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Entretien avec le capitaine Michel Bavoil,
président de l’ADEFDROMIL (Association de défense des droits des militaires), le mardi 17 décembre 2002.
L’Idealiste : Michel Bavoil bonjour, qu’est ce que l’ADEFDROMIL ?
Michel Bavoil : L’ADEFDROMIL est une association de défense des droits des militaires, qui fonctionne sous la loi de 1901. Elle représente les intérêts moraux et matériels des militaires. A l’inverse des syndicats traditionnels elle se refuse le droit de grève et est apolitique. Elle compte pour le moment 450 membres actifs, du colonel au militaire du rang. Il faut également savoir que nous avons une majorité de sous-officiers.
En quoi cette association est-elle gênante pour le ministère de la Défense ?
Ce qui gène principalement le ministère de la Défense c’est qu’elle amène sur la place publique, ou qu’elle dévoile sur son site Internet, des dysfonctionnements graves de l’institution, qui très souvent mettent en cause des généraux ou des officiers supérieurs.
Dans une lettre adressée le 30 Avril 2001 au Président de la République et au Premier ministre, vous êtes particulièrement virulent envers le fonctionnement interne de l’armée. Vous dénoncez notamment « une faillite du pouvoir hiérarchique », « le harcèlement moral », « les intimidations », « les humiliations répétées »… Avez-vous eu une réponse de la part du chef de l’Etat ?
Le chef de l’Etat n’a absolument pas répondu pour la bonne et simple raison que lorsqu’un courrier arrive à l’Elysée, il est adressé systématiquement aux autorités militaires s’il s’agit d’une affaire militaire. La lettre arrive entre les mains d’un général, qui transmet au chef du cabinet militaire. Le courrier n’a donc pas été transmis au Président. En revanche, la lettre a été adressée à une personnalité civile du cabinet du Premier Ministre, il en a donc eu connaissance et a répondu.
S’est-il engagé à vous apporter un soutien ?
Non, il n’a pas pris d’engagement. Il a exercé son devoir de réserve avant les élections présidentielles. Il a néanmoins précisé qu’il prenait en compte les observations contenues dans la lettre.
Pourriez-vous m’apporter des précisions au sujet de la note signée par le Préfet Philippe Marland, le directeur du cabinet de Michèle Alliot-Marie, qui demande la démission des membres de l’association sous peine de sanctions disciplinaires ?
En ce qui concerne la lettre du Préfet Philippe Marland, pour nous et nos avocats, elle est totalement illégale dans la mesure où elle est attentatoire aux libertés publiques. Nous savons par ailleurs qu’en matière de liberté publique, seule la Ministre peut prendre des décisions. Philippe Marland n’avait absolument pas le pouvoir de signer cette lettre comme le prouve l’article 10 du statut général des militaires qui stipule que c’est la Ministre en personne qui doit notifier aux adhérents le refus d’agrément d’adhérer à une association.
En quoi cette note va-t-elle à l’encontre des décisions prises par le Conseil de l’Europe ?
Elle va à l’encontre de la recommandation 1572 du Conseil de l’Europe, qui a été diffusée le 3 septembre 2002, et qui invitait tous les Etat membres à donner dans des mesures raisonnables des droits syndicales aux militaires. Depuis peu par exemple en Allemagne, les militaires sont syndiqués. La France qui se veut être le pays des Droits de l’Homme est très en retard dans ce domaine là, et on voit très mal la France prendre la tête de la défense européenne à partir du moment où ses propres militaires sont en retrait par rapport aux autres nations.
A l’encontre du droit professionnel et du citoyen, garantis par la constitution ?
La constitution française reconnaît le droit syndical, et le droit surtout à tout individu de pouvoir former normalement une association, le droit de se regrouper. L’interdiction étant pratiquement totale pour les militaires, tous les juristes sont unanimes à dire que c’est totalement illégal. Et d’ailleurs, il est important de noter que lorsque la loi 72-662 du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires a été promulguée, elle n’a jamais été soumise au contrôle de constitutionalité. En effet, la règle des 60 députés, qui devait saisir le conseil constitutionnel n’existait pas à l’époque. C’est la raison pour laquelle, en grande partie, les hautes instances militaires ne veulent pas aujourd’hui revoir le statut général des militaires parce que s’il y avait un contrôle de constitutionalité, il est sur que les articles qui sont très restrictifs au niveau des libertés ne passeraient pas.
Quelles sont les positions des différents partis politiques à ce sujet ?
Il y a une très grande avancée au niveau des partis politiques. Le 28 Novembre, à Pont Sainte Maxence, j’ai interrogé Raymond Forni, l’ancien président de l’Assemblée Nationale, afin de savoir quelle était la position du Parti socialiste sur le groupement professionnel dans les armées. Il a été très clair, le parti socialiste aujourd’hui est favorable aux groupements professionnels dans les armées. Il ne l’a pas fait du temps où il était au gouvernement pour la raison qu’ils ont été pris par la professionnalisation de l’armée. Selon Raymond Forni, les socialistes n’ont pas eu le temps de mettre en oeuvre cette rénovation. C’est ce qui semble justifier qu’ Alain Richard ne nous a jamais inquiété du temps où il était Ministre de la Défense. En ce qui concerne la droite, elle est beaucoup plus conservatrice. Il faut tout de même savoir que Jean-Jacques Guillet, qui est aujourd’hui député UMP, a déposé en décembre 2001 une proposition de loi portant sur la création d’un groupement professionnel dans les armées. On voit que la majorité est très divisée sur ce sujet.
Existe-t-il d’autres formes d’associations au sein de l’armée qui elles ne sont pas inquiétées ?
Il existe des associations d’anciens militaires avec énormément de militaires d’active adhérents chez eux. Il y a par exemple L’Epaulette, la Saint-Cyrienne, l’Union Nationale des Parachutistes (1)… Toutes ses associations sont dirigées par des généraux. Comme les loups ne se mangent pas entre eux, ces gens là ne sont pas du tout inquiétés. Or, quand on regarde leur objet social, il s’apparente à l’objet social de l’ADEFDROMIL. Je ne vois pas pourquoi on cherche des poux dans la tête de mon association, et pas dans celle des généraux.
L’ADEFDROMIL, assisté de ses avocats, va saisir Michèle Alliot-Marie pour lui demander le retrait de cette note, quelles sont ses chances ?
Philippe Marland, en signant lui-même cette note, a placé Michèle Alliot-Marie dans une situation assez inconfortable. Nous sommes persuadé que cette note s’est faite dans le dos de la Ministre. Nous sommes assez optimistes pour la suite des évènements. Nous savons d’ailleurs que Catherine Bergeal, qui est l’ancienne commissaire du gouvernement au conseil d’Etat, et aujourd’hui directrice des affaires juridiques au ministère de la Défense, a toujours dit qu’aucune base juridique ne pouvait permettre de mettre en cause l’ADEFDROMIL. Tout le monde est évidemment étonné par la note que Philippe Marland a signée.
Dans le cas où vous seriez débouté, envisagez-vous déjà des voix de recours ?
Si la lettre n’est pas retirée, nous la déferrons au conseil d’Etat. Ensuite, nos avocats vont défendre gratuitement tous les militaires qui seront inquiétés. Le danger que le ministère de la Défense n’a pas bien perçu, c’est que si jamais le droit d’association militaire en France est reconnu au niveau européen, c’en est fini du Conseil Supérieur de la Fonction Militaire, et en prime, au lieu d’avoir un seul groupement professionnel, il y en aura une multitude.
Propos recueillis par Nicolas Maurice
(1) L’Union National des Parachutistes a été reconnue d’utilité publique par un décret du 11 septembre 1978. Dirigée par des généraux, elle a notamment eu comme président le Général Paul Aussaresses de 1990 à 1994.
Pour Info :
Pour que l’armée respecte enfin la loi, Michel Bavoil, LPM.
www.defdromil.org