qui se reconnaît dans une armée qui est à son image et qui la protège.
Deuxième point principal de mon exposé : le lien étroit entre la sécurité extérieure et la sécurité intérieure. Je constate en effet que, jamais depuis plus de trente ans, les crises extérieures n’ont eu un impact aussi direct sur la sécurité du territoire national.
Les crises se sont mondialisées : dans le recrutement et la formation des combattants ; dans le financement des mouvements armés et celui du terrorisme ; dans la propagande des groupes, des organisations et des idéologies. Aujourd’hui, la violence ne reste plus limitée au seul théâtre qui l’a vu naître. L’internationalisation du djihadisme est la plus récente illustration de cette contagion des crises avec ses répercussions sur les théâtres nationaux. La violence s’exporte, le terrorisme se franchise.
Le retour sur notre sol des combattants partis combattre à l’étranger est l’illustration la plus tragique de ce lien. Mais leur retour n’est qu’une composante des menaces que fait peser le développement de foyers terroristes au Sahel ou au Levant. C’est en ce sens que nos opérations extérieures (OPEX) sont la défense de l’avant de notre pays.
Ne soyons donc pas aveuglés par la seule menace qui nous semble la plus proche. Restons attentifs à l’évolution de la violence dans le monde et aux frontières mêmes de l’Europe. D’autant plus que cette violence s’exprime de plus en plus en marge des institutions étatiques.
Aujourd’hui, certains États se comportent parfois comme des bandes armées et des bandes armées comme des États. La violence est à la fois interétatique et transnationale.
Cette violence, sous toutes ses formes, pèse sur la sécurité des Français. Pour y faire face, il faut une stratégie de réponse qui, me semble-t-il, doit être à la fois globale et échelonnée.
Globale, parce que toute opération militaire doit s’intégrer dans une approche plus large, comportant des actions dans les domaines de l’éducation, de la justice, du développement, de la gouvernance ; c’est ce que j’exprime par la formule « gagner la guerre ne suffit pas, il faut aussi gagner la paix ». Échelonnée, parce qu’une défense dans la profondeur est toujours plus efficace qu’une défense linéaire.
Au plus loin, ce sont les opérations extérieures. Seules les armées ont l’organisation, les capacités et les savoir-faire pour mener les opérations de guerre qui sont celles de nos actuels théâtres d’opérations extérieures. En agissant au Sahel ou au Levant, en y combattant les groupes terroristes, en y recueillant des renseignements sur les intentions hostiles des ennemis de notre société, nous luttons contre l’installation et le développement de sanctuaires à partir desquels ils pourraient venir nous frapper. Nous devons désorganiser l’adversaire avant qu’il ne vienne à nous. La force ne nourrit pas le terrorisme, elle est nécessaire pour lutter contre lui et faire cesser la violence.
En périphérie, c’est la protection des approches de notre territoire. Je viens de vous l’expliquer : les armées y prennent une part majeure avec la posture permanente de sûreté et ses composantes aérienne et maritime, souvent dans la discrétion. Là encore, elles sont aux avant-postes de la sécurité des Français.
Au plus près, sur le sol national, les armées agissent en appui des forces de sécurité intérieures. Au-delà de la mission Vigipirate, qui est désormais durable, elles n’y sont employées qu’à titre exceptionnel. Uniquement lorsque les moyens civils – ou ceux de la gendarmerie nationale – sont insuffisants, inadaptés ou indisponibles, voire inexistants. Je viens de vous décrire dans quel cadre cela s’inscrit.
Il existe donc une grande complémentarité entre les opérations intérieures et extérieures avec, encore une fois, la même mission de protection des populations et du territoire.
Sur le sol national, vous pouvez compter sur les armées ; elles sont et resteront toujours présentes en cas de besoin, mais elles sont l’ultime recours. Elles constituent la réserve stratégique de l’État.
Je voudrais maintenant vous livrer mes préoccupations et tirer les premiers enseignements de notre engagement actuel, singulièrement de l’opération Sentinelle.
Ces préoccupations, je les partage avec les chefs d’état-major d’armées : le général Bosser, le général Mercier et l’amiral Rogel. Je vous les livre en première approche, car j’ai bien conscience que nous n’avons pas encore analysé toutes les leçons.
Des récents événements, je tire d’abord trois enseignements.
Premier enseignement : la pertinence de la chaîne de commandement militaire territoriale. Cette chaîne est celle de l’organisation territoriale interarmées de défense, qui comprend les officiers généraux de zones de défense et les commandants de zones maritimes. Localement, ces autorités assurent la bonne prise en compte des besoins et la mise en place du soutien des forces déployées. Ce maillage nous est envié par nos alliés, qui, pour beaucoup d’entre eux, ont admiré notre capacité à projeter 10 000 soldats de manière réactive sur notre territoire, mais surtout à les commander. C’est la bonne organisation territoriale interarmées de défense qui offre cette capacité, avec d’ailleurs un remarquable rapport coût-efficacité.
Le maillage territorial des armées offre par ailleurs aux militaires, dans leurs garnisons, une proximité et une connaissance du milieu local. Mais cet atout tend à se réduire avec les fermetures de sites et la création de déserts militaires qui en résultent. Les vertus de la rationalisation, dans ce domaine, montrent quelques limites, qui pourraient d’ailleurs être comblées par une meilleure territorialisation de nos forces de réserve.
Deuxième enseignement : l’importance des forces morales, qui constituent notre socle autant que notre richesse. Ce sont bien elles qui nous permettent de faire face auxexigences des opérations et aux difficultés quotidiennes liées souvent au manque de moyens. Certains de nos soldats font actuellement, tous les jours, près de 30 kilomètres à pied, en gilet pare-balles et par tous les temps, lors de leurs patrouilles. La mission est exigeante : c’est du 24 heures sur 24, au mieux du 6 heures – 22 heures 30 ; les conditions de vie sont rudimentaires. Certains revenaient de quatre mois d’opérations dans le Sahel lorsqu’ils se sont déployés à Paris et ne seront pas relevés avant quatre semaines sur place. D’autres étaient en permissions et ont été rappelés sans préavis. Ils ne s’en plaignent pas, c’est leur honneur, mais vous devez le savoir !
Je voudrais ici souligner la grande qualité de nos jeunes sous-officiers qui commandent de petits groupes souvent isolés et autonomes. Ils le font avec professionnalisme et une totale rigueur. J’y vois la conséquence de l’application vertueuse du principe de subsidiarité dans nos armées : la responsabilisation. C’est bien cette juste délégation de l’autorité aux échelons d’exécution, pratiquée en opération extérieure comme intérieure, qui permet de démultiplier l’efficacité sur le terrain.
Ce sont aussi les valeurs de cohésion, de discipline et le sens du service qui rendent possible cette mission. Nos soldats ont été fiers de se dévouer à la protection de leurs concitoyens.
Ces valeurs s’adossent à la disponibilité du militaire, qui est inscrite dans son statut : « les militaires peuvent être appelés à servir en tout temps et en tout lieu ». Cela ne signifie pas pour autant qu’ils sont corvéables à merci. Mais cela assure à notre pays une force disponible pour subvenir à un besoin inopiné et urgent. Cela explique aussi peut-être pourquoi les armées sont de plus en plus populaires dans la Nation.
Troisième enseignement : les armées participent déjà à la cohésion nationale.
Elles sont une organisation humaine, faites d’hommes et de femmes. Alors que notre pays s’interroge sur le « vivre ensemble », si elles n’ont évidemment pas le monopole de la jeunesse ni de ce « vivre ensemble », elles ont un savoir-faire et une expérience. Chaque année, les armées voient plus de 20 000 des leurs, de tous milieux et de toutes origines, quitter leurs rangs, après une première expérience professionnelle et très souvent opérationnelle. De ce fait, l’institution militaire demeure un acteur social à part entière et peut être considérée, à sa mesure, comme un véritable intégrateur dans la société. C’est « le rôle social de l’officier », ne l’oublions pas.
Je vous livre maintenant mes points de vigilance, qui sont au nombre de quatre. Le premier est le maintien d’un modèle complet d’armée. Je vous l’ai montré : la mission première de nos armées est la défense de l’avant. Les crises récentes, qui épousent toutes les formes de conflits, montrent surtout la pertinence d’un tel modèle. C’est le choix du Livre blanc et c’est ce modèle que nous portons en équipe. Ne faisons pas preuve de myopie, voire de cécité, et n’abandonnons pas, dans la précipitation et sous le coup del’émotion, telle ou telle composante sous prétexte qu’elle ne serait pas ou mal adaptée au terrorisme. Nous ne devons pas baisser la garde, ni adapter notre outil de défense aux seules menaces actuelles et combats d’aujourd’hui. Gardons la bonne focale pour appréhender l’avenir incertain.
Je vous rappelle que, en parallèle de l’opération Sentinelle, nous avons plusieurs dispositifs en cours : des sous-marins et des avions assurent la dissuasion nucléaire ; un escadron de chars Leclerc se déploiera dans quelques semaines en Pologne dans le cadre des mesures de réassurance de l’OTAN en réaction à la crise ukrainienne ; le porte-avions Charles-de-Gaulle se dirige en direction de l’océan Indien – le Président de la République a souligné son caractère stratégique –; nos avions Rafale participent aux frappes de la coalition au-dessus de l’Irak ; et nos forces terrestres et nos forces spéciales prennent part à Barkhane et à Sangaris.
Si nous n’y prenons garde, nous pourrions bientôt ne plus être capables de remplir ces missions, ce qui m’amène à mon second point de vigilance : les moyens, notamment les effectifs et le budget.
S’agissant des effectifs, la mise en œuvre du contrat protection a montré l’importance de pouvoir disposer d’effectifs militaires en nombre suffisant. En cela, nous soldons deux illusions : celle d’une armée « toute technologique » et celle d’une armée limitée à un corps expéditionnaire. Le fait que le Président de la République ait décidé de réduire de 7 500 les déflations d’effectifs du ministère sur la période de la LPM apporte un second souffle, d’autant qu’il s’accompagne d’un lissage de la déflation sur la période 2015-2019, ce qui desserre l’étau des effectifs. Au-delà de cette bonne nouvelle, c’est aussi l’occasion, me semble-t-il, de s’interroger sur les limites de l’externalisation et de la civilianisation en cas de crise.
La rénovation de notre système des réserves est aussi un chantier que nous soutenons, car elles sont indispensables : elles font partie intégrante de notre modèle d’armée. Les missions qui peuvent leur être confiées sur le territoire national doivent continuer à être développées et des réflexions sont en cours pour faire des réserves une véritable force de complément pour nos armées. Des accords-cadres avec les entreprises seront sans doute nécessaires, ainsi qu’une augmentation du budget alloué – 71 millions d’euros –, afin de fidéliser et augmenter encore la disponibilité et l’employabilité des réservistes. Ce sont des soldats professionnels à temps partiel formidables ; ils sont tous volontaires et nous apportent leur enthousiasme ainsi que leur connaissance des territoires. Nous sommes persuadés que le développement des réserves pourrait contribuer davantage encore à la cohésion nationale, même si elles ne sont pas la solution magique à notre équation budgétaire.
S’agissant du budget, je vous l’ai dit en octobre et le répète aujourd’hui : les armées ont besoin de toutes les ressources financières inscrites dans la LPM. Les ressources dites « exceptionnelles » en font partie ! Le costume est taillé au plus juste, mais il est cohérent. Gardons cette cohérence physico-financière entre les missions et les moyens, entre les ressources et les besoins. Je serai vigilant et reste confiant et déterminé, derrière le Président de la République – qui a rappelé récemment la sanctuarisation du budget de la Défense – et en accord total avec le ministre de la Défense.
Vous le savez : la déclinaison des récentes annonces doit encore être précisée. Ce sera, entre autres, l’objet de l’actualisation de la LPM. Mais actualisation ne signifie pas pour autant révision. Nous ne renversons pas la table de la LPM. Le modèle complet d’armée est bien celui sur lequel nous allons continuer à travailler avec attention et détermination, tout en le mettant à jour à partir du contexte stratégique actuel et des enseignements principaux de nos récents engagements.
Troisième point de vigilance : la bonne gestion du temps, qui est un critère majeur de réflexion pour deux raisons principales.
D’abord, parce qu’il est difficile de concilier le temps long et le temps court, qui sont souvent en compétition. Vous, comme moi, sommes soumis à la pression de la réponse immédiate. Pour toute problématique, des effets immédiats doivent être produits. C’est parfois aussi le temps médiatique.
Mais s’inscrire dans le temps long est aussi indispensable, à la fois pour qu’une stratégie porte ses fruits, pour développer des capacités militaires, tant sur les plans technologiques qu’opérationnels, pour passer du stade de la conception à celui de l’emploi sur le terrain. C’est le temps capacitaire du modèle d’armée 2025. « Il ne suffit pas de prévoir l’avenir, il faut le permettre » disait Saint-Exupéry. Un brutal mouvement de balancier est toujours destructeur pour notre outil militaire.
Deuxième raison : il faut avoir la capacité à durer et gérer le risque de cette durée. Je vous l’ai déjà dit : il n’y a plus de gras dans nos armées. L’opération Sentinelle ne saurait rester à ce niveau de déploiement dans la durée sans avoir de sérieuses conséquences en termes de capacités d’intervention, de relèves en opérations extérieures, de préparation opérationnelle et de coûts.
Il existe en effet d’ores et déjà des risques. D’abord, pour la préparation opérationnelle. Nos soldats ont besoin de s’entraîner régulièrement. Seul un entraînement continu et à bon niveau leur permet de s’engager sans préavis dans les missions les plus dures. Et il existe un niveau d’entraînement en deçà duquel il est impossible d’aller ; c’est aussi une question de sécurité.
Il y a aussi évidemment un risque d’éviction sur la capacité à conduire les OPEX. Nous n’en sommes pas là, mais il faut garder à l’esprit que nos troupes sont en permanence dans le tempo opérationnel : lorsqu’elles ne sont pas engagées en opérations extérieures, soit elles se régénèrent, soit elles se préparent à l’engagement suivant. C’est pourquoi, dans le cadre d’un dialogue interministériel constant et serein, nous adapterons progressivement notre dispositif à la menace et nos effectifs au nombre de sites sensibles à défendre, en privilégiant des modes d’action diversifiés et plus mobiles. Ce qui s’est passé tout à l’heure à Nice est une illustration de cette nécessité.
La capacité à durer repose aussi sur l’adaptation de l’opération Sentinelle à la réalité des menaces, ne serait-ce que pour reconstituer une réserve en mesure d’être réengagée si besoin était. Je peux et dois pouvoir remonter les effectifs à 10 000 hommes avec un très court préavis.
J’ai tenu la semaine dernière une réunion avec les officiers généraux de zone de défense pour évaluer la situation, zone par zone, et mesurer le fruit du dialogue avec les autorités préfectorales en la matière. Nous pouvons être fiers de ce que nous avons fait et la protection des Français reste évidemment une préoccupation prioritaire.
Quatrième et dernier point de vigilance : la prise en compte des nouvelles menaces. C’est la cybermenace et, plus largement, celles qui s’exercent dans le champ des perceptions.
Ce sont aussi les menaces contre les femmes et les hommes des armées et les emprises militaires sur notre sol. Pour ce que nous représentons, nous sommes aussi une cible prioritaire des ennemis de notre pays. Cette menace est désormais appréhendée à la hauteur de ce qu’elle représente : la création de la direction de la protection des installations, moyens et activités de la Défense – la DPID – en est une illustration et un symbole.
Pour conclure, je dirai que la défense est plus que jamais au cœur de l’intérêt national. Le contexte sécuritaire actuel renforce la pertinence d’une armée solide et réactive et d’un modèle complet d’armée. Nous sommes persuadés que c’est le bon choix : il est porté par la LPM, garante de la cohérence physico-financière entre les besoins et les ressources, les moyens et les missions.
Le Président de la République, chef des armées, a garanti le respect de cette LPM. Son exécution pour l’exercice 2015 est cruciale. Il ne faut pas baisser la garde : je compte sur votre vigilance !
La mission des armées est d’éviter la guerre, sa vocation est de la faire. À l’extérieur des frontières, elles conduisent la défense de l’avant de notre pays. À l’intérieur, elles continueront à faire leur devoir avec constance, fiabilité et fidélité. Restons vigilants au lien entre la sécurité extérieure et la sécurité intérieure, qui est de plus en plus fort.
À l’intérieur, comme à l’extérieur des frontières, les armées se mobiliseront toujours pour protéger la France et les Français. Les armées et la Nation incarnent une communauté de destin et de valeurs. Vous pouvez compter sur l’engagement sans faille de nos soldats, de nos marins et de nos aviateurs pour le succès des armes de la France.
M. Alain Marty. Il est en effet indispensable de ralentir les déflations d’effectifs en fonction des menaces et de la sollicitation de nos forces. Mais si vous avez 7 500 réductions de postes de moins, il faudra bien les budgéter. Ce qui conduit à une réflexion dépassant la sanctuarisation du budget, car ou les programmes d’armement sont en diminution ou il faut procéder à une réactualisation.
Quand on tient compte des forces de souveraineté, des forces prépositionnées, des 10 000 hommes mobilisés sur notre sol, des 15 000 hommes mobilisables dans une coalition et de la force d’intervention rapide, on arrive quasiment à 50 000 hommes, ce qui montre qu’il n’y aurait pas beaucoup de gras si l’opération de sécurité intérieure devait durer longtemps. Ne craignez-vous pas qu’on tire un peu trop sur nos militaires, d’autant que j’ai cru comprendre que vous pourriez rappeler au bout de deux semaines seulement certains de ceux rentrant d’OPEX très prenantes ?
Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Quel est le niveau de coopération entre la direction du renseignement militaire (DRM) et la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) en OPEX, notamment pour la surveillance des groupes terroristes et la détection éventuelle de projets d’action terroriste à destination de la France ?
Général Pierre de Villiers. La LPM nous imposait une déflation de 34 000 postes. En dépit des 31 chantiers de transformation engagés, 7 000 restaient à identifier. Or quand nous avons mis cette force de protection sur le terrain, j’ai constaté que dans deux ans, nous serions incapables de la mettre en place pour des raisons de rythme et de volume de déflation des effectifs sans toucher aux OPEX. C’est ce qui m’a conduit à demander au Président de la République, en accord avec le ministre de la Défense, de réduire et lisser la déflation sur la période 2015-2019. Pour cette période, le surcoût devra être intégré dans le cadre de l’actualisation de la LPM que nous sommes en train de lancer.
La sanctuarisation de la LPM porte sur la dimension physico-financière et ses équilibres entre besoins et ressources comme entre missions et moyens. Mais la décision sur les effectifs demandera une modification législative.
Par ailleurs, il y a une coordination étroite entre les services de renseignement. Nous avons mis en place au CPCO la cellule Hermès qui, outre la DRM et la DGSE, associe la DGSI, les douanes et Tracfin. Pour l’avoir visitée il y a trois jours avec le ministre, nous avons vu tous les bienfaits de cette décision, qui fédère les différents services. Elle sera pérennisée aussi longtemps que nécessaire.
M. Christophe Guilloteau. Nous sentons bien que le maître mot de votre intervention est bien le budget. L’opération Sentinelle a-t-elle déjà un budget dédié ? Si elle devait durer, pourriez-vous tenir longtemps financièrement et sur quel budget ?
D’autre part, dans le cadre de l’actualisation de la LPM, ne faudrait-il pas aussi revoir le budget de la Défense ?
M. Olivier Audibert Troin. Dans l’état actuel d’engagement de nos hommes dans l’opération Sentinelle, si un événement naturel de grande ampleur survenait, serions-nous capables d’apporter le même secours aux populations qu’auparavant ? Nous savons ce qu’elles doivent aux armées lorsque plus rien ne fonctionne.
S’agissant de la LPM, en quoi s’agit-il d’une simple actualisation et non d’une révision ? Au vu des décisions prises en matière d’effectifs et des difficultés à obtenir les recettes exceptionnelles, la question mérite d’être posée.
Enfin, pouvez-vous continuer à affirmer que les menaces prévues dans le cadre du Livre blanc étaient bien calibrées au regard des crises internationales que nous vivons aujourd’hui ? La récente décision sur les effectifs montre que tel n’était pas forcément le cas.
Général Pierre de Villiers. Il est trop tôt pour savoir quel sera le surcoût de l’opération Sentinelle. Il sera financé avec un raisonnement un peu analogue à celui prévalant pour le surcoût des OPEX. Nous essayons d’avoir une approche budgétaire très vertueuse pour être irréprochables.
Je maintiens que le Livre blanc est pertinent : il a bien anticipé ce qui s’est passé depuis deux ans et demi, notamment sur les flancs est et sud – ce qui nous avait conduits à retenir notre modèle global d’armée. Une révision imposerait une autre LPM : outre que ce n’était pas le mécanisme prévu, je ne crois pas sain de refaire deux ans après un exercice complet quand on voit le travail que cela représente. Je rappelle qu’un modèle d’armée pour gagner la guerre se calcule avec tous les paramètres, la victoire ou la défaite pouvant dépendre d’un seul petit facteur mal anticipé.
Il faut donc affiner la LPM. Si le costume a en effet été taillé au plus juste, le contrat de protection n’était pas assorti d’un délai de mise en place et de durée, ce qui est maintenant le cas. Mais je ne crois pas que cela modifie en profondeur la LPM.
Il faudra partir du cadre stratégique, intégrer les enseignements des opérations de ces deux dernières années et ajuster les capacités sans mettre en cause les équilibres subtils des programmes à effet majeur.
Il convient d’éviter deux écueils : un « lifting » superficiel ou une analyse en profondeur qui pourrait nous conduire à refaire la LPM – ce qui serait périlleux, car je pense que cette loi sera pleinement efficace pour notre défense jusqu’en 2019.
Je rappelle que, quand je me rends auprès de l’OTAN, j’observe qu’après les États-Unis, le deuxième pays leader est la France. Nous sommes admirés par nos alliés et craints par nos ennemis. Nous pouvons donc être fiers de notre modèle d’armée et il faut se battre pour le maintenir.
Enfin, ne pas tirer sur la corde s’agissant des personnels relève de ma responsabilité de chef militaire. La disponibilité et la professionnalisation de nos soldats sont extraordinaires. Il faut donc faire attention à la dimension personnelle et familiale des individus. C’est la raison pour laquelle nous adapterons progressivement le dispositif Sentinelle par rapport aux menaces dans un dialogue constant avec les différentes confessions et les préfets concernés. Je vais d’ailleurs beaucoup visiter Vigipirate pour cette raison, sachant que si nous réussissons des choses extraordinaires, c’est parce que ce facteur humain est pris en compte. Le ralentissement de la déflation était à cet égard tout à fait opportun.
Mme la présidente Patricia Adam. J’invite chacun à relire l’article 6 de la LPM, qui parle d’actualisation et en précise les motifs. Attention à ne pas s’engager dans une révision qui pourrait conduire certains à demander des réductions budgétaires ! Je rappelle que c’est grâce à la vigilance de la commission de la Défense et de la commission des Finances de notre Assemblée, comme de celles du Sénat, que la LPM est pour la première fois respectée à l’euro près. L’article 6 évoque en outre un retour à un effort de 2 % du PIB en cas de meilleur contexte budgétaire.
Je vous invite également à aller dans vos territoires au-devant des militaires déployés pour les soutenir moralement.
M. Olivier Audibert Troin. Nous connaissons bien sûr l’article 6 et les dangers de remettre le métier sur l’ouvrage. Mais n’est-ce pas le moment, avec l’appui de la Nation – l’armée jouissant dans la population d’un degré de sympathie jamais atteint depuis très longtemps –, d’amener nos interlocuteurs budgétaires à davantage de lucidité ?
Mme la présidente Patricia Adam. Nos rapporteurs budgétaires et nos missions d’information pourront contribuer au débat sur l’actualisation de la LPM – nous y avions d’ailleurs déjà réfléchi depuis novembre dernier –, mais il convient de laisser d’abord le ministère travailler sur les ajustements budgétaires avant d’organiser des auditions sur le sujet, peut-être à partir de la fin du mois de mars.
Général Pierre de Villiers. Je comprends et partage vos préoccupations. L’actualisation de la LPM, qui devait avoir lieu au second semestre, a de fait été avancée pour tenir notamment compte de la mise en œuvre du contrat protection.
M. Alain Moyne-Bressand. Nous sommes aussi très fiers de nos soldats, qui font un travail reconnu et de très haute qualité.
Je suis favorable à une actualisation, et non à une révision, car à Bercy, il n’y a pas d’amis pour nous soutenir !
Après trois semaines d’opération Sentinelle, avez-vous des remarques à faire ou des modifications à apporter ? Vous concertez-vous avec les pays voisins, notamment la Belgique, également confrontée à un grave problème de terrorisme ?
M. Jean-Jacques Candelier. L’opération Sentinelle a mobilisé plus de soldats qu’en OPEX, mais pourrons-nous longtemps maintenir une telle mobilisation ? Combien de réservistes ont été employés à cet effet ?
Enfin, vos unités sont avant tout formées pour le combat ; sont-elles également compétentes pour la garde statique des sites sensibles ?
Général Pierre de Villiers. Il y a 321 réservistes dans la force Sentinelle, ce qui est peu. Notre dispositif n’est pas suffisamment réactif : l’arsenal juridique devra donc être amélioré pour que nos réservistes puissent arriver plus rapidement.
Le contrat protection est prévu pour un mois, soit environ jusqu’au 15 février. Il repose sur un dialogue permanent entre l’autorité militaire, l’OGZDS, et le préfet, supervisé par la cellule interministérielle de crise du ministère de l’Intérieur en liaison avec l’EMA. Nous allons nous adapter à la situation, de façon à diminuer progressivement nos effectifs et à avoir une position plus mobile, car en demeurant statiques, nous sommes plus vulnérables.
Notre métier n’est pas de faire de la garde statique devant un point sensible, mais de remplir cette mission de protection pendant un mois, de façon à renforcer les forces de sécurité et leur permettre ainsi de s’occuper d’autres choses.
L’un des enseignements majeurs est d’articuler notre dispositif de réserve pour être plus performant dans ce type de situation, sachant qu’il peut servir aussi à renforcer nos capacités en OPEX.
Autre enseignement : l’opération Sentinelle s’est bien déroulée alors que beaucoup d’observateurs étaient dubitatifs sur notre capacité à gérer une crise majeure avec le soutien interarmées tel qu’il était en train d’être réorganisé. Les personnels ont été transportés, nourris et hébergés dès le premier soir, sachant que près de 6 000 soldats en renfort ont été conduits vers la région parisienne. La chaîne de soutien interarmées a donc bien fonctionné et le pôle opérationnel stratégique organisé pour une crise majeure à Satory a notamment démontré toute son efficacité et sa pertinence.
Enfin, j’ai rencontré la semaine dernière mon homologue belge, qui m’a m’interrogé sur la façon dont nous avions procédé, la Belgique étant bien moins avancée que nous, à la fois dans la capacité à déployer et à commander un tel volume de forces. Cela montre combien nous avons été sages de conserver notre dispositif global, au sol comme en mer et dans les airs, même si nous avons des progrès interministériels à faire dans l’approche globale des crises. Efficace, notre dispositif se révélera probablement efficient quand nous en ferons le bilan financier.
M. Gwendal Rouillard. Quelle appréciation portez-vous sur le traitement de la cybermenace ? Au fil des mois, le dispositif prévu par le Livre blanc monte en puissance.
Par ailleurs, depuis plusieurs mois, la France insiste pour que les pays africains coopèrent davantage entre eux au sujet du Nigeria et de Boko Haram. Quelle est votre appréciation à cet égard et quelles initiatives doivent être prises face à cette menace préoccupante ?
M. Serge Grouard. Dans l’hypothèse où, dans le cadre de l’opération Sentinelle, un militaire riposterait à une attaque en situation de légitime défense, que se passerait-il juridiquement en cas de contestation de cette dernière ? Quelles sont les procédures prévues pour garantir la sécurité juridique de nos militaires ?
En outre, quel est votre avis, au sujet des réserves et du service civique, sur ce qui ressemblerait à une forme de service national ? Les débats sont actuellement nourris à ce sujet. Êtes-vous en mesure d’accueillir ce service et dans quelle proportion ? Une sorte de garde nationale serait-elle envisageable ? Pendant combien de temps et sous quelle forme ? Quid de l’obligation ? Cela pourrait-il être utile pour les armées ?
Général Pierre de Villiers. Nous avons une cellule ad hoc sur le cyber, qui fonctionne très bien et fournit des renseignements efficaces, quotidiennement. Nous sommes dans le peloton de tête au plan international, ce qui exige des effectifs, un coût, ainsi qu’un équilibre entre la technologie, les services de renseignement et les opérations. Ce volet est bien pris en compte.
S’agissant du Nigeria, la France a décidé de créer une cellule de coordination et de liaison adossée au poste de commandement de Barkhane à N’Djaména – je l’ai visitée à Noël –, qui permet une meilleure coordination des actions entre les différents pays : le Niger, le Cameroun, le Tchad et le Nigeria notamment. La situation dans ce pays se dégrade, ce qui nous concerne indirectement compte tenu de la menace sur des pays amis, le Niger et le Tchad, avec lesquels nous travaillons dans le cadre de l’opération Barkhane. Mais il faut d’abord une approche politique internationale et que les différents acteurs responsables dans cette zone s’engagent.
Quant à l’offensive du Tchad, elle a été lancée à la demande de ses voisins camerounais et nigériens, mais nous n’en sommes pas partie prenante. Je rappelle que l’opération Barkhane, qui mobilise beaucoup nos forces, s’étale sur des milliers de kilomètres face à un ennemi très mobile et déterminé. Reste que nous ne laisserons pas tomber nos alliés si nécessaire.
Concernant la légitime défense, nos soldats sont aussi aptes à neutraliser un agresseur sans tirer, comme aujourd’hui encore à Nice où ils ont parfaitement réagi. Ce n’est cependant pas une situation très confortable car nous ne sommes pas formés prioritairement, comme nos amis policiers ou gendarmes, à affronter ce type de situation. Nous avons beaucoup progressé ces dernières années sur la maîtrise du feu dans le cadre des OPEX, notamment en Afghanistan : nous enseignons d’abord à nos soldats à ne tirer que dans certaines conditions.
Pour ce qui est des réserves, il est temps d’avoir un grand projet pour les dynamiser, définissant les missions individuelles et collectives, les entraînements, les équipements, les lieux d’intervention, avec une réserve professionnelle qui soit le pendant d’une armée professionnelle. Nous allons mener une réflexion à cet égard dans le cadre de l’actualisation de la LPM.
Enfin, sur le service civique, nous nous conformerons aux décisions prises par le pouvoir politique, et nous demanderons des moyens supplémentaires si nous avons des missions supplémentaires. J’observe que les armées françaises sont déjà de formidables outils d’intégration : nous transformons souvent des jeunes en grande difficulté en héros. Nous avons en effet un modèle d’intégration et un jeune commençant comme soldat de deuxième classe peut terminer comme général de brigade. Il faut tenir compte de cette dimension de cohésion sociale dans notre projet pour les réserves et s’inspirer de ce qui fonctionne dans les armées, comme le service militaire adapté (SMA) outre-mer. Nous avons des savoir-faire pour la catégorie des jeunes en difficulté qui échappent aux dispositifs de l’État, qu’il s’agisse des services sociaux ou de l’Éducation nationale. Notre pédagogie peut être mieux adaptée dans leur cas.
Quant à prendre en charge les 800 000 personnes d’une classe d’âge, le ministre s’est déjà exprimé, ce n’est pas envisageable.
De même, une nouvelle mission ne pourra pas être menée « sous enveloppe ». Il faut donc respecter le principe : « une mission, des moyens ».
M. Philippe Folliot. L’un des problèmes est que nous nous trouvons face à de véritables déserts militaires : plus on réforme, plus on concentre les forces, et plus des parties entières du territoire ne voient jamais de soldat – ce qui soulève la question du lien armée-Nation.
S’agissant de l’opération Sentinelle, il sera beaucoup plus difficile demain de mobiliser comme vous l’avez fait. Cela étant, les conditions de logement en région parisienne ont été parfois très spartiates. Quant au faible nombre de réservistes employés, il est aussi lié à la faiblesse du budget. À force de se servir du budget de la réserve comme variable d’ajustement du budget de la Défense, on est arrivé en effet à le réduire aujourd’hui à un pour mille de ce dernier. Que pourrait-on faire pour y remédier, sachant que la transposition du SMA en métropole pourrait également mettre en valeur un dispositif exemplaire d’outre-mer ?
M. Michel Voisin. La cote d’amour de notre armée auprès de la Nation n’a de fait jamais été aussi élevée : je n’ai d’ailleurs jamais vu autant de parlementaires au cours d’un événement comme la cérémonie d’hommage aux Invalides de ce matin.
Lorsque nous avons adopté l’amendement pour la suspension du service militaire, nous savions que c’était un vœu pieux et le chef d’état-major des armées de l’époque nous avait dit que cette mesure aurait des effets en termes d’économies dans soixante-douze ans. Les débats actuels prouvent bien la difficulté de le remettre en place. Il semble qu’on ait beaucoup de difficultés à organiser des actions mobilisant les bénévoles au profit de la défense et réaffirmant le lien armée-Nation. En tout cas, sur le terrain, tout le monde appelle à un service civique, ce qui pose notamment des problèmes budgétaires, comme nous l’avions déjà noté en 1995-1996 dans un rapport que j’avais présenté avec Alain Marsaud.
Sur la LPM, un large consensus existe sur la nécessité de renouveler nos moyens au regard des missions que vous effectuez, à la satisfaction de tous. Mais les méthodes qui seraient utilisées pour financer ces moyens – tel le leasing, qui est de dernière extrémité et conduit à la banqueroute – ne tendent-elles pas à distendre le lien entre la Nation et le budget de la Défense ? On ne peut travailler à crédit pour les équipements et installations militaires et il est nécessaire que la Nation consente l’effort de ce financement, quitte à engager un emprunt national.
M. Yves Fromion. Pourquoi avoir retenu un délai de quatre semaines pour l’opération Sentinelle ? Qui l’a défini ?
S’agissant du service national, son rétablissement relève de l’utopie, compte tenu des 800 000 jeunes d’une classe d’âge. Les Britanniques organisent d’ailleurs un service national quasiment obligatoire sur trois semaines, dont le résultat n’est guère probant. Mais une disposition de la loi de mars 2010 sur le service civique prévoit que celui-ci peut être étendu à la Défense. Il serait intéressant de réfléchir à cette opportunité, car cela permettrait de reprendre en main un certain nombre de jeunes en difficulté d’insertion. Il reste qu’il faut les identifier et les orienter, le service civique ne comptant actuellement que 17 % de jeunes venant des quartiers difficiles. La Défense pourrait aussi y gagner car, pendant une période de six mois éventuellement reconductible, on peut les former et les utiliser à des tâches diverses.
Mme la présidente Patricia Adam. Marianne Dubois et Joaquim Pueyo travaillent sur ce sujet et, dès qu’ils auront davantage avancé, ils viendront en débattre avec nous et faire des propositions.
Général Pierre de Villiers. Monsieur Folliot, les déserts militaires sont l’héritage des décisions de restructuration successives depuis quarante ans. Nous sommes confrontés à une double logique : celle voulant que l’on diminue l’empreinte au sol et que nous fassions des gains de productivité, d’une part, et celle de la présence territoriale et du lien armée-Nation, évitant ces déserts, d’autre part. Il faut intégrer ce facteur dans l’actualisation et les projets d’armée. Notre ministre est d’ailleurs bien conscient de l’importance de l’ancrage territorial.
S’agissant de Sentinelle et des conditions d’hébergement, lorsque nous sommes en premier mandat en OPEX la mission prime et nous nous adaptons ; sachant qu’en l’espèce les soldats ont eu dès le premier soir des conditions d’accueil permettant de vivre à peu près correctement, même si elles ont parfois été un peu rustiques. Mais ce qui fait la différence entre certaines armées et nous, c’est qu’elles ne se déploient que quand la mission est possible – que la logistique est installée – alors que pour nous la mission est sacrée. C’est la raison pour laquelle elles n’ont pas compris comment nous avons pu mobiliser en trois jours. Cela montre bien aussi l’importance des forces morales.
Concernant les réserves, leur budget de 71 millions d’euros représente peu par rapport aux 31,4 milliards du budget de la Défense, mais son doublement aurait un effet considérable. Déjà, trois millions d’euros sur ce budget ont un impact important sur l’activité des réservistes. Il faut en effet davantage prendre en compte ce facteur.
Le SMA me paraît de fait une piste intéressante. Mais la cohésion nationale est d’abord une question relevant des autorités politiques et il faut bien calibrer cela dans le cadre d’une approche interministérielle, sachant qu’il convient d’abord d’examiner les nombreux dispositifs existants. Nous en avons d’ailleurs d’extraordinaires dans les armées comme, outre le SMA outre-mer de l’armée de terre, l’école des mousses dans la marine ou le plan égalité des chances dans l’armée de l’air.
Concernant les méthodes de financement, ce qui compte pour moi est de disposer des 31,4 milliards d’euros prévus à temps – il nous faut notamment les 2,3 milliards de ressources exceptionnelles inscrites au titre de 2015 avant le 1er juillet –, ce qui ne m’empêche pas d’être attentif à leur caractère budgétaire ou exceptionnel et aux conditions qui y sont liées – priorités, types d’équipements, préservation du processus opérationnel ou absence d’incidence des loyers sur le budget. Ma responsabilité est de veiller à ce que je puisse engager les crédits le 1er juillet et, si ce n’était pas le cas, je le dirai. Je considère à cet égard que la fin de gestion 2013 et 2014 est conforme à la LPM – et vous n’y êtes pas pour rien. Je suis confiant pour cette année.
Il faut en effet toujours garder le lien armée-Nation en perspective. Nous sommes très vigilants sur le volet intégrateur. Quand on donne aux jeunes un objectif, une mission, l’égalité, une famille, une cohésion et des valeurs, cela fonctionne.
S’agissant du service civique, la dimension la plus pénalisante pour toute action d’ampleur est celle de l’infrastructure, car il faut des années pour la mettre en place. Je me permets d’être concret car je lis beaucoup de choses actuellement sur d’ambitieux projets.
Quant à la durée de l’opération Sentinelle, au départ, nous étions partis sur deux semaines, mais nous nous sommes aperçus que cela était insuffisant eu égard à la nature de la crise que nous vivons. Ce délai concourt à l’apaisement de la population vis-à-vis des menaces, – plus de 800 points sensibles sont gardés par les militaires – et à la capacité du ministère et des forces à se régénérer. Dans l’état actuel de nos engagements, je ne suis pas en mesure de relever 10 000 hommes – à moins de faire appel à des soldats préparant des OPEX ou qui s’y trouvent. Nous avons laissé deux à trois semaines de permissions à ceux revenant d’OPEX, car il n’est pas raisonnable, voire dangereux, de les intégrer tout de suite dans l’opération Sentinelle. La marge de manœuvre est faible pour la marine et l’armée de l’air, ce qui fait que l’effort porte essentiellement sur l’armée de terre.
Il faut aussi prendre en compte le fait que les soldats mobilisés pour cette opération doivent être à jour des qualifications techniques de tir et entraînés et formés à cet effet.
L’incident d’aujourd’hui va montrer tout l’intérêt que le dispositif militaire revêt, mais aussi que lorsqu’on est statique, on est menacé. Je rappelle qu’en l’occurrence la cible n’était pas la synagogue mais les soldats, car ils incarnent l’État. Cet aspect est à intégrer aussi dans le délai retenu. Je crois à cet égard à des dispositifs plus mobiles et plus souples que la garde fixe.
Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie.
La séance est levée à dix-neuf heures.
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Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Patricia Adam, Mme Sylvie Andrieux, M. Olivier Audibert Troin, M. Jean-Jacques Candelier, M. Guy Chambefort, M. Philippe Folliot, M. Yves Foulon, M. Yves Fromion, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Serge Grouard, M. Christophe Guilloteau, M. Francis Hillmeyer, M. François Lamy, M. Gilbert Le Bris, M. Alain Marleix, M. Alain Marty, M. Philippe Meunier, M. Jacques Moignard, M. Alain Moyne-Bressand, Mme Marie Récalde, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Gwendal Rouillard, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin
Excusés. – M. Claude Bartolone, M. Sylvain Berrios, M. Éric Jalton, M. Marc Laffineur, M. Frédéric Lefebvre, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Damien Meslot, M. Philippe Nauche, M. Jean-Claude Perez, M. Joaquim Pueyo, M. François de Rugy
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Source: Assemblée nationale