La requête de l’Adefdromil déposée en juin 2009 devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme à Strasbourg doit être examinée prochainement.
Afin que nos lecteurs comprennent les enjeux et l’argumentation développée, l’Adefdromil a décidé de publier sa requête initiale en plusieurs parties :
1° Les faits
2° Violation de l’article 6 de la Convention en ce que le Conseil d’Etat n’a pas agi comme un tribunal indépendant et impartial.
Les arguments développés sur ce point ont fait l’objet d’un article déjà publié sur notre site [Cliquez ICI]
3° Violation des articles 6 et 13 de la Convention en ce que les décisions du 11 décembre 2008 et du 4 mars 2009 violent le droit légitime d’accès de la requérante à un tribunal et la privent de tout recours effectif.
4° Violation de l’article 11 de la Convention en ce que les arrêts du 11 décembre 2008 et du 4 mars 2009 considèrent comme légitime au sens du 2° de cet article, l’interdiction totale du droit d’association des militaires.
5° Violation de l’article 14 de la Convention en ce que les arrêts du 11 décembre 2008 et du 4 mars 2009 considèrent comme légitime la discrimination pratiquée à l’égard de la requérante et concernant son droit d’ester en justice.
6° Violation de l’article 11 de la Convention en ce que les arrêts du 11 décembre 2008 et du 4 mars 2009 considèrent que l’interdiction d’ester en justice infligée à une association légalement déclarée et dont la licéité de l’objet n’est pas contestée peut faire partie :
a) des mesures nécessaires dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et des libertés d’autrui ;
b) des restrictions légitimes à l’exercice du droit d’association par les membres des forces armées prévues par l’article 11-2° de la convention.
II. EXPOSÉ DES FAITS.
21 – La création de l’association et son objet social.
L’Association de défense des Droits des Militaires –ADEFDROMIL- a été créée en avril 2001 par le capitaine de l’armée de terre Michel BAVOIL, alors en activité de service (pièce n°1 notice biographique) et le major Joseph RADAJEWSKI. Elle a été régulièrement déclarée à la Sous-préfecture de SENLIS (pièce n°2) conformément aux dispositions de loi du 1er juillet 1901 sur le contrat d’association en France (pièce n°3).
L’ADEFDROMIL a pour objet : « l’étude et la défense des droits, des intérêts matériels, professionnels et moraux, collectifs ou individuels des militaires. Dans la poursuite de cet objet, l’association intervient devant les autorités et juridictions et en toute circonstance utile, selon les règles de droit ; l’association s’interdit toute action politique, confessionnelle et philosophique. ».
Ses statuts, à la date de la décision contestée le 11 décembre 2008, font l’objet de la pièce n°4.
Ils n’ont pas été modifiés depuis cette date.
22 – La création de l’association n’a provoqué aucune réaction, ni du chef des armées, ni du premier ministre.
Le président de l’ADEFDROMIL a rendu compte au chef des armées françaises, le Président de la République alors en exercice, M. Jacques CHIRAC, ainsi qu’au Premier ministre, M. Lionel JOSPIN de la création de l’association (pièce n°5).
Ce compte-rendu de M. BAVOIL qui n’éludait nullement le problème juridique posé par le statut général des militaires du 13 juillet 1972, n’a été suivi d’aucune réaction ni du pouvoir exécutif, ni du pouvoir hiérarchique .
Dès le début de l’existence de l’association de nombreux militaires en activité de service y ont adhéré et ont fait partie du conseil d’administration de l’association (pièce n°6 liste du bureau de l’ADEFDROMIL au 14 novembre 2002).
23 – L’action de l’association et son refus de participer activement à des mouvements de rue de militaires ou de leurs familles.
L’association s’est mise alors à conseiller de nombreux militaires qui souhaitaient engager des procédures contentieuses relatives à leur notation, leur avancement, à des sanctions infligées, à des refus d’accéder à des formations professionnelles, etc.
Elle a créé un site internet dès 2001 (pièce n°7 récépissé de déclaration du site à la CNIL – commission informatique et libertés) dont l’adresse actuelle est : http//:adefdromil.org
A partir de novembre 2001, de fortes tensions sociales sont apparues au sein de la gendarmerie française, qui a un statut militaire et qui dépendait hiérarchiquement du ministre de la défense jusqu’au 1er janvier 2009.
En particulier, pour contourner l’interdiction de se constituer en syndicats, une association avait été créée au printemps 2000 par des épouses de militaires de la gendarmerie : le Mouvement des Femmes de Gendarmes. (pièce n°8). Sur son site de présentation, le MFG affirme avoir « l’ambition d’être un mouvement réfléchi, mais combatif qui utilisera toutes les techniques syndicalistes ». Bien que sollicitée pour participer activement aux manifestations de la fin de l’année 2001, l’Adefdromil s’est abstenue de faire descendre ses adhérents dans la rue, estimant qu’il s’agissait d’actes d’indiscipline susceptibles de la faire qualifier de « groupement professionnel » interdit par le statut général en vigueur et ainsi de menacer sa courte existence. Toutefois elle a souligné, à cette occasion, que le mécontentement social évident au sein de la gendarmerie justifiait la création d’associations professionnelles en substitution des instances de concertation inefficaces, soumises à la hiérarchie et au ministre et incapables de faire prendre conscience des problèmes au pouvoir politique démocratiquement élu.
En décembre 2001, les tensions sociales dans la gendarmerie ont atteint un point de rupture et des manifestations de militaires de la gendarmerie en uniforme, en armes et en véhicules de service ont eu lieu dans de nombreuses villes de France, y compris sur l’avenue emblématique des Champs Elysées à PARIS (pièce n°52).
24 – Une intervention justifiée déclenche les représailles du ministère de la défense.
En 2002, après la réélection de M. Jacques CHIRAC à la Présidence de la République, elle a poursuivi son action pour la défense des droits des militaires. C’est ainsi qu’elle est intervenue en 2002 au profit d’un sous-officier de l’armée de terre, l’adjudant Lebigre, en poste sur l’île de la Réunion qui était victime de harcèlement moral de la part de son chef.
L’article paru dans l’hebdomadaire « Le Point » résume l’affaire (pièce n°9) :
« L’interprète, le colonel et l’adjudant
Article publié le 22 novembre 2002 par Jean Guisnel et reproduit avec l’aimable autorisation de son auteur.
Le Point n°1575 – Vendredi 22 novembre 2002 :
Une affaire banale de harcèlement moral ? Mais qui se passe au sein d’une unité militaire aux activités très secrètes. Et l’armée fait tout pour l’étouffer.
Il n’y avait aucune raison pour que la société militaire, y compris ses services de renseignement, échappât indéfiniment à la grande vague de révélations touchant le harcèlement moral. Et voilà, de fait, que les atteintes au droit des personnes sortent du silence qui les entourait. Une très spectaculaire affaire est en cours, qui a déjà justifié deux jugements en référé et le déclenchement d’une enquête de commandement au sein d’une unité
aux activités secrètes, installée dans l’île de la Réunion.
Le détachement avancé des transmissions (DAT) de Saint-Denis de la Réunion est actuellement très en pointe dans la lutte contre le terrorisme. Une poignée de techniciens militaires de haut niveau – linguistes, analystes, transmetteurs – venant de toutes les armées y pratique des interceptions radioélectriques sophistiquées au profit de la Direction du renseignement militaire (DRM). Petite équipe vivant en vase clos, sous le commandement du lieutenant-colonel Jean-Luc L., le détachement travaille jour et nuit, et recueille dans la plus grande discrétion des renseignements essentiels sur tout ce qui se dit dans les parages de l’océan Indien. C’est en particulier un poste d’observation intéressant pour que Paris sache un peu ce qui se passe en Afrique, dans tout le sous-continent indien et jusqu’en Iran et en Afghanistan, mais aussi – qui peut le plus peut le moins ! – sur la grande base anglo- américaine de Diego Garcia et dans tout l’océan Indien. Bref, c’est l’un de ces pions, petits mais essentiels, qui font que la France demeure aujourd’hui une nation disposant de services de renseignement efficaces. En principe.
Car voilà que, depuis quelques mois, rien ne va plus dans cette base avancée. L’affaire, tristement banale, met en cause trois personnes, dont une jeune femme interprète de langue farsi. Celle-ci est arrivée à la Réunion en octobre 2001 et s’est trouvée très rapidement, selon son témoignage, l’objet d’une assiduité de plus en plus pressante de la part de son chef, le lieutenant-colonel L., qui lui fait de nombreux cadeaux, dont une fois un sac de 50 kilos de fruits, mais aussi un tour de l’île en hélicoptère. Ses intentions sont assez transparentes, mais vouées à l’échec ; la jeune secrétaire se lie en revanche d’amitié avec un sous- officier du détachement, l’adjudant Jean-Luc Lebigre, qui va dès lors subir de la part du chef de centre une inconcevable accumulation d’avanies.
« Epié à travers les vitres »
Des très nombreux témoignages et attestations fournis à la justice par le sous-officier il ressort que le harcèlement dont il a été l’objet de la part de son chef a été incessant dès lors que ce dernier a soupçonné une proximité qu’il n’approuvait pas entre Lebigre et la jeune femme.
« Hurlements », « propos insensés », « attitude insaisissable », « accumulation d’agressions verbales », « ambiance délétère », « contrôle continu » sont des termes relevés dans les attestations délivrées à Lebigre par ses collègues de travail, dont l’un note que son chef l’« épiait à travers les vitres du bâtiment ».
Comme c’est souvent le cas dans les affaires de harcèlement moral, les victimes ont payé. Interprète reconnue pour ses compétences, la jeune femme a rejoint la métropole. Et Jean-Luc Lebigre a craqué. Un médecin civil lui accorde un arrêt de travail de deux semaines, mais, peu après s’être présenté au détachement pour reprendre son poste, il apprend qu’il sera « rapatrié en métropole pour raisons sanitaires » le 1er août 2002 ; l’adjudant attaque cette décision en référé et gagne. Mais son colonel n’en veut toujours pas dans son champ de vision et décide de le muter aux Comores. Refus de l’intéressé, qui doit cependant se tourner de nouveau vers la justice administrative pour obtenir une ordonnance lui donnant raison.
Fin septembre, la direction du personnel militaire de l’armée de terre annule heureusement l’ordre de mutation. En est-ce fini des malheurs de l’adjudant Lebigre ? Non… Car, sortant enfin de sa longue torpeur, la Direction du renseignement militaire, à Paris, décide une enquête de commandement. Procédure classique, qui verra le sous-directeur de la DRM, le général de brigade aérienne Simon, se rendre à la Réunion en compagnie du capitaine Robin. Les comptes rendus d’entretien rédigés par l’adjudant Lebigre sont édifiants, qui révèlent par exemple que l’officier général le tutoie et que les entretiens paraissent avoir été conduits à charge. Sur le tutoiement qui aurait été employé par le général Simon lors de ses rencontres avec l’adjudant Lebigre, le ministère de la Défense veut dédramatiser : « Il ne faut pas y voir un problème majeur, assure-t-on à la Direction de l’information et de la communication de la défense (Dicod). Son emploi est régi par des règles non écrites, et ce tutoiement n’est pas autre chose qu’une marque de l’intérêt porté par le général à son subordonné. En réalité, dans les unités professionnelles, le vouvoiement n’est employé que dans les relations administratives formelles et lors de procédures disciplinaires. » Peut-être. Mais, vue de l’extérieur, une relation professionnelle qui voit un chef tutoyer un subordonné, lequel le vouvoie, peut paraître curieuse. Tout comme pourrait sembler étonnante l’impression laissée par le général à des collègues sous-officiers de l’adjudant Lebigre travaillant eux aussi à la DRM, qui se sont ouverts à ce dernier des propos qu’il leur aurait tenus en rentrant de la Réunion : « Le général nous soupçonne d’avoir comploté, et il parle des sous-officiers de la Réunion comme “le clan Lebigre”. […] Il a tenté de nous faire revenir sur nos déclarations et de démentir certains faits, mais il ne nous a pas impressionnés. Il cherche de toute évidence à dégonfler le ballon », expliquent-ils dans un courrier électronique. Et surtout, l’officier général se serait indigné que l’Adefdromil ait évoqué cette affaire sur son site Internet (www.adefdromil.com)…
Sollicitée par Le Point, le général Simon ne souhaite pas s’exprimer. La DRM nous faisait savoir le 19 novembre que son rapport serait rendu prochainement au directeur du renseignement militaire, et qu’il ne serait pas public. Contacté le même jour par l’intermédiaire de la Dicod, le lieutenant-colonel L. n’a pas répondu.
L’affaire n’en restera pas là. Me Iqbal Akhoun, l’avocat de Lebigre, a l’intention de prendre de nouvelles initiatives : « Nous sommes dans le cadre typique d’un harcèlement moral ; dans ce cas, la demande de rapatriement sanitaire était le stade ultime du harcèlement d’un sous-officier brillamment noté, aux états de service exceptionnels. L’autorité militaire a soutenu la hiérarchie locale, sans comprendre qu’il n’est plus possible de tolérer ce type de pratique. »
L’association qui dérange
C’est l’Association de défense des droits des militaires (Adefdromil), fondée par le capitaine Michel Bavoil, qui a révélé l’affaire Lebigre. Forte aujourd’hui de 450 adhésions de sous- officiers et d’officiers, elle se développe à grande vitesse en faisant valoir les droits de ses adhérents sur le terrain judiciaire, sans compromission. C’est peu dire que cette initiative agace l’autorité militaire : elle exècre Bavoil, spécialiste de droit administratif formé par les armées, et qui prend l’institution à contre-pied. La Défense s’obstine à ne pas comprendre qu’elle ne peut plus compter exclusivement sur la relation hiérarchique comme mode de résolution des conflits internes, et que l’Adefdromil s’installe jour après jour comme une alternative crédible ; des dizaines de dossiers (harcèlement moral et sexuel, problèmes de pensions, atteintes aux droits des personnes, etc.) sont en cours, mais les états-majors persistent à considérer que ce phénomène n’existe pas. Les juges, eux, lui accordent une attention croissante, comme le démontre à l’évidence l’affaire Lebigre. »
Finalement, le 4 juillet 2003, le lieutenant-colonel X…est mis en examen pour harcèlement moral et placé sous contrôle judiciaire (pièce n°9)
Entre temps, sous la pression de certains membres de la haute hiérarchie militaire, le ministre de la défense a entrepris une chasse aux sorcières.
25 – La décision du directeur du cabinet du ministre de la défense du 28 novembre 2002 (pièce n°10).
Le contenu de cette note est le suivant :
MINISTERE DELA DEFENSE
Cabinet du Ministre Paris, le 28 NOV 02 – 016119
N° DEF/CAB/SDBC/CPAG
NOTE
A l’attention des
« destinataires in fine »
OBJET : Adhésion à une association régie par la loi du 1er juillet 1901.
REFERENCE : Article 10 de la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires.
L’article 10 de la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires, précise que « l’existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical ainsi que l’adhésion des militaires en activité de service à des groupements professionnels sont incompatibles avec les règles de la discipline militaire »
L’Association de défense des droits des militaires (ADEFDROMIL) a pour objet : « l’étude et la défense des droits, des intérêts matériels, professionnels et moraux, collectifs ou individuels des militaires relevant de la loi n° 72-662 du 13 juillet 1972 ». Son objet confère à cette association un caractère syndical.
En conséquence, les destinataires de la présente note prendront toutes les mesures qu’ils jugeront utiles afin d’informer les militaires en activité de service relevant de leur autorité qu’ils ne peuvent adhérer à cette association, sous peine de sanctions disciplinaires. De plus, il conviendra d’inviter ceux dont l’appartenance à l’ADEFDROMIL serait connue, à en démissionner, faute de quoi il vous appartiendra d’engager une procédure disciplinaire à leur encontre.
Le directeur du cabinet civil et militaire
Philippe MARLAND
Les réactions des médias à cet oukase ministériel ont été plutôt sévères pour la ministre et ses services (pièces n°14).
Plusieurs responsables de l’association ont été ainsi obligés de quitter l’association. Tel est le cas de l’adjudant-chef DEISS qui reçoit l’ordre de démissionner du général d’armée Thorette, chef d’état-major de l’armée de terre. Il en est de même du médecin en chef Debeir de la gendarmerie mobile d’Ile de France. Les chefs d’état-major des différentes armées et les directeurs de service reprennent à leur niveau l’instruction ministérielle (pièces n°11 et 12).
Il est à noter que, par décret du 4 juillet 2008, le général d’armée Thorette a été nommé Conseiller d’Etat (pièce n°13)
26 – Le contentieux de la décision d’interdiction d’adhérer à l’ADEFDROMIL.
Très subtilement, la note signée par celui qui est le numéro 2 du ministère de la défense ne constitue pas une attaque frontale contre l’Adefdromil, mais vise à la priver de ses adhérents en interdisant aux militaires d’en devenir membres.
Au regard du droit administratif, c’est une mesure dite d’ordre intérieur qui ne fait pas grief à la requérante et qui ne peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Cette analyse est confirmée par la réponse de Mme le ministre de la Défense à une réponse posée le 16 novembre 2004 par le député Jérôme Lambert, publiée au journal officiel (Assemblée Nationale) du 28 décembre 2004 (pièce n°68).
En revanche, pour le juge « judiciaire », la mesure prise par le préfet Marland était susceptible de constituer une « voie de fait » rendant sa pleine et entière compétence au juge judiciaire, protecteur naturel des libertés publiques.
C’est pour cette raison et dans ces conditions que l’Adefdromil a assigné en référé Madame Alliot Marie, es-qualité de ministre de la défense et Monsieur Philippe Marland, directeur de cabinet civil et militaire du ministre devant le tribunal de grande instance de Paris le 5 mars 2003 (pièce n°15).
27 – La décision du Tribunal de Grande Instance de PARIS.
Par ordonnance rendue le 12 mars 2003, le président du tribunal de grande instance a débouté l’Adefdromil de ses demandes en déclinant sa compétence et renvoyant la requérante à mieux se pourvoir devant les juridictions de l’ordre administratif (pièce n°16).
Celle-ci, s’en tenant à la qualification de mesure d’ordre intérieur de la note du Préfet Marland, n’a pas souhaité engager de contentieux devant la juridiction administrative. Il est à noter que le porte parole des armées de l’époque, M. Jean François BUREAU a déclaré à l’occasion de cette affaire : « Nous n’avons pas poursuivi l’association, car il ne nous appartient pas de la juger, tout comme son site. L’Adefdromil a le droit d’exister. En revanche, il est interdit au personnel militaire en exercice d’en être membre. » (pièce n°14).
28 – La poursuite de l’action de l’ADEFDROMIL.
En dépit de l’interdiction illégale édictée par le directeur de cabinet du ministre de la défense, l’Adefdromil a poursuivi son action au profit des militaires qui avaient besoin de conseils juridiques et administratifs, et devenaient ainsi adhérents de l’association. Elle s’est, d’ailleurs, adressée à de nombreuses reprises à la ministre de la défense. Celle-ci, à plusieurs occasions, a pris en compte les interventions de l’Adefdromil sans jamais poursuivre sur le plan disciplinaire les adhérents de l’association au profit desquels celle-ci était intervenue. La ministre a même répondu à plusieurs reprises aux courriers de l’association malgré l’interdiction d’adhérer que son directeur de cabinet civil et militaire avait édictée (pièces n°17 à 21)
Plus récemment et à titre illustratif, la requérante a publié en février 2009 un rapport sur les droits de l’homme dans l’armée française (pièce n°22) qui a été envoyé à tous les parlementaires, membres des commissions de la défense ou des forces armées à l’assemblée nationale et au sénat. Ce rapport a été largement repris et commenté dans les médias nationaux et européens, notamment après la publication de photos montrant des traitements dégradants pratiqués à l’égard de militaires engagés « à titre étranger » (pièces n°23 et 24).
29 – Discrimination de l’association.
L’association subit néanmoins une discrimination permanente de la part des services du ministère de la défense. Alors que de nombreuses associations sont subventionnées par le ministère de la défense, l’Adefdromil a demandé en 2006 à recevoir une subvention basée sur le nombre de dossiers de militaires en difficulté qu’elle traite. Elle estime, en effet, que son action contribue à la solution de problèmes humains et de gestion des ressources humaines des militaires. Aucune réponse n’a été donnée à sa demande (pièce n°25).
De même, elle n’est jamais invitée aux réunions d’associations militaires. Elle ne reçoit jamais d’invitations pour les prises d’armes présidées par le Président de la République française ou pour la cérémonie du 14 juillet (pièce n°26)
30 – Le nouveau statut général des militaires adopté en 2005.
En 2005, la Francea décidé de rénover le statut général des militaires qui datait de 1972 (pièce n°27)
Préalablement à l’adoption de la nouvelle loi qui est désormais intégrée dans le code de la défense, une commission présidée par le vice-président du Conseil d’Etat, M. Renaud Denoix de Saint Marc a rendu un rapport. Cet exercice très encadré visait à éviter toute innovation non souhaitée par le pouvoir politique en place et surtout par la haute hiérarchie militaire dans le domaine de la condition civile et politique des militaires professionnels.
C’est ainsi que la commission présidée par M. Denoix de Saint Marc était composée de 17 membres tous officiers généraux, contrôleurs généraux des armées, hauts fonctionnaires ou cadres dirigeants du secteur privé.
Elle a auditionné 35 personnes, tous officiers ou hauts fonctionnaires, à l’exception de quatre d’entre elles qui étaient des majors (le plus haut grade des sous-officiers) et dont trois d’entre eux étaient en service à l’état-major de leur armée d’appartenance. Elle n’a aucunement entendu les associations représentatives de retraités et de militaires, notamment l’Adefdromil (pièce n°28)
Lors des débats parlementaires, la ministre de la défense, Mme Alliot Marie a confirmé l’interdiction totale de principe d’adhérer à tout groupement : syndicat, association professionnelle, association de retraités s’intéressant aux problèmes des militaires en activité, etc. (pièce n°29). Le nom de l’Adefdromil a même été cité par un député de la majorité.
Quant au vote même de la loi, il relève de la parodie démocratique puisque qu’il été adopté en séance de nuit, dans la soirée du 15 au 16 mars 2005 par le vote à main levée de 7 députés (pièce n°30).
Il est à noter pour la bonne compréhension du contentieux que ce « nouveau » statut général (pièce n°31) ne modifie en rien la situation des militaires au regard du droit d’association, puisque l’article L4121-4 du code de la défense reprend les termes du statut de 1972 :
« …L’existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical ainsi que l’adhésion des militaires en activité de service à des groupements professionnels sont incompatibles avec les règles de la discipline militaire.
Il appartient au chef, à tous les échelons, de veiller aux intérêts de ses subordonnés et de rendre compte, par la voie hiérarchique, de tout problème de caractère général qui parviendrait à sa connaissance.»
Cet article est à mettre en parallèle avec le contenu de l’article 11 de la Convention : Article 11 – Liberté de réunion et d’association
1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L‘exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’Etat.
Dans le même temps, la France a été, en 2007, à l’origine d’un « Guide de la vie associative » publié par l’ONU, dont l’avant-propos de Mme Louise Harbour, Haut Commissaire des droits de l’Homme de l’Organisation des Nations unies est tout à fait évocateur de la situation du respect de la liberté de réunion et d’association dans l’armée française :
« Le degré de jouissance effective de la liberté d’association constitue, en conséquence, un baromètre important pour apprécier la réalité de la situation des droits de l’Homme et de la vie démocratique d’un pays. Le gouvernement qui entrave la vie associative de ses citoyens révèle de lui-même un visage qui en dit long sur le respect qu’il porte aux droits fondamentaux (pièce n°32).
31 – Les décrets ignorant le pacte civil de solidarité ou fixant une condition illégale d’ancienneté.
La loi autorisant deux personnes à s’unir par un pacte de solidarité a été adoptée en France en 1999 et intégrée dans le code civil. La conclusion d’un pacte civil de solidarité entre deux personnes emporte des conséquences par exemple sur le plan des droits sociaux et fiscaux.
L’article 4121-1 du code de la Défense dispose que « Les militaires jouissent de tous les droits et libertés reconnus aux citoyens. Toutefois, l’exercice de certains d’entre eux est soit interdit, soit restreint dans les conditions fixées par la présente loi. ». Or, aucune disposition du statut général des militaires inséré dans le code de la Défense ne spécifie à cet égard que les droits des militaires pacsés sont restreints par rapport à ceux des autres citoyens ayant contracté un pacte civil de solidarité et en particulier par rapport aux autres agents de la fonction publique.
Néanmoins, le ministère de la défense a : soit, délibérément omis de modifier la réglementation, soit, volontairement fixé une condition d’ancienneté du PACS de 3 ans, discriminatoire par rapport au reste des citoyens dela RépubliqueFrançaise.
Il s’agit donc d’une violation manifeste du statut général des militaires et du principe d’égalité entre les citoyens.
La réglementation du ministère de la défense comprend ainsi des décrets dans lesquels le PACS n’a pas été pris en compte.
Il s’agit à titre illustratif :
– du décret n° 59-1193 modifié (pour la dernière fois le 30 décembre 2008) relatif à l’indemnité pour charges militaires,
– du décret n° 92-159 modifié relatif aux déplacements temporaires en métropole et aux FFECSA, qui a été abrogé par le décret 2009-545 du 14/05/2009 qui, contrairement au texte antérieur ne donne plus de définition de la famille ;
– du décret du 3 juillet 1897 modifié relatif aux changements de résidence, concessions de passages gratuits et déplacements temporaires outre-mer et à l’étranger.
Elle comprend également des décrets dans lesquels une condition de trois ans est fixée pour le PACS (code de la défense, article L 4123-1 alinéa 6 et code général des impôts, article 6 a/c 1er janvier 2005) :
– décret n° 2006-1642 relatif à l’indemnité forfaitaire de congé remplaçantla CPGdans certains cas et sur certains territoires.
– décret n° 2007-640 relatif aux changements de résidence en métropole et aux FFECSA.
– décret n° 73-934 modifié relatif au fonds de prévoyance militaire.
– décret n° 77-1448 modifié relatif au fonds de prévoyance de l’aéronautique.
– décret n° 2008-280 relatif aux délégations de solde d’office (personnel décédé ou disparu en participant à une opération extérieure).
32 – Les recours pour excès de pouvoir de l’Adefdromil.
C’est dans ces conditions que la requérante décide, conformément à son objet social de soumettre au contrôle de légalité du Conseil d’Etat trois décrets imposant une condition illégale de durée au pacte civil de solidarité : le décret n° 2007-640 du 30 avril 2007, le décret n° 2007-889 du 15 mai 2007 modifiant le décret n°77-1448, le décret n° 2007-888 du 15 mai 2007 modifiant le décret n°73-934 (pièces n°33, 34 et 35 ).
Après les échanges de mémoires, l’Adefdromil a été convoquée à une première audience le 3 septembre 2008.
A l’issue de cette audience, l’Adefdromil a envoyé une note en délibéré (pièce n°40) et a demandé en vain à recevoir communication des conclusions prononcées par le commissaire du gouvernement Boulouis.
Finalement, une nouvelle audience devant la section du contentieux a été fixée au 28 novembre 2008. La requérante a adressé une nouvelle note en délibéré (pièce n°40) et a obtenu a posteriori les nouvelles conclusions prononcées à cette audience (pièce n°39).
Les arrêts ont été rendus à la date du 11 décembre 2008 et notifiés à la requérante le 19 janvier 2009 (pièce n°41).
Il convient de noter que les trois arrêts du 11 décembre 2008 (pièce n°41), comme les décisions du 4 mars 2009 (pièce n°45) ne visent pas la loi de 1901 sur les associations, ce qui démontre la volonté délibérée du Conseil d’Etat d’ignorer cette loi garantissant la liberté d’association et le droit d’ester en justice pour la réalisation de son objet social. Cette omission lui permet de s’affranchir du principe supérieur fixé par la décision du Conseil constitutionnel de 1971 (pièce n°36).
Après avoir écarté le contrôle de constitutionnalité interne ouvert depuis une réforme de juillet 2008, faute d’adoption d’une loi organique et après avoir rejeté l’argument de l’incompatibilité de l’article L 4121-4 du code de la défense avec l’article 11 de la convention (CEDH), le motif retenu pour débouter la requérante (repris dans les cinq décisions) est le suivant :
« Sur la recevabilité de la requête :
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que l’association requérante, qui regroupe des militaires et qui a notamment pour objet d’assurer la défense de leurs intérêts professionnels, contrevient aux prescriptions de l’article L. 4121-4 du code de la défense ; qu’il en résulte que cette association n’est pas recevable à demander l’annulation des dispositions…;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la requête de l’ASSOCIATION DE DEFENSE DES DROITS DES MILITAIRES doit être rejetée ; »
Les arrêts du 4 mars 2009 résultent de l’introduction de deux autres recours pour excès de pouvoir contre, d’une part l’arrêté du 14 février 2008, nommant un nouveau contrôleur général à la présidence de la commission de recours des militaires, et d’autre part le décret n°2008-956 relatif aux militaires servant à titre étranger (pièces n°43 et 44).
Bien que la requérante ait produit avant l’audience du 28 janvier 2009 un mémoire complémentaire soulignant la jurisprudence de votre cour en date du 15 janvier 2009 (pièces n°43 et 44), qui dispose que « les restrictions à la capacité d’ester en justice doivent être strictement limitées », ses recours ont été rejetés sur la base des mêmes arguments (pièce n°45), le commissaire du gouvernement estimant dans ses conclusions (pièce n°67) que votre arrêt du 15 janvier précité « n’a que peu à voir avec la question posée, puisqu’il condamne simplement une obligation procédurale pesant sur les associations étrangères ».