Le droit d’ester en justice de l’Adefdromil, reconnu dans la loi de 1901 sur les associations a été dénié et bafoué par 3 arrêts du 11 décembre 2008 de la Section du contentieux du Conseil d’Etat, présidée par M. Bernard STIRN.
L’affaire concernait des décrets imposant aux militaires pacsés un « stage de trois ans », avant que le dit Pacs puisse être pris en compte, notamment en cas de décès en service. Ces décrets ont depuis été abrogés. Pour des détails plus précis, nous renvoyons nos lecteurs aux nombreux articles et commentaires publiés à l’époque.
Nous attendons que la Cour Européenne des Droits de l’Homme confirme prochainement que ces décisions du Conseil d’Etat étaient non conformes aux normes établies par la Convention.
Surtout, nous pensons que ces trois arrêts manquaient sérieusement de bon sens. Lors de l’élaboration de notre requête devant la CEDH, nous nous sommes donc demandés, selon le mot célèbre du conseiller d’Ormesson lors du procès de Nicolas Fouquet, surintendant des finances de Louis XIV, si le Conseil d’Etat rendait des services ou rendait des arrêts.
C’est ainsi que nous avons été amenés à développer des arguments sur la partialité du Conseil d’Etat.
Ces arguments prennent un relief particulier aujourd’hui.
Etant donné qu’ils ont été écartés des débats par la Cour Européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg, nous pensons qu’il est de notre devoir de citoyens de les présenter à la lecture du public.
Extraits de la requête présentée devant la CEDH par l’Adefdromil : (1)
III-1 – Violation de l’article 6 de la Convention en ce que le Conseil d’Etat n’a pas agi comme un tribunal indépendant et impartial.
La requérante entend démontrer que le Conseil d’Etat n’offre pas les garanties d’impartialité et d’indépendance qu’un justiciable est en droit d’attendre d’une juridiction dans une société démocratique, en raison :
– 1° de la double fonction de juge de la légalité des règlements édictés par le pouvoir exécutif et de celle de conseil juridique de ce même pouvoir exécutif,
– 2° du recrutement et du déroulement de carrière des membres du Conseil d’Etat,
– 3° des motivations mêmes de plusieurs décisions juridiques, tantôt innovantes pour donner raison au pouvoir exécutif et tantôt délibérément ignorantes de principes généraux du droit pour débouter les requérants.
Votre Cour a défini– dans un arrêt Piersack c/Belgique de 1982 – l’impartialité « par l’absence de préjugé ou de parti-pris ». Une même personne ayant donné son avis sur une affaire et, jugeant ultérieurement cette même affaire ne pourrait que faire naître un doute sur son objectivité, soulevant ainsi une question sur le terrain de l’article 6 § 1 dela CEDH.
En effet, dans cet esprit et dans un autre arrêt, Procola (CEDH, 28 septembre 1995, Procola c/ Luxembourg, votre Cour précise que le cumul des fonctions consultative et juridictionnelle « est de nature à mettre en cause l’impartialité structurelle de l’institution ».
Ainsi, elle sanctionne une décision prise par une formation de jugement statuant au contentieux sur un règlement et dont quatre des cinq membres avaient déjà examiné ce même règlement dans le cadre de leur mission administrative. Elle y a trouvé une « confusion, dans le chef de quatre conseillers d’Etat, de fonctions consultatives et de fonctions juridictionnelles». L’arrêt Procola souligne le risque, ou au moins de l’apparence, d’une justice partiale -ce qui la rend condamnable en soi, selon certains.
Par l’arrêt Procola (CEDH, 28 septembre 1995, Procola c/ Luxembourg), votre Cour précise que « le seul fait que certaines personnes exercent successivement à propos des mêmes décisions les deux types de fonctions est de nature à mettre en cause l’impartialité structurelle de la dite institution ».
A cet égard, le 30ème considérant de l’arrêt de 1982, Piersack c/ Belgique, indique : « Si l’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti-pris, elle peut, notamment sous l’angle de l’article 6.1 de la Convention, s’apprécier de diverses manières. On peut distinguer sous ce rapport entre une démarche subjective, essayant de déterminer ce que tel juge pensait dans son for intérieur en telle circonstance, et une démarche objective amenant à rechercher s’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime ». A juste titre, ce qui importe c’est donc que le juge offre « des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime » sur son impartialité. Tel ne nous semble pas être le cas du Conseil d’Etat français en ce qui concerne l’Adefdromil.
33 – L’interview de M. Bernard Stirn, président de la section du contentieux du Conseil d’Etat (pièce n°48).
Cette interview se trouve sur la toile. Elle a été publiée dans « Juger et conseiller. Entretien avec Bernard Stirn», Etats-Unis : la démocratie troublée, n° 279, mars 2004, inla Revue Projet.
Au risque de reprendre des arguments déjà présentés à votre haute juridiction, la requérante se doit de souligner
1° – que le recrutement, la formation et le déroulement de carrière des membres du Conseil d’Etat ne peuvent que conduire à s’interroger sur leur réelle impartialité et indépendance. Tout d’abord, contrairement à la plupart des magistrats, les membres du Conseil d’Etat ne prêtent pas serment. Ils ne portent pas de costume judiciaire lors des audiences. Ces éléments démontrent que les membres du Conseil d’Etat se considèrent beaucoup plus comme de hauts fonctionnaires que comme de véritables magistrats, y compris dans l’activité juridictionnelle qui leur est confiée. Leur manière de servir dans l’activité contentieuse et dans celle de conseil est évidemment prise en compte pour leur permettre d’accéder aux offres de postes hors du corps. Ces emplois dans les cabinets ministériels, les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales sont particulièrement prisés, car ils sont souvent plus rémunérateurs et plus en vue que la fonction de membre du Conseil d’Etat. Les propos de celui qui est le président actuel de la section du contentieux illustrent cette opinion :
« Projet – Quelle est la part de ceux qui travaillent à l’intérieur et des membres en disponibilité ?
Bernard Stirn – Sur les trois cents membres du Conseil d’État (tous grades confondus), une centaine environ occupent (sic) à l’extérieur des postes très variés : dans les ministères, au sein des administrations publiques, avant de revenir au Conseil. Il en résulte une richesse, collégiale plus qu’individuelle, qui donne au Conseil d’État une partie de sa force. Autre source de diversité d’expériences, le recrutement : les auditeurs sont recrutés par concours, intégré depuis 1945 à celui de l’Éna, à la sortie de laquelle, chaque année, cinq à six postes d’auditeur au Conseil d’État sont proposés aux élèves. Mais il existe aussi « le tour extérieur » : un maître des requêtes sur quatre et un conseiller d’État sur trois, nommés par le gouvernement, viennent d’horizons variés (un préfet, un ambassadeur, un médecin, un avocat ou un chef d’État-major des Armées…). Cette composition accroît encore la diversité des expériences.
Projet – Mais alors, qu’est-ce que ce lieu étrange, ce tribunal dont les membres ne sont pas tous juges, contrairement aux membres de la Cour de Cassation ? Et si le Conseil dit le droit de façon décisive, de quelle manière invente-t-il son application à des questions nouvelles pour tenir compte de circonstances inédites ?
Bernard Stirn – Il y a plusieurs réponses à cette question. Tout d’abord, le Conseil d’État est une juridiction suprême, mais il est aussi conseil du gouvernement. Le volet juridictionnel demande une formation solide et les membres du Conseil qui y font toute leur carrière acquièrent une armature technique suffisante pour organiser le travail contentieux. De plus, et je crois cet élément très important, le Conseil est une extraordinaire école qui a une très grande force d’intégration : chaque année, entre ceux qui reviennent d’un détachement parfois long à l’extérieur, les cinq ou six nouveaux auditeurs, les collègues nommés au tour extérieur, la « population » du Palais Royal se renouvelle ; on se rassemble et on travaille ensemble, et très vite les nouveaux venus se sentent appartenir à ce grand corps. »
2° – que la double fonction du Conseil d’Etat : conseil juridique du gouvernement et juge administratif suprême conduit forcément à des situations de conflit d’intérêt :
« Projet – Venons-en au second rôle du Conseil d’État, qui est de conseiller le gouvernement dans son action. Quelle est l’importance de ce rôle ?
Bernard Stirn – Il s’agit là de donner des avis au gouvernement, principalement sur les textes (lois, ordonnances, décrets en Conseil d’État) et certaines décisions, notamment de grands projets d’équipement. Le gouvernement est obligé de recueillir l’avis du Conseil, mais non de le suivre. Par ailleurs, deux ou trois rapports ou études, de caractère général, sont produits chaque année à l’initiative de l’un ou de l’autre. Cela totalise entre 2000 et 3000 consultations annuelles. En outre, de dix à trente fois par an, le gouvernement interroge le Conseil d’État sans qu’un texte soit concerné.
On peut dire d’abord que le Conseil d’État, tel l’Académie française de l’administration, s’interroge sur la mise en forme et la bonne écriture des textes gouvernementaux. Ensuite, il s’intéresse bien sûr à leur régularité juridique, c’est-à-dire au respect des normes supérieures…
En général, les avis du Conseil d’État sont toujours suivis par le gouvernement en ce qui concerne la rédaction et pratiquement toujours en ce qui concerne la régularité juridique. Concernant les aspects d’opportunité, les marges d’appréciation sont plus larges. Mais, en réalité, il y a une préparation commune des textes, une réécriture destinée à améliorer le processus de décision, et c’est la raison pour laquelle ce travail a beaucoup de poids. Je ne crois pas que ce rôle soit paradoxal ; il le serait si les membres du Conseil d’État étaient à la fois juge et partie, ce qui n’est bien sûr pas le cas. En réalité, les deux missions du Conseil se renforcent mutuellement : la bonne connaissance de l’administration par les juges est un atout pour juger tandis que l’expérience juridique apporte la sécurité pour donner un avis sur un texte.
Cette double fonction, originale, est un signe de renforcement de l’État de droit. »…
Projet – Justement, l’élaboration d’un droit européen se fait largement dans les Cours européennes. Comment y participez-vous et quelle est l’importance des traditions juridiques locales ?
Bernard Stirn – Il est vrai que les pays européens ont des traditions différentes, mais ils ont aussi de grands principes en commun (État de droit, exercice des libertés publiques…) : n’oublions pas que 44 pays adhèrent à la Convention européenne des droits de l’homme. En même temps, un droit européen s’élabore, qui repose sur les droits nationaux : chacun apporte sa pierre à l’édifice commun. En outre, le droit européen est appliqué par des juridictions nationales, et les juges nationaux sont donc renforcés par l’Europe…
Projet – Quelle proportion de membres du Conseil d’État travaille au contentieux ou dans les sections administratives ? Laquelle est la plus délicate ?
Bernard Stirn – Il y a, à côté du contentieux, quatre sections administratives, finances, intérieur, sociale et travaux publics. S’y ajoute la section du rapport et des études, qui prépare le rapport annuel et entreprend les études de caractère général. Les textes les plus importants, notamment tous les projets de loi ou d’ordonnance, sont discutés, après un premier examen en section, par l’assemblée générale qui siège, soit en assemblée plénière, soit en assemblée ordinaire (35 conseillers). Les membres du Conseil sont affectés en général au contentieux et à l’une des autres sections administratives ; ils changent parfois de section, mais rien n’est rigide en ce domaine. Aucune section n’est plus délicate qu’une autre, même si chacune a ses particularités.
Dans l’action consultative, le Conseil est un rouage indépendant du processus de décision gouvernementale et non un corps de contrôle qui chercherait à mettre en évidence des erreurs. Il cherche, en dialogue avec le gouvernement, la meilleure solution.»
L’ambiguïté des deux fonctions attribuées au Conseil d’Etat est telle qu’il n’est pas rare que la section du contentieux soit amenée à se prononcer sur la légalité d’un texte sur lequel un avis a été rendu par une section administrative.
34 – Deux exemples de déroulement de carrière induisant des doutes sur l’impartialité et l’indépendance de la juridiction : Madame C (pièce n°46) et M. N (pièce n°47).
Les déroulements de carrière de ces deux membres du Conseil d’Etat illustrent parfaitement les arguments précédents.
Madame C, sortie de l’école nationale d’administration dans le corps des conseillers de tribunaux administratifs et après avoir occupé de nombreux postes dans l’administration – et non en juridictions- a été nommée maître des requêtes du Conseil d’Etat en 1994, puis « commissaire du gouvernement » en 1996. Elle a ainsi travaillé à la 7ème sous-section du contentieux, formation compétente pour la plupart des contentieux militaires. Elle est devenue le 1er septembre 2002, directrice juridique du ministère de la défense. C’est-à-dire qu’elle est passée au service de l’une des parties, sur les causes de laquelle elle était intervenue pendant plusieurs années. Elle est co-auteur avec M. Renaud Denoix de Saint Marc (ancien vice-président du Conseil d’Etat et ancien président de la commission du statut général des militaires) de l’ouvrage « Savoir rédiger un texte normatif ».
Curieusement, alors que son détachement venait d’être renouvelé à compter du 1er septembre 2007 pour cinq ans au ministère de la défense, elle a été nommée dans la même fonction au ministère des finances par décret du 29 octobre 2007 à compter du 1er novembre 2007. Sa remplaçante, Mme M, conseiller d’Etat, n’a été nommée que le 14 décembre 2007 (pièce n°46).
Monsieur N, commissaire du gouvernement, auteur des conclusions ayant débouté l’Adefdromil de ses recours, a également alterné les postes dans l’administration et au Conseil d’Etat, ainsi que le fait apparaître son curriculum vitae présent sur la toile (pièce n°47).
35 – L’argument utilisé pour débouter l’Adefdromil confirme la partialité du Conseil d’Etat.
351 – Une appréciation de l’intérêt à agir, conditionnée par les chances de succès au fond.
Au début de ses conclusions (pièce n°39), M. N précise : « Et ajoutons, pour ne plus y revenir, que la circonstance que vous n’ayez pas rejeté comme irrecevable la requête qu’elle a formée contre le décret du 7 mai 2001 instituant la Commission de recours des militaires n’est d’aucun secours pour elle. Outre que son recours (a) été joint avec le pourvoi d’un militaire, ce recours a été rejeté au fond (27 novembre 2002 Bourrel et autre p 412). »
L’argumentation du commissaire du gouvernement placé « in limine » de son analyse indique clairement que le raisonnement développé par la suite va conduire à rejeter les recours pour « défaut d’intérêt à agir ».
S’agissant de l’arrêt du 27 novembre 2002 (pièce n°42), la requête de l’Adefdromil a été présentée indépendamment de tout autre recours formé par un tiers. Elle n’a été jointe à celle d’un militaire que du seul fait du Conseil d’Etat –les deux recours séparés visant à l’annulation du même texte sur la base d’argumentations différentes, contrairement à ce que sous-entendent les propos du commissaire du gouvernement. De plus, le rejet du recours de la requérante par des arguments au fond démontre que son intérêt à agir a été reconnu par la juridiction, et sans que le ministre de la défense ne soulève, à l’époque, cette fin de non recevoir. Il est admis comme principe de droit procédural que le fait de ne pas soulever une fin de non recevoir dans un délai raisonnable signifie qu’on renonce à utiliser ce moyen devant le juge pour l’avenir. A titre d’exemple, le droit anglo-saxon dénomme cette renonciation à l’utilisation d’un droit : « laches ». Tel est bien le cas en l’espèce.
Le moyen de l’intérêt à agir est, en effet, un moyen dit « d’ordre public » que le juge doit soulever d’office. Or, le ministre de la défense tout comme le Conseil d’Etat n’ont à aucun moment soulevé ce moyen de droit. C’est ainsi que les arguments de l’association ont bien été examinés au fond et que c’est dans ces conditions que son recours a été rejeté en 2002.
Par ailleurs, il est constant que « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude » (nemo auditur qui suam propriam turpidudinem allegans). Le ministre de la défense est donc particulièrement mal fondé à invoquer le défaut d’intérêt à agir de la requérante alors que depuis 2001, il a délibérément refusé de demander sa dissolution au juge judiciaire seul compétent en application de la loi de 1901 sur les associations.
Enfin, le principe de la sécurité des décisions de justice rendues dans un pays démocratique s’oppose à ce qu’une juridiction puisse revenir sur l’appréciation de l’intérêt à agir qu’elle a formulée à l’égard de l’une des parties.
En d’autres termes et s’agissant du recours de l’Adefdromil contre les décrets fixant une condition de durée du PACS, cela signifie, que le commissaire du gouvernement ayant reconnu l’illégalité des décrets soumis à la censure du Conseil d’Etat, invoque un prétendu défaut de l’intérêt à agir –antérieurement non contesté devant la même juridiction – pour refuser l’annulation des décrets pris par le pouvoir exécutif français. Le Conseil d’Etat conditionne ainsi l’intérêt à agir aux chances de succès des recours : lorsque les moyens au fond développés à l’appui d’un recours ont peu de chances d’aboutir, le Conseil d’Etat y répond et lorsque les moyens développés ne peuvent conduire qu’à l’annulation des décrets querellés, le Conseil d’Etat refuse d’examiner les arguments en prétextant un « défaut d’intérêt à agir », nullement prévu par la loi du 1er juillet 1901 sur les associations.
352 –Le Conseil d’Etat est coutumier des interprétations de la loi arrangeantes pour l’Etat.
Une fois n’est pas coutume. Malheureusement, l’Adefdromil a eu l’occasion de constater que la plus haute juridiction administrative française pratique à l’occasion un mode de raisonnement juridique peu compatible avec l’impartialité que le justiciable est en droit d’attendre de ses juges dans une société démocratique.
C’est ainsi qu’à l’occasion de la promulgation de la loi n° 2005-270 du 24 mars 2005 portant statut général des militaires intégrée dans le code de la défense (pièce n°31), l’Adefdromil a découvert que la commission des recours des militaires instituée à la suite d’une loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives (pièce n°49) et du décret n° 2001-407 du 7 mai 2001 organisant la procédure de recours administratif préalable aux recours contentieux formés à l’encontre d’actes relatifs à la situation personnelle des militaires était présidée illégalement par un contrôleur général des armées – alors que le décret de référence stipule expressément qu’elle doit être présidée par un « officier général ».
Or le statut général des militaires est formel : les membres du corps du contrôle général des armées n’ont aucune correspondance avec la hiérarchie générale des armées. C’est dans ces conditions que l’Adefdromil a fait paraître sur son site un article intitulé « Trafalgar juridique annoncé », susceptible de permettre à des requérants d’invoquer l’incompétence de la commission de recours présidée par un contrôleur général des armées (pièce n°49). Le contrôleur général des armées, président de la commission des recours a produit alors une note de six pages tentant de démontrer « contra legem » l’assimilation de son grade à celui d’un officier général (pièce n°49). La requérante a alors publié un nouvel article sur son site. Le premier arrêt rendu sur le sujet est la décision n°273076 du 10 janvier 2007 (pièce n°49).La Cour notera avec intérêt que les deux sous-sections réunies ayant débouté le requérant en rejetant l’exception d’incompétence étaient présidées par le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat, M. Bernard STIRN en personne.
Bien évidemment, la reconnaissance de l’incompétence du président de la commission de recours des militaires aurait entraîné l’annulation de très nombreuses décisions de recours signées par un membre du cabinet du ministre, délégataire de la signature ministérielle. Pour écarter cette exception d’incompétence, les deux sous-sections réunies font plus qu’interpréter la loi et d’autres textes pertinents comme le code de justice militaire cité dans l’article publié sur le site de la requérante, elles les ignorent pour créer ex nihilo une assimilation des contrôleurs généraux aux officiers généraux –uniquement pour l’application dudit décret- sauvant ainsi le ministère de la défense du désastre juridique annoncé « Considérant qu’eu égard tant à la place qui leur est confiée dans la hiérarchie militaire qu’à la nature et à l’étendue des prérogatives dont ils disposent, les contrôleurs généraux des armées doivent être regardés comme des officiers généraux pour l’application des dispositions précitées du décret du 7 mai 2001 ; que doit ainsi être écarté le moyen tiré de l’incompétence du contrôleur général des armées présidant la commission des recours des militaires ; » L’Adefdromil n’a pas manqué de fustiger sur un ton humoristique un tel raisonnement juridique destiné à sauver le ministère de la défense et non à dire le droit et à protéger le justiciable (pièce n°49).
Notons également qu’à l’époque de cette décision, la directrice juridique du ministère de la défense était Mme C, membre du Conseil d’Etat et ancienne commissaire du gouvernement à la 7ème sous-section et co-auteur avec M. Renaud Denoix de Saint Marc (ancien vice-président du Conseil d’Etat) de l’ouvrage « Savoir rédiger un texte normatif » (pièce n°46). Cette coïncidence ne fait qu’ajouter à la suspicion de partialité du Conseil d’Etat à l’encontre de la requérante.
36 –Violation délibérée de la loi du 1er juillet 1901 sur les associations (pièce n°3).
La décision de rejet des recours de la requérante a été prise au mépris de la loi du 1er juillet 1901 qui donne compétence au juge judiciaire pour statuer sur l’illicéité éventuelle de l’objet social d’une association. D’ailleurs, cette loi ne figure pas dans les visas précédant les trois arrêts du 11 décembre 2008. Ce refus du débat devant le juge judiciaire écarté par le Conseil d’Etat renforce le soupçon de partialité de la juridiction. Elle s’arroge ainsi le droit d’apprécier la légalité de l’objet social de l’Adefdromil, en empiétant sur la compétence du juge judiciaire alors même que l’un des motifs invoqués en permanence par la France pour justifier l’existence des juridictions administratives est d’éviter les conflits de compétence et garantir la séparation des pouvoirs.
Selon le commissaire du gouvernement, l’absence d’action en dissolution ne résulterait que d’une tolérance de l’Etat : « En effet, tant que l’association n’a pas été dissoute, elle existe légalement et ce qui est incompatible avec la discipline militaire, ce sont, pour reprendre les propos de la commission de révision « l’ingérence dans l’activité des forces, la remise en question de la cohésion des unités, voire de la disponibilité et du loyalisme des militaires » et non le recours pour excès de pouvoir.
L’action contentieuse n’emporte pas, de prime abord, des risques aussi élevés que l’action revendicative dans les enceintes militaires ou sur les théâtres d’opération puisqu’à titre individuel les militaires n’en sont pas privés. Par ailleurs, le droit au recours ou le droit au juge – que n’invoque pas l’association mais qui peuvent servir de guide à l’interprète – pourraient exiger que les restrictions de capacité soient justifiés par des motifs supérieurs, surtout s’agissant du REP, comme le montrent nombre de vos arrêts (entre autres Ass. 17 février 1950 Ministre de l’agriculture c/ Dme Lamotte p 110) et surtout s’agissant du recours pour excès de pouvoir d’une association. Alors même que la loi du 1er juillet 1901 dispose que les associations ne « jouiront de la capacité juridique que si elles se sont conformées aux dispositions de l’article 5 », c’est-à-dire à la déclaration, vous avez dans la décision Syndicat de défense des canaux de la Durance donné raison au commissaire du Gouvernement Riboulet qui dans l’affaire Polier déclarait « l’action de cassation administrative n’est pas fonction de la capacité juridique de celui qui l’invoque ». Enfin, il est loisible à l’administration de poursuivre la dissolution de l’association si elle estime que les risques sont trop importants. Elle les tolère aujourd’hui, jugeant préférable de ne pas voir à nouveau surgir dans le débat public cette question sensible.
Nul ne pouvant se prévaloir de sa propre turpitude, y compris l’Etat et en l’occurrence le ministère de la défense, la tolérance éventuelle consentie à l’existence de l’Adefdromil signifie que l’Etat ne peut se prévaloir d’une illicéité prétendue qu’il n’a pas fait constater par le juge compétent à cet effet.
Il semble bien, à la lecture des conclusions de M. N, que le vrai motif des décisions de rejet des recours de l’Adefdromil soit bien la volonté : « de ne pas voir à nouveau surgir dans le débat public cette question sensible ».
37 – Le Conseil d’Etat ne respecte pas la jurisprudence de votre haute juridiction.
C’est ainsi que le commissaire du gouvernement, appelé depuis un décret de janvier 2009 : rapporteur public, continue de participer aux délibérés du Conseil d’Etat en dépit de l’arrêt Martinie rendu par la Grande Chambrede la Coureuropéenne des droits de l’homme le 12 avril 2006 qui a jugé, sans aucune ambiguïté, que la seule présence, même passive et silencieuse, du commissaire au délibéré du Conseil d’État est contraire à l’article 6, § 1 de la Convention EDHet donc au droit à un procès équitable (Cour EDH, 12 avril 2006, Martinie, § 55 ). Malgré cette position, l’article R. 733-3 du code de justice administrative autorise la présence du commissaire du gouvernement au délibéré tout en donnant au justiciable le droit de refuser sa présence. Cette situation ressort clairement de la mention figurant au bas des avis d’audience reçus par la requérante (avis d’audience – pièces n°33, 34 et 35).
Par un arrêt Courty du 25 mai 2007, le Conseil d’Etat a jugé que ce dispositif était conforme aux exigences de l’article 6 de la convention au motif notamment que le quatrième alinéa de l’article R. 712-1 en vertu duquel l’avis d’audience adressé aux parties reproduit les dispositions de l’article R. 733-3. Sur ce point, la haute juridiction française a indiscutablement été à la fois juge et partie en validant une pratique explicitement contraire à votre jurisprudence.
Certains commentateurs ne manquent pas de fustiger la mauvaise volonté manifeste du Conseil d’Etat (pièce n°50).
38 – Le Conseil d’Etat n’hésite pas à commettre un déni de justice pour complaire au gouvernement.
En déboutant l’Adefdromil, il préfère laisser se perpétuer une grave illégalité portant préjudice aux intérêts des militaires. Il privilégie une interprétation pointilleuse de la loi portant statut général des militaires, dont la constitutionnalité est incertaine au détriment du principe fondamental de la liberté d’association reconnu par les lois de la République(Décision du 16 juillet 1971 du Conseil Constitutionnel français – pièce n°36).
La Cour notera avec intérêt qu’à la suite des trois arrêts du 11 décembre 2008 déboutant la requérante et fondant en partie la présente requête, l’Adefdromil s’est adressée au Président de la République et au Premier ministre en tant qu’autorités administratives signataires des décrets attaqués, en leur demandant de les annuler en application de l’article 16-1 de la loi nº 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations qui dispose :
« Art. 16-1. — L’autorité administrative est tenue, d’office ou à la demande d’une personne intéressée, d’abroger expressément tout règlement illégal ou sans objet, que cette situation existe depuis la publication du règlement ou qu’elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date. »
A la suite des ces courriers et probablement des instructions reçues, le ministère de la défense a décidé de préparer de nouveaux décrets supprimant la condition d’ancienneté du pacte civil de solidarité ou intégrant cette situation juridique dans les décrets indemnitaires en vigueur. L’ensemble de ces textes doit être soumis à l’avis du conseil supérieur de la fonction militaire lors de sa session de juin 2009. Le ministère de la défense recherche néanmoins des mesures dilatoires comme le fait apparaître une note du directeur adjoint du cabinet civil et militaire du ministre (pièce n°51).
Ainsi, le Conseil d’Etat qui est juge de la légalité des règlements a préféré laisser le soin à l’Etat de mettre fin à une illégalité qu’il avait condamnée à plusieurs reprises dans le cadre de recours individuels.
39 – Le Conseil d’Etat refuse de répondre aux arguments de la requérante.
L’Adefdromil a produit deux notes en délibéré (pièces n°40) à la suite des audiences du 3 septembre et du 28 novembre 2008. Elle a contredit l’argumentation du commissaire du gouvernement et soulevé de nouveaux arguments sur lesquels la section du contentieux s’est abstenue de répondre, manifestant ainsi son refus du débat contradictoire en opposition complète avec les affirmations de M. Bernard Stirn dans son interview citée supra.
C’est ainsi que le Conseil d’Etat n’a pas jugé utile de répondre :
1° à l’argument concernant la discrimination exercée à l’encontre de l’Adefdromil, dont, en théorie, les juges qui ont pris position en faveur du rejet des recours de la requérante pourraient être tenus pour responsables, y compris pénalement ;
2° à l’argument selon lequel l’irrecevabilité d’une action en justice constitue une sanction non prévue par les lois françaises ;
3° à l’argument selon lequel la suppression du droit d’ester en justice est manifestement excessive par rapport au but théorique recherché : la discipline militaire ;
4° à l’argument selon lequel la suppression du droit d’ester en justice pour l’exercice de son objet social prive la requérante de son droit à un recours effectif et à l’accès à un juge garanti par la convention CEDH.
Ultérieurement aux trois arrêts du 11 décembre 2008, la 7ème sous-section, saisie de deux recours pour excès de pouvoir (pièces n°43 et 44) concernant la nomination du président de la commission de recours des militaires et le décret relatif aux militaires servant à titre étranger (statut de la légion étrangère), a refusé de répondre à l’argument nouveau résultant de la décision du 15 janvier 2009 de votre Cour (CINQUIÈME SECTION : AFFAIRE LIGUE DU MONDE ISLAMIQUE ET ORGANISATION ISLAMIQUE MONDIALE DU SECOURS ISLAMIQUE c. France – Requêtes nos 36497/05 et 37172/05) qui stipule : « que les restrictions à la capacité d’ester en justice doivent être strictement limitées. ». Et elle a rejeté les recours formés par la requérante en se contentant de reprendre strictement l’argumentation des arrêts du 11 décembre 2008 (pièces n°45) et en refusant d’examiner l’argument nouveau résultant de votre décision du 15 janvier 2009 (pièce n°67).
40 – Violation de ses propres principes par le Conseil d’Etat.
Le Conseil d’Etat, lorsqu’il veut communiquer sur son rôle de défenseur des libertés publiques met en avant l’universalité du recours pour excès de pouvoir, qui serait ouvert à tout requérant contre l’arbitraire du pouvoir exécutif. De nombreux arrêts rappellent ce principe et en particulier un arrêt d’assemblée de 1950 « Dame Lamotte » (pièce n°37) : « Considérant que l’article 4, alinéa 2, de l’acte dit loi du 23 mai 1943 dispose : « L’octroi de la concession ne peut faire l’objet d’aucun recours administratif ou judiciaire » ; que, si cette disposition, tant que sa nullité n’aura pas été constatée conformément à l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine, a pour effet de supprimer le recours qui avait été ouvert au propriétaire par l’article 29 de la loi du 19 février 1942 devant le conseil de préfecture pour lui permettre de contester, notamment, la régularité de la concession, elle n’a pas exclu le recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat contre l’acte de concession, recours qui est ouvert même sans texte contre tout acte administratif, et qui a pour effet d’assurer, conformément aux principes généraux du droit, le respect de la légalité. Qu’il suit de là, d’une part, que le ministre de l’Agriculture est fondé à demander l’annulation de l’arrêté susvisé du conseil de préfecture de Lyon du 4 octobre 1946, mais qu’il y a lieu, d’autre part, pour le Conseil d’Etat, de statuer, comme juge de l’excès de pouvoir, sur la demande en annulation de l’arrêté du préfet de l’Ain du 10 août 1944 formée par la dame Lamotte ; »
De même, le rejet des recours de la requérante va à contre courant de la jurisprudence établie par un arrêt du 28 décembre 1906 (Syndicat des patrons coiffeurs de Limoges), qui reconnait l’intérêt à agir des groupements contre des mesures à caractère réglementaire (pièce n°38).
Par ailleurs, le juge administratif suprême français a jugé par le passé que la liberté d’association avait une valeur constitutionnelle, donc supérieure à celle d’une simple loi comme l’est le code de la défense.
Dès le 11 juillet 1956, l’arrêt « Amicale des annamites de Paris », avait reconnu ce principe : aux termes de l’article 81 de la Constitutionde la Républiquefrançaise : « Tous les nationaux français et les ressortissants de l’Union française ont la qualité de citoyens de l’Union française qui leur assure la jouissance des droits et libertés garantis par le préambule de la présente Constitution » ; qu’il résulte de cette disposition que les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et réaffirmés par le préambule de ladite Constitution sont applicables sur le territoire français aux ressortissants de l’Union française ; qu’au nombre de ces principes figure la liberté d’association ; que, dès lors, le ministre de l’intérieur n’a pu, sans excéder ses pouvoirs, constater par l’arrêté attaqué en date du 30 avril 1953 la nullité de l’association déclarée des Annamites de Paris, dont les dirigeants et les membres étaient des ressortissants vietnamiens »
Cette reconnaissance de la valeur constitutionnelle a été confirmée par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 16 juillet 1971 (pièce n°36) qui énonce : « au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution, il y a lieu de ranger le principe de la liberté d’association ; que ce principe est à la base des dispositions générales de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ; qu’en vertu de ce principe les associations se constituent librement et peuvent être rendues publiques sous la seule réserve du dépôt d’une déclaration préalable ».
Cette violation de principes reconnus illustre parfaitement la partialité de la section du contentieux.
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Pour l’ensemble de ces motifs, le Conseil d’Etat apparaît bien comme une juridiction n’offrant pas les garanties d’impartialité et d’indépendance que tout citoyen est en droit d’attendre de ses juges dans une société démocratique.
Il est donc demandé à votre haute juridiction de constater la violation de l’article 6 de la Convention de ce chef.
(1) La numérotation de cet extrait correspond à celle mentionnée par l’Adefdromil dans sa requête adressée à la CEDH. Quant aux pièces référencées, elles ont été produites à l’appui de la requête.