Commission de la défense nationale et des forces armées
Présidence de Mme Patricia Adam présidente
La séance est ouverte à dix heures.
Mme la présidente Patricia Adam. Notre assemblée examinera bientôt en séance publique le projet de loi pour la croissance et l’activité, dit projet de loi « Macron », qui comporte un article tendant à autoriser la privatisation de GIAT Industries et de ses filiales, dont Nexter. Je remercie M. Philippe Burtin, président-directeur-général de Nexter et tout particulièrement M. Frank Haun, président-directeur-général de Krauss-Maffei Wegmann qui nous fait l’honneur d’être auditionné pour la première fois par la commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale. Rappelons que plusieurs de nos collègues, MM. Jean-Jacques Bridey, Yves Fromion, Christophe Guilloteau et Gwendal Rouillard se sont rendus récemment au siège de Krauss-Maffei Wegmann à Munich.
M. Philippe Burtin, président-directeur-général de Nexter. Nous sommes très honorés de cette opportunité de pouvoir vous exposer le projet de rapprochement entre nos deux groupes, que nous avons dénommé « KANT » (KMW And Nexter Together). Je commencerai par exposer les fondements stratégiques, les objectifs et les présupposés qui font figurer l’inscription de l’entreprise GIAT sur la liste des entreprises privatisables dans le projet de loi pour la croissance et l’activité, sachant que nos deux entreprises sont leaders dans les métiers de l’armement terrestre.
M. Frank Haun, président-directeur-général de Krauss-Maffei Wegmann. Je souhaiterais tout d’abord vous exprimer toute ma sympathie et ma compassion à la suite des événements tragiques qui ont touché la France la semaine dernière. Je me suis recueilli mercredi dernier devant l’ambassade de France à Berlin avec de nombreux Allemands et je voudrais vous dire aujourd’hui : « je suis Charlie ». (Applaudissements).
Nous sommes réunis pour aborder un aspect structurant du renforcement de la relation franco-allemande. Je m’abstiendrai de parler en français ; il en va en effet de votre langue comme de mon épouse : je l’aime, mais je ne la comprends pas !
L’origine de l’entreprise Krauss-Maffei Wegmann remonte à plus de 175 ans ; elle fabriquait à l’époque des locomotives. Elle existe depuis 1999 sous sa forme actuelle et est devenue un acteur incontournable du secteur de l’armement. Plusieurs raisons expliquent sa réussite. En premier lieu, il s’agit d’une entreprise familiale. Nos actionnaires et propriétaires ont un grand respect de la tradition, planifient leurs actions de façon cohérente et ne tiennent pas compte de l’humeur des marchés. Ils auraient pu déjà vendre KMW à plusieurs reprises, mais ce sont des entrepreneurs et ils ont un sentiment de responsabilité envers leurs héritiers et leurs collaborateurs.
Pour nous, l’important est le temps long, qui se compte en décennies et non en trimestres. En 2014, avec nos 3 200 collaborateurs, nous avons enregistré plus d’un milliard d’euros de prises de commandes et réalisé un chiffre d’affaires d’environ sept cent cinquante millions d’euros. Notre carnet de commandes est florissant, comme il ne l’avait jamais été. Nous nous concentrons sur ce que nous savons faire et sur ce que nous entendons de nos clients. En particulier, je me rends personnellement sur les théâtres d’opérations – je suis allé par exemple en Afghanistan -, où j’ai parlé avec nos soldats et d’où je suis revenu avec des propositions d’amélioration. Nous aidons nos forces dans leurs missions, à définir leurs besoins et nous veillons à apporter des réponses rapides avec des circuits décisionnels courts. Nous parlons peu et agissons rapidement, nous sommes adaptables et faisons des produits sur mesure.
Dans le monde occidental, nous sommes ainsi les seuls producteurs de chars lourds de combat modernes : 18 États ont ainsi acheté notre char Léopard 2. Nous développons et fabriquons actuellement avec un partenaire allemand son petit frère, le Puma, que nous sommes en train de livrer à l’armée allemande. Cet engin est à la pointe de la technologie, en matière de protection, de mobilité et de résistance au feu. Notre véhicule à roues, le Dingo, produit à plus de 1 000 exemplaires, est désormais utilisé par six pays dont aucun n’a eu à déplorer jusqu’ici de mort en opération parmi ses utilisateurs. Enfin, le véhicule Boxer à huit roues, qui était à l’origine une initiative franco-germano-anglaise et qui n’a pas pu être menée à son terme, est aujourd’hui un véhicule très performant. Je suis convaincu, si nous réalisons le projet KANT, qu’à l’avenir nous aurons des véhicules communs, ce qui renforcera l’efficacité de nos forces armées, lorsqu’elles interviendront ensembles sur des théâtres d’opérations, et cela permettra d’économiser l’argent du contribuable. Nous sommes aussi présents sur d’autres segments terrestres, puisque nous fabriquons également des systèmes d’artillerie, comme notre obusier, le PZH 2000, dont la performance dépasse largement celle de la concurrence, y compris américaine, ainsi que des ponts tactiques et logistiques. Par ailleurs, nous sommes leaders sur le secteur de la formation et de la simulation, et nous assurons le service et l’entretien sur le terrain en Afghanistan, au Soudan du Sud et en ex-Yougoslavie. Nous sommes par ailleurs le partenaire exclusif de Daimler pour les véhicules lourds dans le cadre de l’OTAN, avec une présence dans plus de 40 pays, des filiales au Brésil, au Mexique, en Grèce, aux Pays-Bas, à Singapour et aux États-Unis. Notre part d’exportation se situe depuis 15 ans entre 40 et 80 % de notre activité.
M. Philippe Burtin. Nexter vous est certainement connu. Je rappelle que nous l’avons créé en 2006 en tant que filiale à 100 % de GIAT Industries. Cette dernière société, depuis cette année-là, est notre société holding, elle-même détenue à 100 % par l’État ; elle agit aussi en tant que défaisance puisque nous y avons laissé les sites que notre redimensionnement des années 2000 nous avait conduit à désactiver.
Leader sur le marché français du matériel d’armement terrestre, Nexter a réalisé 1,04 milliard d’euros de chiffre d’affaires dont 53 % à l’exportation et 1,237 milliard d’euros de prises de commandes avec 56 % à l’exportation. Nexter est organisé en trois pôles : le pôle Systèmes qui produit l’artillerie, les armements embarqués, les chars de combat lourds et légers, les engins blindés, les robots, mais aussi la numérisation des matériels. Le pôle Munitions n’inclut depuis 1998 que les munitions de moyen calibre pour les tourelles et tourelleaux, pods ou canons terrestres, navals ou aériens et de gros calibre pour les armes des chars et l’artillerie. Enfin le pôle Équipements rassemble cinq PME qui sont, chacune, centrées sur un couple produit / marché spécifique : l’optique, la protection et la détection NBC, l’électronique, la mécanique et les shelters.
Au 31 décembre 2014, Nexter comptait 3 300 employés répartis sur 10 sites en France, deux sites en Europe issus du rachat l’an dernier de deux sociétés munitionnaires (l’une en Belgique et l’autre en Italie), des succursales à Ryad et Abou Dhabi, ainsi que trois filiales de commercialisation, en Inde, en Espagne et au Canada. Depuis 2006, Nexter est continûment profitable et a versé un milliard de dividendes à l’État tout en continuant à investir environ 25 millions d’euros par an et à consentir un effort très significatif en recherche et développement (R & D), à hauteur de 18 % environ du chiffre d’affaires. Il est à noter que le sous-groupe SNPE/EURENCO, racheté à l’État par GIAT Industries en décembre 2013, n’est pas concerné par le projet KANT. Dans l’immédiat, les équipes y développent le projet de refondation, essentiel pour assurer dès que possible un équilibre pérenne aux plans commercial, économique et social.
Après cette présentation rapide des deux entreprises, il convient de préciser les raisons de ce projet stratégique qu’est KANT. Je voudrais décrire rapidement le marché de la défense terrestre pour vous permettre de partager ce qui en est le trait essentiel, c’est-à-dire celui d’une compétition intense. Les marchés du terrestre ont beaucoup changé depuis une vingtaine d’années. Les marchés occidentaux sont stables ou en baisse marquée, sous la contrainte budgétaire et, petit à petit, le mouvement d’ouverture de ces marchés s’installe, par exemple avec les deux directives du « Paquet Défense », transposées en 2011 en France.
Les marchés à l’exportation sont actifs, dans un contexte où les menaces n’ont pas faibli. Ces marchés sont très compétitifs et exigent des compensations, dans des proportions allant jusqu’à 100 % de la valeur du contrat et, comme pour tous les marchés de défense, les décisions y restent aléatoires et les processus de choix sont longs. Dans ce cadre, l’industrie de défense terrestre européenne reste fragmentée avec plus d’une dizaine d’acteurs pour les systèmes, tout comme une autre dizaine pour les munitions. Dans ce marché, deux leaders transatlantiques sont dominants : General Dynamics et BAE Systems qui développent une activité de quatre à six milliards d’euros, tandis qu’aucun leader européen n’a émergé. Seuls les Français et les Allemands dépassent le milliard d’euros.
Sur les marchés export, mais maintenant aussi en Europe, les industriels émergents sont agressifs. Ils sont portés par la croissance de leurs propres marchés, comme en Turquie, en Israël, en Afrique du Sud, en Corée, et maintenant en Inde. Ces industriels progressent au plan technologique et, en ce sens, les offsets les y ont aidés, sans nul doute.
Dans un tel contexte de compétition, vous pouvez facilement comprendre que les prix sont tirés vers le bas, puisque l’offre est abondante. Les industriels doivent donc être présents sur tous les marchés, avec un investissement commercial très important pour chaque affaire, et développer en parallèle des produits innovants et différenciants, tout en restant compétitifs. C’est donc une problématique d’assise financière élargie, de taille, qui se pose d’ores et déjà aux acteurs du terrestre européens, pour faire face à cette compétition très agressive.
La taille est indispensable pour dégager les ressources financières nécessaires à la R&D et à l’action commerciale. Elle permet aussi de mutualiser les compétences et les capacités industrielles et d’achat, tout en disposant d’une palette d’activité qui compense les cycles ou les aléas commerciaux d’un segment à l’autre.
La croissance externe est donc un impératif. Les acquisitions de sociétés tierces sont affaires d’opportunités : ainsi en a-t-il été en 2014 pour Nexter avec Mecar et Simmel, et en 2012 pour KMW avec WFEL. Quand il s’agit de mouvements stratégiques, la logique est autre : elle ne peut être que fondée sur le partenariat. En effet, il ne peut être question de domination transfrontière dans nos industries de souveraineté. Les États y veillent puisque chaque législation européenne dispose de mécanismes de contrôle et de limitation des investissements étrangers dans les industries de défense.
Une question a été posée sur le timing de notre rapprochement : pourquoi maintenant, nous a-t-on demandé ? La réponse est simple : les deux groupes, Nexter et KMW sont en bonne santé et prêts industriellement pour un tel rapprochement, qui peut donc être construit sans pression. De plus, et ceci est important, au plan stratégique, alors que la consolidation du marché est à peine commencée, il est certain que les premiers qui font mouvement, vont construire le paysage concurrentiel autour d’eux : les premiers ont une prime stratégique.
Dans ce contexte, les deux groupes KMW et Nexter ont recherché, chacun de leur côté, une alliance dans leur métier. Nos deux groupes se définissent en tant que « systémier de défense terrestre ». Ce métier est fondé sur la bonne connaissance des besoins des utilisateurs et sur la capacité d’architecte système. Il est aussi celui de concepteur, tout autant que de sélecteur, de briques technologiques essentielles, afin de concevoir un matériel qui sera en parfaite adéquation avec le besoin des forces.
Ceci permet de comprendre que, pour un systémier, une alliance verticale avec un fournisseur de composants ou de sous-systèmes n’est pas l’objectif principal ! Si, par exemple, l’offre de mobilité est abondante – et c’est le cas – une alliance avec un fournisseur conduirait en effet à restreindre le choix du systémier dans ce domaine, celui-ci devenant de facto distributeur de la « solution maison », dans certains cas au détriment de la performance demandée par l’utilisateur final qui souhaite l’adéquation à son besoin.
L’appartenance à un groupe de défense multimétiers a été présentée aussi comme une solution pour nos sociétés. Certes, une telle appartenance est porteuse de bénéfices pour les membres d’un tel groupe : moyens financiers, réseau commercial parfois planétaire… mais en même temps, la seule appartenance à un tel groupe n’élargit pas en soi le portefeuille de compétences métiers dans le terrestre ou le portefeuille produits. En clair, en tant que telle, elle n’apporte pas ou peu d’économie d’échelle dans le métier du terrestre.
Dans ce cadre, et chacun dans sa propre démarche, Nexter, tout comme KMW, a donc recherché une alliance avec un partenaire exerçant le même métier de systémier de défense terrestre.
Ces démarches se sont inscrites dans le cadre des politiques générales des deux pays puisque, en France, le Livre Blanc de 2013 énonce : « L’État veillera à préserver les pôles d’excellence qui existent en France tout en facilitant des consolidations européennes, dès lors que la logique économique et la logique stratégique se conjuguent. Dans ce contexte, l’État utilisera tous les moyens dont il dispose, comme actionnaire, comme client et comme prescripteur pour faciliter les évolutions nécessaires ». (Page 129)
Pour ce qui est de l’Allemagne, l’accord sur la grande coalition du 27 novembre 2013 écrit : « Nous misons sur une coopération européenne et euroatlantique renforcée en matière d’armement, coopération mettant en œuvre des projets d’équipement et d’approvisionnement communs concrets répondant aux mêmes standards pour toutes les nations ». (Page 124)
M. Frank Haun. Vous venez de citer l’accord de coalition, qui montre bien que le Gouvernement allemand nous appuie.
J’en reviens au projet KANT, pourquoi maintenant ? J’ai envie d’ajouter si pas maintenant, quand ? En Europe, notre situation en matière de politique étrangère et de sécurité intérieure s’est, en très peu de temps, radicalement modifiée, et nous ne pouvons pas continuer comme cela. L’Europe et l’OTAN n’ont pas seulement un nombre important de menaces militaires à leurs frontières ; défense de nos territoires et de ceux de nos alliés, protection des routes maritimes mondiales, opérations extérieures –toutes ces tâches mettent déjà fortement à contribution les capacités de nos forces armées. Cela nous oblige notamment à continuer à travailler sur des scénarios de combats dans des conflits asymétriques, mais aussi de lutte symétrique, dans un cadre multinational – la crise ukrainienne nous a récemment montré qu’une situation peut dégénérer rapidement. Quelle est notre capacité de dissuader des agresseurs potentiels ? Disposons-nous d’assez de véhicules blindés, ne serait-ce par exemple que pour défendre Berlin ?
Il est attendu de l’Europe plus que d’être simplement une communauté de valeurs, mais les moyens avec lesquels nous pouvons faire face aux menaces sont des moyens nationaux et le résultat de processus nationaux.
J’en veux pour preuve l’exemple de l’Afghanistan, où la logistique était multipliée par le nombre de contingents nationaux participant à l’opération. On pouvait ainsi retrouver sur ce théâtre quatre ou cinq véhicules logistiques identiques – par exemple belges, allemands ou canadiens. Les moyens dont nous disposons la multiplicité des systèmes d’armes en Europe, nuisent à nos intérêts communs, menacent nos soldats sur les théâtres d’opération et coûtent très cher aux contribuables européens. Si nous sommes là ce matin, c’est parce que nous devons nous décider maintenant pour plus d’Europe aussi dans le secteur de la défense. Il y a des décisions importantes à prendre en matière d’armement car il s’agit de l’avenir de nos enfants. Ne repoussons donc pas les responsabilités qui sont les nôtres.
Le projet KANT a déclenché en Allemagne un débat public sur les technologies de souveraineté en matière de défense. Certains échanges entre députés allemands ont d’ailleurs été très vifs sur ce sujet. En Allemagne, nous avons une volonté de consolidation industrielle dans le secteur de l’armement terrestre. Mais pour autant, nous ne voulons pas d’une consolidation entre sociétés qui n’ont pas le même métier : c’est un peu comme si KMW envisageait une consolidation avec Valeo, équipementier automobile : ce serait une erreur. Compte tenu de la structure du marché, elle serait coûteuse en termes d’emplois et n’apporterait pas à KMW de nouvelles technologies ou de nouveaux marchés. En tout état de cause, ce ne serait pas une réponse du défi de l’interopérabilité auquel l’Europe est confrontée aujourd’hui ; KMW ne s’engagera donc pas dans cette voie-là. Nous ne voulons nous engager que dans une voie qui nous conduise à une véritable Europe de la défense.
KANT est une union d’égaux. La France et l’Allemagne pourront alors adresser à leur systémier national commun des demandes coordonnées pour des produits et solutions. C’est ainsi que nous parviendrons à des systèmes communs moins chers et à plus d’interopérabilité entre nos forces armées. Nous deviendrons en même temps plus attrayants pour les autres clients dans le marché européen et formerons ainsi le noyau pour une consolidation européenne élargie, à plus long terme. C’est une décision qu’il faut prendre aujourd’hui, pas dans cinq ou dix ans.
M. Philippe Burtin. Le mot qui convient en effet pour notre projet, est celui de rapprochement et non de fusion. Le vecteur de ce rapprochement sera une nouvelle société que nous appelons NewCo pour le moment ; elle sera la société de tête, la holding du nouveau groupe. Le jour du « closing », 100 % des actions de la société Nexter Systems, société de tête du groupe Nexter, et 100 % des actions de KMW, société de tête du groupe allemand, seront apportés par leurs actionnaires respectifs à cette NewCo. Les actionnaires recevront en contrepartie 50 % exactement du capital de NewCo. L’État français détiendra donc via GIAT Industries, tout comme la famille Wegmann, 50 % du nouveau groupe, en stricte parité, cette société NewCo elle-même détenant tout le groupe Nexter et tout le groupe KMW.
Le schéma de rapprochement permet à chacun de Nexter et de KMW, de conserver son autonomie juridique et son propre siège social. Les organisations, les équipes de management ne seront donc pas changées le jour du rapprochement. De même, les deux marques sont conservées. Ceci démontre aisément que le schéma permet à la fois de construire le futur d’un groupe intégré, tout en maintenant dans chaque pays un potentiel industriel ayant une certaine autonomie, apte en tout cas à assurer la nécessaire indépendance d’approvisionnement des forces des deux pays. Au plan industriel, les accords noués par chaque groupe avec une ou des entreprises pour un programme national, par exemple Scorpion avec RTD et Thales en France ou le Puma avec Rheinmetall en Allemagne, resteront inchangés. De même, les bases de fournisseurs seront préservées. Ce schéma de rapprochement est aussi ouvert à l’entrée, soit d’une nouvelle entité opérationnelle, soit d’un nouvel actionnaire.
Concernant la gouvernance du nouveau groupe, les actionnaires, c’est-à-dire la famille Wegmann et l’État français/GIAT Industries, seront liés par un pacte d’actionnaires. Celui-ci organisera le groupe en deux niveaux de pilotage :
– un conseil de surveillance, qui aura un rôle d’orientation et de contrôle, sans pouvoir exécutif ; il sera composé de sept membres, dont trois indépendants. Certaines décisions, dont la liste est déjà établie, devront être prises à l’unanimité par le conseil de surveillance ;
– un directoire, qui sera l’organe de direction opérationnelle du nouveau groupe, composé en première étape des présidents de Nexter et de KMW.
Les gouvernances du groupe Nexter et du groupe KMW ne seront pas modifiées ; cependant, des administrateurs du groupe KMW entreront au conseil de Nexter Systems et vice versa.
La société commune sera donc en charge de conduire le groupe et sa transformation vers un groupe intégré. Plus précisément, NewCo sera en charge :
– des missions habituelles d’une société de tête : stratégie, fixation des objectifs, reporting, financement, communication ;
– mais aussi du marketing et des ventes à l’international ;
– et de coordonner la R&D, la production, les achats à des fins d’optimisation.
Au sujet de l’État actionnaire, je veux commencer en soulignant que la présence de l’État français au capital de NewCo n’a jamais été contestée par notre partenaire allemand. Au contraire, et Frank Haun le confirmera, la présence de l’État est conçue comme le gage d’une vision industrielle de long terme. L’État français détient aujourd’hui 100 % du Groupe Nexter au travers de GIAT Industries. Le rapprochement conduira l’État français à détenir 50 % exactement du nouveau groupe, et donc au niveau inférieur à NewCo, à détenir 50 % de Nexter Systems, tout autant que 50 % de KMW. Ce passage à 50 % de détention indirecte est analysé, en droit, comme une « perte de contrôle » de Nexter, même si, dans les faits, l’État reste en situation de co-contrôle.
Il est donc clair que le rapprochement de Nexter et de KMW, fondé sur la règle du 50/50, conduit de facto à initier un processus de privatisation du groupe, sans lequel le schéma n’est en effet lui-même pas possible. C’est en ce sens que la représentation nationale est aujourd’hui consultée, au titre de l’article 47 du projet de loi pour la croissance et l’activité. Cette inscription concerne GIAT Industries, maison mère de Nexter Systems, selon la pratique usuelle dans de telles situations. J’insiste sur le fait que ceci ne signifie pas que NewCo ou ses deux entités opérationnelles seraient mises en bourse ! Tel n’est pas le cas et, d’ailleurs, les actionnaires se sont engagés à garder leurs actions, toutes leurs actions, pendant une période de cinq années après le « closing ». L’État français reste donc actionnaire du nouveau groupe, dont il est en situation de co-contrôle ; comme cela a été dit, les décisions majeures seront prises, par exemple, à l’unanimité.
D’autre part, le futur actionnaire et partenaire allemand a accepté le principe d’une action spécifique (Golden Share) qui donne à l’État français certaines prérogatives au niveau de Nexter Systems. En ce sens, l’article 44 du projet de loi pour la croissance et l’activité est important aussi pour le projet KANT. À ce titre, une action de Nexter Systems sera cédée par GIAT Industries à l’État et transformée en « action spécifique ». Le périmètre de celle-ci recouvrira les activités armes et munitions, en France. Cette action spécifique permet à l’État d’avoir un droit de veto, tel que défini par la loi, en cas de projet de cession ou en cas de changement de contrôle desdites activités. De plus, une revue des actifs stratégiques sera menée une fois par an et un processus spécifique particulier s’appliquera en cas de difficulté majeure rencontrée par ces dites activités.
Enfin, je voudrais vous confirmer que ce schéma d’organisation choisi pour notre rapprochement, qui s’opère « par le haut » et qui ne change pas, dans cette phase, l’organisation des deux groupes, n’entraîne en parallèle aucune modification au plan social. Les contrats de travail, les accords collectifs, les « avantages sociaux » sont inchangés. En France, le droit social applicable reste bien sûr le droit français qui continue de régir les contrats de travail et les relations sociales. Et ceci s’applique à l’identique en Allemagne, avec le droit social allemand. Concernant les conditions d’emploi des anciens ouvriers de l’État qui ont opté pour rejoindre GIAT Industries en 1990, celles-ci seront maintenues à l’identique de l’existant actuel, et les fonctionnaires en détachement dans le groupe Nexter continueront de l’être ; c’est ce que prévoit aussi l’article 47 du projet de loi qui est soumis à votre approbation.
M. Frank Haun. Pour ce qui est du siège social de notre société commune franco-allemande, ce ne serait pas très raisonnable de le localiser dans l’un de nos deux États.
La question de savoir où implanter le siège de la société servant de holding à notre alliance – société que, pour l’heure, nous appelons NewCo – a été longuement débattue. Nous nous sommes accordés pour dire que son siège devait être situé dans un pays membre de l’Union européenne, de la zone euro, de l’OTAN, de l’Agence européenne de défense, de l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAr), etc. La question du régime de contrôle des exportations s’est également posée. Après avoir pesé tous les critères, notre choix s’est porté sur les Pays-Bas. Il s’agit d’un choix « neutre » qui place les deux partenaires sur un pied d’égalité.
L’Allemagne et la France disposent de régimes distincts en matière d’exportations d’armement, le droit allemand s’appliquant aujourd’hui aux produits de KMW et le droit français s’appliquant aux produits de Nexter. Que se passera-t-il demain avec le développement de produits communs ? Nos deux gouvernements réfléchissent actuellement à cette question. Ils souhaitent aboutir à un accord conjoint avant la date de finalisation du projet KANT. Une telle situation s’est déjà produite par le passé avec la société MBDA et les accords Schmidt-Debré. Ces derniers temps, j’ai eu le sentiment que nous étions, à cette époque, plus européens qu’à l’heure actuelle… Mais l’Allemagne reste en quelque sorte en apprentissage pour ce qui concerne sa politique industrielle en matière d’armement ; de la sorte, elle se familiarise peu à peu avec le projet KANT. Cela demande du temps, mais l’Allemagne comprend que KANT est la bonne solution et la voie de l’avenir.
Nous sommes confrontés à un défi commun auquel nous devons répondre par des projets industriels communs. Nous devons mener une harmonisation européenne. KANT est un point de départ et peut-être le noyau d’une « Europe de la défense » en matière industrielle. Les marchés sur lesquels KMW et Nexter sont présents ne se recoupent absolument pas. De même, leurs gammes de produits et leurs technologies respectives se complètent et sont à la pointe au niveau international, comme le sont les salariés qui développent et fabriquent ces produits. Une chance s’offre à nous : entamer l’histoire d’un succès. Voilà près de neuf ans que j’évoque ce projet et je pense que c’est dans cette voie qu’il faut s’engager, également pour maintenir l’emploi en France et en Allemagne.
M. Philippe Burtin. En conclusion, nous voudrions souligner que l’élan qui anime nos deux actionnaires et nos deux groupes est celui de la construction de l’Europe de la Défense. Aujourd’hui dans le secteur de la défense terrestre, c’est l’industrie qui propose un projet, structurant pour tout le secteur en Europe. Créer ce champion européen dans la défense terrestre, c’est donner la chance à notre industrie de se développer d’une façon durable, de pérenniser toutes les grandes compétences qu’elle rassemble, aujourd’hui en France et en Allemagne, demain peut-être avec d’autres en Europe et donc de garder un outil autonome, un groupe européen sous contrôle des Européens, au service des forces du continent.
M. Yves Fromion. À titre personnel, je ne suis absolument pas opposé à la privatisation de GIAT, je défends même cette idée depuis longtemps. Le fait que l’on mette sur le marché une majorité du capital de cette société ne me gêne pas. Ce qui me gêne, c’est que j’aurais préféré que l’on commence par opérer une consolidation au niveau français incluant Thales et Renault Trucks Defense (RTD), par exemple. Je considère en effet que les contribuables français, qui ont dépensé plus de 4,5 milliards d’euros dans le cadre de la restructuration de GIAT qui a conduit à la création de Nexter, une société compétitive aux plans national et international, en prenant en charge toutes les augmentations de capital, pouvaient espérer une meilleure utilisation de cet argent. J’estime donc que, en l’espèce, les autorités politiques françaises commettent une erreur d’appréciation et je ne suis par conséquent pas totalement satisfait par la solution proposée. Vous l’avez d’ailleurs rappelé vous-même, M. Burtin : pour concevoir le VBCI, un accord avait été passé avec Thales et RTD, ce qui constitue la meilleure preuve du besoin de consolidation au niveau français.
En outre, vous avez évoqué les logiques de souveraineté des pays émergents qui souhaitent se doter de leurs propres industries d’armement. On ne peut dès lors nous reprocher de vouloir maintenir une telle souveraineté chez nous ! Ceci étant, je suis tout à fait d’accord pour que des opérations s’effectuent au niveau européen, puisque l’échelon national est trop modeste. Mais j’aurais préféré une opération qui à la fois prenne en compte, dans un premier temps, nos intérêts nationaux et qui ne les inscrive que par la suite dans une dynamique européenne.
J’en viens à mes questions. Pourquoi autoriser la privatisation de GIAT et de l’ensemble ses filiales, et pas uniquement de Nexter ? Quel est en fait le périmètre exact de l’opération envisagée ?
Quelles sont les caractéristiques et le périmètre de l’action spécifique – la Golden Share – qui sera attribuée à l’État français et quelles seront ses modalités de mise en œuvre ? L’article 44 du projet de loi pour la croissance et l’activité est à cet égard très abscons.
Quelques questions de plus long terme. Nous avons compris que, à ce stade, vous prévoyez la création d’une co-entreprise, NewCo, mais que vous tendiez vers une intégration dans une seule entreprise à l’issue des cinq années suivant la conclusion de l’opération. Quel est l’objectif précis que vous recherchez ? Que sera cette entreprise intégrée, étant entendu que, si je ne m’abuse, il n’y aura plus qu’un seul président du conseil d’administration d’ici cinq ans ?
Un dernier point : quid des exportations ? Vous avez rapidement évoqué ce sujet et je demeure pour ma part extrêmement inquiet quant aux blocages qui pourraient se faire jour en la matière.
M. Gwendal Rouillard. Avec mes collègues Yves Fromion, Christophe Guilloteau et Jean-Jacques Bridey, nous nous sommes récemment rendus en Allemagne afin de discuter du rapprochement entre Nexter et KMW. Nous avons particulièrement apprécié l’accueil chaleureux qui nous a été réservé, la qualité des échanges et nous avons trouvé ainsi que celle des réponses à toutes nos interrogations. Je souhaiterais toutefois poser deux questions et formuler une appréciation.
Vous avez parlé de votre projet stratégique, de la société NewCo, de vos perspectives à l’horizon 2020, ainsi que des nouveaux produits à développer ensemble, ce dernier point étant d’un intérêt tout particulier pour les membres de notre commission. À cet égard, lorsque nous nous sommes rencontrés, nous avons évoqué, je vous cite, « les nouvelles générations de chars », « les munitions intelligentes » et « les nouvelles armes au laser ». Nous sommes censés réfléchir en termes de contenu, non seulement maintenant mais également dans la perspective de « l’étape d’après », qui donne du sens au projet de rapprochement. Aussi me semble-t-il important que vous puissiez nous fournir quelques éléments d’information à ce sujet.
Messieurs les présidents, vous discutez depuis plusieurs mois d’un point que nous savons délicat, celui de la valorisation de vos sociétés respectives. Il s’agit en quelque sorte de la dernière étape cruciale avant de sceller l’accord, le compromis, l’équilibre. Pouvez-vous évoquer, si ce n’est des chiffres précis, du moins la méthode qui commande les discussions en la matière, ainsi que les critères de valorisation ?
Une remarque, enfin. Je suis très favorable à ce projet de rapprochement. Au-delà de la complémentarité d’aujourd’hui, c’est la complémentarité de demain qui importe, dans un contexte de concurrence à l’international que vous avez bien rappelé. Je souhaiterais porter témoignage personnel qui, me semble-t-il, pourra convaincre mon collègue Yves Fromion : au cours de nos déplacements en Afrique en 2014, nous avons pu apprécier l’intensité de cette concurrence, en particulier sur les marchés africains. Je rappelle que les dépenses miliaires sur ce continent ont « bondi » de 55 % en dix ans et atteignent environ 50 milliards de dollars aujourd’hui.
Un dernier mot. Au sein de cette commission, nous parlons souvent d’Europe de la défense et de la relation entre la France et l’Allemagne. Nous avons l’opportunité de dépasser les mots pour poser collectivement un acte. Étant donné le contexte politique, sécuritaire, économique et social dans nos deux pays et dans l’ensemble de l’Europe, si nous pouvons donner ce signe fort à nos populations au-delà du droit et de l’aspect technique, j’estime que nous aurons fait notre travail. Je suis très confiant et je souhaite que ce rapprochement s’effectue.
M. Philippe Burtin. Je répondrai d’abord à M. Fromion, qui a exprimé sa préférence pour une consolidation nationale préalable à une consolidation européenne dans l’industrie d’armement terrestre. Comme je l’ai déjà dit, Nexter s’était fixé pour objectif de trouver un partenaire exerçant le même métier qu’elle, c’est-à-dire celui de systémier – plus que celui d’équipementier.
D’ailleurs, nous avons recherché les voies et moyens d’une consolidation industrielle franco-française avant d’engager des discussions avec KMW. Nous avons ainsi approché Renault Trucks Défense – RTD. Il faut toutefois rappeler que RTD n’est plus tout à fait une entreprise française : si ses emplois sont majoritairement situés en France et si les forces françaises utilisent ses matériels, il n’en demeure pas moins que son capital appartient à 100 % au Suédois Volvo. Mais même au-delà de cette réserve, nos discussions n’ont pas abouti du fait des conditions posées par RTD à tout rapprochement. En effet, les Suédois ne voulaient coopérer avec Nexter ni dans le secteur des matériels à chenilles ni dans celui des armements ou des munitions : dès lors, tout rapprochement avec RTD aurait conduit à une partition de Nexter, ce qui n’était pas le but recherché. Surtout, RTD exigeait en réalité que toutes les grandes fonctions opérationnelles de Nexter passent sous le contrôle direct des Suédois. Ces conditions n’étaient acceptables ni pour notre actionnaire, à savoir l’État, ni pour l’entreprise.
Nous avons également envisagé un rapprochement avec Thales – piste souvent évoquée. Certes, des synergies pourraient être trouvées entre Nexter et TDA Armements, filiale de Thales, et une entrée de Thales au capital de Nexter pourrait faciliter l’accès de cette dernière à quelques marchés ou à de nouveaux capitaux – encore que ce dernier point n’est pas notre principale préoccupation. Mais en tout état de cause, Thales est un groupe multi-métiers, et non un partenaire du même profil de systémier terrestre que Nexter. Un rapprochement de Nexter avec TDA Armements sera toujours possible, mais il n’est pas pour l’heure prioritaire pour Nexter.
En revanche, KMW et Nexter, tout en présentant le même profil d’entreprise, sont complémentaires. Les seuls segments de recoupement dans nos gammes de produits concernent les véhicules « 8 x 8 » – le VBCI pour Nexter et le Boxer pour KMW – et « 4 x 4 » – l’Aravis pour Nexter et le Dingo pour KMW. Encore que le VCBI ait peut-être un avantage sur le Boxer, comme, à l’inverse, le Dingo en a peut-être un sur l’Aravis. KMW et Nexter, ensemble, veilleront en tout état de cause à différencier ces produits.
Vous avez évoqué, monsieur Fromion, les 4,6 milliards d’euros apportés par l’État à Nexter. C’est exact, et Nexter est fière d’honorer la dette qu’elle a envers l’État. En effet, tout en menant une restructuration profonde – passant de 14 000 à 2 600 salariés en 2007 –, Nexter est profitable : elle a déjà versé un milliard d’euros de dividendes à l’État depuis sa création fin 2006.
Vous avez également évoqué la possibilité d’une vente d’actions de Nexter ou d’autres filiales de GIAT Industries par l’État sur les marchés boursiers : je peux vous assurer que cela n’est nullement envisagé dans le cadre du projet KANT.
S’agissant de la logique de souveraineté, dont vous relevez que les pays émergents la feraient valoir davantage que nous, force est de constater que des États, comme la Corée, Israël, la Turquie… se sont engagés dans une véritable guerre industrielle, mais aussi qu’ils s’en donnent les moyens financiers ! Ces États n’hésitent pas à passer des commandes importantes, parfois par milliers de véhicules, et à soutenir le développement de nouveaux modèles : c’est là un effort financier plus conséquent que celui que nos pays européens peuvent réaliser, où les marchés d’armement terrestres sont au mieux stables, et souvent en décroissance. Certes, un projet comme Scorpion constitue un formidable marché pour Nexter… Il faut noter qu’il représentera 200 millions d’euros d’activité par an en moyenne, alors que nous visons pour le groupe un chiffre d’affaires dépassant le milliard d’euros.
Quant à la formulation de l’article 47 du projet de loi pour la croissance et l’activité, il propose, comme vous l’avez souligné, d’autoriser la privatisation de GIAT et de toutes ses filiales sans mentionner Nexter. Ceci appelle deux observations. D’une part, certaines des filiales de GIAT, comme la SNPE et EURENCO, ont d’ores et déjà vu leur privatisation autorisée par la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014 : il s’agissait alors de permettre la vente de la propulsion de SME, filiale de la SNPE, à Safran. D’autre part, c’est une pratique législative habituelle que de citer, dans le dispositif législatif de privatisation, la société de tête du groupe et non l’une ou l’autre de ses filiales en particulier.
Vous nous avez également interrogés sur l’action spécifique (Golden Share) que l’État détiendra dans l’alliance Nexter–KMW. Celle-ci portera sur les armes et les munitions. Les produits, les personnels, les actifs et les passifs, ainsi que les sites de production concernés sont d’ores et déjà définis avec précision. Cette Golden Share permettra à l’État de siéger au conseil d’administration de Nexter Systems et de contrôler tout projet de cession ou tout changement de contrôle des activités concernées, le cas échéant. En outre, deux processus de surveillance sont prévus : une revue annuelle de la stratégie et de la situation des activités, et une analyse approfondie des risques et des perspectives qui sera entreprise tous les dix-huit mois.
M. Frank Haun. Vous vous demandez peut-être pourquoi KMW n’achète pas d’ores et déjà des armes et des munitions à Nexter. La réponse est simple : parce que pour l’heure, nous sommes concurrents ; or on ne se fournit pas auprès d’un concurrent. Mais dès lors que nous ne serons plus concurrents mais partenaires, KMW se fournira auprès de Nexter.
On nous interroge souvent sur nos projets de développement en commun de nouveaux matériels. Le plus important, c’est la prochaine génération de chars lourds. Dans cinq ans, nous aurons avancé dans le processus de développement d’un nouveau char lourd – qu’il s’appelle Léopard 3, Leléo ou Léoclerc, peu importe : il sera développé en commun, et pourra commencer à équiper nos forces à l’horizon 2025-2030 pour remplacer les chars Leclerc et Léopard 2 dont la base technologique commence à dater. Renouveler ces matériels est indispensable : d’ailleurs, les Russes ne s’y trompent pas, et leurs travaux de développement en la matière avancent à plein régime. Pour ce faire, Nexter possède des technologies très intéressantes pour KMW, et vice-versa.
Vous évoquez, monsieur Fromion, la perspective de voir nos deux entreprises n’en former plus qu’une à l’issue du délai de cinq ans pendant lequel nous nous engageons à ne pas modifier la structure capitalistique de nos groupes. C’est exactement ce que nous voulons. Cela permettra de réduire les coûts unitaires de nos produits, tout en améliorant leur qualité, du fait de la mise en commun de nos technologies. Mais notez que cela n’implique pas de fermer des sites de production. Il y a d’ailleurs une forte chance que les implantations françaises de notre futur groupe commun se développent. Les décisions seront prises au cas par cas.
Pour ce qui est des contraintes que le contexte politique allemand pourrait faire peser sur l’activité de nos entreprises, je tiens à souligner que les choses commencent à bouger en Allemagne. Ainsi, lorsque KMW a entamé des discussions avec le nouveau Gouvernement allemand, il apparaissait qu’il y avait des réserves sur le projet KANT et sur les exportations. Mais aujourd’hui, le carnet de commandes de KMW est plus rempli que jamais et il semble qu’il y a eu une évolution sur la question des exportations… En ce qui concerne la réglementation applicable aux exportations d’armements, je suis confiant dans nos chances d’aboutir à un accord, même si le compromis qui sera trouvé ne sera pas nécessairement à la hauteur de nos espérances de départ. Mais si, dans le futur, l’on arrive à une solution aux termes de laquelle le contrôle de l’exportation d’un matériel conçu en commun relèvera du Gouvernement français dès lors que la part allemande dans leur développement n’excédera pas 20 %, cela signifie que la probabilité est forte que nous développions nos produits à 80 % en France, alors que je souhaite rester à parité. Si je suis confiant, c’est parce qu’en Allemagne, le débat sur les exportations d’armement fait beaucoup de bruit, mais qu’in fine et concrètement, il n’en demeure pas moins que par exemple le Qatar et Singapour sont aujourd’hui mes principaux clients export.
Parmi les nouveaux armements que nous développerons, trois secteurs me semblent particulièrement prometteurs : l’artillerie entièrement automatisée, les munitions intelligentes et les armements lasers – autant de domaines dans lesquels les Américains ont du souci à se faire !
M. Philippe Burtin. Monsieur Rouillard nous a interrogés sur la valorisation de nos deux entreprises : elle fait pour l’heure l’objet de discussions entre actionnaires, discussions qui sont par nature confidentielles. La méthode retenue est classique : on valorise une entreprise en fonction de son potentiel de profits à venir, c’est-à-dire de son rendement anticipé – concept plus connu sous le nom de discounted cash flow. Cette estimation est faite sur la base de la vision que nous avons du développement de l’activité et des résultats de nos entreprises dans les quatre ans à venir. Si les méthodes retenues par chaque société pour ce travail de prospective ont pu différer un temps, nous travaillons à leur rapprochement, et un échange de lettres datant du début du mois de décembre 2014 a marqué une convergence en ce sens. La presse relaie des rumeurs selon lesquelles les actionnaires de KMW devraient verser à l’actionnaire de Nexter une soulte de 500 millions d’euros : je tiens à souligner que cette rumeur ne se fonde sur rien de concret.
M. Frank Haun. Dans les semaines et les mois qui viennent, il y aura probablement de nouvelles rumeurs du même type. En effet, le projet KANT est critiqué par certains acteurs du secteur, qui s’attachent à créer des inquiétudes au sein de la partie française en vue de bloquer notre projet.
M. Daniel Boisserie. Vous avez évoqué rapidement certains problèmes, comme ceux qui résultent de la politique allemande de contrôle des exportations d’armements, aujourd’hui très restrictive. Il faut rappeler que le ministre français de l’Économie, M. Emmanuel Macron, a expressément menacé de ne pas donner de suite au projet KANT si cette difficulté n’est pas levée. Par ailleurs, les actionnaires de KMW sont-ils unanimes dans leur soutien au projet de rapprochement avec Nexter ?
Mme la présidente Patricia Adam. Je rappelle que nous rencontrons régulièrement des parlementaires allemands et que nous comptons bien poursuivre à l’avenir.
M. Christophe Guilloteau. Je remercie M. Frank Haun pour la visite qu’il a bien voulu organiser en Allemagne et pour ses mots de compassion. Certains en France ont des inquiétudes, car l’histoire de GIAT et Nexter est prégnante dans leur région ; c’est d’ailleurs le cas dans la mienne, dans le département de la Loire. On ne peut certes pas toujours garder un œil dans le rétroviseur, et il convient de construire l’avenir de la défense. Il faut donner un signal fort face aux pays émergents. Je me rappelle encore des discussions à l’époque de la création d’EADS qui avait été jugée audacieuse… Quelle serait pourtant la situation de ces entreprises si celle-ci n’avait pas eu lieu ? Merci aux visionnaires ! Tout ne se réglera bien évidemment pas en quelques jours, notamment sur la question de l’export, mais je forme des vœux pour que ce rapprochement puisse se faire.
Concrètement, quels bénéfices industriels attendez-vous de ce rapprochement pour chacune de vos entreprises ?
M. Philippe Folliot. Cette audition est très importante car elle nous permet d’obtenir des informations au-delà de ce qu’on a pu lire dans la presse. Je regrette au passage que le groupe UDI n’ait pas été convié au déplacement organisé par notre commission en Allemagne. Sur le principe, nous sommes favorables à la construction d’un champion de la défense dans l’armement terrestre, comme l’ont toujours été les centristes. Comme élu de la région toulousaine, je sais combien l’amitié franco-allemande est bénéfique pour la construction d’un champion mondial – elle l’a été en matière d’aéronautique. Toutefois, la réussite de tels rapprochements doit s’appuyer sur un double principe de parité et de pérennité. Il est probable qu’au gré des évolutions capitalistiques, l’État français va céder certaines parts de ses participations dans le secteur de la défense. Il reste essentiel, comme cela a été le cas pour EADS, que le principe de parité demeure pérenne. Quelles sont donc les garanties, au-delà des cinq premières années, pour maintenir cette pérennité à moyen terme ?
M. Frank Haun. Je témoigne de l’unité qui existe au sein de la famille Bode-Wegmann. J’ai été en effet mandaté par les 27 actionnaires. Il y avait effectivement une voix qui s’était élevée à un moment contre ce projet de rapprochement, mais cette personne ne fait plus partie des actionnaires et tous soutiennent désormais le projet KANT à 100 %. La question des exportations me préoccupe. Cela fait au moins dix ans que le problème se pose de façon récurrente mais les autorités ont commencé à modifier leur position sur le sujet. Nous ne serons certes jamais unanimes sur ce sujet en France et en Allemagne, sauf si des décisions d’exportation étaient transférées à Bruxelles, ce qui ne me semble d’ailleurs pas être une bonne solution ! Je sais que ce débat est très sensible en France et que la position de l’Allemagne est parfois jugée curieuse, mais les esprits évoluent en Allemagne et le Gouvernement allemand a compris que les exportations étaient un levier d’influence. Évidemment, les lobbyistes de tous bords font leur travail, mais je pense que la majorité du Gouvernement et du Parlement allemands partage mon avis et m’a apporté son appui. Comme je l’ai déjà indiqué, nos actionnaires raisonnent en termes de décennies. J’ai noté les 4,6 milliards investis dans Nexter par l’État français : les résultats en sont visibles sur chacun des sites de production et, croyez-moi, mon intérêt pour un rapprochement ne s’en est trouvé que confirmé !
M. Philippe Burtin. S’agissant des bénéfices attendus par les deux nations, ils sont de plusieurs ordres. Ils concernent en premier lieu la pérennité de la base industrielle et technologique de défense. Par ailleurs, le rapprochement favorisera une meilleure interopérabilité qui permettra de proposer aux forces des matériels et des produits communs. En outre, le rapprochement sera un facteur d’optimisation et d’économies pour les contribuables, avec notamment des économies d’échelle dans les achats qui permettront de mieux négocier les approvisionnements et de faire baisser le coût des achats pour des matériaux, tels que l’acier ou l’aluminium par exemple. De plus, le rapprochement évitera des redondances en matière d’études et de développement. Enfin, la mutualisation des compétences sera un facteur positif. Petit à petit, la route sera tracée en commun avec une vision partagée ; c’est ensemble que nous fixerons les étapes et les objectifs pour la construction d’un groupe unifié. S’agissant des exportations, je tiens à souligner que notre portefeuille de clients et nos implantations sont complémentaires, ce qui permettra des économies et une démultiplication de nos ventes. C’est donc une vision d’un groupe élargi qui développera ses ventes dans le monde de façon plus soutenue qui est proposée.
M. Frank Haun. S’agissant de la pérennité de l’équilibre franco-allemand, nous avons conclu un accord qui stipule que pendant cinq ans, la structure capitalistique des entreprises participant à notre alliance ne changera pas, notre souhait étant que le partenaire français soit l’État. Nous avons en effet besoin de cinq années de stabilité. Par la suite, les deux parties pourront certes vendre leurs actions mais l’autre partie pourra imposer son veto à la mise sur le marché des actions de l’autre partenaire. Nous avons déjà connu cette situation en 1999 lors de la fusion Krauss-Maffei avec Wegmann. Wegmann disposait de 51 %. La famille propriétaire de KMW a ensuite repris les 49 % dans un souci de durabilité. Je ne crois pas personnellement que la France revendra les 50 % de notre groupe à la famille Bode-Wegmann dans cinq ans. Pendant dix ans, celle-ci a très bien vécu avec 51 % des actions, c’est une famille raisonnable dans la gestion de son patrimoine – ce qui signifie aussi qu’elle sait aussi se défendre si elle est traitée injustement. Vous ne pouvez donc pas trouver un meilleur partenaire. Nous réfléchissons sur le long terme et je ne m’inquiète pas sur ce qui se passera au-delà des cinq ans. Ce que je peux vous assurer, c’est que la famille Bode-Wegmann veut rester à bord du navire.
La séance est levée à onze heures quarante-cinq.
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Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Patricia Adam, M. Nicolas Bays, M. Sylvain Berrios, M. Daniel Boisserie, M. Malek Boutih, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-Jacques Candelier, Mme Fanélie Carrey-Conte, M. Laurent Cathala, M. Guy Chambefort, M. Sergio Coronado, Mme Catherine Coutelle, M. Bernard Deflesselles, M. Lucien Degauchy, M. Guy Delcourt, Mme Marianne Dubois, M. Philippe Folliot, M. Yves Foulon, M. Yves Fromion, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, M. Christophe Guilloteau, M. Laurent Kalinowski, M. Patrick Labaune, M. Jacques Lamblin, M. Charles de La Verpillière, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Alain Marleix, M. Alain Marty, M. Damien Meslot, M. Philippe Meunier, M. Alain Moyne-Bressand, Mme Nathalie Nieson, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Gwendal Rouillard, M. Stéphane Saint-André, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel
Excusés. – M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Alain Chrétien, M. Jean-David Ciot, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Éric Jalton, M. Frédéric Lefebvre, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Philippe Nauche, M. Alain Rousset, M. François de Rugy, M. Michel Voisin
Assistaient également à la réunion. – M. Jean-François Lamour, M. Daniel Reiner, sénateur
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Source: Assemblée nationale