Le président. La parole est à Mme Françoise Olivier-Coupeau.
Mme Françoise Olivier-Coupeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de focaliser mon intervention sur le coût et le financement des opérations extérieures de la France.
C’est avec un grand intérêt que j’ai écouté les propos de notre excellent collègue Louis Giscard d’Estaing avec lequel j’ai eu le privilège de rendre un rapport à la mission d’évaluation et de contrôle sur les OPEX. Sur de nombreux points, je partage ses remarques – même si je n’en tire pas toujours les mêmes conclusions.
À mon tour, je me réjouis du fait que le ministère ait progressé dans la budgétisation des OPEX, en prévoyant 570 millions d’euros à cet effet. En revanche, j’ai du mal à me satisfaire d’un budget dont le taux de sincérité n’est que de 65 %, c’est-à-dire d’une budgétisation des OPEX qu’il faudra abonder d’au moins 35 % à la fin de l’exercice.
Comme nous vous le proposions dans notre rapport, monsieur le ministre, il est plus que temps de réformer l’ordonnance du 25 mai 1984 qui fixe de manière trop restrictive les règles en matière de calcul et de remboursement et qui aboutit à une sous-budgétisation chronique du coût des OPEX.
Un budget insuffisamment sincère, mais également un bleu budgétaire de plus en plus proche de l’hermétisme. Ma collègue Patricia Adam a relevé le fait que nous l’ayons reçu un peu tard. Non seulement c’était tard, mais en plus c’était drôlement difficile à lire !
Sans vouloir accabler les fonctionnaires qui ont eu le grand mérite de préparer ces documents, je vous avoue, monsieur le ministre, que même avec beaucoup d’efforts, on a du mal à se retrouver dans ce monument de bureaucratie absconse. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Par exemple, j’ai cherché la trace du remboursement effectué par les Nations unies des dépenses supportées par nos armées. Ce n’est pas rien, puisqu’en 2009, le montant de ce remboursement devait s’élever à plus de 71 millions d’euros. Soit ces remboursements n’entrent pas dans le cadre de ce document, soit ils y sont mais je ne les y ai pas trouvés même en cherchant bien.
Monsieur le ministre je crois que dans un tel bleu, la Madelon n’aurait pas retrouvé ses soldats ! Je vous remercie donc de bien vouloir m’éclairer sur ces sommes, ces remboursements des Nations unies.
M. Hervé Morin, ministre de la défense. C’est remboursé !
Mme Françoise Olivier-Coupeau. Au-delà de l’obscurité courtelino-kafkaïenne des textes, certaines données sont parfois volontairement voilées. Ainsi M. le rapporteur spécial nous a-t-il appris que le ministère avait décidé de classer secret défense une information qui me semble relever du contrôle parlementaire, voire du droit de savoir de nos concitoyens : il vous demandait de fournir les effectifs, pour les trois armées, des militaires stationnés à l’étranger dans le cadre des OPEX en 2008 et en 2009, ainsi qu’une estimation des surcoûts pour chacune d’entre elles – information que l’on imagine des plus précieuses pour les insurgés afghans ! Cela lui a été refusé au nom du secret défense.
Mme Patricia Adam. Eh oui !
Mme Françoise Olivier-Coupeau. Je n’ose imaginer, monsieur le ministre, qu’il existe un lien entre le refus de communiquer ces données et le débat sur l’Afghanistan que demande depuis plusieurs semaines le groupe SRC, et que, grâce à l’appui du président Accoyer, le Premier ministre nous a enfin promis. Je n’aurai pas ce mauvais esprit mais, plus prosaïquement, je crains que le système soit tellement opaque que vos services aient du mal à fournir une réponse. Je vous rappelle que l’une des préconisations du rapport que j’ai cosigné avec M. Giscard d’Estaing est de publier chaque année, dans les projets annuels de performances et dans les rapports annuels de performances, la prévision du coût des OPEX pour chacun des théâtres d’opérations, ainsi que la réalité des dépenses.
Si je vous interpelle, monsieur le ministre, ce n’est pas pour polémiquer mais parce que, derrière ces chiffres, il y a des hommes et des femmes qui se battent pour la France, qui meurent au combat pour nos valeurs et notre sécurité. Vous me permettrez, en cet instant, d’avoir une pensée toute particulière pour les quatre jeunes marsouins à qui un dernier hommage a été rendu au cours de ces derniers mois, pour tous leurs camarades du troisième RIMA, ainsi que pour toute la communauté militaire, sur l’ensemble des théâtres d’intervention.
Monsieur le ministre, nous proposerons dans un instant un amendement qui vise à augmenter les crédits d’équipement de nos soldats en Afghanistan. Le général Georgelin nous a expliqué que nos militaires étaient bien équipés, mais qu’ils enviaient souvent les équipements des armées alliées, un peu par « effet de mode », disait-il. Pour moi, je ne crois pas que ce soit le souci de se comparer aux autres qui fasse désirer des chaussures de montagne quand on se bat dans le neige à haute altitude. Or, comme vous le savez, tous nos soldats ne sont pas encore équipés de chaussures aux semelles et talons adaptés au relief afghan et aux conditions extrêmes de ce pays : c’est d’autant moins admissible que cela leur fait prendre des risques dans les patrouilles comme dans les combats. Je vous vois faire des signes de dénégation…
M. Hervé Morin, ministre de la défense. Ce que vous dites est faux !
Mme Françoise Olivier-Coupeau. Je ne mets pas votre parole en doute, mais des chefs militaires du troisième RIMA, que j’ai appelés hier soir, m’ont confirmé que certains de leurs hommes n’avaient pas encore reçu leurs chaussures de montagne.
Quand bien même il s’agirait seulement d’améliorer la vie quotidienne de nos combattants, le wellfare, ne croyez vous pas qu’ils le méritent ? Ne pourraient-ils bénéficier de liaisons téléphoniques gratuites avec leurs familles ?
M. Hervé Morin, ministre de la défense. C’est le cas !
Mme Françoise Olivier-Coupeau. Non, monsieur le ministre : je vous livrerai, si vous le souhaitez, les témoignages des militaires que j’ai eus au téléphone hier soir.
M. Hervé Morin, ministre de la défense. Les soldats disposent d’un crédit téléphonique mensuel !
Mme Françoise Olivier-Coupeau. Il n’est pas suffisant.
M. Hervé Morin, ministre de la défense. Ne dites pas qu’ils n’en ont pas, alors !
Mme Françoise Olivier-Coupeau. Je ne voulais pas vous fâcher, monsieur le ministre ; je souhaite seulement contribuer au bien-être de nos soldats.
M. Hervé Morin, ministre de la défense. Vous ne cessez de rapporter des rumeurs inexactes !
Mme Françoise Olivier-Coupeau. Ce que vous appelez rumeurs, monsieur le ministre, ce sont des informations qui viennent du front : chacun son interprétation.
M. Hervé Morin, ministre de la défense. Le front, j’y suis allé plus que vous !
Mme Françoise Olivier-Coupeau. J’espère, monsieur le ministre !
M. le président. Madame Olivier-Coupeau, veuillez poursuivre.
Mme Françoise Olivier-Coupeau. Quant à l’expédition gratuite des colis depuis la France, vous me direz que cela existe, et vous aurez raison. Mais ce système est si compliqué et contraignant que beaucoup de familles ne l’utilisent pas. Ne pourrait-on pratiquer une gratuité systématique des colis expédiés sur le front, comme le font les Américains ?
Puisque j’en suis aux demandes concrètes, et sans vouloir vous irriter davantage, je pense qu’il serait temps de renforcer notre capacité médicale de soutien psychologique des soldats et de leurs familles, car il n’apporte pas toute la satisfaction nécessaire.
Mme Patricia Adam. En effet !
Mme Françoise Olivier-Coupeau. L’armée de terre, je le sais, a fourni de gros efforts, mais il faut les amplifier.
Enfin, pour parler d’investissements plus coûteux, nous vous demandons instamment d’envoyer au plus vite des drones MALE en Afghanistan, dont on a vu l’importance lors de l’embuscade d’Ouzbine. Ce point m’amène à une autre proposition de notre rapport pour la MEC : inclure dans le coût budgétaire des OPEX les programmes d’achat de matériels en urgence liés à la situation d’un ou plusieurs théâtres d’opérations.
En conclusion, les opérations extérieures doivent continuer d’être distinguées au sein de la mission « Défense » par un budget opérationnel de programme spécifique, inscrit en loi de finances initiale, éventuellement ajusté en cours d’exercice en fonction des circonstances, mais encore plus sincère et plus lisible, même si des progrès ont été faits. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Source: Site Assemblée Nationale
Extrait réponse du ministre de la défense:
« J’étais en Afghanistan il y a trois semaines, où un capitaine du 2e REI, au fin fond de la vallée d’Uzbin, à qui je demandais comment cela se passait en termes d’équipement, m’a répondu qu’ils étaient aussi bien équipés, sinon mieux, que les Américains.
M. Philippe Folliot. Il fallait le dire !
M. Hervé Morin, ministre de la défense. Je savais qu’il y avait éventuellement un problème au niveau des chaussures, mais il s’agissait en réalité d’une usure prématurée.
S’agissant du crédit d’heures, j’ai entendu une observation au cours d’une cérémonie militaire au 3ème RIMA. Je me suis renseigné dès mon retour. Le chef d’état-major de l’armée de terre m’a assuré que chaque soldat en opération avait entre deux et quatre heures de capacité téléphonique par mois et dix heures d’internet. Si vous me dites le contraire et si vous connaissez des militaires qui vous disent que c’est faux, dites-le moi : cela me permettra de régler mes comptes avec la hiérarchie militaire ! »
Source: Site Assemblée Nationale
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Rapport d’information 1790 sur le coût des operations militaires exterieures