Les violences sexuelles dans l’armée ne touchent pas que les soldates du rang: son grade de capitaine n’a pas protégé Carole, qui raconte à l’AFP les mois de harcèlement puis le viol qu’elle a subi de la part de son supérieur hiérarchique.
A la veille de la présentation au ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian d’un rapport sur « la prévention des risques de harcèlement sexuel et moral » dans l’armée française, cette jeune femme de 35 ans, qui témoigne sous couvert de l’anonymat, raconte les mois de calvaire auxquels elle a mis fin en démissionnant.
« C’était mon colonel, mon chef de corps, j’étais directement sous ses ordres » dit-elle. « Un jour, sans que j’aie rien vu venir, lors d’un déplacement il m’a déclaré sa flamme. J’ai été très embarrassée, c’était mon supérieur direct. J’ai décliné, je lui ai expliqué que j’étais mariée, que ce n’était pas possible ».
« Cela peut arriver partout, dans n’importe quelle entreprise, mais le problème est qu’à partir de ce moment il s’est autorisé à être insupportable », poursuit-elle. « Comme si je ne pouvais pas ne pas lui succomber. Le harcèlement a commencé: il m’a bombardé de mails et de textos du genre +je pense à toi+ ou +tu me rends dingue+, m’a fait venir sous tous les prétextes dans son bureau, a tenté de me toucher la cuisse, le genoux, de me prendre la main ».
«J’étais terrorisée»
Elle ajoute que son chef, commandant le régiment dans lequel elle avait une fonction de cadre, s’est fait de plus en plus insistant jusqu’au jour où, à l’occasion d’un déplacement professionnel à Paris, il l’a agressée et violée.
« J’ai mis des mois à pouvoir en parler, à oser prononcer le mot de viol », dit-elle. « Je m’en suis voulue, je me disais : on fait des sports de combat et je n’ai pas été capable de l’arrêter, de lui jeter quelque chose à la tête. Mais dans ce cas on est terrorisée. J’étais terrorisée ».
Carole constitue un dossier, se rend à Paris, saisit les instances supérieures de l’armée de terre. « Il y a eu une enquête interne, mais les loups ne se mangent pas entre eux », accuse-t-elle. « Tout ce que j’ai obtenu est un coup de téléphone du général de la brigade qui m’a dit: +Ne faites pas de vagues+. Alors j’ai porté plainte au civil ».
Accusé de viol et de harcèlement sexuel le colonel, qui depuis a pris sa retraite de l’armée, est convoqué par les gendarmes qui le placent 48 heures en garde à vue puis le libèrent. Il est mis en examen.
« Le viol est un crime, il risque les assises mais quand ? Je n’ai plus confiance », dit Carole. « Le comble est que l’armée fonctionne sur des principes de stricte discipline, on obéit aux ordres, mais est incapable de s’appliquer ses propres principes ».
La parution fin février d’un livre-enquête sur le sujet, la rédaction du rapport remis mardi au ministre, « tout cela est bien. Les choses bougent un peu. Mais c’est insuffisant » estime-t-elle. « Parce que c’est toujours pareil: à la fin, ce sont toujours nous qui partons. Ce sont les victimes qui partent et les agresseurs qui restent sans être inquiétés ».