Question d’actualité au gouvernement n° 0438G de Mme Nathalie Goulet (Orne – UDI-UC) publiée dans le JO Sénat du 16/01/2015 – page 151
Mme Nathalie Goulet. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.
J’ai cinquante-six ans, je suis petite-fille de déportés et je n’aurais jamais cru voir un jour, dans ce pays, des enfants assassinés parce qu’ils étaient juifs – je pense à l’affaire Merah –, des gens assassinés dans un supermarché cacher pour la même raison ou des dessinateurs abattus pour avoir usé de leur liberté d’expression.
Le choc est incommensurable. Comment en est-on arrivé là dans le pays de la liberté et des droits de l’homme ?
Les débats de ces derniers jours entraînent certains d’entre nous dans des dérives sécuritaires, et je remercie M. le Premier ministre et M. le ministre de l’intérieur d’avoir déjà indiqué qu’il n’y aurait pas de loi d’exception. C’est important.
J’avais plus ou moins anticipé ce type de problèmes en sollicitant dès le mois de juin la création d’une commission d’enquête sénatoriale. Nous travaillons au sein de cette commission dans un climat d’harmonie, loin du tapage sécuritaire, avec le souci de l’efficacité. Je ne doute pas que sa contribution sera utile.
Monsieur le ministre de l’intérieur, comment comptez-vous améliorer la détection précoce de la radicalisation ? Les enseignants, les éducateurs, les travailleurs sociaux, le personnel pénitentiaire et les élus ont souvent du mal à déchiffrer les grilles de lecture de cette radicalisation.
Comment distinguer le musulman qui pratique sa religion, comme c’est son droit absolu dans la République, qui mange hallal, fait ses prières et respecte le ramadan, de celui qui est radicalisé ou sur la voie de la radicalisation ?
Vous avez mis en place des cellules de veille et de signalement, et nous avons rencontré les responsables de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste, l’UCLAT. Quelles mesures comptez-vous prendre à destination notamment des enseignants et des travailleurs sociaux, qui sont en première ligne face à ces phénomènes nouveaux, au développement exponentiel, pouvant conduire des jeunes gens à s’engager dans une spirale de folie meurtrière au nom d’un islam totalement dévoyé ?
La détection et le signalement précoces sont les postes avancés de la prévention, mot presque oublié ces temps-ci et pourtant essentiel. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
Réponse du Ministère de l’intérieur publiée dans le JO Sénat du 16/01/2015 – page 151
M. Bernard Cazeneuve,ministre de l’intérieur.Madame la sénatrice, je veux d’abord saluer le travail accompli par la commission d’enquête que vous présidez. Vous avez notamment auditionné un grand nombre de ceux qui, au sein du ministère de l’intérieur, contribuent à la protection des Français.
Vous avez beaucoup insisté sur la nécessité d’instaurer des politiques de prévention de la radicalisation. Il est effectivement absolument nécessaire de mettre l’accent sur le volet préventif. C’est ainsi que l’action très large que le Premier ministre a décidé d’engager, au mois d’avril dernier, incluait des dispositifs de prévention. Le projet de loi a été adopté définitivement le 4 novembre dernier.
Nous avons notamment créé une plate-forme de signalement au sein du ministère de l’intérieur. Cela permet aux familles et, plus largement, à tous ceux qui détectent des signes de radicalisation, même faibles, de signaler les personnes qui risquent de basculer dans des activités terroristes, de manière que nous puissions mettre en place des dispositifs de prévention amples et efficaces. À ce jour, 700 cas ont été signalés.
Mme la garde des sceaux et moi-même avons pris conjointement une circulaire. Dans les départements où résident ces personnes, sous l’autorité du procureur de la République et du préfet, toutes les administrations de l’État et des collectivités locales, toutes les énergies publiques sont mobilisées pour agir en matière de santé mentale, d’accompagnement social, de lutte contre les addictions, d’éducation, afin d’engager la déradicalisation.
En ce qui concerne l’école, Mme la ministre de l’éducation nationale a pris des dispositions pour qu’un véritable livret sur la déradicalisation soit diffusé dans les établissements scolaires.
Bien entendu, cela ne suffit pas, car 90 % des personnes qui basculent dans le terrorisme se radicalisent par le biais d’internet. À ce propos, je vous invite à prendre connaissance des contenus racistes, antisémites qui circulent sur la Toile, via des réseaux sociaux tels que Twitter ou Facebook, et sont de nature à blesser des personnes, à créer un climat d’incitation à la haine.
Personne ne songe à remettre en cause la liberté d’expression sur internet. C’est un vecteur auquel nous sommes tous attachés et qui est aussi un extraordinaire moyen d’échanges. Néanmoins, il faut avoir conscience qu’un espace de liberté ne saurait être exempté de toute régulation visant à juguler les haines, les racismes et l’antisémitisme. Nous sommes déterminés à agir sur ce point, car la prévention est aussi nécessaire dans ce domaine.(Applaudissements.)
Source: JO Sénat du 16/01/2015 – page 151