Selon le communiqué officiel, le sergent Marcel Kalafut du 2ème régiment étranger de parachutistes a été tué dans la soirée du 7 mai 2014 par l’explosion d’un engin improvisé, alors qu’il se trouvait à bord d’un véhicule léger.
L’Adefdromil s’incline devant la douleur de ses proches et de ses camarades et salue avec respect le sacrifice de ce sergent slovaque, mort pour la France, dans la région de Tessalit au Mali, c’est à dire au fin fond du Sahara.
Les seuls témoins de son décès sont ses camarades, dont certains sont blessés. Et il est peu probable que des gendarmes prévôtaux aient été présents pour procéder à des constatations. Faute de témoignages extérieurs aux armées, il faut donc s’en tenir à la version officielle.
Toutefois, l’expérience conduit à prendre avec la plus grande prudence la relation des faits contenue dans tous les communiqués officiels établis en dehors de tout recoupement avéré de l’information.
La même prudence et la même réserve doivent présider à la lecture de certains articles de journalistes de défense, qui devraient plutôt se rebaptiser « communicants » de la défense. Parfois, pour complaire au maître nourricier, le ministère, ils s’abstiennent même de parler de ce qui pourrait être gênant. Et ce silence est éloquent.
Car, tout bon communicant de défense, s’il veut « être et durer », doit éviter toute information ou commentaire susceptible de porter atteinte à l’image que les armées veulent donner d’elles-mêmes, au besoin au prix de la vérité.
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La tentation du camouflage.
Lorsque l’évènement est particulièrement grave, la première tentation est de le camoufler. Pas d’information, donc pas de question et pas de polémique ! Plusieurs exemples illustrent le procédé.
Explosion d’un conteneur servant de soute à munitions en Côte d’Ivoire en 2005.
Qui a entendu parler de l’explosion à Port Bouet en Côte d’Ivoire d’un conteneur bourré de munitions et d’explosifs, exposé en plein soleil et qui, lors de son ouverture, a provoqué la mort de deux sous-officiers des forces spéciales et blessé grièvement une dizaine d’autres militaires ? C’était le 4 mars 2005 dans le camp du 43ème BIMA.
Une instruction, ouverte à l’époque de feu le tribunal aux armées de Paris, dure depuis près de neuf ans. Elle a conduit à la mise en examen d’un capitaine et d’un adjudant.
Mais, on peut toujours chercher sur les blogs un entrefilet, une fuite sur l’affaire : rien, nada, nitchevo ! Tout a été verrouillé. Il serait tout de même surprenant qu’aucun journaliste n’ait eu vent du drame…
Mort d’un légionnaire sous le soleil de Djibouti en 2008.
En octobre 2008, l’Adefdromil avait appris la mort dans des conditions indignes d’un jeune légionnaire slovaque à Djibouti. Les faits s’étaient produits début mai 2008 au cours d’une marche sous le soleil. La victime était probablement morte d’un coup de chaleur sans que personne ne lui porte secours.
C’est Jean Guisnel du Point qui avait eu le courage de rapporter cette histoire lamentable, début novembre 2008. A ce jour, on ne connait pas les suites judiciaires de cette affaire. Le lieutenant, chef de section de la victime avait, par la suite quitté l’armée.
L’évènement aurait pu être connu plus tôt du grand public. En effet, un journaliste de défense – que nous ne nommerons pas- qui avait eu connaissance des faits bien avant l’été 2008, n’avait pas jugé utile de les rapporter, prétextant un emploi du temps chargé, puis la priorité donnée à l’affaire d’Uzbin à partir d’août 2008.
La tentation est grande aussi, d’embellir la réalité.
Explosion de mines soviétiques anti personnel en 2008 en Afghanistan.
Rappelons l’histoire dramatique de ces démineurs envoyés en reconnaissance en vue d’un exercice sur un terrain sur lequel tout activité était interdite, car potentiellement dangereuse. Ils se sont ainsi retrouvés dans un champ de mines anti personnel non répertorié, installé à l’époque de la guerre menée par l’URSS. Deux de ces mines ont explosé. Bilan : un mort et plusieurs blessés graves, traumatisés à vie.
Il s’agissait du premier mort français après la terrible embuscade d’Uzbin. Le communiqué de la Présidence de la République en date du 22 novembre 2008 devrait être cité comme parfait exemple de désinformation dans toutes les écoles de journalisme :
« Le président de la République a appris avec une grande émotion le piège meurtrier par engin explosif tendu à une patrouille française ce matin, dans la région de Kaboul. Un adjudant vient de payer de sa vie l’engagement de la France au service de la paix et la sécurité du peuple afghan, tandis qu’un deuxième a été grièvement blessé.
Le président de la République s’associe à la douleur de leurs familles et de leurs proches. Il exprime ses condoléances attristées à l’épouse de l’adjudant tué, à leurs deux jeunes garçons, ainsi qu’à tous ses compagnons d’armes du 3ème Régiment du Génie de Charleville-Mézières.
Le chef de l’Etat a une nouvelle fois condamné avec force les pratiques lâches et barbares des ennemis de la paix en Afghanistan et a réaffirmé sa détermination à lutter contre le terrorisme. » (Source : site Internet de la présidence de la République).
S’il a lu le communiqué de la Présidence, le mollah Omar a dû se marrer !
L’Adefdromil a été informée de l’affaire dans les premiers mois de 2011, c’est-à-dire plus de deux ans après les faits. Malgré un communiqué, l’histoire n’a pas eu grand succès auprès des journalistes de défense, surtout à la veille du 14 juillet 2011.
Les victimes, quant à elles, demandent justice.
Décès ou blessures résultant de tirs « amis ».
Les actions de combat ne sont pas une science exacte et de nombreux accidents peuvent intervenir. En Afghanistan, des blessures et sans doute des morts sont le résultat d’erreurs de tir, de méprise, voire du non respect de consignes ou de mesures de sécurité. Officiellement, ce n’est jamais arrivé.
Les morts par suicide peuvent devenir des décès accidentels et des interventions en légitime défense peuvent être requalifiées en violences ayant entrainé la mort sans l’intention de la donner, après enquête.
On comprendra dès lors la nécessité de rester prudent à la réception des communiqués officiels.
Silence opportun.
Parfois, il suffit de se taire pour ne pas raviver dans la mémoire des lecteurs un évènement qui pose problème.
On se souvient qu’en avril 2009, à Abéché, au Tchad, un légionnaire brésilien qui se disait humilié et brimé, avait perpétré un quadruple homicide. Il avait été livré aux autorités françaises. Fin août 2011, l’Adefdromil avait publié, après recoupement auprès de son avocat, l’information venant d’un journaliste brésilien selon laquelle l’intéressé venait de décéder dans un hôpital après une phase de coma résultant peut-être d’une tentative de suicide.
Il faut croire que l’information n’intéressait personne, car elle n’a été reprise par aucun journaliste. Etaient-ils tous en vacances ou bien voulait-on, par compassion, ménager la légion étrangère ?
De la désinformation à la mystification.
En OPEX, non seulement, la hiérarchie peut être tentée d’embellir la réalité, mais elle peut également empêcher les victimes de porter plainte ou de témoigner. Elle peut enfin, avoir la tentation de se livrer à des mystifications.
Simulation d’une blessure par plâtrage d’un militaire français au Kosovo visant à justifier l’usage des armes ayant entrainé les blessures d’un conducteur serbe.
Le 1er mai 2000, à Mitrovicsa, au Kosovo, un sergent français avait blessé par balles un Serbe éméché, qui avait forcé un barrage. Aucun militaire français n’avait été blessé. Mais, pour justifier du tir à l’égard du leader serbe local, le général de Saqui de Sannes, qui commandait à l’époque, avait donné l’ordre de simuler une évacuation sanitaire vers l’hôpital militaire. Le sergent s’était retrouvé plâtré grâce aux bons soins du médecin militaire. Le général reconnaîtra la tentative de mystification plus tard devant un magistrat. C’était, dira t’il en mars 2003 au tribunal des armées de Paris, pour préserver les bonnes relations entretenues avec le leader serbe. L’affaire avait été découverte grâce à la perspicacité des gendarmes. (Sources : Le Canard Enchaîné et Libération).
Attribution d’une décoration indue suite à une blessure amie.
L’Adefdromil a eu à traiter le dossier d’un militaire blessé en Côte d’Ivoire par un tir ami résultant d’une erreur de manipulation de l’armement. Au lieu de faire les choses réglementairement, c’est-à-dire de sanctionner le coupable et de reconnaître le blessé comme victime, sa hiérarchie a préféré le décorer sur le front des troupes, en inventant une blessure résultant d’une action des rebelles. Le militaire blessé en a fait une dépression.
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Finalement, pour beaucoup d’anciens militaires, membres d’associations dites patriotiques, le seul traitement médiatique qui vaille est celui émanant des journalistes qui viennent picorer dans la main de la DICOD, de ceux qui veulent avoir une place dans l’avion du ministre partant en tournée des popotes au Mali ou en Centrafrique, de ceux qui veulent recevoir des cartons d’invitation pour les grandes messes de la communication de défense.
Sont-ils encore des journalistes, avec l’indépendance et l’objectivité prônées par leur charte déontologique ? Ou bien ne sont-ils pas devenus de simples communicants de la défense, des collaborateurs de la communication officielle, dont on sait qu’elle ne rejoint la vérité que de manière accessoire ?
Renaud Marie de Brassac
17 mai 2014