Le moral des troupes (deuxième partie)

Une belle mascarade

Durant les marches courses, j’accompagnais mes secrétaires de manière pédagogique. Leur motivation face à l’effort était aussi forte que celle d’une caissière…Elles n’avaient aucune obligation de résultat. Les résultats COVAPI étaient pour certaines d’entre elles, candidates au renouvellement de contrat, modifiés sur le papier.

Les papiers sortaient de mon bureau, tout comme les notations des militaires du rang ou des sous-officiers. Cela valait le coup, quand j’ai compris comment fonctionnait le système d’attribution de barreaux, de niveaux, de rendements dans la fonction, etc… je voyais pas mal de choses qui ne sont pas dans le fameux TTA….. Une belle mascarade, une grosse magouille qui part d’en haut….

 Ces quelques exemples pour dire que le moral des troupes et des sous-officiers en particulier est loin d’être au beau fixe, que l’on passe son temps à faire de la technocratie de débutants, y compris dans un simple secrétariat d’un régiment quelconque. A devoir fermer les yeux, laisser le phénomène de passe-droits se répandre, et soi même n’avoir aucune satisfaction à exercer ce métier dans ce qui n’est qu’une école maternelle aux jeux de cours de récréation nettement plus dangereux, on finit par être totalement démotivé.

On est presque obligé de quitter l’institution, malgré une certaine foi naïve qu’on avait au départ. 

Une de mes tâches était aussi de faire des messages de recherche concernant les déserteurs, et les personnels en absence irrégulière….. Ou parfois, de les contacter directement avec mon propre téléphone…. Et quand on a presque une vingtaine d’absents par semaine, pour une population d’EVAT de moins de 80 PAX au sein d’une compagnie de combat, je pense que les autorités ont des questions à se poser…

Je me suis également occupé du départ des « jeunes » qui rompaient leur contrat pendant leur période probatoire…. Je leur demandais systématiquement pourquoi ils s’en allaient.

La réponse était souvent la même: Pour beaucoup d’entre eux, comme pour moi-même d’ailleurs, ils sont venus à l’armée pour trouver un travail, de la discipline, de la rigueur et certaines valeurs comme la camaraderie ou le don de sa personne pour une noble cause. D’autres sont venus dans l’espoir de trouver une seconde famille, les nôtres étant des familles éclatées …Hélas, il suffit de quelques semaines de présence au sein d’un régiment pour que la désillusion soit totale et qu’ils s’en aillent.

Je ne faisais rien…. On n’avait pas besoin de moi.

J’ai été muté en 2007 dans un état-major, où, entre août 2007 et mars 2008, je ne faisais rien…. On n’avait pas besoin de moi.

Affecté au Bureau d’Aide à la Reconversion Civile mon travail consistait à envoyer des statistiques à Paris, concernant la reconversion… de la technocratie pure, presque un emploi fictif, tout ça pour satisfaire Paris, sur la réussite et le succès de la reconversion dans l’armée de terre…

Je recueillais les remarques, j’écoutais les discussions pendant les « réunions » de travail quotidiennes à l’allure de pause café tant les blagues pompeuses fusaient. C’était l’occasion également pour les vieux briscards de raconter leurs faits de guerre « impressionnants ».Une fois j’ai fait le plein du véhicule d’un officier qui rentrait d’une mission de contrôle d’un régiment. Une ou deux fois on m’a demandé de déplacer du mobilier d’un bureau à l’autre, Par deux fois j’ai trié, les « terre magazines » qui « traînaient » dans une armoire…

Puis par moments, on me transférait des tableaux EXCEL avec quelques centaines de noms de personnels reconvertis, à classer par régiment, où par type de reconversion….

Inutile…

Sur 7 mois de présence, je n’ai travaillé qu’une seule journée à temps plein…. si bien que le chef du bureau, à plusieurs reprises, me demandait ce que je faisais de mes journées, me disant : « Je ne dis pas que tu es un branleur, mais que fais tu de tes journées? »

Je lui répondais: « Mais rien mon Colonel, justement, rien. J’aimerais savoir à quoi je sers??? »

Pas de réponse et aucun changement. Ce n’était pourtant pas faute de chercher du travail.

Etant le seul Sergent on ne se privait pas pour me faire des remarques.

Anxio-dépressif

Depuis quelques années ma santé me jouait des tours.Il y avait d’évidents problèmes neurologiques  (le diagnostic n’est aujourd’hui pas encore établi, mais les médecins s’orientent  vers une sclérose en plaques). J’ai essayé de le camoufler pour continuer à travailler. Ma vie privée est devenue un désastre. Je ne voyais pas de la semaine mon premier enfant. Peut-être que j’aurais fini par le voir de temps en temps, comme beaucoup de gens… J’étais aux portes du célibat…

L’agressivité commençait à monter en moi du fait d’avoir encaissé toutes ces turpitudes durant quelques années. Je suis donc allé voir un médecin qui m’a mis en congé de maladie pour syndrome anxio-dépressif. Même si c’est un terme dont on abuse en France, je ne me sentais pas dépressif….

Mais à quoi bon laisser sa santé mentale et physique se dégrader, alors que l’on a que trente ans, et pour un métier dont la nature même ne justifie plus aucun sacrifice ? Le jeu n’en vaut pas la chandelle.

Nous ne sommes pas dans la gendarmerie, où la police qui accomplissent chaque jour de véritables missions opérationnelles. Faut-il laisser sa vie en montant des gardes ? en accomplissant des missions de courte durée dans les DOM-TOM ?ou au cours d’OPEX à l’utilité suspecte ? Toutes ces questions je me les pose aujourd’hui alors que je suis toujours arrêté et que l’armée de terre va examiner mes droits à pension d’invalidité

 

                                                                                                                               EBG1334

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Le moral des troupes (1ère partie)

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