Question orale sans débat n° 0664S posée par Mme Bariza KHIARI (de Paris – SOC)
publiée dans le JO Sénat du 15/10/2009 – page 2391
Mme Bariza Khiari attire l’attention de M. le ministre de la défense sur une affaire récente ayant été relatée par les médias.
Six gendarmes d’origine maghrébine et africaine ont décidé de saisir la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité (HALDE) pour insultes à caractère raciste et pratiques discriminatoires de la part de leur supérieur.
À l’occasion d’une cérémonie officielle, ce capitaine aurait « trempé dans la bière les galons de sous-officiers qu’il devait remettre à deux gendarmes de confession musulmane puis leur a demandé d’ouvrir la bouche pour y accueillir les galons imbibés d’alcool ».
Alors qu’il s’agissait d’une cérémonie importante, ce simulacre dégradant semble poser l’alcool comme condition de la méritocratie républicaine.
Ces faits ne sont pas uniques comme le rappellent les révélations sur le 17ème régiment de génie parachutiste de Montauban.
La force, la crédibilité et l’image de notre armée exigent un comportement exemplaire, et notamment de ses cadres.
C’est pourquoi elle souhaiterait connaître la nature des sanctions administratives prévues dans ce cas de figure et être informée des mesures pédagogiques envisagées pour lutter contre le racisme et les pratiques discriminatoires dans les corps de l’armée.
Réponse de M. le secrétaire d’État à la défense et aux anciens combattants publiée dans le JO Sénat du 04/11/2009 – page 9260
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, auteur de la question n° 664, adressée à M. le ministre de la défense.
Mme Bariza Khiari.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues,
six gendarmes d’origine maghrébine ou africaine ont décidé de saisir la HALDE, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, pour insultes à caractère raciste et pratiques discriminatoires de la part de leur supérieur.
À l’occasion d’une cérémonie officielle, un capitaine aurait trempé dans la bière les galons de sous-officier qu’il devait remettre à deux gendarmes de confession musulmane, puis leur aurait demandé d’ouvrir la bouche pour y accueillir les galons imbibés d’alcool.
Alors qu’il s’agissait d’une cérémonie importante pour ces gendarmes et pour leur famille, puisqu’elle marquait leur réussite, ce simulacre dégradant semble poser l’alcool comme condition de la méritocratie républicaine.
On voudrait ainsi imposer le reniement et l’intégration par la bière ou par le cochon à ceux qui sont appelés à nous défendre jusqu’au péril de leur vie.
Monsieur le secrétaire d’État, nous abordons un débat sur l’identité nationale dans un contexte où même le temps n’a pas changé grand-chose.
Arrière-petits-fils de tirailleurs sénégalais, petits-fils d’ouvriers algériens venus dans les années cinquante travailler pour la régie Renault, ils gardent le même nom que leurs aïeux. Ils restent l’« autre », l’étranger, celui que l’on appelle tantôt « arabe », « beur », « racaille », « sauvageon », tantôt « issu de l’immigration », « issu de la diversité »… Certes, tous ces termes n’auront plus cours avec les années, sauf qu’ils resteront musulmans, comme les quelque 6 millions d’autres, frères en religion.
La consommation d’alcool, comme celle du porc, étant contraire à leur pratique religieuse, je réclame pour ces gendarmes le respect de leur foi, tant que leur foi ne prétendra pas dire la loi.
Ces pratiques discriminatoires et dégradantes, qui font honte aux armées, sont contraires aux valeurs républicaines, notamment à la laïcité, matrice qui surplombe nos identités multiples.
L’armée doit être à l’image de notre société dans toutes ses composantes.
Elle doit être intégratrice et inclusive.
La force, la crédibilité et l’image de notre armée exigent un comportement exemplaire, notamment de la part de ses cadres.
Je suis persuadée que la très grande majorité de notre armée est exemplaire de ce point de vue, mais la gravité de cet événement ne pouvait être laissé sous silence, d’autant qu’il semble que ces faits ne soient pas isolés, comme le rappellent les révélations du 17e régiment de génie parachutiste de Montauban.
L’islamophobie, comme la tenue de propos racistes ou toute conduite dégradante, ne peut avoir cours dans notre République, et certainement pas dans la gendarmerie nationale.
C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite connaître la nature des sanctions prévues dans ce cas de figure et les mesures pédagogiques envisagées pour lutter contre le racisme et les pratiques discriminatoires dans l’armée.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État. M. Hubert Falco, secrétaire d’État à la défense et aux anciens combattants.
Madame la sénatrice, il convient tout d’abord de réaffirmer que toute situation de discrimination constatée au sein de nos forces armées fait systématiquement l’objet d’un traitement disciplinaire sévère, dès que la hiérarchie en est informée.
Dans la réalité, nos armées sont un remarquable creuset d’intégration multiculturelle et pluriethnique.
Toutes les confessions religieuses sont représentées sous les armes et les pratiques cultuelles et culturelles sont systématiquement respectées.
Une simple visite dans les régiments, sur une base aérienne, sur un bâtiment de la marine nationale ou dans une brigade de la gendarmerie nationale permet de constater la diversité des recrutements, qui est le reflet de notre société d’aujourd’hui.
L’avenir aussi se décline selon cette diversité.
Nos armées recrutent chaque année plus de 20 000 jeunes pour honorer l’ensemble des fonctions dont elles ont besoin.
Ces jeunes sont bien évidemment issus de toutes les couches sociales et de tous les milieux qui composent notre société.
Certains de ces jeunes viennent d’ailleurs dans nos armées, car ils savent qu’ils y trouveront un milieu professionnel où chacun a sa chance, car l’on s’y élève avant tout par l’effort et non du fait exclusif de son origine.
Peu d’agissements discriminatoires sont relevés au sein de ces communautés humaines, où les notions de frère d’armes, d’équipage, de cohésion transcendent les clivages.
Néanmoins, nos forces armées disposent d’un large éventail de mesures et de moyens de lutte contre les discriminations, qui ont montré leur efficacité face aux quelques malheureux cas survenus.
Les textes fondamentaux, comme la loi n° 2005-270 du 24 mars 2005 portant statut général des militaires, le décret n° 2005-796 du 15 juillet 2005 relatif à la discipline générale militaire ou l’instruction défense relative aux sanctions disciplinaires et à la suspension de fonctions, prennent en compte la notion de discrimination et prévoient des sanctions contre de tels agissements.
Ils sont complétés par de nombreux documents propres à chaque armée, qui précisent ces notions.
Je ne citerai que le code du soldat de l’armée de terre, qui prévoit, à l’article 9, que le soldat « est ouvert sur le monde et la société, et en respecte les différences » et, à l’article 10, qu’« il s’exprime avec réserve pour ne pas porter atteinte à la neutralité des armées en matière philosophique, politique et religieuse ».
Ainsi, à tous les échelons, le commandement militaire exerce une vigilance dans le domaine de la discrimination, car cela touche à l’individu et à la cohésion, qui font la force de ces communautés de femmes et d’hommes.
Lorsque le commandement est saisi d’un agissement discriminatoire, il exerce pleinement ses responsabilités en instruisant, parallèlement à toute action de justice, ses propres enquêtes de commandement et porte systématiquement plainte.
Tout militaire adoptant un comportement discriminatoire s’expose ainsi à des sanctions non seulement pénales mais aussi administratives : arrêt, retrait d’emploi, mise à pied…
En l’espèce, madame la sénatrice, les faits que vous décrivez ont été initialement dénoncés à la hiérarchie de la gendarmerie nationale au mois de février 2009.
Une enquête administrative a permis, dès cette époque, de mettre en évidence la responsabilité du commandant d’unité et des mesures disciplinaires ont été prises à son encontre : il a été sanctionné et affecté dans un autre poste.
Le 1er octobre 2009, au regard de la gravité des faits dénoncés, le directeur général de la gendarmerie nationale a demandé au général inspecteur de la gendarmerie nationale de diligenter une enquête non seulement pour vérifier que l’instruction disciplinaire ayant conduit à la sanction du commandant d’unité avait bien pris en compte l’ensemble des faits, mais aussi pour évaluer la pertinence des décisions prises.
À ce jour, l’enquête administrative visant à déceler d’éventuels autres faits ou auteurs se poursuit.
Sur le plan pédagogique, de nombreuses actions sont menées au quotidien pour former et prévenir la population militaire contre de tels agissements.
Ainsi la gendarmerie s’est-elle rapprochée de la HALDE et a-t-elle signé une convention au mois de décembre 2007.
Un guide élaboré par la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité a été adapté à la gendarmerie nationale.
Il sert de référence pour la rédaction des procédures contre les discriminations.
De manière plus générale, dans chaque armée, une information particulière est menée auprès de toutes les catégories de personnel – militaires du rang, sous-officiers, officiers – et à tous les stades de la formation, dans les écoles ou au sein des unités.
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari. Mme Bariza Khiari.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse.
J’ai bien noté que l’armée était ouverte à la diversité et que les cas de discrimination étaient assez rares. Je m’en réjouis.
Je me félicite également que des sanctions aient été prises et que des procédures de prévention soient mises en place dans les armées.
Je tenais néanmoins à vous interroger sur le cas de ces six gendarmes.
Quoi de plus fort pour des gens venus d’ailleurs que de servir leur pays d’accueil en s’engageant dans ses forces armées ? C’est l’endroit où le sentiment d’appartenance devrait être fusionnel. Or nous découvrons que, là aussi, les discriminations existent.
Que dirons-nous aux jeunes des quartiers qui vivent ces situations au quotidien ?
Monsieur le secrétaire d’État, le sentiment d’appartenance à la nation ne se décrète pas.
C’est une construction au quotidien, un « plébiscite de tous les jours », pour reprendre l’expression de Renan.
De ce point de vue, l’armée doit donner l’exemple.
Mme Nathalie Goulet.
Très bien !
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