NOTE DE SYNTHÈSE
En France, l’instruction des affaires pénales, obligatoire pour les crimes et facultative pour les autres infractions, est réalisée par un juge d’instruction à la demande du ministère public.
Indépendant comme tout juge, le juge d’instruction instruit à charge et à décharge afin de déterminer s’il existe des charges suffisantes contre une personne pour traduire celle-ci devant la juridiction de jugement. Il dispose à cet effet de nombreux pouvoirs (perquisitions, saisies, écoutes téléphoniques, auditions des témoins, des parties civiles et des personnes mises en examen, etc.), dont la plupart peuvent être délégués à des officiers de police judiciaire. Cependant, certains de ces pouvoirs doivent être exercés personnellement par le juge d’instruction. C’est notamment le cas de la prescription des écoutes téléphoniques et de l’audition des personnes mises en examen.
Depuis le 1er janvier 2001, le juge d’instruction ne peut plus décider de placer une personne en détention provisoire : c’est le juge des libertés et de la détention qui ordonne une telle mesure à la demande du juge d’instruction.
À l’issue de l’enquête, le juge d’instruction rend une ordonnance de non-lieu, de renvoi devant la juridiction pénale, ou de mise en accusation si l’infraction relève de la compétence de la cour d’assises.
Les décisions du juge d’instruction peuvent faire l’objet d’un appel devant la chambre d’instruction, présente dans chaque cour d’appel.
Le 7 janvier 2009, le président de la République a proposé de substituer au juge d’instruction le « juge de l’instruction, qui contrôlera le déroulement des enquêtes mais ne les dirigera plus ». Parallèlement, la direction de la phase préparatoire de la procédure pénale serait confiée au ministère public.
D’autres pays européens ont déjà supprimé le juge d’instruction pour attribuer la direction de la phase préparatoire de la procédure pénale au ministère public et confier à un juge du siège le contrôle des libertés publiques et de la légalité pendant cette partie de la procédure.
Il a donc semblé utile d’analyser les principales caractéristiques de l’instruction des affaires pénales dans plusieurs pays européens, choisis pour la diversité des règles régissant la procédure pénale : l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suisse. S’agissant du Royaume-Uni, seules les dispositions en vigueur en Angleterre et au pays de Galles ont été étudiées.
Pour chacun des sept pays retenus, quatre questions ont été traitées :
– le rôle respectif des acteurs de l’instruction (police, ministère public et juge) ;
– le statut du ministère public (indépendance par rapport à l’exécutif, rôle de la hiérarchie, légalité ou opportunité des poursuites, etc.) ;
– le degré d’indépendance de l’organe chargé de l’instruction pendant cette phase de la procédure ;
– le lien entre les phases et les acteurs de l’instruction et du jugement, pour essayer de mettre en évidence dans quelle mesure l’instruction pèse sur le résultat du jugement.
Seule, la procédure de droit commun a été prise en compte. Les procédures accélérées ainsi que les procédures spécifiques applicables par exemple aux infractions financières n’ont pas été étudiées.
L’analyse comparative permet de mettre en évidence :
– le rôle croissant du ministère public dans l’instruction des affaires pénales ;
– le contrôle juridictionnel auquel le ministère public est soumis pendant l’instruction ;
– l’indépendance des parquets italien et portugais.
1) Le ministère public devient le principal acteur de l’instruction
Le rôle croissant du ministère public dans l’instruction des affaires pénales est un phénomène général, que l’on observe dans tous les pays étudiés, sauf en Espagne.
a) L’Espagne est le seul pays où un juge mène l’instruction
En Espagne, à l’exception des infractions mineures, toutes les infractions font l’objet d’une instruction, qui est réalisée par un juge d’instruction à l’aide de la police judiciaire.
Le code de procédure pénale charge le ministère public, garant de la légalité, de contrôler l’action du juge d’instruction, mais ce dernier jouit en pratique d’une grande indépendance. Ainsi, c’est lui qui décide de la clôture de l’instruction lorsqu’il estime qu’elle est achevée.
La prise en charge de l’instruction par le ministère public, déjà réalisée pour les procédures simplifiées, fait l’objet de débats récurrents depuis une vingtaine d’années.
b) Le ministère public joue un rôle prépondérant dans l’instruction des affaires pénales non seulement en Allemagne et en Italie, où le juge d’instruction a été supprimé, mais aussi aux Pays-Bas et au Portugal
L’Allemagne et l’Italie ont supprimé le juge d’instruction, respectivement en 1975 et en 1988, pour confier la direction de l’instruction au ministère public.
Les Pays-Bas et le Portugal ont conservé le juge d’instruction, mais l’instruction judiciaire occupe une place limitée dans la phase préparatoire de la procédure pénale.
Aux Pays-Bas, le ministère public est au centre de la procédure pénale, y compris pendant la phase qui précède le jugement : c’est lui qui dirige l’enquête de police et qui décide s’il convient ou non d’ouvrir une information judiciaire, alors menée par un juge d’instruction. Comme le ministère public et la police ont peu à peu obtenu la possibilité de recourir à des moyens d’investigation auparavant réservés au juge, l’instruction stricto sensu, consécutive à l’enquête de police, est devenue exceptionnelle.
De même au Portugal, le nouveau code de procédure pénale, entré en vigueur en 1987, a transféré au ministère public la conduite de la phase préparatoire au jugement. L’instruction, conduite par un juge d’instruction assisté de la police, est devenue un instrument de contrôle de l’enquête de police menée sous la direction du ministère public : elle n’a lieu que si la personne mise en examen ou la victime le demande après que le ministère public s’est prononcé pour la mise en accusation.
c) Le ministère public joue un rôle croissant dans l’instruction des affaires pénales en Angleterre et au pays de Galles ainsi qu’en Suisse
En Angleterre et au pays de Galles, l’enquête est réalisée par la police, qui jouit d’une très grande indépendance. Le service national des poursuites, que l’on peut assimiler à un ministère public même s’il n’en a pas tous les attributs, a été mis en place en 1986 pour assurer l’unité de la politique des poursuites. Il prend une importance croissante dans la procédure pénale, en particulier dans la phase préliminaire : il coopère avec la police dès le début de l’enquête en lui apportant son soutien juridique.
Le rôle du ministère public s’affirme également en Suisse. Actuellement, l’organe chargé de l’instruction diffère suivant que l’infraction est jugée d’après la procédure pénale fédérale ou d’après l’une des 26 procédures pénales cantonales. Selon les cas, l’instruction est confiée à un juge d’instruction ou au ministère public. Le nouveau code de procédure pénale, adopté en 2007 et qui entrera en vigueur le 1er janvier 2011, unifie la procédure pénale et confie la direction de l’instruction au ministère public.
2) L’activité du ministère public pendant la phase d’instruction est encadrée
Comme le juge d’instruction, le ministère public a l’obligation d’instruire à charge et à décharge. Cette obligation figure explicitement dans les codes de procédure pénale allemand et italien, ainsi que dans le nouveau code de procédure pénale suisse.
De plus, certains actes d’instruction échappent à la compétence du ministère public. Dans tous les pays étudiés, la réalisation ou la prescription des actes d’instruction les plus attentatoires aux libertés, en particulier le placement en détention provisoire et la mise sur écoutes téléphoniques, requièrent l’intervention d’un juge : juge de l’instruction en Allemagne, juge des investigations préliminaires en Italie, juge d’instruction aux Pays-Bas et au Portugal, magistrate (c’est-à-dire juge non professionnel, compétent pour le jugement en première instance des affaires les moins graves) en Angleterre et au pays de Galles. De même, le nouveau code de procédure pénale suisse prévoit que le transfert de l’instruction au ministère public s’accompagnera de la création d’une nouvelle instance juridictionnelle, le tribunal des mesures de contrainte.
Selon les cas, le juge donne une autorisation (surveillance de la correspondance par exemple) ou procède lui-même à l’acte requis (audition de témoins contre leur gré par exemple).
Lorsque l’instruction est dirigée par le ministère public, le juge apparaît donc comme garant des libertés. Cette affirmation doit cependant être tempérée, notamment parce que le juge n’intervient pas de sa propre initiative mais à la demande du ministère public et parce que ce dernier peut, en particulier en Allemagne et aux Pays-Bas, prendre de nombreuses mesures, même s’il dispose de pouvoirs d’investigation inférieurs à ceux d’un juge. Ainsi, depuis la réforme du code de procédure pénale de 1975, les procureurs allemands peuvent contraindre les témoins et les experts à comparaître. De même, aux Pays-Bas, depuis son entrée en vigueur en 1926, le code de procédure pénale a été modifié de façon à donner au ministère public de plus en plus de moyens.
Par ailleurs, en cas d’urgence, le ministère public peut empiéter sur les compétences réservées au juge, sous réserve de faire valider rapidement ses décisions par ce dernier. Les possibilités d’intervention du ministère public en cas d’urgence sont particulièrement importantes en Allemagne.
3) Dans leur mission d’instruction, les ministères publics italien et portugais sont indépendants du pouvoir exécutif
L’indépendance du parquet italien remonte à 1947, alors que celle du ministère public portugais résulte d’une modification apportée à la Constitution en 1992, c’est-à-dire après la réforme du code de procédure pénale qui a transféré au ministère public la direction de l’instruction.
Dans ces deux pays, le ministère public ne peut donc pas recevoir d’instructions du pouvoir exécutif. De plus, les différents membres du parquet italien bénéficient d’une grande indépendance les uns par rapport aux autres. En revanche, le ministère public portugais est organisé de façon hiérarchique, mais le principe de légalité des poursuites protège ses membres de toute pression d’un supérieur qui souhaiterait empêcher qu’une procédure pénale soit engagée.
Dans les autres pays qui ont confié l’instruction au ministère public, l’Allemagne et les Pays-Bas, celui-ci n’est pas indépendant de l’exécutif et peut recevoir des ordres. Cependant, aux Pays-Bas, la loi encadre le pouvoir qu’a le ministre de la justice de donner au parquet des instructions particulières : le ministre doit auparavant consulter le collège des procureurs généraux, qui dirige l’ensemble du parquet et qui réunit les cinq membres du parquet les plus élevés dans la hiérarchie. L’instruction du ministre et la réponse écrite du collège des procureurs généraux doivent alors être ajoutées au dossier. Par ailleurs, lorsque le ministre intervient pour faire cesser des poursuites, il doit en informer le Parlement.
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Deux pays ont déjà mené la réforme envisagée en France et complètement supprimé le juge d’instruction pour confier l’instruction de toutes les affaires pénales au ministère public. Dans l’un, l’Italie, le ministère public est indépendant ; dans l’autre, l’Allemagne, il ne l’est pas.
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l’instruction des affaires penales
Source: Site du sénat