Par lettre du 6 mars 2014, le ministre de la défense a demandé au général Didier Bolelli, inspecteur général des armées terre et au contrôleur général Brigitte Debernardy, d’effectuer une enquête conjointe sur les cas d’agressions, de violences et de harcèlements sexuels subis par le personnel du ministère afin de formuler des recommandations en vue de l’élaboration d’un plan d’action ministériel. Le mandat prescrivait en particulier : de présenter et de commenter les suites professionnelles, disciplinaires et judiciaires données notamment aux cas évoqués dans l’ouvrage « La guerre invisible » ; d’analyser l’environnement spécifique des organismes les plus cités ; d’explorer la question de la qualification et de l’appréciation des actes à travers un référentiel ; de proposer des moyens permettant d’améliorer la remontée d’informations sur ces sujets et d’en assurer un suivi fiable
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Chacun sait qu’une commission a pour véritable objectif l’enterrement du problème au motif duquel elle a été créée.
Gageons que celle-ci, et en particulier par l’indigence en temps et en moyens qui présidèrent à son travail, n’aura guère plus d’utilité. Ainsi, les statistiques élaborées sur un petit nombre de cas n’autorisent absolument pas à en tirer des enseignements honnêtes. On apprendra par exemple que 8% des plaintes aboutissent à une relaxe (ce qui sous entend que 8% des victimes sont des affabulatrices ou n’ont eu que ce qu’elles méritaient) et que seulement 61% des plaintes aboutissent à une condamnation (donc dans un cas sur deux c’est pas la peine de porter plainte). En fait un seul des prévenus a été relaxé, et 31% des plaintes sont toujours en cours de procédure.
On peut tout autant s’étonner de voir la brièveté des périodes de référence, le non cumul des cas selon qu’ils proviennent de différentes sources, et, à plusieurs reprises des pourcentages dont le total dépassent la centaine sans qu’on en comprenne bien la raison.
Cependant, l’essentiel du travail n’avait-il pas déjà été fait par les deux journalistes « auteures » de : « la guerre invisible » (19.80€)?
Certes, il y aurait des choses à dire, à la fois sur le contenu et certaines digressions et sur ses « auteures » dont l’appétence pour ce genre de faits divers ne lasse pas de surprendre (ce sont en quelque sorte des spécialiste du harcèlement sexuel). Mais il a le mérite d’avoir provoqué une sorte de lessivage salutaire. Et quelle rapidité si l’on considère que ce réquisitoire a été achevé d’imprimer en mars 2014, et que c’est bien « en date du 6 mars 2014 » que le ministre de la défense a demandé…
On pourra toujours arguer du fait que désormais il y aura un « après commission », mais il faudrait plutôt demander pourquoi il n’y a pas eu d’avant ? Car rien de ce qui est décrit dans le bouquin n’était imprévisible, et aucune des solutions proposées par la commission n’est d’une telle modernité qu’on n’eut pu la mettre en place de manière préventive au moment où l’on décida de féminiser les forces armées dans toutes (ou presque) leurs composantes.
De surcroît les faits les plus « récidivistes » sont installés dans les mœurs depuis le début et aucune autorité n’a réellement réagit avant que la répétition, l’augmentation du nombre des victimes, leur traitement cyniquement injuste, ne viennent apporter ce parfum de scandale sans lequel aucun bouquin, sinon à compte d’auteur(e), ne peut rentablement voir le jour. Désormais, nul ne pourra prétendre qu’il n’y a pas de problème tout en signalant néanmoins que la France ne fait que découvrir (au sens « lever le voile ») ce que d’autres armées étrangères ont déjà analysé dans les mêmes circonstances et, pourquoi pas, à un degré moindre.
Alors nous allons enseigner ce qu’il est interdit de faire, et sanctionner plus durement, y compris avant la fin de l’action pénale, et aussi après. Il n’est pas évident que les coupables reconnus ignoraient que ce qu’ils ont fait subir à leur victime était interdit. Tout juste peut on admettre, à la lecture du livre et du compte rendu de la commission, que ces coupables pensaient évoluer dans un monde « hors la loi » au sein de leur établissement, voire de leur communauté. Et que ce sentiment était sans doute conforté par une certaine impunité « locale ». Si la plaisanterie graveleuse, le geste déplacé, l’insulte sexiste sont quotidiens et sans conséquence, alors l’étape suivante, à l’excuse de l’alcool plus ou moins partagé ne devrait pas en avoir beaucoup plus.
Mais on va sanctionner plus durement. On évitera de rappeler à cette occasion que plus un militaire puni pour se faire obéir…pour se concentrer sur un problème qui, d’ailleurs est soulevé par la commission….pour être rejeté aussitôt : pas question de se laisser impressionner par le principe de « non bis in idem ».
En droit pénal français, l’adage Non bis in idem interdit de poursuivre ou de condamner une personne deux fois pour les mêmes faits. Mais bon, apparemment pas un militaire. Donc d’un côté on s’étonne de comportements irrationnels que n’explique que le sentiment d’être dans un « monde à part », et d’un autre côté on renforce cette impression en foulant aux pieds, quand ils s’opposent au chef, des principes juridiques généraux. Des principes du « dehors »
Pourtant il serait assez simple de considérer qu’en cas de « crime », et d’ailleurs de quelque nature il soit, et dès lors que ce crime entraîne une inscription au casier judiciaire, le coupable perdrait la confiance nécessaire que l’Etat (et les autres militaires) peut accorder à son auteur. Sans qu’il soit nécessaire de précéder, d’accompagner ou de compléter un jugement pénal dans un second procès où le procureur et l’avocat sont une seule et même personne. Et défendant ses propres intérêts.
Au passage on reste un peu surpris d’apprendre que l’autorité militaire peut demander à l‘instance judiciaire la communication des éléments de l’enquête. C’est du secret partagé… : « et d’autre part qu’elle peut obtenir communication des informations recueillies durant l’enquête judiciaire (page 27 dernier paragraphe) »
Hormis ces petites choses, le rapport de la commission reste relativement discret sur le véritable rôle du Service de Santé des Armées dans ces affaires d’agressions sexuelles. Pourtant le livre « révélateur » est intarissable sur le sujet et l’on peut dire qu’il n’y a pas une affaire révélée sans y voir poindre le bout d’une blouse blanche. Certes, c’est surtout pour déclarer les victimes « inaptes au service » sentence bien pratique pour mettre un terme aux situations conflictuelles, mais c’est parfois aussi dans le rôle d’agresseur. Les contrôleurs généraux accordent au SSA un rôle de « lanceurs d’alerte » et « hors hiérarchie », en omettant celui de « nettoyeur ».
Concernant les « canaux » de lancer d’alerte, on sent bien que nos inspecteurs ont approché la lumière en considérant qu’en dépit de leur redondance, ces voies n’étaient ni fiables, ni totalement efficaces au regard des résultats. Pas de là à leur substituer autre chose bien sur, mais néanmoins au point de leur ajouter un canal supplémentaire institutionnel. Sincèrement ils auraient pu rappeler le rôle souvent discret de l’ADEFDROMIL, rappel dont ne se privent pas les journalistes.
Soyons sérieux, toute « saisine » de l’un de ses canaux se traduira immanquablement par l’information du commandement de manière à lui permettre l’ouverture d’un contre feu. La victime se verra rappeler la voix hiérarchique, qui reste une obligation, et son peu d’esprit de corps (en dépit de ce qu’on a déjà fait pour elle). Elle se verra tout aussi clairement invitée à « régler ça avec les moyens du bord » avec pragmatisme et projection dans un avenir « pour l’instant brillant ».
Mais le rapport de la commission soulève, de manière sans doute réellement innocente un problème de taille que l’on peut qualifier d’originel. Recommandation n°14 : Limiter l’affectation de personnel féminin isolé dans les unités, en particulier en OPEX. Il fallait y penser : supprimer la femme et vous supprimez le problème. Il n’est pas évident que cette proposition soit du goût du ministre qui vient de proposer de féminiser un peu les patrouilles de SNLE, les commandos et le XV de France.
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