Question d’actualité au gouvernement n° 0432G de M. Yannick Vaugrenard(Loire-Atlantique – SOC) publiée dans le JO Sénat du 12/12/2014 – page 10091
M. Yannick Vaugrenard. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.
Monsieur le ministre, lundi 1er décembre à Créteil, un couple se faisait sauvagement agresser dans son appartement, et la femme était violée. Le caractère antisémite de cet acte odieux est avéré. Au-delà d’une évidente compassion qui s’impose à l’égard de ces personnes, je considère que c’est aussi notre démocratie et notre République qui sont insultées, et le socle de nos valeurs qui est bafoué.
La période que nous traversons est socialement et économiquement particulièrement difficile. Il y en eut d’autres, avec les conséquences dramatiques imprimées dans chacune de nos mémoires. L’histoire ne se répète pas, diront certains. Sans doute, mais il arrive qu’elle bégaie ! Aussi, prenons garde dans ce contexte si particulier aux discours parfois empreints de populisme, qui ciblent les boucs émissaires de tout ce qui va mal, y compris lorsqu’ils prétendent manier l’humour…
Le risque de normalisation de propos intolérants nous impose une vigilance de chaque instant, car de tels discours peuvent aussi armer les mains de personnes malveillantes ou fragiles. Depuis le début de cette année, la France a subi une hausse de 91 % des actes antisémites. Ce chiffre à lui seul fait froid dans le dos.
Ce mal qui ronge notre pays exige une nécessaire prise de conscience individuelle, tout autant qu’un indispensable sursaut collectif.
Monsieur le ministre, l’aspect répressif va de soi, mais il n’est pas suffisant, compte tenu de l’évolution du nombre d’agressions antisémites et racistes. Ne pensez-vous pas qu’il soit nécessaire, notamment avec le ministère de l’éducation nationale, mais aussi avec le monde médiatique et le secteur associatif, de sensibiliser à cette dure réalité, pour endiguer le fléau d’intolérance qui mine notre société ?
Nous assistons trop fréquemment à une forme de banalisation de l’horreur ou à une indignation à géométrie variable, qui ne sont ni acceptables ni supportables. Or le racisme est un, et la lutte contre toute forme de racisme est indivisible. Pour conclure, il me vient à l’esprit cette phrase inscrite à l’entrée du village martyr d’Oradour-sur-Glane : « L’humanité n’est pas un état à subir, c’est une dignité à conquérir ».
Aussi, l’ensemble de nos concitoyens doit comprendre que le respect est dû à tout un chacun et que la liberté, l’égalité et la fraternité ne sont et ne seront jamais négociables dans notre pays, qui est celui des droits de l’homme ! (Applaudissements.)
Réponse du Ministère de l’intérieur publiée dans le JO Sénat du 12/12/2014 – page 10091
M. Bernard Cazeneuve,ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, vous venez avec beaucoup de force de rappeler ce que sont l’antisémitisme et toutes les formes de haine pouvant ronger la République de l’intérieur et conduire peu à peu, parfois imperceptiblement, à l’abandon des valeurs qui la fondent et auxquelles, collectivement, nous tenons tous dans cet hémicycle.
Je me suis rendu à Créteil dimanche dernier pour participer à la grande manifestation organisée par la communauté juive de cette commune, tout à fait blessée par l’acte abject subi par un jeune couple quelques jours auparavant.
J’ai vu des hommes et des femmes abattus- certains étaient révoltés. J’ai noté dans tous les regards une immense tristesse et, surtout, une incommensurable inquiétude, celle d’une communauté sachant que l’histoire a déjà parlé de façon monstrueuse ; qu’elle a conduit à la déportation, à l’assassinat de millions de juifs – hommes, femmes, enfants, personnes âgées -, dans les conditions que l’on sait ; une communauté qui ne comprend pas, alors que tous ces événements sont encore assez récents, finalement, que l’on puisse ne pas se souvenir.
Vous avez raison, il est important d’organiser une mobilisation générale. Celle-ci est d’autant plus essentielle au vu de ce qui se diffuse, notamment, dans l’espace numérique. Bien des digues sont tombées : dans de nombreux tweets, l’usage de la phrase brève est mis au service des idées courtes, voire de la haine.
Une mobilisation générale s’impose donc. Elle est souhaitée par le Premier ministre, qui s’est à plusieurs reprises exprimé avec beaucoup de force sur ce sujet et qui a souhaité que la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme soit dorénavant rattachée à ses services, de manière à mettre en place une véritable action interministérielle.
Bien entendu, le ministère de l’intérieur, en tant que chargé de la protection des lieux de culte, sera concerné. C’est aussi lui qui, par l’intermédiaire des préfets, porte plainte au titre de l’article 40 du code de procédure pénale chaque fois qu’un acte de haine raciste ou antisémite est constaté.
Le ministère de l’éducation nationale, qui porte avec le ministère de l’intérieur, ministère des cultes, l’ambition de laïcité, sera également mobilisé pour assurer la protection de tous les enfants de la République, pour les rassembler, dans l’école et dans l’espace public, autour de cette valeur fondamentale et de toutes les autres valeurs de la République. Le ministère de la jeunesse et celui de la ville pourront également, de façon transversale, faire entendre un message de lutte contre le racisme et l’antisémitisme.
Une mobilisation de l’ensemble de la société sera nécessaire. Faut-il rappeler que nous n’étions que 1 500 personnes rassemblées à Créteil ? À d’autres époques, nous aurions été infiniment plus nombreux. Les intellectuels se seraient exprimés, les forces sociales se seraient mises en mouvement.
Par conséquent, il est impératif que cette grande cause devienne la cause de tous et de garder en mémoire cette belle formule de Frantz Fanon : « Quand vous entendez dire du mal des juifs, tendez l’oreille, on parle de vous… »(Applaudissements.)
Source: JO Sénat du 12/12/2014 – page 10091