Dans l’esprit de nombreux cadres militaires et de parlementaires, la disponibilité totale des militaires telle qu’elle est stipulée dans l’article L 4121-5 du code de la défense exclut toute limitation du temps de travail. Seuls les droits à permission et à congé de fin de campagne fixés par les articles R4138-16 et suivants du code de la défense libèrent temporairement le militaire de ses obligations de service.
C’est d’ailleurs sur la base du principe de la « disponibilité totale » qu’a été accordée l’indemnité compensatrice baptisée TAOPM pour temps d’activité et d’obligations professionnelles des militaires, lors de l’instauration de la durée hebdomadaire de travail à 35 heures dans la fonction publique.
Quant aux gendarmes, ils bénéficient non pas d’une limitation de leur temps de travail, mais d’une réglementation plus précise de leur temps libre. En plus des droits à permission et congés de fin de campagne, ils ont des droits à repos, des quartiers libres, des temps de récupérations, etc..
La réglementation de l’Union Européenne est-elle applicable aux militaires et notamment aux gendarmes ?
Pourtant, au niveau européen, il existe une directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, qui limite la durée moyenne du travail des « travailleurs » à 48 heures sur une période de sept jours (article 6). Le repos journalier sur une période de 24 heures est fixé quant à lui à 11 heures consécutives. Enfin, la directive exige un repos minimum de 24 heures par période de 7 jours.
Notons d’abord que rien n’exclut l’applicabilité de cette directive aux militaires des pays de l’UE. Selon la Cour de Justice, un travailleur est « une personne qui produit des services sous la direction d’une autre personne en contrepartie d’une rémunération ». Il est manifeste que les gendarmes qui produisent de la sécurité intérieure pour leurs concitoyens sont des « travailleurs » au sens de la directive, tout comme les militaires, dont on peut affirmer qu’ils produisent, eux aussi, de la sécurité extérieure et rendent les services exigés par la mise en œuvre de la politique étrangère de leur pays. Tous sont donc des « travailleurs » relevant de la directive de 2003.
Cette question a été initiée en Allemagne.
Le sujet de la réglementation du temps de travail a préoccupé l’armée allemande depuis longtemps. Finalement en décembre 2011, la Cour administrative fédérale, plus haute juridiction administrative allemande, a jugé que les personnels militaires doivent bénéficier des dispositions de la directive.
Son applicabilité aux personnels militaires, notamment à la lumière de la directive 89/391/EEC sur la santé et la sécurité des travailleurs, ne fait aucun doute.
Le ministère de la défense allemand a néanmoins fait procéder à une étude par le cabinet de conseil et d’audit KPMG, qui a conclu également à l’applicabilité de la directive aux militaires.
Seule exception de taille et parfaitement logique : l’application stricte de la directive serait exclue lors des opérations et de l’accomplissement des missions.
Le rapport du cabinet, enterré par le ministre précédent, vient d’être ressorti des tiroirs par la nouvelle ministre de la défense, Madame Ursula von der Leyen et des discussions devraient s’ouvrir entre le ministère et l’association représentative de la Bundeswehr.
En France, 80 heures par semaine pour un gendarme, qui dit mieux ?
Le mérite de la Gendarmerie est de savoir combien de temps travaillent ses gendarmes (( Ce n’est pas le cas de la Police nationale où selon le rapport de la Cour des comptes de mars 2013, le temps de travail est comptabilisé de manière théorique. Mais, on peut être certain que la durée du service demandé aux fonctionnaires de police s’inscrit dans les limites de la directive de 2003 ))
Le général de corps d’armée Philippe Mazy, directeur des personnels militaires de la gendarmerie, a ainsi annoncé, devant la mission parlementaire d’information sur la lutte contre l’insécurité, le 21 janvier dernier, qu’un gendarme départementale travaille en moyenne près de 82 heures sur une période de 7 jours : 44H54 de service opérationnel et 36H55 d’astreinte non rémunérée, qui serait le prix payé en nature par le militaire de la gendarmerie en compensation de la concession du logement par nécessité absolue de service.
Plutôt que d’afficher ce score de près de 82 heures hebdomadaires, tous services confondus, par militaire de la gendarmerie départementale comme une garantie de l’efficacité du service public, il serait sans doute prévoyant de réfléchir à la manière de réduire cette durée qui enfreint manifestement les prescriptions de la directive.
Curieusement, le rapport de la Cour des comptes sur les dépenses de rémunération et le temps de travail dans la police et la gendarmerie de mars 2013 ne fait aucune référence à la directive.
Mais, à la lecture de l’exposé des différents systèmes d’organisation du travail dans les deux institutions, on mesure la disparité considérable de condition entre un fonctionnaire de police et un militaire de la gendarmerie.
Sans remettre en cause le statut militaire des gendarmes, il y a manifestement une voie de progrès à trouver pour éviter toute surprise (( A noter que dans un précédent rapport en 2011, la Cour des comptes parlait de « l’organisation coûteuse du temps de travail des policiers et de l’organisation spécifique de la gendarmerie » ))
Connaître le temps de travail des militaires !
S’agissant des autres armées et services, on ignore combien de temps travaillent approximativement les militaires.
La première mesure à prendre devrait donc consister à faire comptabiliser les services effectivement réalisés par les militaires. Ce serait une mesure de saine gestion qui fonderait la rénovation du service public. Est-il normal qu’un employeur, l’Etat en l’occurrence, ignore combien de temps travaillent en moyenne ses employés ?
Il conviendrait ensuite d’ouvrir des discussions pour fixer des règles relatives au temps de travail hors missions et opérations, car une directive européenne ne fixe que des objectifs et doit être adaptée par chaque Etat membre.
Tout cela n’est que du bon sens, mais qui bouleverse le schéma intellectuel rigide de la disponibilité totale du militaire français et qui va forcément se heurter à bien des résistances.